Debout devant le rayon des bouteilles de vin, Sylvester tenait deux bouteilles aux étiquettes bien trop dorées collées dessus. De la piquette, certes, mais de la piquette avec un joli packaging. Il hésita trente secondes de plus avant de prendre la moins chère des deux. Il savait bien que, dans tous les cas, Kurt ne serait pas dupe, mais c'était sa manière à lui de lui dire augmente moi. Ca n'avait jamais fonctionné jusqu'alors, parce que Kurt n'osait rien dire devant Edwin, mais ça faisait toujours beaucoup marrer Sylvester quand il les convainquait - forçait - à ouvrir la bouteille qu'il avait apportée et qu'il voyait la grimace sur le visage de son supérieur. Et puis après tout, ça lui apprendrait aussi à l'envoyer au coupe gorge sur une mission pour attraper Bleuann Soul. Il ne lui avait toujours pas pardonné ça.

Il posa la bouteille sur le tapis roulant de la caisse et sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Le temps que la grand-mère devant lui paie ses achats, il sortit l'appareil de sa poche pour y jeter un regard absent. C'était un sms de Danaë, la femme qu'il voyait ces derniers temps - et avec qui, étonnamment, ça durait un peu - et qu'il avait invitée au repas du soir même.

Urgence à l'IBMM, Alec a besoin de moi, je vais pas pouvoir venir !

Sylvester maudit le guérisseur. Pour une fois que ça crochait bien dans une de ses relations, il fallait qu'elle travaille pour son pote qui ne connaissait pas le principe de la vie privée. Si Danaë passait autant de temps qu'Alec à l'IBMM, Sylvester avait meilleur temps de sortir et de se faire shooter par une voiture s'il avait envie de la voir un peu. Enfin, pour ça il devrait déjà se rendre à Strasbourg, parce que toute l'opération se révélerait totalement inutile s'il débarquait à l'IBMM de Londres.
Tant pis. Pas certain que ça durerait de toute façon, l'exorciste avait toujours la mauvaise habitude de comparer ses conquêtes à Lily - c'était immature et inutile, mais malgré les années il ne pouvait s'en empêcher même s'il ne l'aurait avoué pour rien au monde - et, évidemment, aucune de lui arrivait à la cheville.
Il régla la mauvaise, mais jolie bouteille au vendeur et marcha jusqu'au métro le plus proche. Il avait beau avoir conservé son léger accent australien, il était désormais plus londonnien que la plupart des londonniens et il ne mit pas longtemps à trouver son chemin pour se rendre chez Kurt et Edwin.
Arrivé devant la porte, il toqua - il n'aimait pas sonner, mais il n'y avait pas de raison particulière à cela - et attendit que la porte s'ouvre pour tendre sa bouteille.

- Salut vieille branche. Je viens seul, Danaë est retenue par Alec, mais j'ai apporté une bonne bouteille pour compenser son absence.

Il avait accentué l'adjectif avec un sourire déjà mesquin. C'était les mêmes blagues, les mêmes jeux, mais n'était-ce pas aussi ainsi que se reconnaissait une véritable amitié ?

La tête de Kurt lorsqu'il se força à prendre la bouteille pour la poser sur le bar valait tout l'or du monde. Ce sourire poli mais déjà dégoûté par l'odeur un peu trop vinaigrée de cette piquette. Derrière lui flottait une douce odeur de nourriture et Sylvester songea que c'était sans doute un repas tout sauf équilibré - et vas-y que je te verse la bonne petit crème qui fait du bien - et qu'il avait bien fait de ne pas craquer sur la pizza du self le jour même. Arrivait-il à l'autre vieille branche de songer au corps des agents d'Orpheo ou préparait-il des plats trop lourds et mauvais pour la santé à absolument toute l'agence de Londres ? S'il continuait ainsi, il ne faudrait pas s'étonner que Coco de Berlin leur roule dessus un après-midi alors que tous les bureaux seraient en pleine digestion.
Enfin. Le sorcier avait beau se plaindre, il savait que les petits plats concoctés par son ami étaient toujours délicieux et qu'il n'en laisserait pas une miette - il espérait même secrètement que, pour le dessert, il aurait fait son fameux moelleux au chocolat. Evidemment, il se plaindrait quand même pour la forme et, évidemment, Kurt le taquinerait sur son hygiène de vie si drastique.

