[Ce rp se déroule la veille de la prise du Mystery]

Je me suis levée tôt ce matin. Il fait particulièrement beau pour une journée de printemps. Il était temps que le soleil se présente enfin. Les gens de l'orphelinat commencent à déprimer sinon. C'est drôle ce que ça influe sur l'humeur des personnes. J'inspire profondément et commence à me préparer dans le plus grand secret. Je marche sur la pointe des pieds, car il est vraiment très tôt et je ne suis pas sûre d'avoir le droit de sortir maintenant. Je n'ai plus de tuteur me direz-vous, ça ne fait plus de tort à personne de me voir sortir sans autorisation. Je n'ai jamais eu affaire à de méchantes personnes après tout. Ou bien je m'en suis toujours bien sortie jusqu'à présent. Je file dans la salle de bain commune sans déranger personne. Il y en a certains qui ronflent, c'est vraiment dérangeant. Il doit être aux alentours de six heures du matin et on est en week end. Les gens dorment plus longtemps. Je ne suis même pas sûre que les adultes soient debout à cette heure. Si j'ai pu me réveiller, c'est grâce au vibrage de mon téléphone. Un réveil sous l'oreiller et je vous assure qu'on se réveille vraiment bien. Idgy dort encore un peu sur ma couverture. Je le regarde en souriant.

Passons à présent à la raison de ma bonne humeur matinale. En vérité, la veille, Matt m'a envoyé un message. Il m'a demandé de le rejoindre au niveau des grottes. Il m'a aussi dit de prendre autant d'affaires que possible, sans me charger. Mais de toute façon, j'ai tellement bougé que je n'ai pas énormément d'affaires personnelles. De plus, la moitié étaient des cadeaux de mon précédent tuteur et... j'ignore où elles se trouvent. Peut-être bien dans sa maison, même si elle est à présent inoccupée. Peut-être devrions-nous faire un passage rapide chez lui. Je privilégie le sac à la valise à roulettes, car cette dernière risque de faire un sacré tintamarre. Il ne m'a pas donné ses raisons, mais en tout cas, visiblement il a décrété qu'il allait s'occuper de moi. À moins que l'on ne parte en voyage ? Je ne sais pas, mais tout cela m'excite beaucoup. Je trépigne presque d'impatience à l'idée de le revoir. Matt avait disparu de la surface terrestre depuis quelques jours, il commençait vraiment à me manquer. Ça me fait plaisir de recevoir un message de lui. Mais mon grand frère m'a demandé ça du jour au lendemain, je me demande quelle mouche l'a piqué. Qu'importe, je le préfère lui à tous les autres élèves, à tous les autres professeurs. C'est une raison conséquente pour conduire mes choix à un seul résultat. Le suivre. Peu m'importe où il m'emmène.

Je finis de prendre quelques affaires. Tout au plus trois robes, deux pantalons, mes sous vêtements et un ou deux t-shirt. Je m'habille chaudement, parce que même si le soleil nous illumine, bien que caché par quelques nuages, il est quand même 6h. Je prends alors des collants, une jupe orange chaude, un t-shirt un peu trop large pour moi et un sweet beige. Je pose mon manteau sur mon lit et file dans la salle de bain pour finir ma toilette. Pas de douche, je risque de réveiller tout le monde sinon. La toilette de chat faite, je reviens près de mon lit, saisis mon manteau et réveille doucement Idgy. Ses yeux papillonnent doucement et sa gueule s'ouvre pour lâcher un bâillement. C'est l'occasion d'observer sa magnifique dentition. Je câline le sommet de son crâne et me plie en deux pour mettre mes chaussures. Plates si possible. Elles ressemblent à de petites ballerines noires. Je mets mon manteau et mon sac sur le dos. Il est plus lourd que je ne le pensait. Mais ce n'est pas bien grave, la grotte n'est pas si loin que ça.

