C'est l'destin?
moi je pense plutôt au hasard...

Ça m'énerve. Oui, c'est dur de commencer avec cette phrase dans la tête. Ça veut dire tellement pleins de choses et... tellement rien à la fois. C'est une phrase qui ne sert absolument à rien, mais qui a le don de te foutre en pétard au moindre geste déplacé de ton entourage. Alors voilà, ça m'énerve. J'ai l'impression que je passe toute ma vie chez moi. Et je crois bien que c'est le cas. Les journées au Mystery, j'ai l'impression de n'y être plus allé depuis des millénaires. Et oui, je dis bien des millénaires. Et pourtant, je n'ai pas pris mes congés paternité. Est-ce pour éviter un maximum Ayumi ? Ou bien pour me faire pardonner de mes nombreuses absences auprès de Mystery ? J'en sais rien. Toujours est-il que ça m'énerve. Mon ange est fatiguée et moi je ne le suis pas. Je pourrais monter l'Himalaya si on me le demandait. Car croyez bien que je ne me risquerai jamais à monter cette montagne sans raison particulière. Allez vous plaindre aux personnes qui ont créés ces expressions pourris. Bref.

La raison qui me pousse faire preuve de mauvaise foi ? Je l'ai dit, je ne suis pas allé au Mystery depuis pas mal de temps. Je n'y passe pas assez de temps. J'ai envie de voir autre chose que la maison et l'hôpital, please. Alors l'orphelinat me semble le meilleur endroit. Vous vous demandez pourquoi, moi qui déteste les enfants, je souhaite me rendre à l'orphelinat plein de gosses ? Vous vous souvenez du jour où j'ai dit que je serai jamais père ? Bien. Je pense être suffisamment explicite. Merci. J'inspire profondément. En fait, ce qu'il me faut, c'est de l'air. Une bonne dose d'air pur. Et j'ai de la chance, car dans notre coin paumé d’Écosse où la population d'asiatique est anormalement grande, l'air est pur malgré tout. C'est une bonne chose. Je fixe mon verre de lait d'un air blasé. Je tourne la cuillère dedans. Ce qui ne sert absolument à rien, étant donné que le verre ne contient rien d'autre que du lait froid. On dit que les femmes enceintes ont des envies étranges quand elles attendent leur bébé. Je me demande si c'est valable pour un père non-désiré. Je ne déprime pas, ça non. C'est juste que... je ne sais pas, j'ai envie de lait. Pas de café, comme à mon habitude -je me trouve suffisamment énervé pour ajouter de la caféine à mes doses journalières-, pas non plus de thé parce qu'il y a aussi de la caféine dedans. Pas de l'eau... parce que l'eau, ça n'a strictement aucun goût. Alors, à défaut d'un liquide autre que l'alcool, je me suis penché vers le lait.

Il a l'air bien triste mon lait dans son verre translucide. Vous savez, je ne suis franchement pas fanatique du lait. J'en buvais quand j'étais petit. J'en bois par moment le matin avec mon café -je fais tout pour me tuer- mais sinon, en dehors des petit-déjeuners, non. C'est à se demander si quelque chose ne tourne pas rond chez moi. Je ne vais rien rajouter dedans, sinon ça risque d'être infect. Par exemple, ces gens qui rajoutent du sirop de menthe ou de grenadine. J'ai jamais compris comment on pouvait avaler un truc pareil. C'est ignoble comme goût. Je n'aime déjà pas la grenadine en temps normal alors avec du lait... Bref. À force de fixer mon lait je vais finir par sortir une philosophie incongrue que moi seule suis apte à pouvoir déchiffrer. Ce qui, en somme, n'est pas bonne chose à initier. Je bâille devant mon verre de lait. Il est toujours plein. Je n'ai pas bu un seule millilitre de boisson. Enfin bref. Ça sonne à la porte. Alors lentement, je me lève. J'ouvre. Manque de rire. Rire de soulagement. Parce que la tête de Take est en face de moi. Et qu'il est en béquilles. Des béquilles pour un téléporteur... je sais pas, ça sonne très faux à mes oreilles. Il me tire la langue. Je me contente de lui rire à la figure, tout en le laissant entrer.