- Tu excuseras Edwin, il a eu un... petit incident avec notre table basse. Ils ne seront pas présent tous les deux ce soir.

Sylvester jeta un oeil par dessus Kurt pour remarquer la place vide à l'endroit du salon où trônait habituellement une table en verre. Ce que les deux autres avaient pu faire pour briser une telle table, il n'était pas bien sûr de le savoir. Même plutôt l'inverse. Il bénit l'univers de ne pas avoir les mêmes pouvoirs qu'Edwin car il n'avait aucune envie que le canapé lui raconte toute cette histoire.

- Je préfère ne pas poser de question.

Ils ne seraient donc que tous les deux. Comme au bon vieux temps alors qu'ils étaient encore jeune et fringant - ils étaient toujours jeune et fringant d'ailleurs, juste avec quelques années de plus - à aller boire des verres en terrasse. À cette époque déjà, Kurt avait ce petit air un peu plus distingué - les mauvaises langues, dont faisait partie Sylvester, auraient pu dire un peu snob - que le reste du groupe. Un peu plus âgé également, même si dans la tête il avait la même maturité que tous les autres.

Sylvester accrocha sa veste au porte-manteau avant de se diriger vers le salon où les morceaux de verre de la table jonchait encore le sol. Edwin ne s'était pas loupé, le meuble avait éclaté en mille morceaux, probablement en trouant sa peau. Si au moins Danaë avait été là, au moins elle aurait pu utiliser son pouvoir de guérison. Mais Alec était décidé à gâcher son histoire d'amour et la vie d'Edwin.

- Passe moi un balai, je vais m'occuper de ça pendant que tu gères le plat probablement beaucoup trop lourd que tu m'as préparé. À croire que tu as été élevé par la sorcière dans Hansel et Gretel

La vieille sorcière à la maison faite en bonbons. Ca lui correspondait plutôt bien, après tout.

Lorsque Sylvester attrapa le balai, il aurait pu jurer que celui-ci avait essayé de s'échapper de sa main. Il fallait dire que les objets dans l'environnement d'Edwin avaient parfois des comportements étranges. L'exorciste aurait pu juré avoir vu une fois une gomme tenté de se suicider du haut de son bureau, probablement pour détourner l'attention de son propriétaire qui était en train de passer un savon à l'australien. Encore une sombre histoire de rapport trop laconique.
Après avoir réuni les morceaux de verre éparpillé, l'homme alla chercher la brosse et la pelle avant de déverser les nombreux morceaux dans la poubelle que lui tendait son ami. Ça faisait un paquet de bouts de verre qui disparaissait dans l'antre du sac noir.
Edwin et Kurt étaient bons pour racheter une nouvelle table basse. En bois, cette fois-ci. Sylvester s'imagina choisir lui-même la table et l'envoyer au couple ; quelque chose de bien bien laid qui trônerait au milieu de leur salon, si possible avec un sale caractère – bon, même si c'était un peu compliqué de rentrer dans un magasin et de demander un meuble méchant. Mais bon, c'était peut-être aller un peu trop loin tout de même. Pas sûr qu'il soit réinvité après ce genre d'initiative.

– Edwin aimait bien cette table…

Sylvester leva les yeux au ciel pour la forme. Kurt jouait délibérément avec lui.

– Tu veux commencer par quoi ? Je t'ai mis des crudités pour l'apéro, je ne me suis pas moqué de toi.

Le quinquagénaire rangea la brosse, la pelle et le balai à leur place avant d'attraper un bâtonnet de carotte qu'il avala en se dirigeant vers le frigo – il était un peu ici comme chez lui, ou du moins avait décidé de s'arroger ce droit.

– De la bière, mon ami ! Toujours une bière avant d'entamer le vin !

