On ne choisit pas sa famille, ça veut pas dire qu'on l'aime pas | Sakura & Luka

✖ J'ai un problème avec la famille de ma mère... ✖

« C'est une belle après midi qui commence »

C'est une belle après-midi qui commence, pourtant je suis transie de froid. C'est le froid de la tristesse, il parcourt tout mon corps. Voilà que je remets enfin les pieds sur ses rivages bien aimés, que je remets les pieds sur mon Écosse. C'est ma maison qui est là-bas, perdue dans la campagne. C'est mon Écosse. Sur le pont du bateau je frissonne. Le vent est joueur et puissant, la mer agitée. J'ai choisit de revenir en bateau et non par la route parce que cela prendrais plus de temps. Et j'ai besoin de ce temps pour retrouver mes racines, retrouver qui je suis. Une larme coule le long de ma joue, bien vite voler par le vent farceur, et l'eau s'en retourne dans la mer. La dernière fois que j'ai foulée ces terres, maman était encore avec moi. Je ne peux pas dire sans mentir que cela a été une bonne idée de la suivre. A vrai dire c'était sans doute la pire erreur de ma vie mais que voulez-vous ? Je n'étais qu'une enfant. Et je n'ai pas beaucoup grandis. Les larmes continuent leurs route. Ma tristesse coule avec elles. Maman est morte. Je l'ai aimé et je l'aime toujours. Mais elle est partie maintenant. Maintenant je suis réellement une orpheline. J'observe les côtes qui se dessinent au loin. Papa les a vu lui aussi. Mais je n'ai jamais connu papa. Les larmes s'effacent et ma douleur avec. Il est temps de laisser le passé s'en aller.« Tu n'es peut être plus une enfant Luka. » Je me sermonne gentiment. Un sourire léger plane sur mes lèvres et s'en empare brusquement pour devenir radieux. J'écarte les bras un peu comme Titanic. J'entend le pêcheur qui m'amène sur les côtes de mon enfance ricaner légèrement. Pourtant je ne baisse pas les bras. Au contraire je les ouvre encore plus grand, comme si je pouvais accueillir Little Angleton dans mes bras. Je me réconcilie avec ma terre. Je me réconcilie avec moi même.
Le bateau arrive à bon port, encore fouetté par un vent vigoureux. J'attrape mon sac et le mets sur mon épaule. Je regarde le paysage d'un œil nouveau. C'est comme si je n'étais jamais venue, et pourtant... Pourtant la familiarité de ce lieu me fait l'effet d'un baume au coeur. « Merci ! A la prochaine ! » Le pêcheur sourit. Il est marrant, un peu vieux, le visage formé par la mer. « Bien sûr ! Au plaisir ! » Je pose un pied à terre. Un frisson me parcours le corps. Depuis combien de temps...? Un an. Un an déjà que j'ai pas respiré l'air fougueux de l'Écosse. Je n'osais pas y remettre les pieds depuis quelques jours. Maintenant c'est fait. Et je vais de ce pas au village pour prendre une chambre au Lonely Ghost. J'irais plus tard au Mystery. J'ai besoin de me reposer d'abord. J'ai besoin de me rassembler. Je fais quelques pas et sautille un peu. Ca fait du bien de remettre les pieds ici. Je fais quelques pas de plus et j'aperçois non loin une chevelure que je connais. J'ouvre les yeux. C'est...« Sakura ?... Sakura ! » Sakura, c'est une cousine à moi. A vrai dire on ne s'est pratiquement jamais parlé. Elle restait dans sa chambre, moi avec ma mère. Mais nous savions toutes les deux une chose : aucune de nous deux n'étaient très heureuse de vivre au manoir des Cross parmis de tels individus. Même ma mère me faisait horreur parfois. Je cours pour la rejoindre. Je ne sais pas pourquoi mais je suis heureuse de la voir. Quand elle s'est enfuie, Dorian était dans une fureur noire. Il hurlait qu'on ne quittait pas les Cross comme ça. Il hurlait que Sakura allait le regretter amèrement, qu'elle n'était qu'une petite insolente. Moi je comprenais. Mais je n'avais pas le droit de comprendre, alors je me suis tu. Et à mon tour je suis partie. Quand Dorian à tué maman. J'avais déjà prévu de partir, mais voilà, le départ était avancé. Je suis partie, Maël dans les bras.

code by shiya.

Nous sommes en fin d'après midi et je me promène dans les rues de Little Angleton. Après tout, je n'ai que ça à faire. « Et tes devoirs ? » me direz vous. J'ai prévu de les faire, ne vous inquiétez pas. Je vais les faire au Lonely Ghost. Et oui, j'ai pris de bonnes résolutions. J'ai décidé d'être plus studieuse. Enfin, il y a encore quelques cours que je sèche parce que je m'y ennuie ou je ne sais quoi. Alors même que ça pourrait m'être très utile et je le sais. Mais par exemple, mes cours de japonais, français et anglais, je n'y vais que rarement car je me débrouille très bien dans toute ses langues. Oui j'ai pris japonais en cours facultatif pour remonter ma moyenne, mais je n'y vais pas. Je ne sers à rien. Enfin bref, si un jour il me met un examen sous le nez, je répondrais à toutes ces questions. J'ai passé mon enfance là bas, j'ai été une vraie japonaise. Mais ce temps là est révolu ! Donc, il ne faut pas que je m'apitoie sur mon sort. Le passé c'est le passé, et on ne revient pas en arrière. Hakuna Matata ? Oui, je suis une adepte des Disney que je connais par coeur, ou presque. Mais je n'applique pas toujours les principes qu'ils disent.

Je passe devant le Lonely Ghost mais je ne m'y arrête pas. Je décide finalement de faire mes devoirs au calme, au port. Et j'y arrive plus vite que prévu, plongée dans mes pensées parfois pas très heureuses. Je finis d'ailleurs tout ça rapidement même si je sèche sur certains exercices que je décide de ne pas approfondir. Oui j'ai pris quelques petites bonnes résolutions mais il faut les appliquer avec douceur ! Vous verrez qu'à la fin, je ne ferais plus mes devoirs. C'est tout moi ça. Enfin bon, j'entends les vagues se fracasser contre les murets et contre la plage qui est un peu plus loin. Les bateaux tanguent avec le remoud de l'eau. Je m'affale un peu plus sur mon banc, c'est calme ici, après tout, ce n'est qu'un petit port, peu de bateaux arrivent ici. Et surtout pas des gros. Ça fait du bien d'avoir une ville aussi calme. Oui ce n'est pas une ville, c'est un village, mais est-ce que je vous ai sonné ? Non, alors chut. Malgré ça, quelques bateaux arrivent. Mais ils habitent par là, donc c'est tout à fait normal. Cette phrase est inutile. Que je suis bête ! Je me relève, prête à m'en aller quand j'entends quelqu'un qui m'appelle.

"Sakura ?... Sakura !"

Je me retourne, cette voix ne m'est pas inconnue mais impossible de dire à qui elle appartient. Je vois son visage. Je fronce d'abord les sourcils. Ce visage me rappelle que de mauvais souvenirs, le manoir des Cross, la mort de mes parents... Mais plus je l'observe, plus je me détends. C'est Luka, et elle n'est pas comme les Cross, elle était plutôt comme moi. Même si sa mère est Natasha. Tiens, elle l'a quittée ? Etonnant. Je m'approche légèrement de Luka qui porte un sac sur son épaule.

"Luka. C'est vrai que tu es une des rares de Croix à m'appeler Sakura."

