Je me retourne.
Mon lit me semble presque collant, poisseux, comme si les draps n'avaient pas été changés depuis années. Pourtant, l'odeur trahit la vérité : ils ont été lavés hier.
Je soupire en m'étirant sur mon matelas, posé à même le sol dans ma chambre. Elle est assez grande et a une cheminée - condamnée - dans un coin, toute vide et spacieuse comme j'aime. Un coin pour être seule sans vie, sans plante, sans animaux.
Sans Mike.
De toute façon c'était non négociable : j'ai besoin d'un endroit où jme sens chez moi comme à l'intérieur de moi même. Rien n'est partageable ici. Je n'ai pas à faire de concessions sur ce qu'il y a à l'intérieur ou pas, sur le ménage, sur tout le reste. Peut être que c'est égoïste, je trouve ça plutôt sain à vrai dire. Et pour une fois, savoir qu'on a fait le bon choix, ça fait du bien. Un peu comme si je commençais à grandir.
Et pourtant, seule dans ma chambre, impossible de dormir.
La fatigue me vrille le ventre pourtant, j'en ai la nausée et les yeux gonflés mais dans ma tête, rien ne se tait. J'aimerai trouver les raisons et dire que c'est le café que j'ai bu dans l'après midi, ou le fait que je ne fasse pas de sport depuis quelques jours, le fait que nous n'ayons pas baisé avec Mike, ou je ne sais quoi.
La vérité, c'est que la boîte dans laquelle j'ai tout enfoui s'est entrouverte. Je trouverai pas ça si embêtant si seulement j'arrivais à exprimer ce qui ne va pas. Mais les mots sont partis, les mots sont enfouis depuis longtemps. Ne reste que la colère, si lourde à traîner, patiente et toujours prête à éclater. Surtout sur Mikeal, qui n'a pour ainsi dire, jamais rien fait.

Nouveau soupir. J'aimerai me distraire finalement, ou me poser un instant. Sortir tout ça de moi, dire bonne nuit et récupérer ça à l'aube, quand je serai bien obligée. Mais l'aube n'arrive pas, c'est la nuit pour toujours et ce soir comme tous les autres, je suis moi et c'est tout ce que j'ai.
J'ai Mike, un peu, des fois, aussi.
Sors de ma tête, toi aussi.

Je regarde l'heure : cinq heure dix-sept. Il n'y a aucune chance qu'il ne dorme pas de l'autre côté du couloir.
Je me lève, mes genoux grinçant quand je me redresse et je glisse dans la cuisine, comme un fantôme. Je porte une culotte toute simple grise et un de ses t-shirt blanc, un peu trop grand. Le col en V me fait un décolleté, c'est plutôt drôle.
J'erre jusqu'au frigo, l'ouvre. La lumière jaune tape dans les étagères blanches, vides, pleines, j'n'en sais rien je ne regarde pas. C'est pas ce que je veux ni ce que j'attends. Je tourne encore, ouvre un placard, un autre.
Je n'ai pas faim.
Ni soif à vrai dire.
Je sors sur le petit balcon entouré de briques sombres. L'extérieur porte encore l'odeur de la pluie sur le béton brûlant des fins d'après-midi. Je reste quelques minutes, jusqu'à ce que la chair de poule me ramène à moi même et mon incapacité à dormir.
Très bien.
Que faire ? Fuir encore d'ici ? Le problème ce n'est pas le lieu, c'est ma tête. Je le sais, j'l'ai toujours su. J'aimerai bien ne pas m'agacer ni m'énerver, ne pas me laisser bouffer par la hyène dans mon ventre qui doit bien ricaner à me voir trembler. Je sais tourner en cage, regarde quel bel animal de cirque je suis ce soir. Regarde.

Bien, allons réveiller Mike.
Je traverse l'appartement sur la pointe des pieds, jouant avec les pointes de mes cheveux détachés avec le bout de mes doigts. J'ouvre sa porte avec mille précautions pour ne pas le réveiller avant d'arriver à pas de loups pour m'approcher.
Il ne fait pas parti des gens qui ont l'air paisibles quand ils dorment.
Non.
Et puis vraiment pas.
Je pose mes deux mains sur le matelas, tout doucement, et puis un genoux. Il est posé sur le côté et je tente une approche contre lui, posément entre ses bras avant de commencer à l'embrasser tout doucement, sa clavicule nue, son épaule, son cou, alors que je me tortille pour prendre place (toute la place d'ailleurs incessamment sous peu) puis son menton, le coin de ses lèvres, ses lèvres.

- Hé, murmuré-je, enfin arrivée à envahir tout son territoire.

J'adore le fait d'avoir imposé qu'on ait une chambre chacune - non pas qu'il ait l'air contre, ça avait l'air de bien nous arranger tous les deux qu'on dise qu'on soit coloc - mais de quand même finir par me ramener dans la sienne.
Indécise, June.
Infantine, June.

Une poignée de porte qui bouge. Une porte qui grince légèrement. Des pas sur le plancher qui craque. June est réveillée alors que je suis encore dans les vappes, prêt à me rendormir. Je ne prends même pas la peine de regarder l'heure sur mon réveil. Les volets sont ouverts, parce que j'ai toujours la flemme de les fermer. Même si je préfère dormir dans le noir complet, la flemme l'emporte souvent. Et je sens que l’obscurité règne encore au dehors. Je me tourne alors dans mon lit pour trouver une autre position confortable pour retourner voir Morphée, pour une fois que je dors bien.