Il avait bien remarqué la superbe ignorance avec laquelle Kurt n'avait pas regardé la magnifique bouteille qu'il avait apportée et, si l'autre pensait s'en tirer aussi facilement, c'était se mettre un doigt dans l'oeil. Il ne perdait rien pour attendre, mais… plus tard. Rien que de voir toutes les techniques de l'autre pour détourner son attention du cadeau empoisonné en valait le détour.
Décidément, cette bouteille était bien peu chère payée pour tout ce que ça lui apportait.
Il s'assit à table, décapsula la bière avec son pouce – c'était parfois pratique d'avoir une force surhumaine dans le quotidien – et avala quelques gorgées avant de piquer un concombre. Il était rare que l'australien boive de l'alcool, mais il savait que les excès serait déjà nombreux ce soir alors autant profiter de la soirée pleinement. Et il ne bossait pas le lendemain – il soupçonnait d'ailleurs Kurt d'avoir trafiqué le planning – donc même une gueule de bois potentielle ne pouvait pas l'effrayer.

– Alors, tu as discuté avec Selena de ma proposition d'abolir les rapports ?

C'était à moitié une blague. Une demi-blague. Bon, qu'il n'aurait peut-être pas faite devant tout le monde ; à coup sûr, si ça avait été Declan devant lui, le directeur écossais aurait fait une syncope. Vu les rapports qu'il avait vu Louis rendre, Londres n'était clairement pas les plus à plaindre à ce niveau-là. Tout ça pour qu'après tout soit classé et que plus personne ne les consulte ! L'exorciste ne comprenait toujours pas à quoi ça pouvait bien servir…

En passant devant le bar, Sylvester se demanda quelle voix pouvait bien avoir la bouteille qu'il avait ramené. Dommage qu'Edwin ne soit pas par-là... Il espérait cependant que des traces de son pouvoir s'accrochaient encore à Kurt et que le cadeau empoisonné avait ce genre de voix nasillarde et agaçante.
Vraiment, il était terrible.

- J'ai cuisiné un superbe risotto aux asperges et au poulet. Il s'accompagnera parfaitement avec un Sauterne.

Sauterne. À tous les coups une bouteille qui valait un mois de salaire. Probablement délicieuse et Sylvester n'aurait, en temps normal, pas craché dessus. Mais comme embêter Kurt n'avait pas de prix...

- Comment ? Tu ne veux pas faire honneur à mon cadeau ? Ca me blesse !

Le chantage émotionnel. Ca demandait un peu de comédie et c'était mesquin, mais ça le faisait rire. Et c'était si facile d'embêter son ami...
Et puis bon, si au moins celui-ci avait la décence de le soutenir dans ses demandes de réduction - d'abolition - de la paperasse. Mais non, c'était même plutôt l'inverse. Si Kurt prenait un jour la tête d'Orpheo Londres, à coup sûr que ça deviendrait un enfer et une très bonne raison de rentrer en Australie. Il était du genre obséder par tout ça. Probablement parce que l'information c'était le pouvoir et qu'il aimait un peu trop le pouvoir. Sylvester grimaça ; lui ça lui donnait la nausée. Grimper dans la hiérarchie équivalait à diminuer son temps sur le terrain et avoir tout un tas de devoir du genre gala et autres conneries. Si c'était pour tenir la jambe toute la soirée à un Coco de Berlin, le tout avec un sourire hypocrite car il ne fallait surtout pas froisser Berlin... Non merci. La seule raison valable d'aller à ce genre d'événement était d'avoir la possibilité de draguer Elizabeth. Mais vu comme Kurt regardait Edwin, pas sûr que cette perspective l'intéresse.

- Hum, elle a botté en touche quand je lui ai soulevé ton interrogation sur la pertinence de l'existence même des rapports. Elle a dit un truc du genre : Sylvester qui ?

L'exorciste leva les yeux au ciel ; c'était un mensonge et ils le savaient tous les deux. Selena n'était certainement pas le genre de personne à se croire dans une tour d'argent grâce à son poste et elle connaissait bien ses employés, en particulier ceux qui étaient là depuis aussi longtemps que lui. Ils étaient même partis en mission ensemble une fois, et elle lui avait sauvé la vie... ce qu'elle ne manquait jamais de lui rappeler quand il rendait ses rapports en retard - donc environ neuf fois sur dix.