Doucement, je me mets sur la pointe des pieds et sort en refermant doucement la porte du dortoir. Je soupire à ce moment, moins soucieuse. Je suis tellement intriguée par le message de Matt que je ne peux m'empêcher de le relire. Il n'y a rien de particulier. Prendre ses affaires et se rejoindre là-bas. Jusqu'ici, je suivais ses instructions. Un peu plus rapidement, mes pas retentirent dans le grand hall. C'était le moment du sprint. Le Mystery pouvait cacher des pièges pour empêcher les jeunes de sortir, on ne savait jamais. Alors, une fois dehors, je me remis à marcher. Idgy me suivait tranquillement. De son côté, il trottinait. Il était hors de question que je me sépare de lui. C'était absolument inconcevable.

Je parcoure alors les plaines et arrive près de la grotte. J'y suis déjà allée auparavant, ça me rend nostalgique. Terriblement nostalgique. Est-ce qu'il va me falloir quitter cet endroit ? Je ne sais pas, alors je préfère taire ces pensées. Je suis peut-être venue un peu trop tôt. Peut-être que je suis inquiète, quelque part. J'inspire tandis que je n'aperçois pas Matt. Me mettant à l'entrée, je pose mon sac et laisse Idgy monter sur mes genoux. Les minutes passent lentement, lorsqu'une silhouette se dessine au loin. Comme mon fennec est sur mes genoux, je fais simplement un signe de la main et crie :

-Matt, je suis là !

Espérons simplement que je ne me sois pas trompée de personne, sait-on jamais, ce pourrait être un professeur ou même une personne étrangère. Après tout, je vois juste qu'il s'agit d'un homme, à sa carrure. Et puis, je ne vois pas un homme se balader de si bonne heure près des rochers...

&

L'ombre se dessine lentement devant moi. Plus cette présence approche, plus je me dis qu'il y a quelque chose de louche, quelque chose de lourd derrière tout ça. Mais je lève la main, lui fait signe, l'appelle. Peut-être que c'est Matt. Qui cela pourrait-il être d'autre que Matt de toute façon ? J'incline la tête de côté, comme pour être sûre de ne pas me tromper. Je plisse les yeux, l'observe au loin. Mais ce dernier se stoppe soudainement. Il se stoppe et c'est mon fennec qui saute de mes pieds. Il me faut cinq petites secondes avant de baisser le regard sur cette chaleur disparue. Et l'instant d'après, j'ai l'impression d'être bousculée. Enlacée, embrassée. Je ne ferme pas les yeux mais quelques larmes naissent au bord de mes yeux, sans tomber. Matt. Matt est là. Il est juste là, derrière moi. L'espace d'un instant, j'oublie tout. J'oublie qui je suis, qui il est, ceux qui me connaissent, l'existence même. J'apprécie ce moment, bien qu'il soit éphémère. Terriblement éphémère. Son grand frère sortait de la grotte. Que faisait-il dedans ? Pourtant, je me souviens bien avoir été dans un appartement. Ça se passait bien, alors pourquoi en est-il réduit à ça ? Est-ce qu'il a besoin d'argent ? Est-ce que je peux faire quelque chose, moi, dans tout ça ? Je me sens bien rapidement inutile dans tout ce qui se déroule sous mes yeux.

Et ce même regard qui pointe son nez devant le visage de Matt. Je manque de hurler. Qu'est-ce... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi... Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Est-ce que c'est encore son travail ? Oh Matt, n'y retourne plus. Je ne veux pas que quelqu'un te fasse du mal. Il ne m'en a jamais parlé. Il ne m'a jamais dit ce qu'il faisait là-bas. Mais il ne rentrait jamais avec des blessures pareilles. Pourquoi ce visage ? Est-ce que c'est de ma faute, quelque part ? Je ne sais pas, je n'en sais rien. Beaucoup de pensées se mélangent, si bien que je ne suis même plus sûre de ressentir mes propres émotions. Peut-être que mon don y est un peu pour quelque chose.

Je ne peux pas rester silencieuse. Pas lorsqu'il est là, devant moi, avec ces blessures, cet air fatigué, ces yeux ternes. Non, je ne dois pas non plus lui faire de la peine. Alors je ravale mes sentiments, je m'essuie les yeux du revers de la main et le fixe tout en me pinçant la lèvre inférieure. Mais qu'est-ce que je peux lui dire ? Comment ça va ? Qu'est-ce que c'est que ça ? Et s'il n'a pas envie de m'en parler ? Je ne peux pas le mettre dans l'embarras. Il a l'air encore plus fatigué que moi, qui vient pourtant à peine de me lever. Par-dessus tout tôt et en week end. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Ma bouche s'ouvre, pour se refermer. Elle s'ouvre une nouvelle fois, décidée. Pourtant, aucun son n'en sort. Je ne suis pourtant pas muette.

