Soft kitty, warm kitty...

Le chat avait l'air content, il ne ronronnait pas, mais presque. Alicia connaissait assez bien les animaux pour savoir qu'un chat pouvait manifester son contentement autrement qu'en ronronnant. Et que le ronronnement pouvait parfois être signe de douleur. Et puis il ne fallait pas oublier, elle était sortie avec un chat. Eh oui, Ren, Renou le chat, le métamorphe félin, il avait partagé sa vie pendant quelques années. Il faudrait d'ailleurs qu'elle pense à prendre de ses nouvelles. Il était marié, à présent, et papa d'une petite fille. Elle se demanda en souriant d'amusement comment était le nippon en tant que père. Probablement un gaga qui ne s'assume pas. Elle sortit son agenda et nota en bas de la page de la semaine "Passer un coup de fil à Ren pour prendre des nouvelles". Le pauvre devait être overbooké, comme toujours.

Bref, Alicia connaissait les chats.

Après l'avoir observée un long moment comme si c'était une créature digne d'intérêt -que d'égards de la part d'un félidé !- le petit animal sauta sur son bureau, et, nonchalamment, sans aucune gêne, marcha allègrement sur ses papiers, les répandant sur le parquet de son bureau. Al posa son stylo, puis ses mains à plat sur le meuble, et considéra le chat d'un air sévère, avant de déclarer :

-Ce n'est pas très aimable ça, Monsieur Chat.

Monsieur Chat était un surnom qui allait bien au petit matou noir. Il semblait un peu sauvage, mais également élégant, avec le regard qui juge, comme le regard de beaucoup de chats, d'ailleurs.

Alors que la jeune femme baissait la main parmi les papiers éparpillés à récupérer, la bestiole, énervée par elle ne savait quoi, la griffa sèchement, violemment. Elle retira immédiatement la main, des gouttes de sang se perdirent sur les pages. Alicia laissa passer un sifflement de douleur et secoua frénétiquement son extrémité blessée.

-J't'ais fait quoi, tabarnak' ? maugréa l'exorciste, prenant malgré elle l'accent québécois.

Elle planta ses yeux bleus, dans ceux, verts et très beaux, presque magiques, du félidé. Il avait l'air tout innocent. Du genre "j'ai rien fait moi, j'ai un alibi, j'étais au cinéma". Elle fronça de nouveau les sourcils, tout en souriant tout de même parce qu'au final, elle aimait trop les animaux pour leur en vouloir. Par habitude, elle choppa tout de même l'animal par la peau du cou, et l'avança devant son visage -pas trop près, pour ne pas se faire griffer- et lui dit fermement :

-Non.

Vilain matou. Elle le gratifia tout de même d'une caresse distraite et très légère sur le dos et la queue avant d'aller désinfecter sa blessure dans sa salle de bain. Saleté, va.

Little ball of furr...

L'eau coulait rapidement sur la main meurtrie d'Alicia. Elle regarda un instant son visage dans la glace : visage régulier, nez à peu près droit. Un peu froide. Elle haussa les épaules. La vie l'avait rendue comme ça. Elle secoua la tête puis se sourit à elle-même, pour se remonter le moral. Il lui suffisait de voir le fond de ses propres yeux pour se sentir envahie d'une vague mélancolique. Al était une bonne vivante, une française bien clichée qui aimait dévorer la vie à pleine dents. Simplement tout devenait plus compliqué avec les années, et il semblait que le trauma fut inévitable à un moment ou à un autre. D'une manière ou d'une autre.
Elle qui avait eu une enfance et une adolescences rêvées, ou presque.

Le boulot. Cette pensée lui remit un peu de baume au cœur. Se jeter à corps perdu dans ses papiers et dans l'idée qu'elle se faisait d'un monde plus juste l'aidait indéniablement. Peut-être aurait-elle dû se freiner parfois, il arrivait à sa cheffe de lui lancer des regards réprobateurs, surtout depuis sa séquestration, mais elle n'avait encore jamais fait de burn out.

Et puis, elle avait un chat qui avait décidé de squatter son bureau pendant un petit moment, cela ne pouvait qu'être positif.
C'est donc avec un sourire plus léger sur les lèvres qu'elle revint à son bureau, où le jeune chat semblait désemparé devant tant de paperasse, qu'elle entreprit de remettre en ordre.

- Pousse-toi, toi, dit-elle gentiment à l'animal.