- Oh, j'ai entendu des rumeurs sur ta dernière mission, comme quoi tu serais tomber à l'eau ? Je n'ai pas très bien compris, mais je suis sûr qu'il y a une explication derrière tout ça ?

C'était de la provocation.

- T'auras qu'à lire mon rapport, ça te rappellera ta jeunesse sur le champ de bataille.

Sylvester avait grommelé ses mots dans sa barbe ; son ami ne perdait rien pour attendre. Et puisque le niveau de taquinerie semblait particulièrement élevé, il comptait bien ne pas rester derrière. Pourtant le goulot de sa bière à sa bouche, il la termina rapidement avant de la reposer sur la table.

- Il est temps de passer aux choses sérieuses ! Surtout ne te dérange pas, je sais exactement où se trouve ton tire-bouchon.

Et, joignant le geste à la parole, il se releva pour aller attraper la ô combien magnifique bouteille qu'il avait apportée et deux verres à vin. Kurt n'allait pas pouvoir y couper à celle-là.
Il avait qu'à pas lui rappeler l'humiliation de sa dernière mission.

La couleur du vin dans les verres était… une couleur. On ne pouvait pas vraiment dire qu'elle avait le rouge profond des bons vins, mais au moins avait-elle le mérite d'exister, ce qui était finalement un bon début. Et puis Sylvester aurait bu des tonneaux entiers de cet affreux breuvage si ça avait pu agacer Kurt.

– Hum.

Il se força à ne pas rire. Aucune envie que son ami n'en profite pour piquer la mouche et lui balancer tout le liquide à la figure. Le chef serait bien trop heureux de vider son verre aussi facilement.

– J'vais chercher la suite alors. Faut jamais boire le ventre vide.

Les efforts que faisait l'autre pour ne pas faire émerger sur son visage une grimace de dégoût étaient hilarants. Sylvester profita d'ailleurs qu'il ait le dos tourné pour laisser échapper un vilain sourire sur ses lèvres. Ça, c'était sa vengeance personnelle pour lui rappeler l'épisode de la flotte.
Deux assiettes fumantes furent déposées sur la table. Nul doute que Kurt eût été cuisinier dans une de ses précédentes vies : on aurait dit que le tout venait tout droit d'un restaurant gastronomique. Mais avec des quantités correctes, pas comme dans ces endroits où ils servaient une miette de foie gras et trois oeufs de caviar pour taxer le tout des centaines d'euros.
Sans surprise, Sylvester n'aimait pas ce genre d'endroits guindés.

Kurt porta le liquide à ses lèvres, en louchant presque de regret sur l'autre bouteille, celle qu'il a sorti comme pour lui faire passer un message et qui coûte probablement un an de salaire. La grimace qui vint teinter les lèvres de son ami arracha un air triomphant à l'australien. Ça valait tout l'or du monde, une moue pareille.

– Ma-gni-fique. Vraiment. Fallait pas.

Le sorcier porta à son tour l'enfer bordeau à ses lèvres. Effectivement, ce n'était pas bon. Ça tombait même dans l'ordre du dégueulasse. Pas impossible que le vin fût bouchonné d'ailleurs ; mais possible aussi que ce soit juste son goût habituel. Ce n'était pas vraiment important, de toute façon, lui le goût vinaigré ne le dérangeait pas tant. Il aurait bu bien pire, pour embêter son pote.

– J'ai eu quelques échos de Declan. Ça va mieux ton apprenti ?

Sylvester soupira avant d'attraper sa fourchette. Ça n'avait pas été une mission facile. Il y avait eu l'eau, d'accord, mais également l'air morose de Louis. Heureusement que son moral était un peu remonté sur la fin. Même si après… après il y avait eu ce stupide Ian Coley et ses histoires à rallonge et Carla à l'hôpital. Ces gosses étaient infernaux : une bande de drama sur pattes.