- On doit partir Nephilim.

Je sursaute. Partir ? Partir, maintenant ? Oui, oui je sais j'ai dit que ça ne me dérangeait pas, que de toute façon, j'étais résolue à partir. Et pourtant, maintenant qu'il m'en parle. Maintenant qu'il exauce enfin mes prières et m'emmène loin d'ici, je ne veux plus. J'ai confiance en lui plus qu'en n'importe qui d'autre. Mais l'orphelinat. L'orphelinat il m'a vu depuis plus longtemps. Et ce Matt là me fait un peu plus peur. Qu'est-ce que c'est la vie pour lui ? Est-ce qu'il se bat vraiment comme ça ? Est-ce qu'il tue ? Je ne sais même plus si nous en avons déjà parlé. Je ne suis plus sûre de rien. Mais me demander de partir comme ça... C'est dur. Idgy me fixe. Son regard transperce mes prunelles comme si lui était capable de sonder mon esprit mieux que quiconque. Je ne l'entends pas me parler, mais je perçois ses émotions à travers les miennes. Mon fennec veut que je me décide. C'est un drôle d'animal. Je me demande si ce n'est pas lui, au final, qui m'aide le plus à me décider.

Alors, partira ou partira pas ? La réponse sonne comme une évidence, l'action me paraît plus dure. Quitter tout le monde, du jour au lendemain. Sans aucune gêne, sans prévenir personne. Ce n'était pas « bien », si ? Non, ça ne l'était pas. Il fallait au moins prévenir la directrice, ou un professeur, ou n'importe qui, du moment qu'on ne m'oublie pas. C'est peut-être ça dont j'ai peur. Être oubliée. Et pourquoi me demande-t-il ça d'un seul coup ? C'est vrai ça, je lui ai demandé tant de fois de m'emmener au loin, il a toujours voulu me ramener à l'orphelinat. Maintenant... maintenant il me dit de rouler mes affaires et d'emporter tout ce que je peux. Comme ça.

-On devrait prévenir la directrice pour...

Je ne finis pas ma phrase. Je suis le prolongement du regard de Matt. Je regarde cette personne au loin. Cette personne qui s'est avancée. Ses mauvaises pensées sont si fortes qu'elles parviennent même jusqu'à moi, qui suis censé les canaliser plutôt que de les subir. J'ai peur. Je tremble. Je regarde Matt. Il passe une main devant moi, comme pour me protéger. Il sort une arme, un pistolet. Mon regard fait la navette entre son expression si dure et ce qu'il tient dans la main. Qu'est-ce qu'il veut faire ? Il ne va pas lui tirer dessus, quand même ? Je ne veux pas voir ça, non, je ne veux pas. Alors, je m'accroche de toute mes forces au vêtement de Matt et ferme les yeux. Je voudrais voler. Oui, voler au-dessus de tout. Des plaines, des misères, de la violence, de tout.

Je me fais propulser en arrière, mais c'est Matt qui me protège. Je rouvre les yeux, affolée. Où sommes-nous ? Pourquoi ? Est-ce que cet homme te veut du mal ? À moi aussi ? J'ai l'impression de voir trouble, mais je secoue la tête. J'ai envie de vomir. Est-ce que c'est le stress ? C'est ça ce que ça fait de se faire attaquer ? De sentir cette aura menaçante au loin ? Mais Matt est fort. Matt se relève, prêt à tirer. Je veux lui dire d'arrêter, mais je n'en ai pas la force. Mon grand frère se prend un deuxième coup de plein fouet. Il tombe à la renverse. Je me dirige rapidement vers lui, tombe. Il est là, il respire encore bien, mais il est essoufflé, fatigué. Il faut que je fasse quelque chose. Idgy est caché dans la grotte. Qu'il y reste, je ne veux pas qu'il lui arrive un malheur par ma faute.

