Je n'arrivais pas à dormir. Maman m'avait embarqué toute la journée dans un entraînement sans fin sur les runes noires et on avait fait ensemble le tour de la propriété. Cela avait été un moment incroyable. Pas de douceur, mais une étonnante complicité. Ce soir, Maman m'avait laissé seule, elle avait des dossiers à remplir pour Croix. Elle y passait souvent ses journées au quartier général, sans pourtant m'y avoir amené une seule fois. Je crois qu'elle a un peu peur. Pourquoi ? Parce que nombreux seront ceux à vouloir me supprimer. Et elle juge que je ne suis pas encore assez forte. Elle ne présentera sa fille que quand celle ci sera prête, forte, et sûre d'être sorcière noire. Je soupire. C'est un peu compliqué tout ça. Je suis assise sur mon lit double et je lis un manuel de runes fascinantes. La plupart sont de magie noire car dangereuse ou apportant souffrance et mort, ou permettant des choses pas naturelle. Le monde des runes est fascinant, vraiment, très intéressant. Le pouvoir est une grande tentation parfois.

Ca n'a rien à voir avec ce que je lisais avant. Non je ne lis plus, je ne rêve plus comme avant. Parce que je n'en ai plus le temps. J'ai grandis. Ca fait mal de grandir. Je referme le livre en soupirant sans oublier le marque page et le laisse en plein milieu du lit. Je vais voir à la fenêtre. La nuit tombe. Je n'ai pas mangé, mais je n'ai pas faim. Maman me demandera sans doute demain pourquoi et je ne saurais lui répondre. C'est comme ça, ça me sert le ventre sans qu'il y ai de raison particulière. C'est comme ça depuis que j'ai quitté le Mystery. Mon regard se perd vers la forêt que je discerne à peine tant il commence à faire sombre. Et encore une fois je me surprend à tâtonner dans mon esprit pour le trouver. Je l'ai rompu notre lien, mais maintenant je le cherche. Je ne sais pas ce que je ferais si je le trouve, mais je le cherche quand même. Parfois j'arrive à le sentir très légèrement et puis le vide complet. Je me sens tellement plus seule maintenant.

Je décide de prendre une douche pour évacuer la fatigue de la journée et les soucis qui s'accumulent. Sous l'eau, je ne pense plus, je laisse aller mes pensées sans réfléchir si elles peuvent avoir un sens. Quand l'eau se coupe je me sens mieux, apaisée.Je sèche mes cheveux au sèche cheveux puis j'attrape rapidement un boxer blanc sans motif mais légèrement dentelé et un soutiens gorge qui va avec. Je vais peut être descendre parler avec des gens, donc le pyjama n'est pas pour tout de suite. Je prend une chemise blanche que je passe par dessus. Je n'ai pas le temps de la fermer que maman entre dans ma chambre. Elle n'a pas toqué. C'est la seule à ne pas le faire.

-" Luka, tu as de la visite. Ton ami Ange est rentré dans le manoir. Il croyait sans doute qu'on ne le verrait pas mais il empeste la magie blanche c'en est écœurant. J'ai demandé à ce qu'on ne le dérange pas. C'est un test Luka. Montre leur que nous avons raison et que tu n'est pas ce qu'ils murmurent."

Je ne répond rien et acquiesce légèrement, encore surprise. Ange est ici ? Ange arrive ? Maman me regarde une dernière fois, durement, avant de partir rapidement. Je sens que c'est important. Je tombe sur le lit, et ouvre machinalement le livre de runes noires. Je n'ai pas fermé ma chemise de plus de deux boutons du milieu que la porte s'ouvre à nouveau. Ange.

-" Je t'attendais."

Ma voix n'a pas tremblé, et j'ai pris un visage impassible. Ouf, juste à temps. Je vais le laisser parler. Ou le laisser hurler plutôt. Je suis assise sur mon lit mais je ne bouge pas.

Ange, Ange ! Je fini de fermer les autres boutons de la chemise. Ais-je besoin de préciser que je n'ai pas de pantalon ? Bref. Je passe une main ennuyée dans mes cheveux, je les agite, et les laisse retomber. Il me regarde. Il m'observe, se questionne. Sans doute une interrogation revient souvent : a-t-elle tant changé ? C'est à toi de me le dire. Il était calme. Plus calme que je l'aurais pensé. Mais la rage et la colère bouillonnaient en lui. Ses sentiments sont toujours aussi clair pour moi. Enfin quand il est à côté. Avant je pouvais le sentir de tellement loin, l'entendre à l'autre bout du pays. Une sorte de lien. Que j'ai brisé. Brisé sans pitié pour lui, et pour moi. Il y a aussi un peu de haine en toi mon Ange. Mais contre qui ? Moi ? Oh non je ne pense pas. Et pourtant c'est possible. Ma phrase l'avait irrité. Je souris légèrement à sa réponse.