Je ne lui souris pas, non pas que je ne l'apprécie pas, je ne la connais pas tellement. On s'est parlé quelques fois, à table quand mes parents étaient pas là et que je devais manger avec le reste des personnes. Ou alors dans les couloirs, elle me faisaient des sourires ou des signes de la main, discrets mais amicaux. Et moi, je restais le plus souvent froide, je ne dois pas lui avoir fait une très bonne impression... Et je continue d'ailleurs. Et oui, les personnes de Croix m'appelle plus Laure. Parce qu'il dise que je suis française et que c'est une honte ou je ne sais quoi à s'appeler Sakura. Et mes parents m'ont donné mon deuxième prénom français parce qu'ils savaient que sinon il y aurait quelque chose qui n'irait pas. Mais Luka a l'amabilité de m'appeler par mon prénom, mon vrai prénom. Je lui décroche alors un petit sourire, au moins pour la remercier de cela. Mais que fait-elle ici ? C'est étrange, habituellement, elle ne quitte pas Natasha. Et d'ailleurs, pourquoi venir près du Mystery Orphanage ? Certes, j'ai appris son existence et l'endroit où il était chez les Cross mais uniquement parce que je voulais m'enfuir. Mais elle ? Elle a sa mère, sa précieuse mère. Et puis, elle sait déjà tout ce qu'on apprend au Mystery. Bref, que fait elle ici, en Ecosse ? Une mission ? Non, Natasha ne l'y aurait pas envoyé seule. Alors, pourquoi ?

"Que fais-tu ici ?"

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Alors je tourne en rond, je revis nos souvenirs en boucle, dans l'illusion que le bonheur passé finira par déteindre sur le présent pour nous redonner un avenir.

J'ai rejoins Sakura. Je ne sais pas pourquoi mais un sourire imbécile me prend. Pourtant je ne la connais pas beaucoup Sakura, ce n'est pas comme si je tombais vraiment sur une amie, comme si je tombais sur Hayley ou Carla. Pourtant je suis contente. On a vécut le même genre de choses elle et moi, et même si nous ne nous parlions pas beaucoup cela nous rapproche beaucoup. Je lui souriais, la saluais gentiment, et j'essayais de l'aider. Ce n'est pas facile de vivre au manoir, on a l'impression d'être constamment surveillé, d'évoluer parmi des êtres cruels et froids. Je ne sais pas si nous avions réellement développé un lien elle et moi, mais il se trouve que nous sommes de la même famille, voilà tout. Sakura elle s'étonne un peu que je la nomme ainsi. C'est vrai que moi aussi j'avais un peu oublié. Je veux dire par là que pour moi il était logique de l'appeler ainsi. Ses parents avaient amoureusement choisi pour leur fille un prénom. Qu'il doit français ou non, quel importance ? Moi je m'appelle Luka. C'est un prénom de garçon. Voilà pourquoi ma mère rajoutais souvent Era après. Luka Era. Ou Era tout cours. Je crois que je détestais cela.

-"Que fais-tu ici ?"

Je remet d'un coup d'épaule mon sac qui commençait à tomber quelque peu. Une ombre triste passe légèrement sur mon visage. Je deviens quelque peu sombre. Fini le sourire débile, place à la douleur. Finalement où que j'aille, pas la peine d'essayer d'oublier, il y a toujours quelque chose qui fait que ça nous revient en pleine figure. Ce n'est pas hyper heureux. Bien sûr je ne suis pas là que pour de tristes raisons bien au contraire. Surtout depuis qu'Ange et moi nous nous sommes retrouvés. Je respire un grand bol d'air frais comme pour prendre un peu de courage dans la nature qui souffle tous l'air de ses poumons. Je ne sais pas trop quoi dire. Je n'ai pas de raison d'être vraiment là, si ? Revenir. C'est une raison valable ça ?

-" Je rentre à la maison."

Je regarde tout autour de moi. Il n'y a pas de doutes, c'est ma maison. Je me sens ici chez moi, parmi ce paysage découpé au couteau, fait d'une nature sauvage et rebelle, magnifique. Je suis chez moi ici, prête pour l'heure du thé, prête à sauter à nouveau de la falaise alors que la mer fait froidement rage, prête à en ressortir trempée et frigorifiée, un sourire immense sur les lèvres. C'est mon Ecosse. J'aurais pu revenir avec Ange, mais chacun avait ses affaires à régler de son côté. Et puis j'avais besoin de reprendre mes marques un peu seule. Ange repassera sans doute bientôt lui aussi, voir Pandora, le Mystery Orphanage. Je ne crois pas que les gens se rendent compte à quel point finalement nous avons grandi et à quel point nous sommes en même temps les mêmes enfants. Ici c'est un peu notre port d'attache, où nous attend notre mère.

-" Maman... Maman est morte. Je me suis enfuis avec Maël..."

Et je lui raconte ce qu'il s'est passé depuis son départ. Je lui dis que Gaël a découvert que maman aimait un sorcier, un autre Grey, le cousin de mon père et que l'enfant qu'elle attendait était de lui. Elle l'a presque tué mais il s'est enfui avant. Un humain noir du nom de Matt Drust l'a achevé apparemment. Dorian n'arrêtait pas de dire que cet humain payerait. Et puis Dorian a découvert ce qui s'était réellement passé. Il a voulu que maman s'en aille, avec moi, mais il a dit qu'il garderait Maël, vu que c'était un vrai sorcier et qu'il l'élèverait bien, qu'il prendrait la tête de Croix. Maman et lui se sont battus. Maman est morte. Dorian trop blessé pour me faire le moindre mal n'a pu que me regarder m'enfuir avec Maël. Je suis partie vivre à Londres, chez un ami à moi de la Police Magique (je ne lui ai pas dis que John était le chef de la Police magique, ni que nous étions ensemble). Que j'ai revus Ange. Et que me voilà, je rentre à la maison.

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Le sourire un peu niais qu'elle affichait s'efface peu à peu. La gaieté qui était dans ses yeux laisse place à la douleur, la tristesse et la souffrance. Elle remet son sac qui commence à tomber d'un coup d'épaule. Vous savez, le mouvements que tout le monde fait. Et des fois il sert plutôt à faire tomber le sac qu'à le remettre... Ou alors je suis la seule dans ce cas là. Ce masque de tristesse persiste, au fond, même si elle essaye de reprendre contenance, je vois bien qu'au fond quelque chose ne va pas.

-" Je rentre à la maison."

Maison ? Ce n'est pas le manoir sa maison ? Je ne comprends pas grand chose moi. Il est vrai que je ne connais rien de sa vie. Peut être que sa maison c'est ici comme moi, ma maison c'est le Japon. Et Dieu sait que je veut revenir à la maison. Et en y réfléchissant bien, j'aurais le même sourire que Luka en arrivant au Japon, les yeux qui brillent, peut être même des larmes qui arriveraient tellement je serais heureuse de revenir chez moi. Mon chez moi. Et puis après, on pose la question fatidique. Et là, on repense à tout ce qu'on a traversé. La guerre, les morts. La vie de Sorcier est dure. Surtout quand on vit chez des Sorciers Noirs, et qu'on ne veut pas en être.

"Maison ? Tu as déjà vécue ici ?"

Oui, voilà, je passe pour une grosse inculte mais au moins je la connaîtrais mieux. Et on pourrait se rapprocher. Et c'est pas plus mal. Alors voilà. Et mes phrases sont nulles. Et je vous emmerde. Alors voilà. Voilà. Vous avez dit voilà ? Aheum. Et puis, elle ne m'en voudra pas que je ne la connaisse pas. Je vois pas pour quelle raison, et puis c'est intéressant de connaître la vie des autres. Voir par quoi ils sont passés, qu'est-ce qu'ils ont fait jusqu'à maintenant ... Je m'intéresse à elle ! C'est déjà une grande évolution chez moi.

"Maman... Maman est morte. Je me suis enfuis avec Maël..."