Je regarde Matt qui me tend son arme. Son pistolet. Une arme qui peut blesser, voir même tuer. Il me la tend d'un air presque si naturel. Se figure-t-il une seule seconde de qui je suis ? J'ai 13 ans. Qu'espère-t-il que je fasse ? Je n'en ai pas la force, je n'ai pas cette force psychologique qu'ont les hommes de son âge. Je ne vaux rien.

- Nephilim, fais quelque chose ou on meurs.. Cet homme est un sorcier noir, je le sais, il ne nous attaquerais pas sans raison

Sa voix me ramène à la terre ferme. Un sorcier noir ? Les méchants. L'orphelinat nous a souvent parlé d'eux. Sanguinaires. Est-ce que c'est vraiment une de ces personnes ? Je tremble mais me saisis de l'arme. Faire quelque chose. C'est beaucoup dire pour une fille comme moi avec un pistolet dans le main, face à un homme dans la force de l'âge, prêt visiblement à nous tuer. Mais est-ce que j'ai envie de mourir pour autant ? Non, pour une fois que j'ai de quoi être utile. Je me lève, je regarde cet homme qui s'est rapproché. Je peux voir son visage, à présent. Il est presque chauve. Il me regarde avec cet air si malfaisant. Je tends les deux mains perpendiculaires à mon corps, et dans le prolongement de celles-ci, l'arme, pointée vers l'homme. Il ne bouge pas, mais il me regarde. Je n'aime pas son sourire. Il est tellement révélateur. Vas-y, tire. Il me le demande. Mais il sait mieux que moi que j'en suis incapable.

-Je ne peux pas...

Je souffle ces mots. Incapable. Mais je ne quitte pas l'homme du regard. Je le fixe. Longuement. Et puis, d'un seul coup, il disparaît. Téléporteur. Je ne cherche pas à comprendre, je sens sa présence derrière moi et un drôle de phénomène se produit. Ma peur mêlée à ma colère déclenche aussitôt le pouvoir que je n'arrive pas du tout à maîtriser. Et cette peur est tellement forte qu'elle amplifie encore davantage ce pouvoir. En fermant brutalement les yeux, je relâche toute cette énergie et l'homme comme Matt se prennent de plein fouet toutes mes émotions mêlées. J'ai tâché d'orienter mon pouvoir vers l'homme et c'est pourquoi ce dernier se retrouve projeté à plusieurs mètres. Je sais que si je ne ressens pas encore la fatigue, c'est parce que je suis sous le choc. Je ne sais pas comment va Matt. Je ne sais même pas si avec tout ça, je l'ai assommé sans faire exprès. Je veux juste savoir quelque chose. Je veux qu'il me le dise, même si c'est un gros mensonge. Sans quitter l'homme du regard, je m'adresse alors à Matt.

-Même si c'est le plus gros mensonge de ta vie, dis-moi que si je tire, ça ne fera que l'endormir.

Moi, je suis une lâche. Je veux que ce que je m'apprête à faire soit de sa faute, entièrement de sa faute. Mais je ne peux pas le faire s'il ne me persuade pas que c'est bien de le faire.

Mon regard se pose sur l'homme étendu à terre, un peu plus loin. Il n'y a rien que je puisse faire. Et pourtant si. Je dois tirer. Mais si je tire, je sais ce qu'il adviendra de cet homme. Pourrait-il l'éviter ? Mais ne serait-ce pas pire pour lui ? Cette arme est la pire chose que j'ai pu tenir entre mes doigts. Matt me regarde aussi. Mon coup a dû l'affaiblir aussi. Mais je ne voulais pas lui faire de mal. Tout ça, c'est à cause de ce sorcier. Mon regard se durcit face à l'homme à terre, un peu plus loin. Je raffermis ma prise sur le pistolet. Tire. Tire. Mon cerveau tourne en boucle. Mes doigts tremblent. J'ai l'impression que mon crâne va exploser sous cette pression, et pourtant il me faut rester debout, et garder la tête froide. J'inspire. J'expire. Je suis grande. Il faut que j'arrive à garder mon sang-froid. Pourtant, des larmes perlent sur le coin de mes yeux. C'est trop dur. Alors je me referme dans le mensonge. Je n'aurai pas tout le temps du monde si je ne tire pas. Cet homme viendra, me tuera, nous tueras. Je serai responsable de ta mort. Je ne veux pas. Alors, je me mens à moi même.