La porte du balcon coulisse et frappe contre le mur. Je fronce les yeux. Pourquoi faut il que la nuit soit aussi calme ? Impossible de se rendormir avec June qui court partout dans l'appartement. Retourne dans ton mieux meuf ! Enfin, c'est moi qui dit ca. Combien de fois depuis qu'on habite ensemble je vadrouille dans le salon en pleine nuit ? Combien de fois j'ai même hurlé dans mon sommeil ? Elle fait mine de rien, moi non plus. Tant mieux.

Oui parce que… on habite ensemble ! Mike tout content. On habite en colocation, officiellement, chacun a sa chambre chacun a son propre espace. Elle a insisté, j'ai accepté. Oui, oui, je vous entends d'ici «Oh Mike, tu es si bon avec les autres !! » moui, c’est vrai. Plus sérieusement, c’est à notre avantage. On sait qu'on a chacun NOTRE pièce, là où on peut s'isoler quand on le souhaite, et c'est vrai que ca fait du bien. Parfois on punit l'autre aussi. Des fois j'insupporte June parce que je dis trop de conneries, ou que je veux baiser (bah, oui, hin), et elle me dit d'aller dans ma chambre. J’le fait pas hin, vous me prenez pour qui. Mais voilà. C’est comme quand quelqu’un fait une blague nulle, mais nuuuuuuulle, et on lui dit «fenêtre » ou «porte », c’était nul, tu me déçois, tu dégages. J’lui fais souvent aussi, on se rend bien la pareille quoi.

Je sens le sommeil revenir, petit à petit, je crois même que je commence à baver. J'm'en fiche. C'est pas comme si on allait venir me voir, me draguer ou me prendre en photo.

J'entends une poignée bouger.

MA poignée.

MA porte.

Oh, shit.

M'en fiche, je dors, nah. ET JE BAVE AUSSI JE M'EN BATS LES COUILLES OK.

Pression sur le matelas. Pourquoi tu viens June, je doooooors. Quoique si tu me fais des câlins peut être que je veux bien t’accepter. Oh, des bisous ? Elle s’insère dans mes bras, tel un chat qui fait son trou et qui jarte tout ce que le gène pour arriver là où il a envie d'être : là où ca te fait le plus chier. Comme les autres bidules à quatre pattes pleins de poils qui veulent des câlins pile et toujours quand t'en as pas envie. Je vais grogner June. Vilaine June, t'empêches les gens de dormir. Vilaine June pas belle. Bon ok, t'es carrément canon et je pourrais jamais te dire ca parce que de toutes façons tu ne me croirais pas et tu aurais bien raison parce que c’est absolument mega archi faux.

Elle me couvre de bisous. J'hésite entre grogner parce que je veux dormir ou roucouler parce que le contact de ses lèvres sur toutes les parties de ma peau est … tellement agréable. J'vous conseille d'essayer. J'vous prêterais bien June mais… nop. Elle est à moi. Et toc. En plus, là, elle est dans MON lit et pas le tien, MOUAHAHAHAHAH.

Sinon on a des chats. Trois chats. Ah, vous vous en fichez ? Tristesse infinie en moi. Et pour une fois je vais VOUS faire plaisir et pas raconter comment j'ai retrouvé ces trois chatons sur le bord de la route tout malheureux et comment ils m'ont touché en plein cœur, ni comment je les ai rapportés à l’appartement tout sourire en suppliant June qu’on les garde. J’ai gagné (je gagne toujours). On a trois chats. Mais non, je ne vous raconterai pas tout ça.

- - Hey.

Je grogne mignon comme réponse. Oui, grogner mignon. Genre tu grogner parce que tu m'as réveillé mais en meme temps je t'en veux pas trop parce que tu me fais des bisous. Je serre mes bras contre elle et l'embrasse. J'emmêle aussi mes jambes dans les siennes.

- - T'as pas honte de réveiller les gens en pleine nuit comme ca ?

Je grommelle encore un peu. Mais je souris et mets ma tete dans sa chevelure pour sentir son doux parfum.

Comment je parle bien aujourd’hui moi, qu'est-ce qui m'arrive ?

- - Tu vas te rattraper j’espère.

Je puis fais un bisous sur la joue et viens lui mordiller les lèvres.
Je frétille un peu. Héhé.
Hey, June, on baise ? C’est pas un peu le MEILLEUR moyen de bien commencer une journée ?
On me reconnaît plus là, hin.

Mike ne me rejette pas, ne m'insulte pas, ne me dit pas d'aller dormir sur le balcon ni d'aller accompagner les chats sur le canapé, et très honnêtement c'est déjà un bon début. Pas vraiment une victoire mais pas non plus un échec.
J'en suis, tout, content.
Toujours autant agitée bien entendu, je continue de l'embrasser alors qu'il grogne d'une manière toujours adorable, genre « gros, t'es en train de réveiller » et à la fois « moh, t'es choupignonne ».

- T'as pas honte de réveiller les gens en pleine nuit comme ca ? me dit-il en enroulant ses jambes avec les miennes.

Il sent bon.
Je souffle contre lui, tout contre sa peau.

- Tu vas te rattraper j’espère.

Je souris.

- Mmmhmmh.

Sur le champ, je pousse le bras qui était posé contre moi pour rouler tel un cachalot, l'écrasant complètement et sans faire aucun effort, les bras le long du corps et la tête partagée entre son épaule et son cou.

- J'vais m'poser juste là pour dormir.