– Des histoires de cœur… Les jeunes.

L'homme goûta le risotto ; il n'y avait rien à dire, c'était succulent. Mais parce qu'il avait envie d'embêter son ami en lui faisant croire que le tout n'était pas assez bien assaisonné, l'exorciste se leva pour aller chercher le sel dans le placard. Il savait particulièrement où celui-ci se situait ; il jouait toujours au même jeu quand il allait chez Kurt et Edwin. Rendre Kurt fou en rajoutant du sel partout. L'autre devait certainement penser que Sylvester adorait le sel alors que c'était plutôt l'inverse ; il faisait attention de ne pas trop en rajouter dans ses plats, connaissant ses effets sur la santé. Enfin… sauf si c'était pour énerver un ami, évidemment.
Tout en marchant vers la cuisine, il continua son histoire sur Louis.

– Un break dans leur relation ; je crois qu'ils se sont tous les deux trompés. Mais leur relation est plus compliquée qu'une série télé et je peine à suivre. C'est pas à nous que ça arriverait en tout cas !

Ironique de la part de celui qui était encore amoureux malgré les années d'une femme mariée qui l'avait quitté pour sa famille. Encore plus ironique quand on connaissait l'identité de celle-ci ; la mère de Carla. À croire que les drama étaient génétiques, chez les Lowett.
Puis son visage s'assombrit.

– Puis Carla - sa copine - a été enlevée par un sorcier noir. Je… je crois que c'était assez violent comme enlèvement. Mais ils sont à nouveau ensemble, aux dernières nouvelles. Ils essaient de se retrouver.

Louis avait brièvement évoqué une histoire de relation libre lorsqu'il l'avait croisé au siège d'Orpheo – le couple avait aussi décidé de passer l'été dans la capitale anglaise et son ancien apprenti s'était donc fait transférer à Londres pour deux ou trois mois. Comme d'habitude avec eux, ça semblait compliqué.
L'exorciste ouvrit la porte du placard pour attraper le sel quand il aperçut quelque chose qui n'avait rien à faire là. Surpris, il sortit l'objet ainsi que le pot de sel et retourna s'asseoir à la table.

– Ça ne doit pas être très pratique de jouer sans dame noire une partie d'échec.

Il posa la pièce qu'il avait découverte sur la table. D'un autre côté, ce n'était pas si étonnant de la part du couple ; il n'était pas rare avec ces deux là de retrouver certains objets à des places insolites parce qu'ils étaient "punis".
Sylvester espérait un peu pour le bien de l'humanité qu'ils n'auraient jamais d'enfants.

Sylvester se demandait parfois si le couple Carla-Louis avait un avenir. Ils s'aimaient, ça il en était certain. Il émanait d'eux une affection infinie qui les englobait tout entier. Mais n'était-ce pas aussi par habitude, par amitié ? Elle avait attendu que le sorcier revienne pendant des années, sans même être au courant pour le monde magique, sans même savoir s'il était encore en vie. La jeune femme avait laissé tomber ses amis, sa famille, ses études pour l'attendre dans un village ravagé par les sorciers noirs et dangereux. Un lieu où il lui était probablement arrivé des choses atroces – l'exorciste n'avait jamais eu les détails de cette nuit à l'orphelinat, mais il avait lu dans son comportement les horreurs qui l'avait marquée. Louis, quant à lui, avait été si bouleversé lorsque Carla avait tourné les talons qu'il était devenu que l'ombre de lui-même, une ombre alcoolique et incapable de s'occuper de lui-même. Comme si tous les deux étaient incapable d'imaginer autre chose, parce qu'ils n'avaient jamais vécu autre chose que leur amour l'un pour l'autre. Et ça les dévorait, parfois. Peut-être bien qu'un jour ça imploserait, que ça irait trop loin dans le gouffre, trop toxique. À cause d'eux même ou des autres peut-être. De Ian. De cette fille dont Louis lui avait parlé. Enfin pas elle exactement, mais une autre, car elle était morte.
C'était compliqué, en tout cas, et Sylvester était heureux d'avoir dépassé la vingtaine et ce genre d'histoires.