- Tirer ne fera que l'endormir, Nephilim.

Je manque un battement. Respire à petites foulées, comme si j'allais tomber dans les pommes. Affolée, démunie alors même que je tiens la mort dans ma main. Je ne veux pas tirer. L'homme se relève. Il secoue la tête. Je recule d'un pas. L'arme gesticule entre mes mains moites. Il faut viser.

Ça ne fera que l'endormir.
L'homme me regarde. Il ne sourit plus.
Ça ne fera que l'endormir.
Il se tient la tête. La mienne explose.
Ça ne fera que l'endormir.
Je ferme les yeux, tâche d'oublier tout, sauf ce murmure.
Ça ne fera que l'endormir.

J'inspire brusquement, sentant la magie au loin se rapprocher. Brutalement, brusquement, cette magie se retrouve face à moi. J'ouvre les yeux, le voit durant une micro seconde. Son regard, sa main prête à fondre sur moi, ma main sur la détente. Un sursaut. Il est juste devant moi. La seconde me paraît terriblement longue. Ça ne fera que l'endormir, alors c'est maintenant.
Le brusque bruit retentit à mes oreilles. Mes yeux se sont fermés. Mais ils se rouvrent comme pour voir ce qu'il s'est passé. Mes doigts tremblent toujours autant, mais mon index est profondément enclenché dans la détente. L'homme devant moi s'écroule. Semble me fixer pendant une longue minute. Moi, je ne bouge pas. Je ne comprends pas. Il était à bout portant. C'était un téléporteur. J'ai... je l'ai...

Mes doigts lâchent enfin le pistolet. Disons que je m'évertue plutôt à l'envoyer au loin. Mes jambes flageolent, menaçant de laisser tomber le reste du corps. Mais je reste debout. Je passe mes mains devant ma bouche, manquant de pleurer. Mais ces larmes-là, je ne peux pas les retenir. J'ai tué quelqu'un. Il ne fait que dormir. Je recule d'un nouveau pas. Est-ce que c'est... mal ? Évidemment que ça l'est ! J'ai tué un homme, j'ai tué une vie, peut-être un père de famille, une identité, un être. Même s'il voulait mettre fin à mes jours, je.. je l'ai fait.

Mes yeux cherchent alors aussitôt Matt. Mais je ne veux pas m'approcher pour l'instant. J'ai trop peur qu'il ne subisse encore un flot d'émotions s'il en vient à me toucher. Je suis terriblement instable. Pourquoi ? Cette question retentit dans mon cerveau. Elle se répète, inlassablement. J'ai tué. Quelqu'un. Quelqu'un est mort par ma faute. Mais non, je ne l'ai qu'endormi. Voyons. Je suis incapable de tuer qui que ce soit. Un petit rire naît sur le bord de mes lèvres, très difus. Je suis folle ou quoi ? Je regarde Matt. Je le vois tout trouble. Il ne doit pas ressentir toutes mes émotions, mais pourtant j'ai besoin d'un contact tout de suite. Je tombe presque dans ses bras. Tant pis pour lui. Il n'avait qu'à ne pas me donner rendez-vous ici. C'est de sa faute. Juste de sa faute. Alors il en subit les conséquences. Il n'a qu'à me rassurer.

-Qu'est-ce qui t'es arrivé ? Qu'est-ce qui arrive ici ? Pourquoi on doit partir ? Pourquoi maintenant ?

Les questions germaient au fur et à mesure. Mais je m'arrête là parce que je n'ai plus de salive dans ma bouche. Parce que ces questions se bousculent trop, si bien qu'elles deviennent totalement dénuées de sens. C'est un joyeux méli-mélo. Je tremble de tous mes membres. Relève la tête et tombe sur l'homme étendu à terre. Alors, je crie, je pleure, je ne sais plus quoi faire. Est-ce que je vais devoir refaire ça si nous devons nous mettre à bouger ? J'ai 14 ans, Matt, je suis jeune, et je crois que je suis inutile et sans défense. Tu es mon point d'encrage mais je ne peux pas vivre comme ça. Alors explique-moi tout, tout, maintenant.