Je souris et lui pose un bisou sur la joue avant de me caler à nouveau comme un lamentin à moitié mort et très très gras qui se serait posé ici sans plus de respect sur le petit torse freluquet de Mickey. Désolée, c'est vraiment la vérité, t'es pas super épais.
J'suis sûre que c'est le café-clope interminable qui rythme chaque partie de la journée qui nous maintient aussi slim, presque skinny, c'est juste pas possible autrement. On bouffe comme dix-huit personnes, sérieusement, notre frigo, n'est jamais plein. Alors qu'on a pas des masses d'invités - principalement parce que c'est grave la honte d'avoir des chatons - et qu'on fait les courses. Promis, on fait les courses, on vole pas (trop).

J'entends la porte grincer un peu et un bruit de patpat assez singulier sur le parquet. Putain oui, j'ai oublié de refermer la porte. J'ai toujours l'impression que la vie d'un chat se résume à manger puis chercher tout endroit chaud et moelleux pour pioncer. En l'occurrence, la chambre de Mike.

— Toulouse, tu sors, j'ordonne.

Mon don est vraiment ultra pratique pour les chats, parce qu'ils sont petits et bébés et qu'ils ne résistent pas du tout à ce que je leur dis. Ils me font penser à des petites pâtes à modeler malléables un peu.
J'imprime c'que je veux dedans.
Enfin sauf là, aucune réaction, aucun bruit de "je sors de la chambre".

— Euh, Marie, tu sors ?

Toujours rien. Je soupire en roulant de Mike.

- Berlioz. Sors.

Patpatpatpatpat, ça s'enfuit de la chambre parce que ça se sait cramé, oh, incroyable ces chats. Ca se pense tout discret là, alors que rien du tout, même les coussinets c'est bruyant et puis quand ils roucoulent comme des pintades j'te dit même pas.
Des pintades.
Des pin-tades.
Si j'ai un lapin, rappelez-moi de le nommer Tade. Lapin-tade.
Super rigolo, applaudissez.

Bref, je reste sur le flanc de Mike, j'ai pas super envie de baiser, genre pas trop trop, j'aimerais juste quelque à qui parler et qui calme un peu mon cerveau, je sais pas, qu'on aille fumer une clope sur le balcon ou qu'on parle d'autre chose.
Mais ça me semble pas super possible.
J'ai pas envie pour autant d'me forcer, tu vois, ça serait un peu méchant pour Mike et puis autant il penserait que quoi qu'il se passe dans ma tête il peut réussir à me donner envie. Alors que c'est faux, mon cerveau surpasse de loin mes envies.
Mes démons aussi.
Putain, c'que c'est contradictoire la vie ! J'voudrais parler et ne pas parler avec ce gars, j'voudrais lui dire des trucs vrais et les taire à la fois.
Mais bon.
Comme toujours, c'que j'veux c'est surtout me protéger.
Je souffle.

- Dis, Mike.

Je me redresse sur les coudes.

- Quand tu cauchemardes, tu cauchemardes de quoi ?

La dernière fois que j'ai fait acte de fait qu'il allait pas bien, c'était il y a quatre ans. Depuis, des milliers de choses sont arrivées, des milliers d'autres situations où je l'ai entendu gueuler et on est restés muets tous les deux parce que c'est comme ça qu'on fonctionne le mieux.
Dis moi tes démons, j'enterrerai les miens.

June. Je suis bien dans ses bras en fait. Pourquoi on fait pas ça plus souvent ? Genre dormir ensemble. C'est cool en fait, non ? Moi j'aime bien. Après c'est vrai que quand je hurle en pleine nuit j'préfère qu'elle soit pas là. C'est vrai que c'est bien de pas avoir une grosse vache qui t'écrase de tout son tout petit poids et qui prend toute la place dans le lit tel un cachalot. J'aime bien pouvoir m'étaler dans mon lit et faire l'étoile de mer à moi tout seul pour dormir. Après c'est vrai que c'est drôle de faire ça avec June aussi. Comme ça elle râle, ou mieux, elle tombe du lit. Ahaha. Je suis hilarant. Mais pas là. Là je veux bien des câlins.

- Mmmhmmh. 

Et la voilà qui m'écrase. Tu t'amuses bien June ? T'aimes bien réveiller les gens en pleine nuit en les écrasant de toute ta faible masse ? Oui, faible, elle est toute keusse la meuf. Ok, je suis pas mieux.

- J'vais m'poser juste là pour dormir. 

Je râle. Un peu. Juste un peu. Genre ouais tu fais chier. Mais ok. Parce que je suis trop gentil. Elle me fait un petit bisous et se cale contre moi. A sa place, si j'ose dire. On est bien là, non ?

- Tu me réveilles pour que tu te rendormes comme ça, oklm ?

Reloue. Grave reloue. Nan mais sérieux. Elle me réveille pour juste se rendormir ? Si elle voulait juste s'endormir avec moi, elle avait pas besoin de me réveiller, grosse chieuse. Combien de fois je me suis faufilé sous ses draps la nuit juste pour sentir sa chaleur contre moi ? Juste parce que je ne voulais pas être seul ? MAIS JE REVEILLE PAS LES GENS MOI. J'ai trop peur de me faire virer en vrai. Ahaha. Fndjkjcx.

- Toulouse, tu sors,

Nop.

- Euh, Marie, tu sors ? 

Toujours pas.

- Berlioz. Sors. 

Voilà, bravo. Tu passes pas assez de temps avec les chats June. J'arrive à reconnaître leur petites patounes trop cboupinettes moi. Et ouais. C'est moi le plus gentil avec eux. Nah. Alors ils viennent avec moi, lalala. Aheum, je m'égare un peu, non ?