La discussion s'engage assez rapidement. Il me parle de tout et de rien, assez simplement. Je fais de même. Ça dérive assez rapidement sur les parents en fait. Je lui parle d'Ayumi malgré moi. J'y suis attaché, mais je n'arrive pas encore à réaliser que c'est mon enfant. Je lui souhaite bien du courage si elle possède mon caractère. Être flemmard, ce n'est vraiment pas un cadeau. Je ne lui souhaite pas une telle chose. Moi je vis avec, alors je m'y habitue. Mais pour une fille, nan franchement c'est pas bien. Bref, arrêtons de parler d'Ayumi. Take me raconte un peu ce qu'il a vécu à l'hôpital. Je suis content de le voir en si bonne forme à présent. Et moi, moi je pense soudainement qu'il va falloir que j'aille à nouveau au Japon, payer encore une fois mon billet d'avion, pour rester une petite semaine là-bas. Et mine de rien, mes pensées se reformulent à haute voix. Ce n'est qu'au moment où la voix de Takeji effleure mes oreilles qu'un retour à la réalité s'impose :

- Comment ça tu pars ?

Je ne pars pas. Je fais simplement une petite visite. Je ne veux pas reprendre l'entreprise de ma mère. Et pourtant, je refuse de quitter ma fortune. C'est comme ça. Je suis quelqu'un d'égoïste, ce n'est pas nouveau. Et mon père a accepté, m'a demandé de lui faire gravir les échelons afin de prendre ma place. Mais comme il n'est pas héritier, il ne peut devenir autre chose que mon bras droit. Et ça... ça c'est embêtant. À vrai dire, j'aurai bien voulu me débarrasser tout ça. Je ne dis pas que je suis prêt à vivre "comme tout le monde", avec si peu de revenus. Je dis juste que je pourrais probablement être plus heureux que ça, avec moins d'argent. Après tout, j'ai tout ce que je veux ici. Mais ce n'est pas aussi facile. Ma mère ne me lâchera pas, même en fauteuil roulant. C'est psychiquement impossible pour elle. Je comprends mieux Katsu à présent. Il se plaît comme il est. Il n'a pas si tort.

- Mais Ren... Tu comptes pas reprendre l'entreprise quand même ?

Un jour il va bien falloir pourtant. Je tente de le rassurer comme je peux. Un peu maladroitement certes. J'expédie un peu les choses. Je préfère penser une petite semaine que deux longues. Je veux rester ici, parce qu'ici sont mes vrais amis. Je ne veux pas penser à celle qui m'attend au Japon. Même si elle risque d'arriver plus vite qu'on y pense. Je ne saurai pas trop quoi faire à ce moment-là. Est-ce que Miyaki m'accompagnera ? Probablement. Mais je ne pourrais plus voir les autres autant de fois qu'avant. Je travaillerai plus, ce qui en vérité ne me ferai pas de mal. Mais je serai moins présent pour Ayumi, pour Miyaki aussi. Vivre une vraie vie de riche, avec tous les problèmes que ça engendre. Ça me rend tout triste en fait tout ça. Je vais peut-être aller boire mon verre de lait en fin de compte. Ne serait-ce que pour masquer cette tristesse qui m'accable pas mal en vérité. Je parviens à m'en sortir pour le moment mais jusqu'à quand ? Mon père a pas mal renoncé à sa forme fusionnelle. Je me demande depuis quand il ne s'est pas transformé. On dirait qu'il l'a renié. Je me demande même si c'est possible. En même temps, en plein cœur de la capitale, c'est pas si facile de passer inaperçu. Je ne veux pas devenir comme ça.

Je fixe le verre de lait et m'en approche à grands pas. C'est alors que ma main effleure le verre à moitié au rebord de la table. J'aime bien mettre les choses en équilibre, et on me l'a souvent reproché. Mais il se trouve que le sol me paraît bien plus proche tout à coup. Et c'est pour dire, je m'y retrouve face contre tapis. Parce que quelqu'un-dont-je-ne-citerai-pas-le-nom m'a subitement dérobé les pieds, qui se sont emmêlés malgré eux pour me faire tomber. Mais il y a cette chose en équilibre là-haut qui n'attend qu'un millième de seconde pour s'écraser sur ma tête. Et les bouts de verre dans la tête ça fait mal. Alors instinctivement, le tout en une demi seconde, je passe mes mains sur ma tête pour me protéger. Je développe mes idées, mais tout ceci ne s'est déroulé qu'en une petite seconde. Je retire mes bras, trouvant le verre long à tomber. Je lève un peu la tête. Il n'a pas bougé. Enfin disons qu'il s'est pas mal écarté du bord de la table. Je l'ai poussé ? Ou bien Takeji l'a-t-il vu et l'a pris au dernier moment ? Je suis persuadé de l'avoir attiré à moi pourtant. C'est étrange, très étrange. Toujours est-il que je me relève, assez subjugué.