La peur. La colère. Un mixage de tout ces sentiments. Je regarde à droite comme à gauche, et mon regard s'échoue une nouvelle fois sur ce corps inerte, là, à quelques mètres. C'est mi, c'est moi qui l'ai fait. Qui l'ai tué. Mais pourquoi ? Parce qu'il le fallait ? Parce que c'était ma vie contre la sienne, contre la nôtre ? Qui me persuadera que l'homme ne se serait pas arrêté ? Qu'il ne m'aurait pas tué, au final ? La fin est-elle toujours celle qu'on désire ? Mais je me donne des excuses. Toujours des excuses. Je ne comprends pas et je n'arrive pas à me calmer. Pourquoi, Matt. Pourquoi je n'arrive pas à trouver dans tes yeux cette chaleur qui me fait sourire et qui enlève chacun de mes maux d'un revers de bras ? Est-ce que c'est moi qui ai changé, ou bien est-ce toi ? Tu n'as même pas l'air choqué par mes faits. Tu m'y as encouragé, même. Mais qui es-tu. QUI ES-TU ??

J'ai mal au coeur. Tu sais, là j'ai vraiment envie de vomir. Je veux partir loin de tout. Vivre sur une île déserte, là où il n'y a personne, pas même toi. Pourquoi me caches-tu tant de secret ? Pourquoi veux-tu tout le temps que je te suives alors que moi je ne comprends rien ? Je suis jeune oui. Il y a certainement des choses que je ne peux pas comprendre à mon âge. Comme mon acte précédent. Mes poils se hérissent à y repenser. Mais tu sais, je ne suis pas naïve. Un jour ou l'autre, il va falloir que tu me dises la vérité. Toute la vérité. je te fais confiance, jusqu'à parcourir le monde avec toi. Mais je n'en peux plus, tu comprends ? Je n'en peux plus. C'était la chose de trop.

Tuer. Tuer. Ce mot se répète en boucle. Est-ce que c'était bien ? Non, c'est effrayant. Une adrénaline que je ne maitrise vraiment pas. Bon Dieu, il faut que j'arrive à me calmer. Mais c'est encore trop tôt. Je ne veux pas le blesser. Mais je crie. J'en ai ma claque de tout ça. Qui me dit que tu m'amènes vraiment dans un endroit sûr ? Il me lance un regard dur. Est-ce que c'est si mal que ça, de tuer ?

- Heather est partie. Une attaque immense de sorcier noirs demain. Ils vont envahir l'Ecosse. On doit partir, ou on meurt. Aussi bien toi que moi.

Quelques phrases simples. Il veut me faire comprendre que que tout urge. Qu'il faut partir maintenant. Je l'ai bien compris, l'homme à terre n'était pas venu là pour me donner des bonbons. Une attaque de sorciers noirs. Mes yeux s'ouvrent grands. Il faut prévenir le Mystery ! J'ai passé plusieurs années là-bas, on ne peut pas les laisser là ! Pourquoi Matt ne me l'a dit qu'à moi ?! Je secoue la tête. Non, plus de mensonge. Et si c'est la vérité, alors il va falloir passer par d'autres méthodes pour me persuader de partir avec lui.

Alors, j'inspire profondément. C'est si difficile de se calmer. Non, c'est même impossible. Mon coeur refuse de ralentir cette cadence infernale et je sursaute à chaque fois que j'essaye de respirer, entre deux pleurs. Je suis tellement minable. Mais je veux savoir. Maintenant. Alors, mon regard se fait plus déterminé que jamais. Et je te fixe, parce que je VEUX savoir.

-J'en ai marre Matt. J'en ai marre que tu me caches plein de choses. Je n'ai jamais bronché, mais aujourd'hui je parle.