Je rigole légèrement et serre la tête de June en l'embrassant sur le crâne. J'en profite aussi pour refermer la porte, doucement, qui claque légèrement pour se verrouiller. C'est elle qui veut pas des chats. Ils iront dans sa chambre, pour une fois, ahaha. Ou sur le canapé, en laissant leur poil partout, comme des gros. Non ils sont pas gros en plus. C'est des boules de poils. C'est grosses boules de poils toutes mignonnes et toutes douces. Quand on les voit on a envie d'être gaga avec eux, de leur faire plein de papouilles et tout. Et des fois de les faire chier. J'espère que June m'a pas trop vu en train de leur faire des papouilles de gagateux. Sinon, ma réputation serait déjà finie. Bon, ok, avec June j'ai pas trop de réputation, j'avoue, j'avouuuuue. Mais voilà, faut quand même un peu faire genre, m'voyez ?

- Dis, Mike. 

J'ouvre un œil. Elle a un ton sérieux. J'aime pas trop trop ça moi. Tu voulais pas dormir ? Ou baiser ? C'est pas bien la baise ?

Elle se relève sur ses coudes.

 - Quand tu cauchemardes, tu cauchemardes de quoi ? 

Je fronce le nez et détourne la tête. Sérieusement ? On essaie toujours d'esquiver ce genre de conversations. On sait tous les deux comment ça se finit quand on en parle. Mal. J'ai pas envie que là ça se finisse mal. Pourquoi t'as envie de parler de ça ? Pourquoi t'as envie de parler de ça maintenant ? Pourquoi en parler ? On peut pas genre en parler genre … Jamais ? Jamais jamais ? C'est bien ça jamais, non ? J'ai déjà du mal à me l'avouer à moi même pourquoi je cauchemarde. Du coup je fais quoi ? Je détourne la conversation ? Je réponds à moitié ? Je réponds clairement ? Tu veux quoi de moi June ?! Tu me fais tourner en bourique, sérieusement. Je sais pas quoi te dire, tu me perds. Tu me perds, vraiment. Pourquoi tu me fais ça June. Si je te dis ce qui se passe et que t'as pas envie de l'entendre, il se passe quoi ? Tu vas encore t'en aller, tu vas encore dire que j'devais pas partager ça avec toi. Sauf que là c'est toi qui aborde le sujet, je suis censé prendre ça comment ? Sérieusement June … Si je te le dis … Tu vas partir ? Je veux pas que tu partes. Je veux pas...

Je me retourne vers elle et part me cacher dans sa poitrine. Comme un enfant. Comme un enfant qui sait qu'il a fait une bêtise et qui est honteux. Comme un enfant qui essaie déjà de se faire pardonner avant de tout avouer.

Je cauchemarde de quoi ? De mes parents, de mon enfance, de l'abandon de mon frère, du manque de reconnaissance … De tout ça, tout ça à la fois. De tous les coups que j'ai pu recevoir, de toutes les cicatrices que je peux avoir. Les cicatrices intérieures surtout, tu sais, celles qui s'effaceront jamais, celles qui m'ont laissé brisé. Celles qui font que je me cache derrière des gamineries, des conneries …

Je passe mes draps autour de sa taille et respire plusieurs fois de suite très fort. J'ai peur. J'ai très peur. J'ai peur de le dire. J'ai peur de la réaction de June. J'ai peur de tout ça. Et si moi je te le dis, toi tu me diras pourquoi t'es brisée aussi ? Comme ça, on reste sur un pied d'égalité … Parce que ça voudrait dire, que j'expose mes faiblesses. J'ai jamais exposé les faiblesses à qui que se soit. Enfin, sauf quand j'étais petit, parce que je pleurais en recevant les coups. Alors j'en recevais davantage. Parce qu'on ne doit pas pleurer. Et la grosse vieille qui s'indignait encore un peu plus en me voyant si faible.

Les enfants O'Callaghan sont une déception.

Je ferme les yeux très fort. J'espère que ma voix ne tremblera pas. J'ai peur.

- De mon enfance. Des coups de fouet. De l'ignorance.

Je voulais juste être un gamin heureux. Un gamin heureux comme il en existe tant. J'aurais voulu mon frère. J'aurais voulu tout ça. Comme si j'étais né dans la mauvaise famille ? Mais quelle famille de noir aurait pu faire de moi un gamin heureux ? Et le pire, c'est que je suis heureux chez Rosenrot. Je m'éloigne du manoir, ça fait du bien. J'ai été formé, mais j'aurais voulu l'être différemment, je pense...

Je ne respire plus depuis que j'ai donné ma réponse à June. J'ai peur qu'elle ai un geste de rejet à mon égard. J'ai peur qu'elle me rejette. Je ne veux pas qu'elle me rejette. Comment je peux lui dire ? Je ne peux décemment pas lui dire. Je ne peux pas. Se serait un ton suppliant. J'ai une tête à supplier ? Je ne crois pas non. Et puis c'est sûr qu'elle me rejetterai. Qu'elle partirait d'ici. A tout jamais. C'est obligé. Et j'ai tellement peur de ça, à ce moment précis.

June, reste …

Je n'ose pas la regarder, je n'ose pas bouger, je n'ose toujours pas respirer. Je voudrais les chats, je voudrais faire des câlins aux chats. Mais se serait comme d'aller pleurer dans les jupons de maman. Chose que je n'ai jamais eu l'occasion de faire. Pleurer dans les jupons de maman, pour moi, c'était me déverser dans Savannah. Avant elle, c'était pire.

Je me retourne sur le dos, d'un coup, mais sans regarder June, je regarde l'autre côté du lit. Avec mes clopes, j'en prends une, et en jette une autre à June, si elle ne part pas d'ici là. Je l'allume rapidement. Mon cœur bat à cent à l'heure. Le sang bat dans mes tempes, j'ai l'impression d'étouffer. J'ai l'impression que j'ai envie de crier, d'exploser. J'ouvre la fenêtre sans bouger de mon lit pour laisser rentrer une bourrasque d'air frais, qui m'apaise.

