La chaleur me fait voir trouble

La matinée avait été plutôt tranquille aujourd'hui, ce qui avait contribué à ma bonne humeur. Les élèves s'étaient trouvés avoir tous faits leurs devoirs, cancres compris, ce qui était extrêmement rare de nos jours.
Étant donné ces circonstances, les deux cours de la matinée s'étaient passées dans la joie et la bonne humeur, sans énervement. Je souris, tandis que mes pas hasardeux se baladaient lentement dans la petite ville de Little Angleton. Je ne savais pas trop quoi faire aujourd'hui. Le soleil était rayonnant, et mes lunettes sur le nez, je regardais à droite à gauche, tentant de trouver une occupation dans cette ville, puisque je m'étais décidé à ne pas rentrer chez moi avant la nuit tombée.

Finalement, mes pas me guidèrent jusqu'au café du coin, le "The Lonely Ghost". Les mains dans les poches, je m'y dirigeais d'un pas nonchalant. Il n'avait pas changé depuis mon arrivée dans cette contrée d'Écosse. Le gérant de la boite devait avoir l'habitude de me voir venir traîner chez lui.
Pourtant, aujourd'hui, je n'éprouvais nullement le besoin de me voir devenir amorphe. je voulais bouger, courir, sauter. Me dépenser, en somme. Évidemment, je ne comptais pas le faire ici, pour soigner mon image de professeur tranquille et sérieux.
Il eut été facile de partir loin d'ici, de me transformer et de parcourir les magnifiques paysages autour de l'orphelinat et de la ville. Mais c'est alors qu'une flemme indéchiffrable m'empêcha de faire le moindre pas.
C'est donc avec une attitude déconcertée que je poussais la porte du bar, mon autre main siégeant dans le fond de la poche de mon pantalon. Je m'étais vêtue d'une façon plutôt chic, ce qui n'était pas vraiment mon habitude : pantalon de toile noir, chemise blanche (les deux boutons du haut ouverts) et croix catholique stylisée pendant à mon cou.
Pour ne pas paraître crâneur, j'enlevais mes lunettes dès mon apparition dans le bar. Il n'y avait pas vraiment de monde. Ça me plaisait. J'observais les quelques personnes présentes, sans forcer le regard pour ne pas avoir l'air malpoli. Un ivrogne, sa choppe de bière vide gisant à côté de lui; un homme assit près du comptoir, sirotant tranquillement sa grenadine et une femme aux cheveux roux, qui croisa un instant mon regard.
Je n'y fit guère attention, et m'installa près du comptoir, assit sur une chaise haute.

Je profitais de la présence du gérant du bar pour parler un peu avec lui, connaître les news pas si intéressantes du village, simplement en gentil garçon qui s'enquit des personnes qu'il fréquente. Puis, je demandais une limonade bien fraîche, histoire de me désaltérer.
D'un côté, ce n'était pas vraiment gentil de paraître aimable et poli, sans l'être réellement en soi-même. Mais c'était devenue une habitude, et je me plaisait à la suivre. Je baillais doucement, un peu fatiguée par la chaleur; un lit ayant provoqué la même sensation.

Soupirant, je regardais alentours, m'arrêtant longuement sur les vitres du bar, et plus particulièrement sur son extérieur. Je n'osais même pas penser à la température. Mauvaise journée...
Je reportais mon attention sur ma limonade et en bu une gorgée. Le liquide gazeux eut du mal à se déverser en moi, car je n'étais pas vraiment fana des sodas. Je mis ma main en accoudoir pour mon menton, et fermais les yeux. Une chaise bougea derrière moi, sans que j'ai l'envie de me retourner.

La peur de la pluie.

Je ne m'étais pas trompé sur l'origine de la personne qui s'était levée de sa chaise. La grande rousse. Mais la suite avait été contraire à mes pensées.
Voyez-vous, au lieu de quitter bien gentiment le bar, elle s'était dirigée vers moi. Doucement, mais suffisamment pour se faire remarquer.
Elle s'assit près de moi, et demanda d'une voix presque violente qu'elle désirait un diabolo menthe. Au début, je crus donc qu'elle ne désirait pas engager ne serais-ce qu'une discussion. Et ce n'était pas plus mal.
Mais le destin en fut autrement.

-Touriste aussi hein? On se perd vite ici. En plus, il n'y a rien à faire. Avait-elle dit.

Puis, comme je n'avais pas vraiment envie de parler, elle posa cette question.