- Ça c'est pour expédier ton boulot d'héritier en une seule petite semaine, parce que ça finira par te revenir à la figure comme un boomerang. Et pour fêter nos retrouvailles.

Nan, ça peut pas être Takeji. Sinon, il m'aurai demandé si ça allait. En fait, j'ai l'impression qu'il ne s'en est même pas rendu compte, pour ainsi dire. Il me sourit. Je sais que ça me reviendra peu importe comment. J'espère juste que ça arrivera dans longtemps. Et re-bonjour petit frère de cœur. Oui, je précise, parce que maintenant que j'ai un vrai frère, il vaut mieux éviter des contresens. Je me demande s'il le sait. Je ne suis même pas sûr qu'il s'en est rendu compte. Parce qu'on se croise de moins en moins dans les couloirs du Mystery. Après, il a pu engager la discussion avec lui sans savoir qu'il n'était pas moi. J'en sais rien, je demanderai mais d'abord... il y a ce truc qui me chagrine. Ce verre qui s'est éloigné à plusieurs centimètres du bord de la table alors qu'il était à deux doigts de me tomber dessus. Si ça se trouve, il est télékinésiste lui aussi et il a vu le coup arriver. La meilleur chose est de demander.

-T'es aussi télékinésiste ? C'est toi qui a bougé mon verre avant qu'il ne s'écrase sur ma figure ?

Je ne sais pas, c'est venu instinctivement pour me protéger. Je suis déjà au courant d'être télékinésiste en don second, mais j'avoue que je ne m'étais jamais penché sur l'instinct. On dirait que ça marche plutôt bien en fait. Je regarde Takeji avec une tête de merlan frit. Je n'en reviens pas. Autant terminer le verre. J'avale le lait d'un seul coup et le pose dans l'évier. Plus tard la vaisselle. Là, je veux...

- Dis Ren, si on allait faire un tour dehors ? J'en ai marre d'être constament entouré de mur dernièrement. Tiens on n'a qu'à aller près de la ferme des Campbell.

...sortir. Aucun problème choupet, allons-y vite. Je suis pire que d'accord avec toi. Dépêchons-nous d'y aller avant que Miyaki n'arrive et ne m'intime de rester pour veiller sur Ayumi. Je veux me libérer de cette maison cinq secondes... minutes... bon heures. Ferme des Campbell ? J'y suis jamais allé à vrai dire. Mais bon, y doit y avoir une raison pour laquelle Take souhaite se rendre là-bas, non ? J'en sais rien, j'émets de simples hypothèses, libre à mon esprit d'en faire ce qu'il souhaite après. J'acquiesce alors doucement au moment où il parle de téléportation. Ah non, j'ai déjà donné. On ira en voiture et rien d'autre. Rien à faire que ça pollue, y'a suffisamment de vent pour éviter aux particules de stagner au sol et de nous intoxiquer. Alors tant qu'on n'est pas en vigilance orange ou rouge -ce qui n'arrivera jamais dans ce coin paumé-, je me permet de rouler avec un voiture.

-Hors de question, on prend ma voiture.

Et puis, l'avantage de la voiture, c'est qu'on voit défiler le paysage. On a le temps de l'apprécier. On peut découvrir d'autres endroits en passant devant alors qu'on voulait aller autre part. Avec la téléportation tu peux pas t'arrêter en chemin à moins de le vouloir. Et toc, j'ai trouvé un désavantage à la téléportation. J'ouvre la porte à Takeji afin de lui permettre de sortir le premier pour aller dans le garage, et enfile manteau et chaussures avant de saisir les clés de voiture. Je lance assez fort pour que Miyu puisse m'entendre que je sors avec Takeji me défouler un peu. Et comme Miyu est une mère poule, elle me demande à quelle heure je rentre. Ce à quoi je répond aussi simplement que « plus tard ». Qu'est-ce que j'en sais franchement ? Quand on s'amuse, on ne pose pas de limite. J'inspire profondément au moment d'ouvrir le garage. Take s'installe du côté passager avant. Je suppose qu'il n'a pas encore son permis. Et de toute façon, sans jambe valide, on ne conduit pas. Un point c'est tout.