Je ferme les yeux et respire profondément la douceur de la nuit. Alors seulement, je risque un regard à June.

- Et toi, pourquoi t'es brisé ?

Il part se cacher dans ma poitrine. Je ne peux plus voir ses yeux et je déteste ça. Au fond maintenant, on se connaît bien tous les deux, j'veux dire que au bout de cinq ans y'a plus de problèmes. On est rarement obligés de se parler pour dire ce qu'on pense sur certaines choses, un coup d'œil et ça suffit. J'sais qu'il déteste mon t shirt des Ramones et j'suis sûre qu'il sait que moi j'adore me le trimballer.
Mais voilà, j'suis pas devin non plus et j'ai l'impression qu'il me prive de mes sens un peu. Je ne peux pas le voir, à peine le sentir au bout de mes doigts, je le sens mal à l'aise et je ne comprends pas. Peut être que j'ai été élevée dans tellement de violence et de solitude que je ne réagis qu'à ça. J'ai rien à en dire de mon enfance tellement qu'elle est pas drôle, cette partie de ma vie, des histoires toutes pourries comme il est arrivé à des milliers de gens. Les humains meurent, c'est un fait, et on n'y peut rien.
On n'y peut rien, j'vois pas pourquoi ça nous affecte autant. Pourquoi est-ce qu'on se plaint pas qu'il fasse nuit tous les soirs ? On serait autant utiles à nous même en nous plaignant de la course du soleil qu'en geignant face à des cadavres.

Nous sommes tous de la pourriture en suspens, un seul avenir, la tombe et les cendres. Je crois que pour la prochaine fois, après ma vie et après moi j'aimerais vraiment bien être la nourriture d'un arbre, entrer dans les racines et finir sur le bout d'une feuille pour mourir dans un estomac bien acide et dégueulasse, un mouton inutile ou encore un phasme, bâton posé sur sa branche, survivre à l'oiseau, pondre des œufs, crever.

Qui a dit que le monde avait un sens ?

- De mon enfance. Des coups de fouet. De l'ignorance.

Je sens sa peur, j'entends sa peur, je ne comprends pas sa peur. Depuis quand t'as peur de mes réactions Mike ? Depuis quand tu me crains, depuis quand t'as peur de me froisser ? J'aime bien trainer avec toi justement parce que t'es toi même sans concession, bien con mais bien drôle, du bon temps facile et sans fin.
Pourquoi t'as peur de moi, sérieusement ? Si je pars en claquant la porte dans ma chambre alors claque la porte de l'appartement et revient longtemps après, met moi au visage mes incohérences si ça te fait plaisir mais souffle pas comme un chiot égaré, putain.
Bref.
Un cas comme un autre, l'air de rien. J'ai l'impression qu'au fond, les parents sont tous les mêmes, aussi sévères que possibles, regardant leur progéniture comme quelque chose en trop, un polype coincé devant eux qui voudrait prendre sa liberté. Un polype à qui ils diraient "revient là, tu es un morceau de moi". Et puis quand ils se rendent compte de tout ce qu'on est pas, ils battent notre chair comme de la pâte à modeler. Et puis, quand ils voient bien que nous ne sommes pas faits dans une matière unique, nous n'sommes pas quelque chose à déformer mais quelque chose à déformer ils prennent peur.
Comme ça, tout le monde est bien effrayé dans son coin.

Mike se tourne se le dos, à moitié nu. J'me sens un peu perdue, des vagues d'émotions contradictoires qui me submergent un peu. Il s'allume une clope et m'en lâche une que je coince dans mes lèvres avant de l'allumer. Il ouvre la fenêtre, une brise s'engage doucement, sans rien brusquer. Je ne sais pas quoi répondre, je n'ai rien à répondre après tout, il n'a pas posé de question. J'ai demandé, on m'a dit.
D'accord, Mike.

- Et toi, pourquoi t'es brisé ?

Je fronce les sourcils. Un petit démon se glisse dans ma gorge, tellement malsain, tellement vicieux. Je déglutis.

- J'suis pas brisée Mike.

Qu'on soit bien clairs, n'est-ce pas ? J'suis pas brisée, j'suis pas brisée et c'est tout, j'suis reformée, reconstruite par moi même et rien d'autre. J'ai coupé certains morceaux de moi comme la confiance, reconstruits d'autres comme l'indifférence. On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a, n'est-ce pas ?

- Comment est-ce qu'on peut être à l'aise socialement quand je ne sais même plus quand je me sers de mon don quand je parle ? Je construis des fantaisies autour de moi. Pourquoi est-ce que je devrais supporter la frustration alors que je peux contraindre tout le monde à aller dans mon sens ? Pourquoi je devrais subir des refus quand je peux les forcer à dire oui, leurs coups de colère quand je peux les réduire au silence ?

Je soupire, tirant doucement sur ma clope avant de rouler sur le dos, regardant le plafond vide et blanc, désert, immense et inutile.

- Des mondes rien que pour moi. Moi, moi, moi.

Je souris, un peu cynique.

- Alors que tout ce que je voudrais c'est avoir de la place pour m'éloigner de moi même.