Natasha... Morte ? Des étoiles brillent de mille feux dans mes yeux, j'essaie de me retenir de sauter de joie. C'est quand même sa mère. Mais j'ai une étape en moins dans ma mission suicide. La Cheffe de Croix est morte, vous vous rendez compte ! L'occasion en or. Elle me raconte également le reste de l'histoire. Apparemment, ça remonte à quelques mois déjà, donc la mission suicide ne sera pas pour tout de suite. Vu que Dorian a repris des forces depuis. Dorian, il est puissant celui là aussi. Même plus puissant que Natasha. Au vu de cette histoire, ça m'a l'air d'être lui le nouveau chef à présent. Je n'ai plus envie de sauter de joie désormais. L'obstacle est toujours là. Plus fort.

Je m'assoie sur le banc qui est à côté tout en écoutant la suite de son histoire. Maël, qui est son demi-frère et qu'elle n'a pas voulu laissé aux mains de Sorciers noirs. Londres, où elle est allée dormir chez un ami à elle. Ange, qu'elle a recontacté.

Et moi, qui ne comprend rien avec tous ces noms qu'elle sort. Incapable de mettre un visage dessus. Mais ça a l'air de lui faire du bien de vider son sac, alors je la laisse expliquer son histoire. Et j'arrive un peu à comprendre. Un peu hein, pas trop. Parce que n'oublions pas que j'ai vécu au Japon, je ne connais rien de l'Ecosse, de la France ... Enfin si, la France un peu plus. Et disons que je suis trilingue parce que je suis trop forte. Et puis ce mot existe. C'est moi la meilleure ! Et je ne sais pas pourquoi je sors ça d'un coup alors laissons tomber ce délire ahuri.

Et puis maintenant, je comprends mieux son terme de maison. Enfin, à peu près. Elle a dû passé son enfance ici, découvrir Ange, je pense et blablabla. Donc maison. Est-ce que je considère cet endroit comme ma maison ? Difficile à dire. Si je m'intégrais un peu plus peut être. Quoique, les gens se sont habitués je dirais et plus personne ne m'embête au moins. Ou me dévisage ou quoi que se soit. C'est plutôt un havre de paix pour moi. Mais la solitude règne dans mon coeur, et c'est parfois douloureux, surtout quand je me mets à y penser. Ce que je redoute fortement. Mais mon avenir ne me permet pas d'avoir des amis. Cela m'est interdit. Donc je reste seule, pour le bien de tous.

Je ne sais pas quoi dire à Luka, mais vraiment pas du tout. Enfin si, je pourrais lui demander comme c'est passé son enfance, que je sache réellement si elle était au Mystery toute sa vie. Mais après elle en a peut être marre de se livrer depuis tout à l'heure. Et quand je viens ici, j'aime entendre le calme, le bruit des vagues qui se fracassent contre les rochers au loin, les mouettes qui jacasses, les bateaux qui remuent... Je suis toujours au calme quand je viens ici, mais la présence de Luka ne gène pas, elle est même agréable parce qu'inhabituelle je dirais.

"Tu as passé ton enfance ici ?"

En espérant qu'elle ne me réponse pas juste oui. Sinon, un grand blanc s'étalera entre nous deux, infini. Et laissant les vagues emportés nos esprits. Le bruit de la mer me berce, doucement, calmement. J'aimerais dormir ici un jour. sous la forme de panthère, dans les sous bois, tout près, ça doit être super. Mais pourrais-je tenir ? Là est une tout autre question.

Alors je tourne en rond, je revis nos souvenirs en boucle, dans l'illusion que le bonheur passé finira par déteindre sur le présent pour nous redonner un avenir.

Les questions de Sakura me font sourire. J'ai l'impression d'avoir passé ma vie entière ici. Je ne me souviens pas d'un avant. Quand j'étais une orpheline comme une autre au Mystery Orphanage, j'avais même oublié le visage de mon père. Ma mère, cela m'était impossible : elle me rendait visite dans mes rêves. Mais je ne savais plus vraiment qui j'étais. Ma vie a commencé au Mystery Orphanage bien qu'on puisse dire que l'histoire commence avant, moi je suis née ici. Je suis née à trois ans. Je respire un grand coup. C'est l'air de l'Ecosse qui m'a accouchée. Il m'a laisser le respirer et a donné un nouveau sens à cette existence. L'étonnement que je sens en elle allume une flammèche de joie. C'est un sourire de naïveté, un bonheur minime mais innocent, oui, totalement innocent.

- J'ai l'impression d'avoir passé ma vie ici.

Ma vie, pas mon enfance, ma vie entière. J'ai 19 ans, j'en aurais bientôt 20. Le vent souffle encore. Ici au port il me semble qu'il n'a jamais cessé de s'époumoner. Il malmène nos cheveux qui s'envolent dans tous les sens. Ils fouettent ma peau avec une drôle de douceur froide. Je me sens poussée, gonflée par ce souffle d'air, parce cette respiration du monde qui entre en moi et bouscule tout. Le vent d'Ecosse. Si je n'étais pas métamorphe, je serais élémentariste vent. Je me débrouille plutôt bien avec cet élément, presque comme un pouvoir second. Je sais m'en servir, jouer avec lui, même s'il m'épuise rapidement.

- Je suis arrivée ici quand j'avais trois ans. J'en suis partie à 18 ans, et me voilà, je suis de retour.

Inconsciemment les souvenirs reviennent et affluent. Ils ne sont pas que images ou son mais aussi odeurs, sensations et goût. Il me semble sentir l'odeur d'un gâteau aux pommes maison en train de cuir dans le four alors que l'heure du thé approche et que nous allons tous nous réunir pour le prendre avec quelques pâtisserie. Le thé, ce breuvage âcre auquel je rajoutais constamment du sucre et parfois du citron. Le thé me semble indissociable du Mystery Orphanage. J'ai presque arrêté d'en boire quand je l'ai quitté. Avant j'en prenais une tasse quotidienne.

- C'est un des meilleurs endroits au monde pour grandir. Les gens d'ici ont beaucoup de chances. Tu sais, le manoir me semblait encore plus froid quand tu es partie. Dorian et Gaël étaient furieux.

C'étaient eux qui coordonnaient souvent nos entraînements car maman était occupée avec Croix et je me suis retrouvée seule, à suivre leurs ordres sans pitié, espérant naïvement ne voir ne serait-ce qu'une esquisse de sourire tordre leur lèvres. Sakura n'était plus là. Oui nous ne parlions pas, mais ne plus la voir... C'était étrange.

Luka sourit quand je lui pose des questions. Il est vrai que nous avons vécu ensemble un certains temps, mais nous n'avons jamais vraiment parlé. Nous vivions juste la même chose, la même douleur. C'est ce que nos regards qui se coursaient disaient, nos sourires échangés gênés également. Comment j'ai pu vivre aussi longtemps avec une personne, qui vivait la même chose que moi, et ne pas la connaître ? Je me sens idiote maintenant. Ca ne m'aurait rien coûté à l'époque de lui parler plus que d'habitude. On contraire, nous aurions déjà commencé à tisser un lien. Et une union avec une Cross ne me pose pas vraiment de problème. Dorian a tué sa mère, elle doit le détester. Encore plus qu'avant je veux dire. Et si elle me rejoignait dans mon but ? Enfin, n'allons pas lui proposer cela tout de suite, je n'ai pas envie de mettre fin à cette conversation plutôt agréable. Pleine de souvenirs pour elle.

"J'ai l'impression d'avoir passé ma vie ici."

Sa vie, carrément. Je ne sais même pas à quel âge elle est retournée chez les Cross, forcée ou non. Je lui pose donc la question, sa vie m'intéresse beaucoup, nous avons traversé la même chose, à des millions de kilomètres l'une de l'autre. Mais ca nous rapproche tout de même, car nous nous retrouvons, encore. Elle était ici, j'étais au Japon. Deux enfances volées. Deux cœurs brisés. Deux personnes qui détestent leur famille mais qui ne peuvent pas la quitter, pour leur plus grand malheur.

