Alec n’en menait pas large, mais il se rassurait au moins en se disant qu’ils étaient tous dans la merde et qu’il se serrerait les coudes quoi qu’il se passe.

– Non mais ça va pas ! Jack Weiss c’est une lavette ivrogne, il doit être en train de cuver son whisky quelque part à Cuba.

Bon. Apparemment se serrer les coudes avait une limite qui rongeait bien des gens. L’égo.

– J’vais être la risée du monde entier si on écrit ça. Ian Coley agressé par Jack Weiss, on aura tout vu.

Finir sa vie, au mieux dans un cachot, au pire au bout d’une corde – quoiqu’Alec n’était pas sûr duquel était vraiment le pire scénario – versus des moqueries de cours de récréations. Le guérisseur n’aurait pas hésité une seule seconde. Ian non plus n’avait pas hésité. Mais apparemment, tout un monde les séparait.

– Enfin, toi Naw, tu sais peut-être où il en est, mais pas moi. Non non, plus crédible c’est Bleuann Soul.

Un nom de plus pour venir s’ajouter à la collection des inconnus qu’il oublierait tout aussi vite. Enfin, Alec ça lui était égal, du moment qu’il sortait de ce merdier le plus rapidement possible. Ça sentait de plus en plus le soufre dans cette salle. Et il entendait son bipeur vibrer dans sa poche. On avait besoin de lui ailleurs.
Mais du coup c’était bon ainsi. Non ?

– Mais faut que ça soit crédible un peu, non ?

Apparemment non.

– Faudrait que moi, en conséquence, je sois admis.

Alec avala de travers. C’était quoi ce plan qu’il était en train de monter ?

– Va falloir m’amocher, Meyer.

Le guérisseur en lui pensa immédiatement à ses poings. Jamais une bonne idée pour un docteur de se battre, leurs doigts étaient trop précieux.
Il allait donc répliquer que le mieux c’était peut-être que lui fasse un faut rapport d’admission ni vu ni connu – ça justifierait en plus le fait qu’il ait disparu aussi longtemps des urgences – quand soudain…

– Mes balles sont gravées. J’pourrais dire que c’est la Soul qui me l’a volé et tiré dessus, mais c’est chaud quand même, y’aura pas ses empreintes, rien.

Alec cru bien qu’il allait s’étouffer. Des balles ?! Mais dans quel monde vivait ces gens ? Pas dans le sien en tout cas.
That escalated quickly.

– L’Orpheo m’a gardé mes armes.

Et voilà que l’autre s’en mêlait comme si était tout à fait normal de tirer sur quelqu’un, juste comme ça. Ces gens vivaient dans un film ?
Pas loin en vrai. Ils vivaient de l’autre côté de la barrière, de celle où on tire sur les gens.

– Et ben j’vais vous en dessiner un les garçons. Tu veux quoi, doc ?

« Doc » c’était un surnom pour n’importe qui dans cette pièce, sauf lui… Non ?

– Heu pardon… ? Je tire pas sur les gens, moi. J’ai jamais tenu un pistolet de ma vie, il a plus de chance de mourir qu’autre chose.

Bien sûr qu’il savait où viser pour ne pas faire trop mal, ne pas risquer qu’il y ait des séquelles ou de blessures trop grave qui risquerait de dégénérer. Mais il savait qu’à la seconde où il tiendrait une arme dans ses mains, il tremblerait, et s’il visait la jambe, il y avait une chance non négligeable que la balle finisse dans le cœur.
Ou dans celui de Nawel, pour ce qu’il en savait.

– Pourquoi c’est pas toi qui t’en occupes, Nawel ?

Ok elle était défoncée, mais elle tirerait toujours quand même mille fois mieux que lui. Et c’était la seule possibilité dans la pièce – Ian ne pouvait pas le faire tout seul et quelque chose lui soufflait que ce n’était vraiment pas une bonne idée de mettre une arme dans les mains de Harry.
Mais c’était quoi là, l’idée ? On était tous dans la même merde donc on partageait la faute ? Chacun une balle comme ça tout le monde était coupable et personne ne trahirait ce pacte sanguinaire ? Ça faisait mauvais thriller, où les cannibales se partage le cœur de la victime pour être tous égaux devant la faute, égaux dans le silence.
Et puis d’abord, pourquoi absolument une balle.

– Ou sinon autre chose… Un coup de couteau, un coup de poing ?