Il y avait des dossiers sur des runes, sur des esclaves à placer en foyers d'accueil, sur des complots potentiels au sein des organisations noires, et puis quelques notes de frais qu'elle n'avait pas encore reporté au service comptabilité d'Orpheo. Evidemment, ce type de département existait. C'était magique, mais bien ancré dans le monde réel. L'Ordre avait toujours voulu cohabiter avec le système Innocent. Cela ne voulait pas dire qu'il avait encouragé ou cautionné ses travers, bien entendu, quoi que cela n'avait jamais été totalement évité. Il avait simplement essayé d'être en harmonie. Utopie un peu improbable, mais qui valait le coup d'être travaillée, au moins on arrivait parfois à des compromis pas trop sales.

Al vint se rasseoir sur sa chaise, et reprit la lecture de la lettre. Elle aurait bientôt fini. Mais elle se sentit rapidement observée. Les yeux vert et profonds du félin étaient posés sur elle. Elle sourit machinalement, comme pour faire bonne figure. Alors que c'était un chat. Mais il avait un regard très puissant, cet animal.

Tout à coup, il bondit sur ses genoux. Un léger rire éclaboussa les lèvres d'Alicia. Elle trouva cette sensation plaisante, tout comme la chaleur du soleil de mai qui caressait ses épaules. C'était la fin de l'après midi. Elle se mit à grattouiller le menton du petit félin. La sensation des poils soyeux sous ses doigts la ravirent instantanément, elle espérait qu'il se mettrait à ronronner. Son autre main parcourait doucement le dos recouvert de fourrure de jais, et elle se trouva là à presque abandonner son travail, pour de petits frottements réguliers sur le corps du chat. C'était réconfortant. Elle finit par fermer les yeux, sentir les vibrations de l'autre êtres dans tous ses membres et son corps, l'air du presque été se faufilant dans ses narines. Les responsabilités s'étaient évanouies. Al avait l'impression d'une symbiose avec le félin, ne serait-ce que passager.

Elle se laissa même aller à poser ses lèvres sur le sommet du crâne du minet et à les y presser fort, quelques instants.

- Comme tu es beau et doux... Murmura-t-elle.

Alicia aurait presque oublié qu'il l'avait griffée quelques instants auparavant. Elle pardonnait très facilement aux animaux, c'était une de ses grandes faiblesses.
A bien y réfléchir, elle pardonnait globalement facilement. C'était à la fois un atout et un inconvénient pour le poste relativement politique qu'elle occupait. On lui demandait souvent de faire preuve de diplomatie, mais il ne fallait tout de même pas se laisser faire. Heureusement que Selena avait pile le bon caractère pour la contrebalancer.

La jeune femme inspira profondément, se sentant revigorée, puis acheva de lire la lettre de l'ex-esclave, de prendre quelques notes. Puis, elle clôt le dossier. Dix-sept heures. C'était un vendredi, et elle savait qu'elle avait fini (ou presque) son travail de préparation pour aller au Canada, elle allait donc partir.

L'exorciste commença donc à ranger ses papiers, à éteindre ses appareils électroniques et à mettre ses affaires dans son sac.
Au moment de fermer la fenêtre de son bureau, elle réalisa que le chat était toujours là. Elle le considéra d'un air perplexe, et fit un signe de tête qui l'intimait de sortir. Elle ne pouvait pas le laisser enfermé ici tout le week-end.

- Allez, va minou.

Al émit un petit bruit avec ses lèvres pour l'inciter à s'engager par l'interstice ouvert vers les toits parisiens, la liberté.