"Je suis arrivée ici quand j'avais trois ans. J'en suis partie à 18 ans, et me voilà, je suis de retour. "

Je crois que je le savais. Je ne me rappelle plus très bien mais qu'importe. Effectivement, on peut dire qu'elle a passé sa vie ici. Surtout quand on sait qu'on ne se souvient plus de ce qu'on était quand on était bébé. De toutes façons, on est que des bébés, cette perte de souvenirs n'est pas regrettable. N'allons pas lui parler de quand elle est née. Elle ne s'en souvient pas, évidemment. Et puis, elle doit se dire que sa vie commence à ses trois ans. Donc ne la froissons pas et restons courtois.

"C'est un des meilleurs endroits au monde pour grandir. Les gens d'ici ont beaucoup de chances. Tu sais, le manoir me semblait encore plus froid quand tu es partie. Dorian et Gaël étaient furieux. "

"Oui, c'est un endroit merveilleux. Les personnes sont aimables et toujours prêtes à t'offrir leur aide. Ahah, ca ne m'étonne pas, excuse moi ..."

D'être partie. De t'avoir laissé seule avec ces fous furieux. De ne pas être restée pour te tenir compagnie. D'avoir fui, comme la lâche que je suis. De ne pas t'avoir parlé plus tôt. Je m'excuse de tout avec ces deux mots. On aurait sûrement passé deux meilleurs moments, on aurait enduré ensemble et ca aurait été sûrement plus simple. Mais c'est trop tard, alors j'essaie de me rattraper, même si je sais pertinemment que ces deux mots ne changeront rien. Cela ne fera pas revenir nos parents. Cela ne fera pas revenir nos vies d'antan.

Du coup, je ne sais plus quoi dire, car je m'en veux. La culpabilité me ronge ou presque. J'ai agis en égoïste, c'est mal.

Alors je tourne en rond, je revis nos souvenirs en boucle, dans l'illusion que le bonheur passé finira par déteindre sur le présent pour nous redonner un avenir.

C'est un endroit merveilleux... A y songer vraiment, je me demande pourquoi je suis partie. Quelle idée étrange de penser que je pourrais être heureuse en reniant mon bonheur passé. J'y croyais sincèrement. J'avais pourtant une famille qui ravissait mon coeur, mais le sang est tout n'est-ce pas ? Sebastian me l'a répété encore et encore, alors qu'il portait ses coups dans l'idée de me le graver dans le corps. Je sentais qu'il n'était pas de ceux qui me haïssait purement et simplement. Pour lui, j'étais une honte, mais une honte de famille et on ne tourne pas le dos à la famille. J'étais comme l'handicapé qu'on cache dans le placard, la tare, l'accident de parcours dont il faut subir la présence. Il y avait comme une sorte d'attachement, si ce n'est d'amour, dans ses sentiments et quand il me faisait souffrance, le plaisir qu'il avait était moindre comparé à celui de Dorian ou même de Gaël quand il était en vie.

Sakura s'excuse. Il y a comme une gêne qui vient en moi. Je sais que c'est la mienne. Car le soulagement qui était là avant était aussi le mien. Je ne veux pas être soulagée qu'elle s'excuse. Elle ne me doit rien. On ne se connaissait pas. C'est dur de comprendre que je lui en ai voulu finalement. Elle avait eu la chance de partir et je l'accablais de cela. Me laissant seule alors que... Je ne demandais qu'à ouvrir les yeux sur la tristesse dans laquelle j'étais tombée, la souffrance que j'endurais. Avant, il me suffisait parfois de lui jeter un coup d'oeil pour me dire que je n'étais pas seule. Dans l'état dans lequel j'étais, cela me semblait le plus important. Rien d'autre ne comptait. Drôle de pensée pour une solitaire comme je peux l'être.

- Merci.

Ce simple mot m'écoeure car il ne devrait pas être. Le vent balaye encore et encore la scène avec une fougue qui revigore. C'est une tempête de sentiments qui se reflète dans la nature. J'aime le frisson qui me prend face à la fraîcheur de l'Ecosse. Je serre ma veste un peu plus.

- Mais tu n'avais pas à t'excuser. Tu as fait ce qu'il fallait faire.

Je pose une main sur son épaule pour accompagner mes paroles et aussitôt j'ai l'impression de faire tout de travers. Je suis née avec un don qui devrait me faire comprendre les sentiments. Je sais les décrypter, les analyser très facilement, mais savoir quoi faire, cela m'échappe. Et le remord qui ronge Sakura, bien que j'aimerais pouvoir l'effacer, je ne m'en sens pas capable. Je tente un sourire, mais c''est une étrange grimace qui étire mes lèvres. Je n'ai pas encore recouvrer la capacité de sourire normalement. Je ne savais plus ce que c'était, là-bas, en France.

- Tu es au Mystery ? C'est eux qui m'ont élevé. Vraiment élevé.

On ne parle pas d'autre chose ici que de cet amour immense dont j'ai été entourée. Mon coeur se serre à l'idée de ceux que j'ai meurtris. J'aurais aimé que cela se passe différemment. Mais non, cela s'est passé comme ça. C'est tout ? Peut être, l'avenir nous le dira. Mais je suis prête à essayer de réparer mes torts, malgré l’appréhension qui me ronge.

Luka me remercie. Cela ne m'empêche pas à continuer de culpabiliser. J'veux dire, j'ai eu une enfance géniale, accompagnée de parents géniaux, d'amis et amies plus magnifiques les uns que les autres, je connais tout ça, l'amour, la générosité, la compassion, ça fait partie de moi. Vraiment. Et c'est comme si j'avais tout oublié. C'est surtout que … J'veux pas revivre la perte de tout ça. J'ai juste ressenti une énorme déchirure, j'la sens encore, on m'a pris un gigantesque bout de moi même, j'suis vide. Ya plus rien là où y avait tout l'amour et tous les souvenirs et tous les gens. Rien que des traces des gens que j'ai laissé derrière moi. Rien que des traces que mes parents ont laissé.

Rien que des cicatrices que les Cross se sont amusés à graver dans ma chair, pour me punir, pour punir mes parents. A croire que maintenant j'ai plus que ça, du vide, des souffrances, de la peine, de la peur. Et beaucoup de haine vis à vis d'eux. J'rechercherai toujours la vengeance pour tout ce que j'ai dû enduré par leur faute. Toujours. C'est à cause d'eux que je n'ai pas réussi à me lier avec Luka pendant que j'étais au manoir. Pourtant, ça se voyait, ça se sentait, non ? Qu'elle était dans le même cas que moi. Qu'elle ne voulait pas être là.

Mais non, j'étais butée et je voulais juste atteindre mon but. Et je me suis enfuie, loin, pour apprendre ailleurs un moyen de devenir plus forte. Dans un endroit calme et paisible. Où l'amour règne effectivement. Mais encore une fois, j'ai pas envie de me lier aux gens. J'ai pas envie de les reperdre, encore. J'ai pas envie de reconstruire quelque chose pour tout reperdre. Parce que je connais la blessure, elle est encore là, béante et brûlante.

Et pourtant, ya bien eu Ian. Ian qui essaie de m'introduire à sa bande de potes. Des fois ça passe, des fois ça casse. J'reste souvent dans mon coin, des fois je refuse, des fois j'm'amuse. C'est vrai qu'ils sont sympa. J'me laisserai presque tenter, parfois, de me lier avec eux. Quand j'ai un éclat de rire qui me fait oublier tout la souffrance endurée. Et puis le trou hurle et je me replonge dans mon mutisme, je m'éloigne. Et je sais pas quoi faire de tout ça. J'sais juste que ça fait mal. Est-ce que j'ai envie de ressentir toute cette perte à nouveau un jour ? Non. Décidément, non. Est-ce que le bonheur qui s'écoule dans le présent n'en vaut pas la peine ? Est-ce que se lier avec des gens ne rend pas le présent plus facile, moins douloureux ? Assurément que si. Alors moi voilà perdue.