Il n’arrivait pas à croire les mots qui sortaient de sa bouche. Il était sérieusement en train de proposer de blesser sciemment un homme.
Mais quelle journée ! Il regrettait son lit…

Je vois bien que le gars qui doit me tirer dessus a pas du tout envie de me tirer dessus. Et c’est exactement pour ça que c’est lui qui doit le faire. Parce qu’il n’a pas envie, et qu’il veut pas mal faire aussi. Et parce qu’il a peur. C’est un cocktail d’émotions qu’on veut pour survivre. Et si on file un gun à Adelman, il va nous abattre tous les trois. Donc bon.

Puis demander à Meish de se salir plus que ça, c’est pas spécialement malin. Toujours est-il qu’il dit :

– Pourquoi c’est pas toi qui t’en occupes, Nawel ?

Le prénom de cette dernière, dans la bouche du médecin, a quelque chose d’incongru. Comme si c’était impossible qu’ils se connaissent. Impossible et même inconcevable qu’ils se retrouvent sur un plan cosmique similaire. Le pire, ce qu’il ne sait pas, c’est que s’ils se retrouvent en boite, ça sera complètement oublié. Nawel, elle garde rien contre personne, elle réagit et puis c’est passé. Elle est pas débile, elle retire des leçons mais elle sera sûrement contente de parler avec lui à un café, de le sortir d’une galère de paperasse, de dessiner un truc pratique pour lui.

Vraiment cheloue/20.

Chelou/20 qui répond avec un naturel qui me bute :

— Parce que si c’est moi je lui colle une balle entre les deux yeux chéris, voyons.

Je lui jette un regard noir, mais j’ai pas vraiment envie de savoir si elle est sincère ou pas. Parce que y’a une possibilité, y’a un monde même, où elle l’est. Et cette option me convient mal, m’voyez ?

Je lui montre les crocs en soufflant du nez, prêt à feuler. Meurs, mégère ! Meurs. Harry, qui suit sûrement ça, me sourit, tout à fait ravi visiblement que l’attention ait glissé ailleurs que sur lui, le grand méchant de l’histoire. Il a l’air aussi agressif qu’une spatule en bois.

Bon.

– Ou sinon autre chose… Un coup de couteau, un coup de poing ?

Je me décompose tout à fait à l’idée d’être soit, planté, soit, battu à mort. Une balle, ça déchire, ça fait une douleur vive, aigue et insupportable, puis complètement flouée par le cerveau. Après la brûlure, le pincement utile, l’afflux de sang et voilà. Si elle éclate pas la vie est belle. Mais un couteau ça tranche toutes ces couches en plusieurs secondes, parfois deux secondes pleines qui sont insupportables. Le cerveau a le temps de le voir venir, de hurler tout ce qu’il peut pour que ça n’arrive pas, et là je suis censé rester immobile pendant qu’un me plante ?

Sa race. J’suis pas sûr de pouvoir faire ça. J’ouvre la bouche pour dire que ben, bof, j’sais pas, que Nawel elle a déjà dessiné une lame d’une vingtaine de centimètres qu’elle colle dans les pattes du doc.

— Tu sais où l’enfoncer, n’est-ce pas ?

Euuuuuuh. Non mais j’le sens plus en vrai ?
Elle double ses mots d’un sourire :

— Puis c’est vrai, imagine je dessine un glock, Adelman décide de faire le fanfaron et s’en empare, on est tous morts. Alors qu’un couteau, bon. C’est moins risqué.
— Ça dépend pour qui, je grommelle.

Mais autant se couvrir au mieux, surtout avec le nez de Kurt fourré partout, et Rhyan a protéger en plus dans l’histoire.
Putain de ses morts.

Elle devait être une sorte de vampire et les crocs allaient finir par lui crever les gencives. Ce n’était pas possible autrement, pas possible qu’elle puisse autant jubiler en imaginant quelqu’un tirer sur une autre personne.

– Parce que si c’est moi je lui colle une balle entre les deux yeux chéris, voyons.

Elle plaisantait… non ?
Mais c’était sûr que dit ainsi, il valait mieux que ce soit lui qui ait l’arme en main. Ça ne rendait pourtant pas la chose plus facile ou agréable à imaginer. Il réparait les corps lui, il ne les trouait pas.
Ça devenait de plus en plus flou et insensé dans sa tête. Et dans un même mouvement, étrangement haletant, comme une adrénaline qui se déversait dans ses veines. Alors c’était ça que ressentaient les sorciers noirs ou les agents d’Orpheo avant d’appuyer sur un gâchette ?