Le temps que durèrent les caresses au sein de ce bureau douillet, la nuit était tombée brusquement. Une couche d’humidité pénétrante avait rendu plus lourd l’air de mars, comme une rémanence de l’hiver : c’était la saison hybride où tout, à l’image du ciel, peut changer de tout au tout en une bourrasque. La paroi métallique des gouttières était devenue plus glissante, et tandis que le corps de Jeremiah contractait mécaniquement ses muscles dans l’effort pour conserver l’équilibre dans la descente, ses pensées s’étaient éteintes, ses yeux ne semblaient pas voir les obstacles et sa peau ne percevait pas le froid : comme en hypnose, il était resté enveloppé dans les douces sensations que lui procurait Alicia Roussel avec sa tendresse, son babillage, ses mains, ses lèvres. Contrairement à la majorité des humains, elle ne semblait pas penser à autre chose tandis qu’elle le cajolait : c’était bien vers lui que s’exprimait cette sorte de générosité de soi. Pour beaucoup, un animal à cajoler est un moyen d’incarner autre chose que l’on voudrait cajoler, mais qui est inaccessible : un être absent, une nostalgie, un manque, auquel on donne toute sa tendresse en serrant l’animal, réduit en objet de fantasmes égoïstes. Roussel avait conservé toute sa présence de cœur à Jeremiah : en un mot, elle avait été sincère, et là-dessus, un animal ne peut jamais se tromper. La sincérité existe par degrés, et la plus grande sincérité, celle qui est spontanée, qui s’exprime sans effort, comme une générosité d’âme, est si rare parmi l’espèce humaine que quand un instinct d’animal la reconnait, elle transperce tout son corps comme une vibration. Dans un contexte religieux, pour certains êtres sensibles cela peut se rapprocher d’une extase, cette sorte de joie lyrique accompagnée de gratitude. Bien sûr, Jeremiah n’était pas un de ces êtres sensibles, et la bonté naturelle d’Alicia Roussel avait sur lui l’effet d’une vague de chaleur mystérieuse, puisqu’elle ne pouvait pas s’expliquer par la météo véritable qui avait tourné au glacial. Tout de même, Jer l’insensible dévalait cet immeuble haussmannien sans en voir une seule pierre, avec une plus grande rapidité encore que d’habitude, comme poussé par des ailes invisibles ou un élan extraordinaire, tout entier absorbé dans le moment précédent, encore enveloppé de la sensualité de Roussel. Ce n’est que quand il atterrit lestement sur le trottoir qu’il reprit ses esprits, et il en resta vaguement étonné, un peu touché.

L’odeur d’Alicia Roussel n’était pas difficile à tracer : comme beaucoup de ces orphéistes amoureuses du mythe de la civilisation humaine, elle reproduisait le consumérisme bourgeois des Innocentes – qui portaient bien mal ce quolibet – bref, elle portait du parfum. Il y avait peu d’exemples plus représentatifs que ce produit du capitalisme assassin et sournois qui offrait une promesse de marqueur social, de distinction de classe, tout en servant un discours d’individualisme magique – les propriétés symboliques de tel ou tel parfum disent quelque chose de la personnalité unique de celle qui l’a choisi comme « son » parfum – élégance, puissance, douceur, espièglerie, jeunesse, sagesse, tout pouvait être dit par un parfum. Manipulation marchande, illusion dérisoire. S’il y avait tant réfléchi, c’est, bien entendu, que malgré son mépris, Jer adorait cette invention humaine : quelle ingéniosité, quelle génialité de l’art qui crée une œuvre d’odeur, insaisissable, presque magique. C’est donc avec plaisir, en vérité, que Jer suivait l’odeur subtile et florale de sa nouvelle proie. Bourgeoise, charitable, aux attributs d’élégance propres aux publicités de luxe qui sont le fleuron du maléfique humain – le long manteau qu’elle porte pourtant avec légèreté, l’allure discrète et déterminée, les yeux vifs mais pudiquement mélancoliques, déstabilisants, cette touche d’inexplicable inaccessibilité –, au premier regard elle était tout ce qu’il détestait.

Il la retrouva sans mal au bout de quelques minutes. Il craignit un moment qu’elle n’empruntât les transports en commun – ce qui eût été une indubitable déception – mais elle dépassa plusieurs bouches de métro sans s’y engager. Elle rentrait à pieds : elle aussi aimait les balades citadines. Cela leur faisait au moins un unique point commun – c’est utile, pour des futurs compagnons de voyage. Enfin, elle s’arrêta devant un immeuble presque aussi fastueux que celui des locaux d’Orpheo. La grande vie parisienne. On veut être le sauveur de toute la vermine humaine, mais sans aller jusqu’à en fréquenter les faubourgs.