« Mais tu n'avais pas à t'excuser. Tu as fait ce qu'il fallait faire. »

Je croise mes mains sur les genoux, enfonçant mes ongles dans la chair déjà bien marquée. Luka pose sa main sur moi, je la regarde. Elle essaie de sourire, je dis bien essayer car ce qui s'en suit ressemble plus à une grimace qu'autre chose. Alors j'éclate d'un rire franc et honnête. Un rire qui n'était pas sorti depuis bien longtemps, devant l'incongruité de la chose. J'avais oublié ce que c'était même.

« Pour toi aussi c'est dur, pas vrai ? De revenir « comme avant », normale. D'avoir des expressions normales, de ressentir des choses. Ça me fait limite tout bizarre de parler... »

Toujours perdue à ne pas savoir quoi faire, entre la mission que je me suis fixée et ne plus vouloir ce trou dans la poitrine, qui s'agrandit, qui veut que je plonge dedans, m'oublier, jamais ressortir. Et avoir une vie plus facile, plus joyeuse, plus simple et plus joviale. Une vie comme on en rêve en somme.

« Tu es au Mystery ? C'est eux qui m'ont élevé. Vraiment élevé. »

J'hoche la tête avant de me remettre à parler.

« Je... ne pouvais plus rester au manoir. C'était suffocant, trop douloureux, trop dur. J'ai fouillé pour trouver une mention de cet endroit et j'ai bien galéré pour venir jusqu'ici. Mais j'y retournerai un jour, pour prendre ma revanche sur eux ... »

Moi qui ne voulait pas en parler, c'est trop tard. Tant pis. Au moins Natasha est déjà morte, je n'aurais pas à peiner Luka de ma main, c'est déjà ça de pris.

Désolée de ne pas avoir parler de mes plans avec toi. Désolée de ne pas être partie avec toi. Désolée de ne pas t'avoir attendu. Désolée de ne pas avoir fait un pas vers toi... Désolée désolée désolée ... Désolée pour tout ...

« Ici, ça me fait penser à ma vie d'avant. Pleine de joie et de bonheur, de calme, de sincérité et de générosité. Entourée par des gens aimants qui se soucient de toi. Mon soucis est plutôt que je n'arrive pas... Plus, plutôt, à me lier aux autres, j'ai trop peur de reperdre tout ça. J'l'ai déjà vécu une fois, je sais que ça fait énormément mal. Je sais pas comment j'arrive à survivre déjà. J'ai pas envie de recommencer... »

J'espère que Luka saura me guider, peut être qu'elle vit la même situation, peut être que … Sauf qu'elle, retrouve les gens qu'elle a connu. Les miens sont de l'autre côté de la planète. C'est peut être là bas que j'aurais dû retourner... Mon soucis est que je n'avais pas trouvé de mention d'école de magie au Japon au manoir. Mais, j'aurais peut être pu... Juste oublier … ?

Dernière édition par Luka E. Grey le Jeu 5 Nov 2020 - 21:56, édité 1 fois

Jeunesse ! sois humaine, sois généreuse. Si même nous nous trompons, sois avec nous, lorsque nous disons qu'un innocent subit une peine effroyable, et que notre cœur révolté s'en brise d'angoisse

- Émile Zola

Le vent qui souffle ébouriffe mes cheveux. Je retrouve l'air marin de l'Ecosse, cet air qui a enflé mes poumons jusqu'à me faire exploser de joie quand enfant je courrais à perdre haleine, au bord de la falaise, au bord de l'insouciance. J'avais cette impression de vivre, le cœur battant à tout rompre, de vivre comme il n'est pas permis de vivre, d'être interdite et coupable et de jouer avec le feu. Et je jouais avec les limites, je franchissais les frontières, juste au bord, toujours au bord, le rire dans le vent. Il y avait Ange derrière, qui veillait sur moi, et pas vraiment de démon. Il y avait Ange, et tous les autres, nos joies sous les nuages. Et quand je regarde le port, calme au milieu des bourrasques, je revois aussi nos escapades enfantines, la fascination de Louis pour les marins-pêcheurs. J'ai les souvenirs devant les yeux pendant que Sakura laisse la vérité éclater sur l'impossibilité de revenir vraiment.

Je hoche la tête, heureuse de son rire, triste de ses mots. Il n'y a plus de « comme avant », il y a juste avant. Et le décalage que nous vivons elle et moi, cet espace insidieux qui s'est glissé entre le passé joyeux et le chaotique présent, ce décalage perturbe notre relation avec l'instantané. Nous vivons comme avec quelques secondes de retard, ou d'avance, pour prévoir le malheur. Et Sakura me le confirme, n'évoque brièvement sa vie d'avant que pour contraster avec la souffrance qu'elle a vécu ensuite, avec ce passé dans lequel elle reste coincée. Il n'y a pas d'avenir possible pour Sakura autre que la violence, cette vengeance comme revanche. Il n'y a pas d'avenir, parce que le présent est dangereux, instable. On ne peut pas se fier au présent, il risque de disparaître bien vite. Le bonheur est forcément éphémère, c'est la vie qui nous l'a appris. Il ne reste de cela que la méfiance.

Les paroles de la jeune fille font résonner en moi une douleur étrange. Je reconnais la sienne, mais elle se mêle à mes propres sentiments. J'ai envie de lui dire que ça ira et tout le monde ici sait que ce serait mentir. Je n'ai pas le droit de dire cela, mais c'est un devoir de la consoler. Mon visage se referme un peu, parce que j'ai la trouille. J'ai la peur au ventre, la pétoche derrière le nombril. Je pourrais presque vomir ce que je n'ai pas manger, la nausée me venant. Je détourne le regard, essaye d'apercevoir à travers la campagne qui s'étale loin devant le Mystery Orphanage. C'est comme si j'espérais que se dessinerait le toit, quelque part au dessus, sous les nuages. J'ai peur. C'est presque à reculons que je reviens vers Sakura, le cœur en berne.

- Oui, oui moi aussi c'est dur.

Je peine à l'avouer. Chaque mot m'arrache la bouche, me fait rager, rugir intérieurement d'une honte que je n'assume pas. Cette sensation me dévore, elle me brûle.

- Je sais pas si on peut se retrouver. J'ai laissé une Luka joyeuse en quittant les falaises de l'Ecosse... Je ne serais jamais plus cette Luka-là. Je veux être heureuse, mais je ne suis plus la même.

C'est un goût amer, une constatation terrible. Il y a entre cette enfant qui riait à gorge déployée, cette enfant au milieu des autres et la personne que je suis devenue comme un fossé où pourrissent les horreurs que je veux taire à jamais, celles que je ne veux plus regarder, que je n'ose pas regarder.

- Je crois pas qu'on puisse oublier. Y'a quelque chose de dégueulasse là-dedans. Mais le temps aidera peut-être. J'sais pas, j'ai juste peur de me voir dans les yeux des autres.

Le temps aidera. C'est un des grands principes de la vie et j'espère y croire un peu. On peut y penser comme cette colère qui s'évanouit la nuit passée, le chagrin qui s'endort après les larmes... Je veux que mon rire laisse un jour derrière lui cette tonalité effrayé que l'on peut entendre comme un écho. Un vrai rire. Et plus de peur et de rancœur dans le regard des autres, de ceux que j'ai blessé.

- On est obligée, non ? De tout recommencer ?