Un véritable couteau de boucher apparut dans les mains de Nawel et Alec eut l’impression qu’il allait tourner de l’œil devant la lame. Où était la caméra cachée ? Peut-être que c’était un test de la part d’Orpheo, un test auquel il avait lamentablement échoué, mais désormais ils pouvaient sortir de leur cachette et lui passer les menottes, tout plutôt que déchirer la chair.

– Tu sais où l’enfoncer, n’est-ce pas ?

Comme si la vie n’était plus qu’un mauvais film, il se vit attraper le poignard par le manche et apprécier la lourdeur de l’arme. Ça ressemblait en rien en ce qu’il pouvait trouver dans un IBMM et pourtant Alec savait que son utilisation devrait être précise et vive pour éparpiller au mieux la douleur.

– Puis c’est vrai, imagine je dessine un glock, Adelman décide de faire le fanfaron et s’en empare, on est tous morts. Alors qu’un couteau, bon. C’est moins risqué.

Le guérisseur jeta un œil à l’homme toujours enfoncé dans le lit et le sang. Sérieusement, si ce gars-là était capable de se redresser pour voler une arme et tuer toutes les personnes présentes dans la pièce, c’était la preuve qu’il était un sacré connard – après tout, ils étaient tous en train de risquer leur carrière pour lui – et un surhomme. Même les gênes de sorciers ne pouvaient pas se remettre aussi rapidement d’une pareille opération, surtout sans anesthésie.

– Ça dépend pour qui.

Alec détailla Ian, essayant de mettre de côté tous les problèmes d’éthique que pouvait lui créer l’idée d’enfoncer un couteau dans quelqu’un. La tête, ce n’était évidemment pas une question, du même que le tronc, bien trop dangereux pour les organes vitaux, même si le guérisseur pouvait les deviner facilement sous la peau, il préférait ne prendre aucun risque. Un tremblement pouvait mener à un foie percer ou un poumon troué.
Les bras lui paraissaient également être une mauvaise idée. Trop fin, trop douloureux. Il restait les jambes, ce qui lui paraissait être un bon compromis, qui justifierait d’autant plus que Ian n’ait pu rattraper son attaquante. Comme courir après quelqu’un sur une seule jambe ?
Le sorcier s’approcha du mêlé, incapable de concevoir ce qui était en train de se déroule sous ses yeux – mais ce n’étaient pas ses mains qui tenaient le couteau, pas sa force qui allait enfoncer tout ça dans le corps du jeune homme. Il posa une main sur la cuisse gauche de Ian, un peu de magie s’en échappant pour réchauffer doucement la zone.

– Ça soulagera un peu la douleur, mais je ne peux rien faire de plus sans que ça pousse trop la cicatrisation et que ça ne soit plus crédible.

Il tenait fermement le couteau, ce n’était surtout pas le moment de faire un faux mouvement et de l’enfoncer dans une artère. Il fallait juste imaginer que la jambe était celle d’un patient et que c’était un mouvement machinal, nécessaire pour lui sauver la vie, comme un coup de scalpel ou la piqûre d’un épipen.

– J’espère qu’il en vaut la peine.

Et il frappa, d’un coup franc qui permit à la lame de s’enfoncer comme dans du beurre. Aussitôt il la ressortit et attrapa un drap pour l’enrouler autour du sang qui coulait afin de maintenir l’hémorragie.
Et ce fut avec une horreur certaine qu’il se rendit compte que ça avait presque été… facile.

Je vois bien qu’il va le faire. Je vois bien que ça arriver, et j’ai une salive âcre qui se répand dans ma bouche, d’abord, puis dans mon estomac. Épaisse. Mon intuition me hurle oui, mon loup me hurle que non, bien sûr que non, on ne se blesse jamais volontairement. Mais bon. Il hurle quand je vais courir sans but pour m’entraîner, alors voilà ; il n’est pas adapté à la société humaine. On le sait tous les deux.

Et ben voyez-vous, sans l’adrénaline du combat, sans le corps à fort, j’ai beaucoup, beaucoup plus peur. Je dois puer au moins autant qu’Adelman à son arrivée, quand il pensait qu’il allait crever. J’paierais cher pour savoir ce que y’a dans sa tête là, mais j’ai que ce que y’a dans son coeur. Ses émotions dissonantes tintent comme des oiseaux broyés.

Pfou, la lame est super fat en plus làààààà. J’en claquerais presque des dents : j’ai froid.