-" Oh pas moi. Ma mère vient de passer. Tu as déclenché les capteurs de magie."

Il s'approche. Sans douceur, sans rapidité, calme et mesuré. Dis moi Ange, que vas-tu faire maintenant ? Il s'approche encore et encore. Par précaution je passe la main sous mon oreiller. Poignard. Je sens le manche recouvert de cuir sous mes doigts. Je m'en saisi et laisse ma main cachée. Il s'arrête, juste en face de moi. J'entend sa respiration avec force. Il met sa main dans sa poche, sans cesser de me regarder et moi je crispe la mienne sur le poignard. C'est une lettre qu'il sort. Et je n'ai pas besoin de faire l'idiote, c'est ma lettre qu'il sort. Stupide lettre. Je soupire. Il la brûle avec un briquet devant mes yeux surpris. Quel est le but ?

-" Je te déteste. Tu pensais vraiment que ça allait arranger quoi que ce soit ? Dis moi que non, la Luka que je connais n'est ni bête ni naïve.
- A vrai dire je n'en savais rien. Il fallait essayer."

Il détaille mon visage alors je me met à faire de même. Ange à changer. Son regard s'est durci, ses cheveux ont poussés, et il a grandi, beaucoup grandi. Il a forcit aussi. Tu étais si mince, voilà un peu de muscle maintenant ! Et il me balance la phrase. Je roule des yeux. C'est pas vrai ! Rapidement je lui envoie mes pieds dans le ventre. Mon coup le fait tomber à terre. Je garde le poignard dans ma main, descend du lit, m'assois à califourchon sur le bel Ange et fais danser le poignard contre sa gorge.

-" Arrête ça, tu es ridicule. Je t'ais connu plus intelligent !"

Je joue avec la lame sur sa peau, sans pourtant tracer le moindre sillon.

-" Repart d'où tu viens Ange. Mais ce sera sans moi."

Je me relève et retourne sur le lit, assise en tailleur, le regardant. Part Ange. Part maintenant. Ca vaudra mieux pour toi.

La lame trâce un sillon sanglant sur la chair de ma joue. Elle coupe mon être et brûle ma peau. Je grimace. Du sang éclabousse mes vêtements et continue de couler le long de ma joue. Ce n'est pas une grosse blessure, ce n'est pas trop profond, mais ça coule quand même beaucoup. Je porte la main à ma joue et la retrouve ensanglanté. Mon regard ahuris se pose alternativement sur ma joue et sur Ange. C'est pas vrai ! Le con ! Ma chemise est toute tâchée. Il m'a blessée ! J'ai du mal à y croire. En plus il ne dit rien. Je me jette sur lui sans plus aucune raison. C'est comme si je n'étais plus humaine. J'oublie mon poignard j'oublie tout. Ange m'a blessé ! La réalité n'a plus de sens. J'ai l'impression d'être un animal. Nous roulons au sol et j'essaye de lui donner des coup de pied quand je remarque que ce que je fais est complètement stupide. Je m'arrête, le regarde avec des yeux ronds. Mais pourquoi je fais ça moi ?

-" Hein?"

Pas très classe comme remarque je vous l'accorde bien volontiers. Je me recule. Le sang coule toujours, mais moins. La douleur est un peu atténuée. Je plonge sur mon poignard histoire d'avoir une arme digne de ce nom et la brandit devant moi. Je ne comprend plus rien. Comment ais-je pu penser que je pourrais être la seule à le blesser ? C'est une forme d'égoïsme non ? Je me croyais trop faible pour m'en empêcher et lui trop fort pour y céder. La violence bouillonne dans notre sang mon Ange.

-" Dis moi Ange, lequel de nous deux a le plus changé ?"

Oui qui de nous deux c'est le plus éloigné de ce qu'on était ? Tu es partis sans un regret derrière toi, tu as emporté avec toi pour seul bagages ta rage, ta haine envers le monde, et ton innocence. Mais où est passé ton innocence ? Ne reste-t-il qu'un être épris de rancœur ? Petit sourire. Je ne sais pas trop où me mettre. Mais maman m'a prévenu, je dois être intraitable, je dois leur montrer. Mon visage se durcit.