Je demande sincèrement. Parce que ça non plus, j'sais pas.

Je sais qu'on vit sensiblement la même chose. Je sais que c'est égoïste de ma part de demander de l'aide, des conseils, alors que même moi je pourrais pas le faire pour elle. J'suis perdue, avec tous mes sentiments contradictoires. J'pense que j'essaie de trouver en elle, quelqu'un qui peut se mettre à ma place, qui peut au moins me comprendre, m'accepter telle quelle, avec tous les défauts qui font que ma vie est un enfer.

"Oui, oui moi aussi c'est dur."

Je hoche la tête. J'ai plus de mots. J'ai déjà tout dit. Elle sait déjà. Elle sait mieux que quiconque même.

"Je sais pas si on peut se retrouver. J'ai laissé une Luka joyeuse en quittant les falaises de l'Ecosse... Je ne serais jamais plus cette Luka-là. Je veux être heureuse, mais je ne suis plus la même."

Nouveau hochement de tête. C'est peut être plus facile d'arriver dans un environnement inconnu, où on peut être qui on veut. Où personne ne nous jugera pour ne pas être aussi souriante qu'avant. C'est peut être plus facile de revenir dans un environnement familier, avec des visages connus, du réconfort, des habitudes à retrouver, des gens qui nous aiment malgré tout. Des gens qui comprennent ce par quoi on est passé.

Est-ce que j'aurais réellement pu retourner au Japon ? Est-ce que j'aurais pu faire face à mes amies ? Est-ce que j'aurais pu retrouver le sourire plus facilement ? Est-ce que ma quête aurait été différente si j'y étais retourné ? J'aurai pu décider de tout oublier, de retrouver ma vie d'avant, ou d'essayer du moins. J'aurais pu décider d'être heureuse.

"Je crois pas qu'on puisse oublier. Y'a quelque chose de dégueulasse là-dedans. Mais le temps aidera peut-être. J'sais pas, j'ai juste peur de me voir dans les yeux des autres."

« T'as peur qu'ils ne te reconnaissent pas ? »

Peur de voir ton reflet de ce que tu es devenue. Faire face à ce que tu es désormais. La peine, la douleur. J'ai pas besoin de voir mon reflet pour ça. Ça irradie de moi à chaque instant.

Peut être devrais-je mieux profiter de ces pipes aux odeurs alléchantes que se font tourner Ian et ses amis. Mais le réveil n'en serait-il pas plus dur ? C'est toujours la même rengaine.

"On est obligée, non ? De tout recommencer ?"

J'hausse les épaules.

« Je suppose que ça dépend ce que tu entends par recommencer. Faire une nouvelle vie, comme si rien ne c'était passé, te fiant à ton caractère de départ, retrouver la joie et la gaieté. Ou tout recommencer en prenant toutes tes peurs et tes peines en compte, te forgeant une nouvelle toi. Ou une autre définition. »

Je relève la tête, la regardant dans les yeux.

« Dans tous les cas, on est obligé de vivre. »

Pour nos parents, pour ceux qui nous ont aimé. Ceux qui nous ont quitté en nous protégeant. Ceux qui sont encore là.

« On a encore des aspirations, des espoirs. Notre cœur bat encore. Peu importe les objectifs qu'on se fixe, peu importe la voie qu'on choisit dans ce recommencement après la tempête. Ca peut aussi juste être la continuité, accepter toutes les plaies, faire avec, continuer à avancer. Et être ok avec nous même. »

Je suis pas encore ok avec moi même. Je sais pas encore ce que je veux. Bonheur. Vengeance. Bonheur. Eviter la peine. Vengeance. Vengeance pour éviter la peine. Vengeance pour que plus jamais ils ne viennent me chercher. Vengeance pour ensuite accéder au bonheur.

Oui, mais entre temps ?

« Comment on fait pour se reconstruire, pour se relever, pour accepter toutes les parties de soi ? C'est bien beau les beaux discours, sauf que le concret. Concrètement, j'sais pas quoi faire. Mon cœur balance. Ma tête balance. Mon cœur me dit de m'ouvrir, de profiter, de rire à nouveau, de te dire viens on va faire une cabane dans les arbres, faire du camping dedans et parler toute la nuit, rire pendant des heures. Ma tête dit « et quand elle sera plus là ? Tu seras dévastée, encore. T'as envie ? Non. » et ça fait mal. J'suis tous les jours tiraillée dans les deux directions opposées. Concrètement, j'suis perdue. »

Et j'peux pas t'aider plus que je ne peux m'aider moi même. J'peux être une épaule sur laquelle pleurer si tu veux. Tu peux parler. Tu peux crier. Tu peux hurler. Sauf que, peut être que y'a des fois où je le voudrais pas.

Dernière édition par Luka E. Grey le Sam 20 Mar 2021 - 22:15, édité 1 fois

Le cri des mouettes prend du volume dans l'espace sonore. Ce n'est pourtant pas le retour de pêche, mais elles s'échinent à faire des tours autours du port, à guetter le moindre bout de poisson qui traîne. Je suis captivée par le mouvement de leurs ailes et l'aigle en moi souhaite les rejoindre. Mes paupières battent un instant, comme frénétiques, puis reprennent un rythme plus lent quand mes yeux se reposent sur Sakura. Je n'arrête pas d'être happée par tout ce qui n'est pas notre conversation. Si je voulais m'en détourner, l'éviter, faire l'autruche, je ne m'y prendrais pas d'une autre manière. Je me laisse emporter par le moindre détail qui capture ma souffrance et l'emporte au loin. Cette peur incapacitante demande un échappatoire, une distraction légère, le plus petit mouvement. Oui j'ai peur et la discussion a pris un tournant qui me met mal à l'aise. Tout cela parce que je n'ai pas de réponse. Pauvre fille muette.

- Non... Moi je ne me reconnais pas. Eux, j'ai peur qu'ils me haïssent.

On ne revient pas comme cela, après tant de mal. Je n'ai pas été un ange, j'ai heurté beaucoup de gens. Ce n'est pas comme si j'étais simplement partie.

- J'peux pas ignorer ce qu'il s'est passé.

J'ai les main dans les poches, comme une ado renfrognée. J'ai l'air coupable d'une petite bêtise, à shooter dans un caillou qui traînait là. Je le regarde s'éloigner, se stabiliser, ne plus bouger et j'ai envie de l'envoyer plus loin, avec la violence de la rage. J'ai l'impression qu'on m'a volé quelque chose, un tas de possibilité. C'est la faute à personne, le destin d'une fille paumée. Comme si je n'avais pas eu le choix... C'est faux. J'ai eu le choix. J'ai choisi. J'ai eu tort.

Sakura a ses propres questionnements. Je ne sais pas plus lui répondre que je ne sais poser des questions. J'aimerais être plus à l'écoute, compatissante, aidante. J'en suis actuellement incapable. Cela n'a jamais été mon fort, malgré l'empathie. Aujourd'hui, cependant, c'est autre chose : je ne peux pas, je n'ai pas les ressources en moi. Je suis fatiguée. Et cette fatigue incapacitante me peine. Cela fait de moi quelqu'un d'autocentré, qui ne peut pas voir au delà de ses propres problèmes. Il me semble alors que je me ferme au monde pour ressasser une litanie inquiétante, la mélodie de ma propre souffrance. J'entends ce qu'elle dit, je l'entends, mais je peine à l'écouter vraiment. Mes yeux se remplissent de larmes qu'emporte le vent. Juste une ou deux. Comme les promesses des jours passés.

- Je crois que tu es plus sage que moi.

Mes yeux se sèchent et j'ai honte d'avoir pleuré un peu. Je crois que je suis perdue dans le capharnaüm de mon angoisse.