Jeremiah n’avait pas encore réfléchi à sa manière de procéder – comment se lover dans la valise de cette Roussel en partance pour l’autre bout de l’Atlantique ? A vrai dire, tout cela était allé très vite, et il lui semblait vivre dans une sorte de flou depuis une heure, quand il avait aperçut cette rune – les recherches qu’il avait menées, enfant, lui revenaient progressivement et il lui semblait bien que c’était une rune de l’énergie primitive céleste – une des six sources de magie primitive que le petit garçon qu'il avait été, toujours le nez fourré dans les contes sorciers du monde entier, avait identifiées. L'énergie du ciel : l’œil des astres, le tourbillon du vent, les rayons du soleil – il en griffonnait, lui aussi, dans ses cahiers d’écolier devant ce maître détestable qui venait au manoir Kanitz trois fois par semaine pour lui voler son temps de rêves. Une chose était sure : il avait envie de suivre cette rune, comme une piste fantasmatique, un départ romanesque. De son point de vue d’homme, et de sorcier de Rosenrot, cela n’avait aucun sens : ce n’était pas même une décision, vraiment, mais plutôt un délire, une lubie, un caprice. Mais dans son instinct d’animal, cette folie avait un poids de certitude, une densité véritable qu’il ne pouvait ignorer. Et puis, cette sorte de certitude concernait aussi cette humaine d’Orpheo : elle était indubitablement liée à l’histoire qui commençait. Il pressentait son importance avec une pointe d’excitation, d’adrénaline qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps dans le désert d’ennui de sa vie de missionnaire pour Rosenrot – ah, la vie d’adulte, comme cela manquait de piquant.

Il songea un moment, perché sur un rebord de fenêtre de l’immeuble d’en face de chez Roussel, à un plan d’action. Mais bientôt, il n'y pensa plus : son attention fut distraite par son imaginaire qui tentait de deviner les formes nues d’Alicia Roussel. Puisqu’il avait commencé cette affaire à l’instinct, il la poursuivrait ainsi autant que cela serait possible. Est-ce que cette Roussel conservait son aura d’élégance bourgeoise, débarrassée de son uniforme civil, de son manteau, son étole, ses mignonnes chaussures, ses bijoux intrigants – mais toujours avec ce parfum ensoleillé ?

Jer entra dans un jardin public et avisa, dans des herbes hautes entourées d’une modeste barrière qui gardait les humains de les fouler aux pieds, un grand papillon de printemps aux ailes irisées. En avance sur sa saison : une belle promesse pour les mois à venir. Il l’attrapa en un bond dans sa gueule de chat, et repartit aussitôt en direction d’Alicia Roussel. Bientôt, il arriva sur son balcon et, campé sur ses pattes arrière, appuya les coussinets de ses pattes avant sur la fenêtre vitrée avec un air profondément malheureux. Les ailes arc-en-ciel du papillon agonisant, qui dépassaient de sa gueule, frémissaient encore. Technique déjà testée et approuvée : il savait qu’il était trop mignon !

Happy kitty, sleepy kitty

Bottines à talons dégagées dans un coin de l'entrée, trench posé sur des jolis crochets en fer vintage, bouilloire mise en état de marche, sachet plongé dans l'eau chaude, pieds emittouflés dans des chaussons chaussettes, Alicia avait plongé son corps en état de détente forcé : week-end. Elle avait pris en note les soufflements outrés de sa supérieure ces derniers temps, lorsqu'elle se voyait partir avant sa subordonnée, ainsi que les brochures de randonnées au Canada ou en Islande posées subtilement sur son bureau. Selena la connaissait bien et savait qu'elle avait besoin de vacances. Oups. 


La jeune exorciste poussa un grand soupir, et commença à faire le tour de son appartement munie d'un petit arrosoir chiné dans une brocante. Heure bénie des plantes magnifiées par la lumière qui se déversait peu à peu à travers ses fenêtres. Il avait plu toute la journée, à présent le printemps avait décidé de faire son grand retour. Cela arracha un léger sourire à Alicia. Elle aimait son appartement et la façon un peu cahotique dont elle l'avait décoré. Deux pièces, du parquet, une minuscule salle de bain dotée d'une minuscule baignoire, une cuisine séparée de la pièce principale par un bar, beaucoup de charme et d'isolement, l'appartement donnant sur un square de quartier. 


Elle avait orné ses nombreuses étagères et meubles anciens de tout un tas de plantes récupérées ici et là, offertes parfois, dont elle avait d'abord peiné à s'occuper, puis on lui avait appris une rune de jardinage, et un univers de sérénité s'était ouvert à elle. Elle s'essayait toujours à la réalisation manuelle de ces taches délicates qui constituaient le bien être des plantes, mais au moins, elle avait un plan de secours si elle devait partir en mission ou si elle avait tout simplement la flemme. 


Le reste de la déco de l'appartement parisien était essentiellement constitué de vieux tableaux, eux aussi trouvés dans des brocantes, qui se mêlaient avec plus ou moins bon goûts à des oeuvres plus modernes, des dessins d'amis, des trucs trouvés sur etsy ou dans des petites boutiques, lors de flâneries. 