– Ah, c'était elle. Bon, si ça s'est bien fini. Mais ils sont à Londres en ce moment, non ? Parce que je crois l'avoir aperçu bosser pour le QG de Londres et il traîne souvent avec Luka Grey.

L'australien hocha la tête en se rasseyant, puis arrosa son risotto d'une pluie de petit grain de sel sous l'air désapprobateur de Kurt. Les deux tourtereaux avaient effectivement emménagé chez la mêlée qui possédait, selon les dires de Louis, un appartement gigantesque dans un endroit bien placé de Londres. Sylvester leur aurait volontiers proposé de les héberger lui aussi, mais il n'avait qu'un studio contenant un lit, ses habits et son matériel d'exorcistes. Il passait rarement du temps chez lui, de toute manière. Toujours en mission dans un pays ou un autre, entre les bras d'une femme ou en Australie pour rendre visite à sa grand-mère. Les rares jours de repos qu'il avait, il préférait donc les passer à dormir – et pour ça, un lit suffisait – ou à s'entraîner – de préférence à l'extérieur, ou dans les salles d'entraînement d'Orpheo si on décidait un jour de lui rendre l'accès qu'on lui avait pris sous prétexte qu'il avait encore brisé trop de matériel.

Sylvester avala une bouchée de risotto, le sel l'assoiffant et le poussant à avaler un peu de vin. Bon, il devait avouer que ce n'était pas le meilleur combo qui fût, mais encore une fois ce qui lui importait c'était la tête de Kurt.
Puis il reporta son attention sur la pièce noire qui avait l'air parfaitement innocente posée devant lui.

– Oh, ça, c'est une histoire d'Edwin, ça. De toute façon, on n'a pas les autres pièces. Ce n'est pas qu'on ne sait pas jouer, mais...

Son ami laissa sa phrase en suspens et l'australien ne chercha pas à creuser plus loin. Contrairement à Kurt, il n'était pas du genre à chercher les ragots pour les partager à tout va. Ça n'apportait que des ennuis, de tout savoir sur tout.

– Et toi dans tout ça ?

Sylvester soupira. Ça lui faisait de la peine de voir les deux jeunes dans des états pareils. Le monde avait été déjà assez cruel avec ces deux-là pour qu'ils en rajoutent une couche avec leurs histoires. Mais peut-être que Louis et Carla étaient faits ainsi : composés de drama qui les aidaient à vivre, à s'aimer plus fort.

– Tu sais… Je vois Louis un peu comme mon fils parfois. Peut-être que je ne devrais pas, je ne sais pas… Ça me rappelle un peu la relation que j'avais avec Jilano.

Kurt avait bien connu le maître du maître. Il avait d'ailleurs été présent à l'enterrement, un geste pour lequel Sylvester lui en serait probablement toujours reconnaissant. Un des jours les plus sombres de sa vie. Il avait juste envie de tout détruire, en voyant le cercueil s'enfoncer dans la terre. La colère qui tapait si fort dans ses poings. Kurt n'avait rien dit ce jour-là, mais il avait été présent, et ça avait représenté beaucoup pour lui.

– Et Carla c'est… elle est brisée, mais attachante. Et puis c'est la fille de… enfin de quelqu'un que je connais.

L'exorciste se mordit aussitôt la langue. Il n'était pas du genre à faire des confidences habituellement et il connaissait assez son ami pour savoir que celui sauterait sur la brèche pour en tirer des ragots. Kurt n'était pas au courant pour Lily ; peu de personne l'étaient en fait.
Il changea aussitôt de sujet.

– Et Myaw au fait, comment va-t-elle ?

Il avait parfois croisé l'adolescente du temps où elle vivait chez les deux hommes. Il se dégageait d'elle beaucoup de douceur malgré les épreuves qu'elle avait traversées. C'était pas plus mal pour le couple, ça leur allait bien d'avoir Myaw à gérer de temps en temps, pour les faire sortir de leur folie et de leur vieilles habitudes. Un peu de fraîcheur dans tout ça.