- Moi non plus, je sais pas. J'ai que des discours, rien d'autre. Et j'y vais à reculons. J'ai la trouille d'y refoutre les pieds et qu'on me ferme la porte au nez. Je sais pas si j'pourrais être heureuse ou pas, apprendre à ignorer cette peur, la peur de tout perdre encore. Et que ce soit ma faute... Encore.

Mon nez renifle, rougi par le froid. J'esquisse un sourire maladroit, puis un rire éraillé, cynique. Pourquoi croit-on qu'on a le droit au bonheur, un droit comme un dû ? Le droit se conquière et moi je geins ici, devant Sakura, parce que le rejet est mon pire cauchemar.

« Non... Moi je ne me reconnais pas. Eux, j'ai peur qu'ils me haïssent. »

« C'est tes amis. Ils viennent du même monde que toi. Tu penses pas qu'ils pourraient comprendre ? »

Comprendre ce par quoi tu es passé. Comprendre tes tiraillements. L'amour d'une mère, aussi mauvaise soit-elle, quand on rien, ça fait ptet un peu rêvé.

« Si t'as envie de prendre le temps de leur expliquer... »

Si t'as envie de revivre tout ce par quoi tu es passé. Si t'as envie de raviver la peine et la douleur. Pour qu'ils puissent accepter, t'aider. Si t'as la force de pouvoir leur expliquer...

« T'as sûrement des gens qui sont là pour toi ici, profites-en. »

Tu t'es déjà forgée une famille ici. C'est pas juste des inconnus. T'es pas la nouvelle qui vient d'arriver et qui peut pas aligner deux mots. T'es avec des gens qui savent qui tu es. Réellement, au fond de toi. Ptet que cette Luka reviendra, éventuellement, avec le temps. Chasser le naturel et il revient au galop, après tout. Ptet que c'est plus simple dans un environnement connu, finalement...

« J'peux pas ignorer ce qu'il s'est passé. »

« Personne te demande de le faire. »

Personne a dit de faire page blanche, de tout gommer. Sérieux, on était chez ces putains de Cross. Qui peut dire ici qu'il a vécu cet enfer ?

« Si t'as envie de leur parler, parle leur. Laisse leur le temps de digérer. Si t'as envie de juste profiter de leur compagnie, pour essayer d'oublier, fais le. J'pense qu'ici, personne t'imposera quoi que se soit. Juste, explose pas juste parce que t'as gardé tout ça à l'intérieur. »

Fais pas comme moi. Te renferme pas. T'as des amis. Profite. Profite.

Et moi ?

Luka lance un caillou plus loin. Ouais. On a fait mieux comme conversation de retrouvailles, n'est-ce pas ? J'suis clairement pas un modèle de vie. J'suis pas forcément la personne qui faut trouver pour parler de choses positives, gaies. Désolée de faire remonter tout ça, j'm'accroche un peu à ce que je connais, à ce que j'ai vécu avec toi. Et c'est des horreurs.

« Je crois que tu es plus sage que moi. «

Un rire jaune.

« J'en suis pas si sûre. J'suis incapable d'appliquer mes propres conseils. »

Incapable. J'sais pas si ça t'aide tout ça Luka. Ptet que ça fait juste remonter le pire, et des fois on en a pas envie. C'est juste pas le moment. Bravo cousine, t'as vraiment cassé l'ambiance. Ta seule alliée, et voilà les souvenirs que tu lui fabriques. Bravo Saku, bravo bravo.

« Moi non plus, je sais pas. J'ai que des discours, rien d'autre. Et j'y vais à reculons. J'ai la trouille d'y refoutre les pieds et qu'on me ferme la porte au nez. Je sais pas si j'pourrais être heureuse ou pas, apprendre à ignorer cette peur, la peur de tout perdre encore. Et que ce soit ma faute... Encore. »

J'sais pas quoi dire. J'ai plus trop les mots. Comme si j'avais déjà tout dit. Elle a le droit de pas m'écouter. J'dis juste les trucs évidents, les phrases générales que n'importe qui dirait. « Parles en, ça fait du bien quand ça sort. T'es pas seule. » Barbant.

« Aie confiance en tes amis. »

J'aurais aimé avoir des amis magiques. Dans mon monde d'avant. Pour leur raconter, pour m'épancher sur eux. Pour être soutenue. J'ai pas envie que se soit Ian mon soutient. J'veux pas le bassiner avec mes histoires, parce que lui aussi, c'est pas tout rose chez lui. Tout le monde ici a vécu le pire, d'une manière ou d'une autre. Myaw, qui est là depuis bébé ou presque, ne connaissant que les professeurs et les résidents. Luka, on and off. Ange, Hayley, les autres, qui ont sûrement vécu des jours pas beaux.

J'les connais pas assez. J'veux pas leur imposer tout mon gouffre. Mes peurs, mes peines, mes espoirs, ma vengeance.

Si tu veux, si ils veulent pas de toi, j'leur casse la gueule.

Et on ira casser des gueules à deux ensuite.

Je suis pas légitime pour dire ça. Elle peut pas avoir confiance en moi, comment pourrait-elle ? C'est la seule vraie conversation qu'on a. Et regardez sur quoi elle tourne. La grande joie, hm.

« Désolée d'avoir fait remonter tout ça. »

Gênée, je tousse et regarde mes pieds. Sakura, élue meilleure des cousines 2012.

Le précipice qui m'avale n'est autre que le sien et un écho reflétant l'abysse qui siège en mon sein. Sakura et moi sommes des miroirs, les produits parfaitement brisés de la violence familiale. Les Cross ne connaissent pas la sanité de l'amour. Nous sommes deux pauvres âmes qui hurlent dans un silence assourdissant, de peur de briser plus encore le frêle équilibre mental, de rompre les amarres avec la réalité. Et pourtant, entre elle et moi, il y a un gouffre, les bas fonds de nos différences qui nous font chacune peut-être un peu envier l'autre. Je la trouve indépendante et forte, mais elle se sent seule et faible. Elle a rencontré mes amis et semble penser que j'ai résisté à bien des choses alors que j'ai trahie mes amis et que j'ai l'impression de couler, de ne plus respirer qu'un air coupable.

- Oui, il y a des gens ici qui m'attendent.

Et toi tu ne sembles pas vouloir en avoir. Un peu de jalousie ou d'amertume. Je me sens triste pour elle, autant que je le suis pour moi. Le destin ou une autre connerie nous a fait naître avec ce nom affreux, telle une marque invisible dont on ne se séparera jamais vraiment. J'entends ce qu'elle dit comme les conseils qu'elle se murmure parfois, sans croire un moment à s'écouter aussi. Et elle le confirme en l'oralisant juste après. Une bourrasque de vent soulève nos cheveux déjà en bataille et emporte ses mots dans les airs. Je hoche la tête à ce qu'elle a dit. Laisse leur le temps. Ce temps que je leur ai volé, à s'inquiéter de moi ? Celui où je les ai blessé ? Aie confiance en tes amis. J'ai plus confiance en eux qu'en moi, et pourtant oui, la peur qui me paralyse les croit incapables de me pardonner.

- Désolée d'avoir fait remonter tout ça.

Je fronce les sourcils, un peu déstabilisée de cette culpabilité que je suis plutôt prompt à m'imposer à moi-même. En quelques sortes, j'ai cette fâcheuse tendance à rabattre vers moi le moindre malaise, le plus petit reproche, la faute inventée. Et voir ce que je m'inflige habituellement s'appliquer à quelqu'un d'autre me fait prendre du recul. C'est ridicule, cette idée que si le monde ne tourne pas rond, c'est entièrement notre faute, que les gens autour de nous ne font que désespérer ou mourir et qu'il n'y a pas d'alternative au malheur que l'on impose. Il y a quelque chose du trauma qui résonne dans ces pensées absurdes, incontrôlables, qui envahissent nos esprits avides d'une imaginaire rédemption. Nous n'avons pourtant pas commis ces crimes. Doucement, je m'approche de Sakura. Sans plus un mot, je la prends dans mes bras, maladroitement. Les quelques secondes qui passent ainsi me font désespérément comprendre à quel point nous sommes proches et lointaines. Je m'écarte lentement, gardant mes mains sur ses bras. Mes yeux se plantent dans les siens.