-Au fait, j'oublie la politesse. Natasha, et vous?

Natasha, hein? Jamais entendu parler. Pas étonnant qu'elle me demande si je suis un touriste. Un asiatique ne se baladerait pas ici s'il ne travaillait et n'habitait pas en ce lieu. Mais elle avait l'air d'être réellement en touriste, elle. Je ne voulais pas avoir l'air suspicieux, mais je préférais me méfier des étrangers, par mesure de sécurité. Cependant, malgré sa demande, je ne pus m'empêcher de l'ignorer. J'avais tout mon temps pour lui parler.
Mais elle n'était pas de cet avis, et ce fut ce regard terrifiant qui m'obligea à délier ma bouche.
D'une manière plutôt nonchalante, je me retournais vers elle, inspira un bon coup, et tenta une phrase :

-Je m'appelle Ren. Dites-moi, vous n'avez pas l'air d'être du coin, pour me demander si je suis un touriste. Que venez-vous faire par ici? Little Angleton est un coin paumé comme bonjour.

Son visage se radoucit l'espace d'un instant. Elle avait cependant un air toujours sérieux, attentif et presque charmeur.
Au moment de discuter avec elle, je sentis bien que la discussion finirai par tourner, en bien ou en mal. À moi de m'assurer à ce que je ne termine pas en mauvaise posture.
On apporta le diabolo à Natasha, qui sirota une gorgée. Je me retournais face à mon verre, espérant que la discussion se terminerai rapidement. Pourtant mon voeu ne fut pas accepté, et Natasha attira mon attention en belles paroles.

Le calme avant la tempête.

J'avais mal soigné mes paroles... Mais au moins, je préférais savoir que les gens me connaissent tel que je soit, et pas tel que je le montre. Résultat des courses, ses vannes ne firent pas grand effet, même si je ne peux pas vraiment y rester indifférent trop longtemps.

-Je viens voir de la famille. Vous êtes donc d'ici? Vous faites quoi...? Mannequin, vendeur d'habit? C'est un petit coin pourri pour le genre de personne que vous semblez être, Ren.

Ha ha. Drôle de personnage. Plutôt jolie, mais vraiment teigneuse. Je n'ose vraiment pas imaginer son travail. Si elle en a un, tout du moins. Étant professeur, j'apprends rapidement à ignorer ce genre de remarque piquante et mal placée. Certes, je n'avais pas bien commencé, mais je n'avais plus aucun désir de recommencer à zéro.

-Je vous dérange, n'est-ce pas Ren?

C'était quoi son problème, à cette dénommé Natasha ? Elle voulait de la baston? M'énerver? Me taquiner? En tout cas, elle ne me portait certainement pas dans son cœur. Je soupirais. Comment cela allait-il se terminer? Allait-il falloir que je lui montre mes pouvoirs, afin qu'elle me lâche les baskets? Mais qui était-elle, à la fin?

-Il est vrai que j'habite dans un coin paumé, mais je m'y plait. Et si vous avez besoin de chercher des noises à quelqu'un, ce n'est pas à moi qu'il faut s'en prendre. Je n'ai pas été sympathique, soit. Mais votre attitude ne m'engage en rien à l'être.

Et voilà. Je n'aimais pas montrer ma nature violente et méchante, mais là, il le fallait. En plus de mes mots non encourageants, j'avais fixé Natasha d'une façon plutôt mauvaise.
Puisque je n'avais pas prévu de passer ma vie ici, n'y même d'y rentrer en premier lieu, je sortis de ma poche quelques sous, les posait sur le comptoir, et me levai de ma chaise. Natasha me fixai toujours de cet air impoli. Mais ce n'était plus mes affaires. Si elle me cherchait encore, je me contenterais de l'ignorer.

-Bon, je dois faire mes cours maintenant, alors à plus tard, lançai-je en sourire avenant au gérant du bar.

Je m'apprêtait alors à sortir du bar. La clochette sonna et je fus à l'extérieur. Mais tout n'était pas encore fini. Natasha me suivait. je me retournais alors face à elle, et attendit encore une de ses remarques, prêt à tout.

L'orage se calme lorsque les rayons du soleil apparaissent...

Elle me tapait sur le système, cette femme. Qu'avait-elle pour me juger? Me connaissait-elle, un minimum? Rien que d'y penser, j'avais envie de vomir. Mes mains me démangeaient un peu, et je serrais les poings pour stopper ma nature violente. Serrant les dents, le visage de Natasha refusa de s'effacer de mon esprit. Je secouait la tête, essayant d'effacer cette image malsaine.