Je la sens tendue. Pourquoi t'es tendue June ? C'est moi qui le suis. Parce que j'ai souvent peur de tes réactions, surtout sur des émotions si sincères, si réelles. On fait toujours genre on va bien, on fait toujours genre on a pas de démons. Et je sais que des fois tu réagis mal quand on parle de trucs sensibles. Du coup, ouais j'ai peur. Parce que pour une fois, je l'avoue, je suis juste un gamin apeuré d'être encore rejeté. Ok je me laisse plus faire. Surtout pas avec une membre de Croix, mais c'est pas pour ça que c'est plaisant.

- J'suis pas brisée Mike.

Cette blague. Je ne peux m'empêcher de pouffer. Tu me fais bien rire June. Toi et moi, on sait qu'on va pas bien. On sait que notre passé nous hante. Pourquoi tu me mens ? Pourquoi tu te mens à toi même ? Juste parce que t'as pas envie d'y penser ? Parce que t'as pas envie d'te confier ? Ok. J'comprends. Mais merde quoi, sors pas un énorme bobard comme ça.

- Comment est-ce qu'on peut être à l'aise socialement quand je ne sais même plus quand je me sers de mon don quand je parle ? Je construis des fantaisies autour de moi. Pourquoi est-ce que je devrais supporter la frustration alors que je peux contraindre tout le monde à aller dans mon sens ? Pourquoi je devrais subir des refus quand je peux les forcer à dire oui, leurs coups de colère quand je peux les réduire au silence ?

Euh, June ? Tu sais que tu m'as réveillé ? Et que je suis encore à moitié endormi ? ALORS J'AI RIEN PIGÉ À LA MOITIÉ DE CE QUE TU M'AS DIT OK. J'le dirais pas par contre. Faut pas déconner non plus. Ouaich.

Et sinon, tu te confies pas là. Mais bon. On va dire ok. Hin. HIN.

C'est pas faux.

BOUUUUUM TECHNIQUE SECRÈTE.

Elle roule sur le dos après avoir soupiré, je tourne la tête dans sa direction.

- Des mondes rien que pour moi. Moi, moi, moi.

Un sourire. Pas sincère.

Je m'approche légèrement d'elle.

- Alors que tout ce que je voudrais c'est avoir de la place pour m'éloigner de moi même.

Ahaha. C'est dur ça. Je déborde un baiser sur sa joue. Je m'approche de ses lèvres avec les miennes, me met à quatre pattes sur elles et l'embrasse.

Je m'écrase ensuite comme un gros sac de pomme de terre.

Je mets ma tête entre ses tout petits seins riquiquis. Elle a des tout petits seins. Tout petits. Mes mains sont tristes. Ma bite aussi. Mais ça lui va bien. Et j'me suis habitué, alors maintenant je les aime bien, ses tout petits seins tout pipou. Je la relève pour pouvoir lui parler en même temps. Toujours en étoile de mer sur mon matelas humain.

- Y'a une petite place dans tes mondes pour moi ? Parce que je peux t'aider à t'enfuir de toi même.

Et toi tu peux m'aider à m'enfuir de mes cauchemars. Hey June, je crois que j'ai besoin de toi.

Je lui fais un bisous sur son bout du nez avant de me raffaler à côté d'elle, mon bras sur son ventre, mes jambes réemmêlées aux siennes.

- Tes côtes font mal, maigrichonne.

Dixit le gars où on aperçoit ses côtes dès qu'il est à poil hin. Mais bon. On est juste deux maigrelets qui bouffont comme des monstres. En parlant de manger, j'ai faim.

Concentratiooooooon, ziouuuuuuum. Frigo, ouvre toi. Lait, sors. Frigo, ferme toi. Lait sur le plateau. Placard, ouvre toi. Boite de céréales, sors. Placard, ferme toi. Céréales, sur plateau. Bols et cuillers, sur plateau. Porte, ouvre toi, plateau, viens.

Et le plateau arrive, je souris comme un débile quand il se pose sur le lit. Je me rassois et nous sers. C'est dur de faire de la télékinésie sur des objets qu'on voit pas. C'est pas pratique. DU TOUT. Genre tu fais pas ça dans un endroit que tu connais pas.

Je tends un bol à June avec un petit sourire à faire craquer n'importe qui. Tu ne peux pas me résister June, tu le sais.

- Ça fait combien de temps qu'on vit ici déjà ?

J'vois qu'elle est pas dedans. Ca se voit. Ca se sent. Et du coup j'suis un peu mal à l'aise. Et puis sérieux, c'est quoi ces questions. Depuis quand on parle sérieusement ? Non, généralement c'est déconnade, conneries, chats, sexe. Mais les chats dehors, c'est chelou sinon. Vous imaginez, baiser, faire plein de galipettes dans le lit (et hors du lit hin) et vous avez trois paires d'yeux qui vous fixent comme ça ?! C'est hyper malaisant ! Même une seule se serait trop chelou. Mais j'ai eu la bonne idée d'en ramener trois. En même temps, ils étaient malheureux dans leur petit carton, ils voulaient des gens à embêter. Et j'ai un peu de cœur pour les boules de poil. Et June a rien dit. Donc on est leurs humains sorciers. On les nourrit bien et tout, ils sont heureux. Et ils viennent te réveiller avec des léchouilles ou en mettant leur cul sur ta tête. Grande joie. Un peu ce que June a fait cette nuit. Junie est un chat en fait.

-C'toi l'maigrichon

BRAVO JUNIE POUR CETTE REPLIQUE CINGLANTE. On l'applaudit tous bien fort. Elle a un petit sourire en coin. Mais tellement infime. T'es pas là June. C'est toi qui est venue et t'es pas là. Il se passe quoi dans ta tête là ? J'te reconnais pas vraiment. Je sais qu'il t'arrive d'être absente comme ça, tu vas en mission, tu reviens quelques jours plus tard, tu me sautes dessus parce que je suis un dieu du sexe et que t'adore que je te baise. Mais là, t'es là mais t'es pas là. Et je comprends pas ce qu'il se passe. C'est bizarre. C'est un peu tendu. Et même si j'essaie de passer à autre chose … Ca marche pas. Ca marche d'habitude. Et c'est ce que je fais moi. Tout le temps. S'empêcher de penser.