Nous prenons le temps d'arriver à la ferme. J'observe autour de moi. Takeji m'a conduit jusqu'ici, parce que je ne connaissais pas. C'est encore plus paumé que je ne le pensais. Je ne connais même pas les résidents. Tu crois qu'ils ont une ferme ? Je pourrais m'amuser à discuter avec une poule. Je me demande comment s'exprime une poule. Je n'ai jamais essayé. Ça promettrait. Mais je pense que nous n'avons pas le droit de rentrer. Je bâille pour la deuxième fois de la journée. Je ne suis pas vraiment fatigué mais... voilà quoi. Je range la voiture sur le côté et aide Takeji à sortir en lui ouvrant la porte. Et nous nous dirigeons tout deux vers la maison. Les fermiers sortent brutalement. Oh la. On se calme. Ils me regardent bizarrement, mais lorsqu'ils voient Taki, ils comprennent que nous sommes profs à l'orphelinat, donc digne de confiance. Enfin je crois. En tout cas, voilà ce qu'ils nous demandent.

-Vous êtes des professeur de l'orphelinat, non ? On doit faire quelques petits arrêts autre part et... je veux pas laisser la maison toute seule. Ma femme dit qu'elle ne risque rien mais... vous pourriez faire ça non ? Allez, c'est un coup du destin si vous êtes là !

Il a l'air barge, ce mec. Mais il me plaît pas mal. Je lui souris en acceptant. Après tout, j'voulais m'amuser avec les poules, alors c'est pas si mal. Il nous passe les clés de la maison et du cabanon à l'arrière de ses champs au moment d'entrer dans sa petite fourgonnette, accompagné de sa femme. Il nous lance un dernier appel :

-On s'ra d'retour d'ici une heure ! Si vous pouvez donner à manger aux vaches en passant, ce s'ra sympa d'vot' part !

J'adore le jargon des fermiers pur et dur. Il me fait rire. Quand, à moi, je me tourne, tout sourire, vers Takeji, et lui tend les clés.

-Bon... profitons-en pour faire ami-ami avec les poules !

Un ton enjoué sur les lèvres, je m'approche tranquillement de la maison. Ça promet cette journée, sérieusement...

C'est bien la ferme,
les bêtises sont légions.

Peut-être qu'après tout, c'était une illusion. Vous savez, le gros problème des gens qui connaissent la magie, c'est qu'ils ont tendance à la voir là où elle n'est pas. Lorsqu'on ne connaît pas la magie, on le met sur le domaine de l'illusion d'optique, de hasard ou de Mr Destin. Quoiqu'il en soit, cette fois-ci, je ne peux le mettre sur aucun de ces trois énergumènes. C'est forcément la magie. Et si ce n'est pas moi, c'est forcément lui. Ou bien c'est moi qui inconsciemment ai voulu éviter un problème. Le verre c'est dangereux. Ça coupe et ça fait mal, surtout si ça reste dans le peau. Je vous assure, c'est hyper douloureux. Tout le monde a dû en faire l'expérience au moins une fois dans sa vie. Sinon c'est un chanceux qui ne mesure pas sa chance. Enfin bon, je veux savoir d'où vient le miracle, là.

- Oui mais nan. Enfin, oui je suis télékinésiste, mais non je n'ai pas bougé ce verre. C'est toi qui l'a fait ?

Ah ouais ? Tu pratiques la télékinésie toi aussi ? C'est incroyable... je me demande quel hasard a fait les choses. Car oui, il y a plusieurs hasards. Mais je vous en parlerai plus tard. Pour le moment... pour le moment je me concentre sur la fin de sa phrase. Il me pose la question que je lui ai posé en sous-entendu. Bref, si ce n'est pas lui, ce ne sera pas le chat ou le tapis. Ni ma main d'ailleurs. Ce sera mon cerveau et mon don en télékinésie. Il faut dire que mon entraînement aux dépends de la métamorphose aura servi à quelque chose. Ça fait longtemps que je m'entraîne dessus. J'ai même demandé des conseils au prof de télékinésie, c'est pour dire. Et c'est déjà beaucoup. Bon, je ne dis pas non plus que je vais parvenir à amener ce que je veux inconsciemment, mais au moins je pense qu'en cas d'extrême urgence, je pourrais bien être sauvé par ce don second. Et puisqu'il reste don second, il ne risque pas de s'étoffer davantage. Il me faudra juste encore un peu d'entraînement pour maintenir tout ça, et je pourrais reprendre mes activités de métamorphe.