-" Tu n'es qu'un idiot."

On a toujours voler notre vie. Comment peut-on vivre aussi heureux et ne pas être hors la loi ? Je n'ai jamais pensé que tout m'étais dû et je savais qu'un jour une tâche viendrait nous pourrir la vie. Ce que j'ignorais, c'est que cette tâche, malheureusement, c'est moi. Je baisse doucement le poignard. Je ne vais pas tuer Ange. Je ne pourrais pas tuer Ange. On est des malfaiteurs. Notre crime ? Voler le temps. On vole des secondes, des minutes, des heures de bonheur au monde. On volait... Mais cet imparfait stupide ne veut rien dire. Il n'exclue pas un futur. Je soupire. Je ne sais pas trop quoi faire. Alors je le regarde et je me tais. Je laisse un silence pesant tomber sur nos épaules. Silence qu'il rompt, répondant à ma question. Question qui n'attendait pourtant pas forcément de réponse. Je hausse les épaules, je souris lassemment, comme si il n'y avait plus rien à faire.

-" Peut être. Peut être bien mon Ange..."

Ses sentiments ne m'ont jamais paru aussi proches et aussi lointains. Ils m'échappaient sans cesse, se faufilant dans les mailles de mes pensées et pourtant... Pourtant en passant ils m'effleuraient, me transperçaient. Je frissonnais. Pourquoi avais-je rompu notre lien ? Peut être parce qu'il faisait trop mal. Mais souffrir me promettait qu'il était là, en vie... Me promettait que mon Ange n'était pas mort. Alors quoi ? Alors pendant un instant j'ai cru... J'ai cru que je pourrais vivre sans lui. Et quoi ? Et rien. La vérité c'est que je ne peux pas. La vérité c'est que j'ai envie de le prendre dans mes bras. La vérité c'est que je vais devoir me fausser pour le faire partir...

-" Moi aussi je t'aime. Mais je ne viendrais pas."

Je m'approche lentement. Une idée m'a traversé la tête. Quelque chose qui n'a pas vraiment de sens entre nous parce que nous ne sommes pas comme ça l'un envers l'autre. Mais une idée quand même. Quelque chose qui le choquera peut être. Quelque chose qu'on a déjà fait étant gosse, parce qu'on voulait essayer. Je ne sais pas pourquoi je vais faire ça. Pas pour les raisons qu'on pense. Pas parce que je ressens pour lui ce qu'ils ressentent normalement... J'agrippe son col et je l'embrasse avec violence.

Le baiser ne dure pas longtemps. Il s'effiloche rapidement avec le temps. Mais c'est tout de même haletante que je le coupais. Je reculais de quelques pas. Une foule de sentiments bouillonnants venaient d'apparaitre. Des sentiments... Ceux de Ange ? Pas que... Maman. Dorian. Gaël. Mathias. Dylan. Ysoline. Dean. Edouard. Jamais je n'avais ressenti autant de monde en parvenant à différencier chacun. A savoir à qui, à les comprendre, les reconnaître... Avant quand y'avait trop de monde, ça me brûlait la tête. Avant je m'évanouissais quand j'avais autant d'informations... Et avec surprise je découvris que j'entendais encore mieux qu'avant... Je sentais et je voyais mieux aussi. Moins que sous ma forme animal bien sûr... Je sentais que j'avais passé un cap... Je regardais Ange, un peu perdue...

-" Quoi ?"

Incompréhension.

Ange s'est transformé. Et subitement il s'est jeté sur moi, m'a envoyer valser, et j'ai danser. Mon sang a coulé. J'ai mal à mon flanc droit, mais heureusement rien de grave. Ca aurait pu être pire. Après tout il est lion maintenant. Et n'oublions pas que maintenant il père bien plus lourd que moi. Ma tête a heurté brutalement le sol. J'ai comme une envie de vomir. Je ne bouge pas. J'ai l'impression par contre que le monde bouge lui. Je serre les dents, j'essaye d'oublier toute cette souffrance mais elle me ravage le corps. Je grince, gémis, mais hors de question de lâcher un hurlement. Je deviens encore plus bornée si c'est possible. Je sers les poings. Ange ne bouge pas. Je retire ma chemise rageusement, pas envie de la bousiller, et moi même je me transforme. En panthère noire. Pas de la même taille qu'un lion j'en conviens, mais avouer que j'ai plus de chance avec cette forme qu'en était simplement humaine. Et puis je peux ruser aussi... Je peux tricher.