Il me touche et je sursaute sous son contact. Fais le putain fais le qu’on en finisse. Je sens la magie couler en moi, et je trouve ça idiot. Entre 1000 coups et 999, ça ne change pas grand chose, et lui, ça lui tire sûrement un peu plus dessus. Qui l'eut cru, le gentil-lui qui va me planter !

– Ça soulagera un peu la douleur, mais je ne peux rien faire de plus sans que ça pousse trop la cicatrisation et que ça ne soit plus crédible.

Super super super super. Les secondes deviennent des heures pour moi, j’aimerais broyer mes dents et créer une distraction, n’importe quoi que les six yeux rivés sur moi.

– J’espère qu’il en vaut la peine.

J’ouvre la bouche pour lui répondre, quand il me poignarde net. C’est tellement pas naturel de pas devoir s’échapper et taper en retour. La douleur me pète au cerveau, éclate en millions de cristaux colorés devant mes yeux alors que j’essaie de reculer, m’échapper, c’est mécanique, il attrape le drap, mais ma magie me glisse entre les doigts. Le loup le loup le loup le loup le loup

— prendmesfringues, je débite quand le chat crève la surface, je sors de mon propre t-shirt.

Le loup se rencoigne dans un coin, du sang partout, des odeurs partout. Forcément que c’est le loup qui s’occupe de la survie brutale. Je dérape dans mon propre sang, les griffes rayent l’hémoglobine.

Allez Ian, putain ! Tant d’entraînement pour galérer dans une vieille salle ? Avec la police ? Un médecin ? Croix ?! C’est n’importe quoi.

Je ressors humain.

La sueur m’imprègne rapidement le front — et ouais, un loup ça peut pas ruisseler de sel, hein — alors que y’a plus d’histoire de drap ou quoi là. Une lame de fond de douleur m’entraîne un instant dans le noir, mais ça ne dure pas tant. Heureusement que j’porte mes bandes de métamorphe, hein. Pas l’time pour la pudeur mais je suis sûre que les autres apprécient. En plus j’ai gagné un tour gratuit en IBMM, chanmé.

Il avait regardé d’un oeil assombrit les événements. L’épuisement et son corps qui galérait noircissait et grisait l’entièreté de son champ de vision, et il avait bien compris qu’il allait devoir détaler seul. Qu’on n’allait pas non plus lui commander un taxi pour sortir de là. Nawel comme Ian pensaient à des banalités qu’il n’arrivait pas à saisir, son prénom passait parfois dans leurs caboches abimées, l’un comme l’autre.

Il s’était demandé si réellement, le médecin allait se faire embarquer dans leur plan idiot, et réellement planter Orpheo. Dire qu’ils s’entretuaient plus ou moins sous ses yeux, pour le sauver, le laisser extrêmement indifférent. D’une indifférence lourde qui pesait sur lui, comme s’il n’avait pas pu démêler la pelote d’informations qui lui arrivaient. Parce que petit, on lui avait donné des gestes brutaux et froids, il avait pris ça pour de l’amour, et maintenant qu’on agissait pour lui comme on n’avait absolument jamais agit, il restait là, suspect, à ne pas comprendre. Il les trouvait idiot parce que nécessairement, il ne le méritait pas. Ils étaient cons de le sauver : il était noir, de Croix, de ceux qui trahissent et tuent et blessent. Même lui le sauver ; l’organisation n’avait pas pu marquer au fer rouge les bonnes idéologies.

– J’espère qu’il en vaut la peine.

La phrase résonna comme une lourde cloche qui n’en finit plus de taper. J’espère qu’il en vaut la peine, j’espère qu’il en vaut la peine, j’espère qu’il en vaut la peine. Ian, scellé à sa promesse se fit donc poignarder — sans violence.
Il cligna des yeux plusieurs fois, l’incompréhension le rend nauséeux, du sang de partout.

Il ne comprit pas la phrase débitée par l’écossais, mais quand le chat fut sortit des fringues souillées, il ne se fit pas prier pour récupérer un haut, un jean, sans même s’imaginer qu’il était regardé.

Puis Nawel prit les devants, absolument pas impressionnée. Elle poussa le médecin dehors, avec force, et lui fit un clin d’oeil. C’était si facile de suivre ou de pas suivre les règles, finalement, de tuer ou laisser vivre, d’ouvrir les doigts ou d’étouffer.

J’espère qu’il en vaut la peine.

C’était lui qui suffoquait ; la phrase lui tiendrait chaud, plus tard, dans le taxi, somnolant.