J'étais loin de me douter qu'elle allait me rejoindre. Qu'elle n'allait pas me lâcher.
C'est avec une vois presque... tout à fait différente, qu'elle me demanda :

-Vous enseignez où, les cours je veux dire.

Comment? Maintenant, elle s'intéressait à moi? drôle de changement d'attitude. Je relevais un sourcil, suspicieux. Ça cachait quelque chose, c'était certain. Je n'étais pas du genre à me laisser influencer de cette manière. Je suis plutôt rageur quand on m'énerve, et je suis loin d'oublier qui sont mes amis et mes ennemis.
Or, je ne la place pas dans mon coeur. Donc! Il n'y a aucune raison que je lui parle de moi, puisqu'elle s'en contrefiche de toute façon.

-Vous êtes pressé?

Bien sûr que je suis pressé. Je n'ai rien à dire, je n'ai rien à faire, si ce n'est rentrer chez moi et préparer mes cours comme je l'ai si bien fait remarqué. Et puis, je suis un idiot. Si seulement je pouvais me taire, j'aurais pu éviter cet élan de miaulement plaintif chez Natasha.
L'espace d'un instant, je ne pus que me maudir. Et puis, de toute façon... Maintenant que je suis dans cette situation ambigu, lourde de compréhension -que je ne saisis pas vraiment, à vrai dire-, il faut que je me sorte de ce pétrin. Tâchant de garder mon sang-froid, je répondis :

-Oui, je suis pressé. Et je ne vois pas pourquoi ma situation de travail vous intéresse tant que ça. Avez-vous une quelconque affaire qui me concernerait? Dans ce cas, mieux vaut vous adresser à moi, au lieu de me parler comme d'un chien, puis de réclamer des informations, comme vous le faites.

Paf! Retour à l'envoyeur. De toute façon, si c'était aussi important pour qu'elle fasse les yeux doux après m'avoir engueulé, elle devrait m'en parler, pour trouver sa réponse. C'était tout à son avantage. Bien sûr, elle devrait remballer son orgueil un instant, mais ça ne devrait pas lui faire de mal. Non mais! Un peu de respect, dans ce monde de fou! D'accord, elle est plus âgée, mais c'est pas une raison. Et puis, je me comporte bien avec mes amis. En tout cas, elle allait devoir faire preuve de beaucoup de sang-froid... À moins que mes paroles ne fassent dégénérer les choses encore plus.
Je soupirais en me mettant la main sur le front, l'air désespéré.
Quel idiot...

Et l'arc-en-ciel se présente lorsque les gouttes rencontrent M. le Soleil...

-Répondez-moi juste où vous enseigner. Je ne demande rien de méchant me semble-t-il.

Cette phrase n'avait pas été prononcé avec méchanceté, et je commençais sérieusement à douter de mon énervement. Mais ce n'est pas encore assez, et je n'étais pas décidé à lui dire quoi que ce soit, tant que elle, de son côté, n'aurai pas fait un effort considérable pour me mettre au courant.
Finalement, ce fut chose faite, car elle hésita longuement avant de se lancer dans cette phrase, peu sûre.

-Je...Je connais quelqu'un dans un orphelinat, voila.

Quelqu'un de l'orphelinat? Certainement pas un élève, puisqu'un orphelinat porte ce nom uniquement parce qu'il s'agit d'enfant sans parents. Un des membres du personnel, peut-être? Il faudrait que je me renseigne la-dessus.
Cependant, conscient que la rousse m'ait au moins confiée quelque chose, je lui dis alors :

-Je suis en effet professeur à l'orphelinat Mystery. avouai-je au bout de quelques secondes de silence.

Son expression changea, sans que je ne réussisse à déchiffrer cela. Puis, finalement, je lui demandai :

-Qui est la personne que vous recherchez? À mon avis, vous ne pourrez pas vous rendre au Mystery comme ça, sans que personne ne vous aperçoive. Je peux vous aider si nécessaire.

Mon ton avait été poli, comme si je rencontrais cette femme pour la première fois de ma vie. Comme si je participais à une rencontre parents-professeurs, comme lorsque j'étais encore à l'école.
Je voulais repartir en de bon termes avec elle, car son ton s'était quelque peu modifié et que j'appréciais mieux cela.
J'ignorais cependant la suite des évènements.