-Mikey.. c'est cinq heures du matin..

Je me retourne vers elle, la bouche pleine.

-Mais j'ai faim !

Je crois que j'ai fait voler des petits bouts de céréales dans la couette. Appétissant. Ahaha. Elle me prends une autre clope. Et pose son bol sur la table près d'elle. Tu veux pas de céréales ? C'est bon les céréales. Moi j'aime bien. En plus c'est rapide à faire c'est trop bien. Genre les tartines faut attendre que ça grille, faut les tartiner, ça fatigant. Là, tu verses les céréales, tu verses le lait et VOILA. C'est fait et tu peux manger. C'est hyper pratique. Je suis un mec atteint de flemmingite aiguë la grande majorité du temps. Sauf pour baiser. Ou embêter June. Et encore moins pour baiser June. C'est un peu une de mes occupations favorites. Mais elle a pas vraiment la tête à ça maintenant. C'est bien dommage. C'est cool de commencer sa journée avec un petit orgasme ! Et puis après tu te rendors, c'est bien aussi.

-Trois ans et quelques. 

Je hoche la tête tout en continuant de faire croquer mes céréales sous mes dents. C'est long. Ca fait quoi, quatre ans on se connaît avec June ? Ca fait quatre ans que je baise extrêmement régulièrement avec elle c'est ça ? C'est un exploit pour moi. Mais j'aime bien traîner avec June. C'est cool, on s'amuse bien, hin ? Sauf quand c'est tendu comme ça. J'm'amuse pas trop là. Pourquoi t'es comme ça June June ?

Et puis cette histoire d'appart, c'était aussi un jeu. Genre pas ou pas cap d'habiter ensemble ? J'ai aussi soulevé le point qu'on pourrait s'amuser plus souvent ensemble si on habitait ensemble. Et le sexe c'est tellement bon. Et les autres trucs. Genre traîner devant la télé, avoir des chatons choupinous. Moi j'nous aime bien tous les deux. C'est fun. C'est sympa. C'est même plus que sympa.

-Pourquoi t'es jamais sérieux Mike ? 

Je me tends. Un peu. J'entends un soupire. J'attends la suite. Y aura une suite ? Sinon va y avoir un silence pesant. J'ai pas très trop envie de ça. Pourquoi elle a envie de parler de trucs pas cool comme ça aujourd'hui ? Hin ? Pourquoi June t'as envie d'être sérieuse ? Tu préfères pas qu'on baise, qu'on oublie tout ça plutôt ?

-J'veux dire, pourquoi t'essaies même pas, pourquoi tu fuis ? On dirait que t'as peur ou que ça te dérange. 

Non apparemment y aura pas de baise. Lentement je me tourne vers ma table de chevet pour poser mon bol, quasiment vide. Mais, j'ai l'appétit coupé, d'un coup. On se demande pourquoi hin.

-Comme si ça te rendait malade. 

Je fronce les sourcils et me retourne vers elle. Je sais pas comment m'exprimer. Genre pas du tout. Comment je parle sérieusement ? Comment on parle sérieusement ? Les seuls fois où je suis sérieux c'est en présence d'Anja, et encore. Et c'est sérieux dans le sens du boulot. Et pas sérieux dans le sens, t'as quoi au plus profond de toi, t'as quoi dans ton cœur. Dans mon cœur, ya quoi ? Est-ce que j'en ai un ? Est-ce que j'en ai encore un ? Est-ce qu'il est pas détruit depuis le temps ? Est-ce que les sorciers noirs en ont un ? Non. Non. J'ai pas de cœur. J'suis un vilain. Un méchant. C'est faux. Je suis tellement pas comme ma famille. Je ressemble tellement à ce frère que je déteste en fait. Faible. Qui veut fuir la famille qui l'a détruit. La famille qui le déteste. La famille qu'il déteste. On est deux failures pour cette si noble famille. Deux échecs. C'est pas faute d'avoir essayer de nous élever différemment. Ils auraient peut être du inverser les méthodes d'éducation, ça aurait ptet mieux marcher.

-Tu veux vraiment parler sérieusement ? Tu veux vraiment que je te dise à quel point je suis anéanti ? J'aime pas parler de ça, j'aime même pas y penser. Alors oui, je fuis, c'est comme ça que je gère. Je bois, je couche avec tout ce qui bouge ou presque, je me drogue, j'essaie d'oublier toutes ces misères, toute mon enfance, tout ce qui a pu me détruire. Sauf que justement, je suis jamais sérieux avec tout ça. J'ai pas envie que le monde sache tout ça. Pourquoi il devrait connaître tout ça ? C'est pas joyeux, c'est misérable, c'est pathétique, j'ai eu une éducation de sorcier noir mais c'est pas ce que je voulais. J'voulais juste grandir normalement, m'amuser normalement. J'voulais juste être un gamin normal.

J'm'allume une clope. Parce que j'en ai besoin. Parce que ça fait du bien. Parce que ça me soulage.