Alicia s'approcha d'une des grandes fenêtres de son salon, contre laquelle elle avait installé son bureau et commenca à abreuver son piléa, lorsqu'elle eut un sursaut. Le chat. Le même chat noir que celui qui avait squatté son bureau tout l'après-midi, elle en était certaine. Une bouille complètement adorable, deux pauvres petites ailes finement ciselées comme un bijou noir et jaune. L'exorciste tressaillit tout autant qu'elle se sentit attendri. Tout amoureuse des félins qu'elle était, ce n'était pas normal.


Sans rien dire, elle ouvrit sa fenêtre, et essaya délicatement d'attraper l'animal entre ses mains. Celui-ci eut un mouvement de recul et fit mine de partir. La jeune femme s'éloigna alors, reprenant son arrosoir et continuant sa ronde. 
Au bout de quelques minutes, elle remarqua qu'il était toujours là, tenant fièrement sa proie dans sa gueule. Elle sourit, s'appliquant à ne pas montrer les soupçons qui l'animaient, et tendit la main vers la tête de l'animal afin de le gratouiller entre les oreilles.

- Bah oui, t'es beau.

Al tenta de nouveau une approche, et cette fois-ci le chat se laissa faire. Elle sentait toutefois une tension dans son corps. Il n'était probablement pas complètement serein, ceci dit, ça aurait aussi été cohérent pour un chat de gouttière.
Le tenant fermement contre elle mais le caressant avec douceur de manière à ne pas éveiller les soupçons de la personne qu'elle supposait exister entre les poils et derrière les petits crocs, elle se rendit dans sa cuisine et sortit un petit bol en céramique bleue d'un placard, dans lequel elle mit un peu de fromage blanc.


- Tiens minou, c'est pour toi. 

Le petit félin tendit le museau vers la gamelle. Victoire. Mais il fallait jouer comme dans le pire des scénarios. Rapide, Alicia plongea les doigts dans le pot encore ouvert de fromage blanc sur le plan de travail et traça de son mieux une rune de révélation sur la fourure de jais. Ce type de rune empêchait, temporairement, de le cas de la sienne, tracée à la va-vite avec une substance peu adaptée, les maléfices de dissimulation mais surtout les métamorphoses, quelles qu'elles soient. Si sa théorie se confirmait, si ce chat n'était effectivement pas un chat, il avait retrouver forme humaine. Si elle s'était trompée, l'animal la regarderait avec une expression d'incompréhension totale, mêlée de jugement. Tant pis. Ce risque était infiniment moins compliqué à prendre que de celui de se retrouver avec un ennemi qui essaie de vous attendrir par des ronronnements. 


Ce fut rapide, sans un bruit. Le chat s'arqua au beau milieu de sa cuisine, lévitant pendant un très court instant, pour laisser place à un jeune homme nu, la peau diaphane, les cheveux aussi sombres que son pelage de métamorphe. Visage émacié, presque fatigué, un air vaguement androgyne. L'exorciste poussa un profond soupir. Prenant le temps de saisir un couteau de cuisine pour s'entailler le doigt et tracer une rune d'immobilisation sur l'inconnu, elle ne le quitta pas des yeux, tentant de raviver dans sa mémoire d'éventuels souvenirs de lui. Vu le nombre de dossiers qui lui tombaient entre les mains, elle en avait vu passer, des visages de sorciers et d'humains noirs. Rarement d'aussi beaux, ceci dit. Elle se donna une petite claque mentale d'avoir pensé cela. 


En tous cas rien à faire, elle ne le connaissait pas. Du moins il ne lui disait rien.


Al profita du répit que lui conférait la rune pour faire le tour du type et aller se laver les mains, sans pour autant le quitter des yeux. 


Puis, prête à faire face, elle se dressa face à lui, les poings sur les hanches, sourcils froncés. Pas que ça à foutre.

- On peut savoir qui vous êtes ?

Elle n'avait jamais réussi à rendre sa voix réellement sèche. Celle-ci possédait une douceur dont elle n'arrivait pas à se départir. C'était très bien pour la diplomatie. Bien moins pour les interrogatoires. Des bribes cuisantes de rires méprisants de la part de subalternes de Croix lui revinrent en mémoire. Alicia n'était pas une personne colérique. Mais dans ces moments, elle les haïssait. Et l'idée que l'un d'entre eux lui ait quémandé des caresses dans le but de l'amadouer, puis ait tenté de s'introduire chez elle ainsi la dégoûtait au plus au point. 

[J'ai un peu joué Jer sous forme de chat, c'est en accord avec Louise]