J'essaye de stopper mes pleurs. Je dois continuer à m'exprimer, sinon ça ne sortira jamais. Je dois profiter de ma colère pour lui avouer toutes mes peurs. Il doit m'informer. J'ai tellement de questions. Comment reçoit-il ces informations que même le Mystery ignore, qu'est-ce qu'il fait quand il n'est pas à la maison, pourquoi est-il en aussi mauvais état. Tellement de questions qui tiennent en une seule. Alors, je le prends presque furieusement par le col et le pousse de manière à avoir son visage en-dessous du mien, le faisant tomber en arrière par la même occasion. Je veux qu'il me regarde. Le Mystery attendra. Tout pourra bien attendre. Mais je ne ferai pas un pas de plus tant qu'il ne m'aura pas répondu sincèrement. Je sais que c'est une question vaste, et j'en attends beaucoup de la réponse, mais je sais que ça nous permettra à nous deux d'avancer, plus tard.

-Dis-moi Matt, qui es-tu vraiment ?

Marre des mensonges. Marre de l'ignorance. Dis-moi tout, maintenant.

La colère, la peur, le désespoir, tout cet amoncellement d’expressions rassemblées pour ne s’exprimer qu’au travers de larmes. De chaudes larmes dégoulinantes sur les joues joufflues d’une enfant qui découvre trop vite la valeur de la vie. Celle de la mort. Qui perd ses repères et s’accroche au seul homme encore debout à ses côtés. Une petite fille qui commet son premier meurtre mais qui n’est pas prête à faire le mal. Elle le sait, elle portera cette culpabilité jusqu’à sa fin, marque au fer sur sa poitrine.

Je veux des explications, claires, précises. Je veux la vérité. Je veux ton soutien et ta compassion. Je veux que tu me dises que j’ai rêvé… Non, que j’ai bien fait. Que notre survie en dépendait. Que cet homme n’était qu’une mauvaise personne. Invente-moi milles excuses, fais-moi miroiter un geste héroïque dans cette action qui tâche mon appréciation de moi-même, qui m’enterre et me meurtrie. J’ai besoin de toi Matt, mais mes actes, sous l’affluence d’adrénaline dans mon sang, ne ressortent pas clairement. J’aimerais que tu me prennes dans tes bras et que tu passes une main dans mes cheveux, mais je suis la première à t’agresser, à sécher les pleurs qui affluent de mes yeux et à te mettre face à tes secrets, face aux miens. Qui es-tu ?
Que suis-je devenu ?
Raconte-moi ton histoire.
Invente-moi un monde.

Tu fermes les yeux, alors je crois que tout est perdu. Que tu t’enfermeras et que nous ne pourrons pas être ensemble. Parle-moi. Ma prise se raffermit sur ton col et je me prépare à tout. Tu pourrais tout aussi bien me frapper, mais je t’en prie, réagis. Mon esprit est bien trop agité, je perçois chaque seconde, je perçois ta respiration, je perçois Idgy blottit dans une cavité, je perçois mes mains moites et le tremblement intempestif de tous mes membres. Je ne parviens pas à me calmer et mes paroles se font tranchantes, assassines. Sans doute aurais-je pu tuer à l’instant même, mais alors tu m’évites du regard et te lance dans une réponse.

- Je ne suis plus rien Nephilim. J'aurais aimé être quelqu'un et pouvoir te dire que tu seras en sécurité à vie avec moi. Mais c'est pas vrai ça. J'suis pas un héros loin de là. Je crois que dans la vie, on ne peut briller que si on s'en donne les moyens. J'ai essayé. Vraiment essayé. Mais je n'y arrives pas. Tu es la seule personne qui me reste. Je veux t'apprendre une certaine vision de la vie mais j'ai besoin que tu me crois. Il est trop tard pour changer le monde qui va s'écrouler mais il n'est pas trop tard pour toi. Il n'est pas trop tard pour qu'on s'en aille et qu'on échappe à tout ça. On renaîtra de nos cendres plus tard. Pour l'instant on doit s'effacer. Mon coeur explose à l'idée de te perdre, ne les laisse pas faire ça.