-Tu veux que je te dise quoi June ? Honnêtement, tu veux savoir quoi ? Vas y, dis moi. Mais ça changera quoi ensuite, entre nous ? Moi j'ai peur que ça change tout. J'ai peur que tu t'en ailles. Voilà, parce que tu t'apercevrais que je suis juste qu'une sombre merde ou je sais pas. Alors ouais, je préfère déconner, cacher tout ça, cacher toutes ces faiblesses, caché ce cœur brisé que j'ai ou que je n'ai pas, j'en sais rien. Sauf qu'un vilain méchant, c'est pas censé avoir de cœur, c'est censé avoir une éducation comme j'ai eu, alors de quoi je me plains, je suis heureux non ? Et pourtant, je sais que tu m'entends la majorité des nuits, quand je hurle dans mon sommeil. Et tu veux quoi June, que je me déballe comme ça ? Que je te dise tout ce que j'ai sur le cœur ? J'crois pas non. T'as pas envie d'être une psy. Personne a envie d'être un psy. Surtout quand à la base on a une pseudo relation juste pour s'amuser, juste pour se tester, juste pour baiser.

J'l'ai quasiment pas regardée. Un peu, parfois, pour la fixer. Mais des fois c'était comme … Trop dur. Ouais, je fuis. C'est ma manière à moi de vivre. Un truc pas agréable ? Je fuis. Un truc douloureux ? Je fuis. Je fuis, en permanence, tout le temps, pour pas avoir mal, pour esquiver la douleur. C'est pas une vie de toujours souffrir. S'amuser c'est mieux non ? Que de souffrir souffrir souffrir souffrir. Ca rime à rien. C'est pas une vie. Alors June, t'es heureuse maintenant ?

June se met en position fœtale. J'aime pas ça. Genre pas du tout. J'ai jamais parlé aussi longtemps de moi à quelqu'un. Enfin si, mais pas dans ce sens là. Genre là j'me suis … Ouvert ? Genre what the fuck ? C'est juste n'importe quoi. J'aurais jamais dû dire tout ça. Vraiment, qu'est-ce qu'il m'a pris ? Mais elle voulait que je lui dise quoi aussi ? « pourquoi t'es jamais sérieux/pourquoi tu fuis tout le temps ? » Ah ton avis, parce que j'ai une vie de merde et j'ai pas envie d'y penser. Tout simplement. C'est aussi simple que ça. Tu vois que la personne avec laquelle tu vis elle tape des esquives devant des trucs, alors pourquoi tu te tais pas et fais pas genre t'as rien vu rien entendu ? Parce que ça fait trois ans qu'on habite ensemble alors au bout d'un moment tu veux plus connaître la personne ? C'est pas un truc d'humain qui fait attention à l'autre ça ? J'en sais rien. J'en sais foutre rien, je sais pas ce qui m'a pris c'est n'importe quoi j'ai foutu la merde c'est pas possible. Et c'est quoi cette putain de distance que t'impose depuis que t'es arrivée alors que c'est toi qui es venue bordel. Tu veux quoi June putain. Tu veux quoi.

-Je sais pas Mike. Je sais pas ce que ça changera. Tu joues à être quelqu'un d'autre et à la fin t'es plus personne. 

Et mon cul c'est du poulet sérieux. N'importe quoi. J'ai toujours été comme ça, à cacher les choses. C'est ce que je suis. Ca ferait quoi que je sois plus « honnête » ? J'serais faible, hors de question d'être faible. T'entends ça ? Hors de question. Et quoi, ça pose un problème que je cache des trucs c'est ça ? Réponds moi June putain, j'suis perdu j'te pige tellement pas c'est ouf. J'ai pas changé depuis qu'on a commencé à se fréquenter, j'ai toujours été le même, alors c'est quoi le putain de problème putain ?!

J'ouvre la bouche pour en placer une mais elle continue.

-Le problème c'est pas ça.. Enfin des problèmes, on en a tous. On vient tous de quelque part. Le problème c'est que tu te balades les mains sur les yeux à faire genre que ça va. Et j'en peux plus de prétendre, de faire comme-ci. 

Mais what, mais elle veut quoi putain. Je pige plus rien. Rien. Rien. Rien. Je roule des yeux au ciel et m'affale contre le mur. Aïe. Ma tête. Bobo. Je pige plus. J'lui parle des trucs qui vont pas et elle dit que c'est pas ça qu'elle veut entendre. Sauf que là elle dit que c'est ce qu'elle veut ? June tu veux quoi putain. C'est quoi ton problème aujourd'hui ? Sérieux ?

-J'ai pas envie de te faire de la peine Mike, mais j'peux pas rester ici. Et c'est pas pour ce que t'es ou pas, c'est juste que.. il faut que j'y aille. 

… Hin ?

J'me retourne vers elle, j'crois que j'ai une tête d'affolé. Mais surtout de l'incompréhension. Beaucoup d'incompréhension.

Elle se lève. Hey, Junie, tu fais quoi ?

-Je... 

Je me rapproche d'elle en glissant sur le lit.

-Reste ici. 

L'ordre frappe en plein cœur. C'est presque... Douloureux.

Qu'est-ce qu'il se passe ?

-Je peux pas te rendre heureux, je.. 

Elle sort de ma chambre. Comme ça. Je tends une main vers la porte, il se passe quoi là ? Tu me fais quoi Junie ? J'essaie de me lever du lit, pour aller la voir, avec cette intention, et son ordre me revient de plein fouet, comme si il essayait de me détruire. Je retourne m'asseoir dans le lit. Une main sur la poitrine. J'ai l'impression qu'un truc en moi se déchire.

Je la revois passer devant la porte, habillée, avec un sac. La porte de l'appartement claque. L'ordre que j'ai dans le cœur se relâche, je cours sur le perron, en caleçon, la rue est vide.

Junie...

J'me frotte les yeux.

Pourquoi mes mains sont humides ?