Je rugis aussi fortement que je peux, pourtant cela me parait bien faible. Je ne pourrais pas égaler les rugissements d'un lion. Je me campe sur mes pattes arrières, attendant un moment pour attaquer. Nous nous regardons en chiens de faïence. Je n'ai jamais eu autant envie de lui sauter à la gorge. Mais pas pour le tuer. Lui faire mal, oui, mais pas le tuer. Et je sors les griffes, m'élance dans un assaut puissant contre cet ennemis aussi puissant. Le choc est rude, et ça me déstabilise. Autant vous dire que le lit il prend cher. En apparence, je prend beaucoup trop de coups. C'est dur, ça fait mal, mais il faut que je tienne. J'arrive à le renverser un peu. Je n'ai jamais autant ressemblé à une furie.

-" Rooooooaaarrr !"

La rage passe mieux dans un rugissement que dans un pitoyable hurlement d'humain en détresse. Je me fais brutalement rejeter, mais je ne veux pas faiblir. Il est hors de question que je perdes. Ange m'a mise hors de moi. Et avec une telle facilité... A croire que mes sentiments sont maintenant à fleur de peau. Je ne sais pas. J'arrivais toujours à me contrôler avant. Peut être parce que je ressentais toujours ceux des autres. Les sentiments des uns et des autres sont quelque chose de puissant, je préférais que les miens reste cacher. Je ne veux pas que tout le monde comprenne qui je suis. Du moins pas comme ça. J'envoie un coup de patte puissant dans la gueule du lion, qui le fait reculer. Je vois du sang qui gicle sur le mur.

Je ne comprend pas où sont passées nos années sages. Elles se sont enfuies, envolées loin de nous. Elles nous ont désertés, nous laissant un monde de fou. Je croyais avoir encore de l'innocence. J'lui ai couru après pendant des kilomètres. Elle allait bien trop vite pour moi. J'ai dû la regarder partir. Et ça fait mal de ne plus être enfant. Ca fait mal de ne plus savoir être enfant. Ce ne sont plus de simples chamailleries qui nous embrouillent, mais bien le sang et la sueur de l'âge adulte. Nous y rentrons difficilement. Mais j'essaye de résister. Encore. Juste encore un peu.
Ange se démène, se bat comme le lion qu'il est. Mon coup de patte lui a bien fait mal. Mais pas assez. Je n'ai plus de mot assez durs pour te dire que je t'aime mon ange. Plus de coups assez violent pour te prouver l'idiotie. Je rugis quand il m'attrape et me cogne contre le lit.

La douleur est lancinante. J'ai l'impression que je vais perdre connaissance. J'essaye de me calmer, j'essaye de ne pas paniquer. Le monde est flou autour de moi. Je ne vais pas me laisser faire comme ça ! Plus qu'un combat pour savoir si je reste ou si je pars, c'est devenue une obsession. Il est hors de question que je perde face à lui. J'ai toujours perdu. En gentillesse, en sociabilité, en allure... Je suis moins affirmée, moins mûre, plus égoïste, carrément passive. Il est hors de question que je perde sur la force. Je ne me rend même plus compte de la stupidité de mes actes et de mes pensées. Je m'en contrefous royalement à vrai dire. Je n'ai plus qu'une rage immense et l'intense désir de l'emporter. J'arrive à me défaire au bout de maints efforts. Je m'écarte, on se regarde. Nous sommes tout deux essoufflés. Je lui saute sur le flanc, j'arrive à le renverser, déchire son épaule. Je redeviens humaine. Avec rapidité, à califourchon sur la bête, je trace de son sang une rune. Une rune noire de souffrance. Une rune qui entame sa chair, qui laisse une cicatrice qui ne s'effacera qu'avec du temps.

Et je m'écarte. Froidement je le regarde souffrir. Et la souffrance le ramène à son état d'humain. Et la souffrance déchire son visage. Je ne bouge pas, je reste de marbre. J'ai l'impression de ne plus être ce que j'étais. J'ai l'impression d'étouffer une partie de moi. J'ai l'impression d'avoir mal aussi. Il me fait mal. La rune éclate doucement et laisse son corps tremblant sur le sol. Je me sens plus forte, je suis plus puissante. Je détourne, sors de ma chambre. J'ai gagné. Je suis plus forte.

Alors pourquoi est-ce que j'ai si mal ?