— Time to fly, rajoute la flic. Il avait bien compris, ça. Il se demanda si elle parlait à lui, mais elle n'allait visiblement pas l'exfiltrer non plus. Noté. Elle s'approcha du presque-cadavre d'Orpheo. Du sauveur mêlé. Quelle horreur.

Elle attrapa l’humain de retour sur le sol, gris, les lèvres déjà exsangues, d’avoir muté et déchiré les tissus. La seconde d’après elle fut téléportée, lui aussi, et il se retrouva seul dans cette salle qui l’avait vu mourir — et puis en fait non.

Il se traina dehors, ses muscles raides et tendus au supplice. L’effervescence n’était absolument pas retombée, ça courait, pleurait, criait, et lui, lui il fuyait pour retourner à Croix, la queue entre les pattes, quelques mots pour seul bagage. Blessé, inquiet.

Perdu.

Alec n’avait jamais eu de problème à retenir les visages dans sa tête. Billy disait souvent pour se moquer, qu’il aurait pu facilement devenir videur de boîte. Mais c’était un fait, les traits, les expressions, ça s’ancrait quelque part dans sa mémoire. Il était capable de croiser un visage dans une foule et de s’en rappeler quelques mois plus tard. Ça s’absorbait en lui, facilement, sans qu’il n’ait besoin de faire le moindre effort, contrairement aux noms qui semblaient toujours le fuir.
Mais lorsqu’il vit l’expression de douleur sur le visage, une horreur qui déformait tellement ses traits et que lui-même avait provoqué, il souhaita de tout son être pouvoir un jour oublier ce moment qui s’était figé dans sa rétine.
Il avait évidemment déjà vu les masques de souffrance sur ses patients, certainement même encore plus profonde et moins bien supportée que ce que pouvait provoquer un coup de couteau dans la jambe d’un soldat entraîné. Mais ce n’était jamais lui qui l’avait provoquée. Lui réparait les corps, il ne les ouvrait pas.
Plus jamais.
Il lâcha la lame et eut envie de poser ses mains, tout son pouvoir se tendant vers cette souffrance, besoin de délivrer Ian de la douleur, addict à la guérison. Mais il n’en eut pas le temps que Ian sembla comme tremblant, des touffes de poils apparaissant par plaques sur sa peau.

– prendmesfringues.

Et l’homme devint chat.
Le sorcier noir, qui était apparemment de composition assez robuste pour se redresser, attrapa la boule de fringues laissées par le métamorphe sous l’œil surpris d’Alec. N’était-il donc pas sensible à la douleur qui avait envahi la pièce ? Le terme de chacal émergea de son cerveau.
Mais au fond, qui était-il pour porter un jugement sur une personne qui souhaitait juste survivre, lui qui venait de planter quelqu’un pour dissimuler sa trahison ?

Puis le guérisseur sentit une main l’attraper et le pousser à l’extérieur. Nawel avait décidé de prendre la situation en charge et il comprit une fois de plus l’écart entre leur monde, alors que lui tremblait d’avoir ainsi blessé un être vivant, personne d’autre ne semblait perturbé par la situation.
Balancé ainsi dans le couloir, Alec regarda le rouge sur ses mains, sous ses chaussures, sur sa blouse, mélange du sang de Ian et de Harry. Il fit alors quelques pas, un peu comme un zombie afin de trouver les toilettes les plus proches quand il entendit une voix derrière lui.

– Alec ?

Il se retourna pour faire face à Marie, effarée de constater les traits encore plus pâles de son amant.

– Heu… j-je, oui ça va. Une opération un peu c-compliquée, mais le patient s’en sortira. Je… Je vais aller me laver avant de retourner aux urgences.

Elle posa une main douce, mais autoritaire sur son bras. Le genre de geste qu’elle utilisait avec ses enfants lorsqu’ils ne voulaient pas l’écouter. Alec était peut-être son supérieur, mais elle voyait bien qu’il avait besoin que quelqu’un remette les choses à leur place.

– Non Alec. Tu vas te laver puis tu vas rentrer chez toi. Tu ne soigneras personne dans cet état et ton service est terminé depuis longtemps déjà. On s’en sortira sans toi.

Il n’eut pas la force de répliquer, un sourire de fatigue se traînant simplement sur son visage pour la remercier. Il fit encore quelque pas pour pousser la porte des toilettes dans laquelle il fit immédiatement couler l’eau sur ses mains, son visage, ses avants bras.
Et l’eau rouge, et l’eau rouge, et l’eau rouge.
Et les larmes par-dessus.