L’extrémité de mes lèvres se relève d’un côté. Je voudrais te sourire, devenir un soleil qui fasse de ton sentier un chemin un peu plus clair. Mais je me sens vidée, je n’ai pas la force d’éclairer. Le goût amer dans ma bouche refuse de laisser place à la saveur sucrée de tes paroles. Je voudrais te croire, je voudrais me dire qu’une vie moins tumultueuse m’attend là-bas, avec toi. Mais mon cœur hurle au mensonge. Tu veux t’enfuir, avec moi. Je le veux aussi Matt, plus que tout au monde. Je relâche un peu la pression autour de ton col. Mon visage se veut rassuré, mais mon regard est froid. Ses mots s’échouent sur la falaise de mon esprit. Résonnent violemment mais disparaissent. Quelque chose s’est brisée. L’innocence. Je n’arrive pas à trouver les mots pour te dire à quel point tu comptes pour moi. Je n’ai que la hargne, l’anxiété. J’ouvre la bouche, te fixe presque furieusement. Ma voix chancelle, et de nouvelles larmes perlent de mes yeux, elles aussi sincères.

-Je ne veux pas refaire… refaire ça.
Emmène-moi juste avec toi.

Mes phrases n’ont aucun sens, je passe d’un moment à un autre et oublie la transition. Je suis perdue, mais tu es aussi perdu que moi. Ton esprit est sombre Matt, il émane jusqu’à moi. J’ai beau influencer les émotions, c’est les tiennes que je ressens en ce moment. Tu m’aimais peut-être pour ma sensibilité et ma naïveté, mais qu’en serait-il maintenant que je porte le poids d’un mort sur la conscience ? Je ne veux pas finir brisée. Je veux savoir qu’il me reste de bonnes choses à accomplir, mais j’ai l’impression qu’à tes côtés, c’est l’inverse qui m’attend. Parviendrais-je à te sortir de ton état, ou m’entraîneras-tu dans le tien ?

- Je suis désolé.

Tu t’excuses. Je serre les dents. Parviendrais-je à te pardonner ?
À me pardonner ?
Pardon d’être cette petite fille capricieuse. Pardon de ne pas avoir la force de faire le tri dans mes pensées et de t’exprimer mes ressentiments. Je voudrais te prendre la main comme une adulte et te dire que tout va bien, que je serai là, que tu peux compter sur moi. Mes petites mains n’ont pas encore la force de te relever, mais je veux avoir la possibilité de le faire, plus tard, en paiement de ma dette envers toi. Je me lève. Te surplombe de toute ma hauteur temporaire.

-Je ne peux pas partir. Les orphelins, il y en a tellement. Ils vont mourir. Il faut les prévenir.

Je ne veux pas que tu sentes que je ne serai pas à la hauteur. Tu places tant d’espoirs en moi, j’en ai peur. Parce que je ressens la même chose. Tu reflètes mes pensées et je reflète les tiennes, mais je n’ai pas l’âge pour établir la priorité sur mes pensées, contrairement à toi. Je ne veux pas avoir la mort de ces enfants qui auraient pu être moi sur la conscience. Lâchement, je déporte mes pensées moribondes sur toi. Je veux que tu prennes ma main et que tu me forces à tout quitter. Et puis, je crierais au scandale, je te ferai une tête au carré pendant plusieurs jours parce que tu m’as retenu de stopper un massacre. J’aurai le beau rôle et toi, toi tu serais la faute de tout cela. Mais m’aimes-tu assez pour ça ? Assez pour briser cette image de grand-frère. Moi, je ne sais pas si j’en aurais la force. Je ne veux pas te blesser, mais le poids de ce qui s’apprête à se produire est trop lourd à porter.

Alors, peut-être que je peux le porter, un peu, avec toi. Je peux faire des compromis. A commencer par te rassurer.

-Matt. Je te suivrais. Je te le promets. Mais laisse-moi au moins prévenir une personne. Le futur leur appartient, mais je ne veux pas quitter cet endroit sans avoir tenté quelque chose. Je t’en prie.

Je ne bouge pas. Campé sur mes deux pieds, je le regarde et lui transmet toute mon espérance, toute la force de mes mots. J’espère qu’il comprendra. J’espère qu’il ne jouera pas le rôle de la falaise devant le flot de mes paroles. Aujourd’hui plus que jamais, parce que ce tournant est important pour nos vies, parce que tu t’es exprimé sincèrement, parce que j’ai envie de te croire même si le futur est sombre, je veux que l’on se comprenne.