- Désolée d'avoir fait remonter tout ça.

Deux coupables dont le cœur pourrait chavirer à chaque instant, s'émietter de la douleur des souvenirs, de ces lésions du passé qui ne se referment pas.

- Merci, Sakura. D'être là.

Les mots se bousculent et se bloquent. Je n'ai plus de paroles, plus de gestes. Mes bras retombent le long de mon corps, immobiles et me laissent incertaine de ce qu'il adviendra. Est-ce que l'on se retrouve dans la douleur ? Peut-on forger des liens ainsi ? Sakura et moi, sommes-nous promises à être autre chose que la réverbération de nos traumas respectifs ? J'espère qu'un jour il nous sera possible d'exister l'une pour l'autre autrement qu'à travers le prisme des Cross.

Le temps coule comme la rivière dans son lit. Les espaces qu'on se donne pour rélféchir à nos propres réflexions, qu'on aimerait voir l'autre appliquer, qu'on ne suit pas soi même. Comme si on était les deux faces d'une même pièce, toutes les deux. Si semblable, et pourtant différente. Deux passés différents mais une racine commune.

J'aimerais vraiment pouvoir me rapprocher d'elle, mais pas à travers des horreurs qu'on a vécu toutes les deux. Certes, ça amène à se comprendre, à savoir ce par quoi l'autre est passé. Mais j'aimerais tisser du lien, parfois. Savoir qu'on est comprise, entendue, soutenue. Bordel que ça manque. J'aimerais effacer tout ce qu'on a vécu, qu'on se soit connue quand on allait bien toutes les deux, aller vers elle et être « Bonjour, je suis Sakura, tu veux bien être ma copine, cousine ? ». Du lien qu'on choisit, bien plus fort que le lien du sang.

Mes amis et amies représentaient tant pour moi. Bordel que ça manque. Toujours autant tiraillée entre son désir d'avoir du lien et son désir de vengeance qui n'amènera que la souffrance. Est-ce que je suis prête à créer de nouvelles amitiés si c'est pour les trahir pour accomplir mon besoin ? Est-ce que je suis prête à avoir de nouvelles relations dans ma vie si c'est pour les abandonner quand l'occasion se présentera ? Parce que je ne laisserai personne m'accompagner dans ma mission. Hors de question que quelqu'un d'autre prenne ce risque.

Et si … Ils le voulaient ? Non. Je me refuse de penser à cette éventualité. J'irais seule. Point.

Bordel que ça manque.

J'ai déjà fait un premier pas avec Ian, non ? Pourquoi pas continuer sur cette lancée ? Aller mieux, le temps de.

« Oui, il y a des gens ici qui m'attendent. »

Je souris. Profite Luka, profite du lien. Fais ce que je me refuse à faire.

J'aimerais tant retourner au Japon. Tant. Mais aucun de mes ami.e.s ne pourraient comprendre tout ce qui m'est arrivé ces dernières années. Et je ne les imposerai pas à ça. Le monde innocent est déjà bien assez compliqué sans leur rajouter la magie en prime. Et tous mes problèmes de noirs avec.

Et si j'étais à la place de Luka, avec son passé, ses ami.e.s qui connaissent le secret, qui connaissent son passé si noir, j'aurais fait quoi ? Je sais pas... Je sais pas.

Le temps file comme l'oiseau dans le vent. La brise chahute nos cheveux.

Une paire de bras m'enserre, je me fige et me raidis un petit moment, surprise, avant de me détendre, déplier mes bras et de serrer Luka à mon tour contre moi. Je niche même ma tête sur son épaule.

Bordel que ça manque.

C'est comme si un poids s'était envolé. It feels so good, so great.

Peut être que finalement, ça vaut le coup.

Trop tôt à mon goût, – depuis combien de temps n'avais-je plus reçu d'étreinte si spontanée et si pleine d'amour ? – Luka se redresse mais garde ses bras sur mes miens. Je pose une de mes mains sur la sienne.

« Désolée d'avoir fait remonter tout ça. »

Je hausse les épaules l'air de dire que c'était rien, i'm used to it, it's okay. Et si ça nous fait du bien au final, pourquoi pas ? Pouvoir extirper tous ces maux.

« Merci, Sakura. D'être là. »

Ses bras retombent le long de son corps. J'me sens vide, un peu seule, mais un peu mieux quand même.

« Anytime. »

Je passe à mon tour mon bras autour de ses épaules et vient la serrer contre moi. On est pas seule. Toutes les deux. Même après toutes les horreurs, on trouvera toujours des gens sur lesquels compter. Avec lesquels ou pourra oublier. Avec lesquels on pourra parler. Avec lesquels on pourra être amie.

« J'aurais bien aimé t'avoir rencontrée dans d'autres circonstances. J'aimerais bien qu'on soit … Amies. »

Pour de vrai. Pas juste parce qu'on est cousine donc on est obligé de s'aimer. Quoique chez les Cross ça veut pas dire grand chose hm. Mais qu'on se choisit, et qu'on est bien ensemble et qu'on pourra affronter les futures épreuves ensemble. Envers et contre les Cross, haha.

- Anytime.

Le bras qui m'entoure à son tour se pose comme une surprise sur mon coeur. Le sien bat contre ma poitrine et je sens la distance s'évanouir. Toutes nos différences et nos douleurs deviennent ridicules et ne portent plus de sens. Le vide se fait peu à peu, le bruit autour s'évanouit. Il n'y a que le ressac de la mer et le bruit du vent qui sonnent comme une berceuse pour perdre le reste dans un tourbillon de néant. Il ne reste que la sensation de ses bras autour de mon corps, son cœur qui bat, et cette mélodie d'Ecosse qui me fait chavirer. Mes muscles se relâchent presqu'entièrement et je me laisse aller à ce moment hors du temps.

- J'aurais bien aimé t'avoir rencontrée dans d'autres circonstances. J'aimerais bien qu'on soit … Amies.

Sa voix brise doucement la bulle qui s'était créée. Mes paupières papillonnent et mes pieds s'ancrent à nouveau sur le bois et le béton du port. Je reviens sur Terre, aussi surprise de la retrouver que de l'avoir quittée. Faire un mouvement est une chose, je n'attendais pas de retour. Une pointe de bonheur brûle mon cœur de ce geste anodin, de cette demande anodine. Je vois en Sakura la sœur qui aurait pu être la mienne, la femme que j'aurais pu entraîner au bout du monde et que j'aurais volontiers suivie. Ce n'est ni Carla, ni Hayley et pourtant, leurs visages se superposent au sien. C'est la famille, bien plus que le sang.
J'ose un sourire maladroit.

- Nous ne sommes pas amies, dis-je d'une voix plus douce qu'à l'accoutumée. Nous sommes la famille. La vraie.

J'attrape ses mains, toute chose de cette sensation qui se confirme. Je tremble un peu : une partie de moi est restée en France, malheureuse et coupable. J'ai du mal à croire que je respire l'air de Little Angleton sans plus en être une fugitive. J'ai du mal à croire que Sakura n'est plus au manoir et que nous nous voyons hors de nos prisons dorées. Les oiseaux de feu ont pris leurs envols.

- Celle qu'on choisit.

Et le vent scelle ces paroles dans une bourrasque forte, comme une promesse qu'il ne peut emporter, même avec toute sa force.