-Je... crois oui. Mais c'était davantage un réflexe.. qu'autre chose.

Ouais. Ben moi je dis vive la télékinésie qui m'a empêché de salir ou couper mon beau visage. Amen. C'est toujours ça de fait. Mais au moins, maintenant que j'ai bu le lait, il ne risque plus de venir intempestivement troubler mes desseins. Bonjour, je m'appelle Ren et je suis troublé par du lait. Je guette la remarque de Takeji. Oui, il ne m'a jamais vu boire du lait -bon vous me direz qu'il n'a pas que ça à faire non plus-, mais justement c'est le problème. Il peut croire que je le fais en cachette, parce que ma forme fusionnelle est un félin. Vous n'avez qu'à faire le rapprochement et vous trouverez la prochaine pique du petit frère de cœur.

- Ça va aller, tu verras. Ça va toujours. Et t'as une moustache de lait, le Chat.

Je soupire avec lassitude. Takeji, Takejiiiii quoi. On pourrait faire un bouquin sur cette personne. Il me sait blasé, il me sait flemmard. Et il en profite quoi. Je passe rapidement ma langue sur le haut de mes lèvres supérieures. Je n'ai jamais pensé à avoir une moustache. et... à vrai dire, je préfère éviter d'y penser. Ren avec une moustache. Ah non, c'est vraiment trop drôle comme vue. Hilarant. Je ne note pas sa pique, ni sa petite tape dans le dos. Partons vite d'ici avant que je ne change d'avis et que je ne te plaque au sol pour insulte à un chat qui exerce ses fonctions. Ici, boire du lait. Même si je ne le fais pas en temps normal. Mais qu'importe, quitte à être chat, autant l'être jusqu'au bout. Dans la voiture, j'en viens à me poser quelques questions. Voilà, avec la téléportation tu vois pas où tu es tant que tu n'y es pas. Pourtant le paysage d’Écosse est beau, c'est dommage de ne pas en profiter. Bon, c'est vert un peu partout, mais y'a des vallées et autres. C'est pas tout plat comme aux États-Unis quoi. Nous avons dû faire demi-tour quelques fois, mais au final, nous sommes arrivés sans encombre. Et les fermiers nous ont donnés les clés pour qu'on aille nourrir les vaches.

Eh Take, tu veux rire ? J'ai jamais nourri de vaches. En fait, si tu veux tout savoir je suis en vérité jamais entré dans une ferme. Ma mère n'a jamais voulu parce que c'était soi-disant trop sale. Pourtant moi quand je vois l'extérieur, je me dis que c'est plus propre que je ne l'avais imaginé. Et les porcs sont pas si sales qui ça. En fait, c'est propre. Enfin, propre pour des animaux quoi. Mais ça reste passable. Y'a de raison de se salir si on se roule pas dans la boue. Et je ne suis pas maso pour salir mes vêtements de cette façon. Il faut dire que je ne me suis pas habillé classe aujourd'hui. Sans doute ai-je senti le milieu sale arriver. J'ai donc mis des baskets, un blouson en cuir, un t-shirt large long et un jean. Normal quoi.

- Refrènes tes instincts de chasseurs hein Boule de Poil !

Tout de suite... je me demande juste la façon dont ils s'expriment. Je sais pas, j'ai déjà été surpris la première fois que j'ai parlé à un serpent. Y'avait un mini accent comme dans les films, et la voix était très fluide. Alors là.. pour des poules, je me demande si au contraire ce sera haché. Je verrais bien les poules parler en allemand en fait. Le seul problème, c'est que je ne parle pas du tout allemand. Et j'ai furieusement envie de discuter avec eux. Ça peut être marrant. Mais j'y pense... comme le dit Take, je me demande si les poules vont se rendre compte que je suis à moitié humain et à moitié félin... c'est une chose intéressante. J'aime bien le poulet, mais seulement quand il est dans mon assiette. Accessoirement, j'aimerai aussi bien le voir bouger. Takeji se téléporte à côté de moi, tous les cinq centimètres. Vous connaissez l'effet du stroboscope ? Ce truc en boîte de nuit qui ralentit l'image de ta main quand tu t'amuses à al faire bouger devant toi ? Ces phases alternées de lumière et d'obscurité ? Ben là, ça fait le même effet. J'ai l'impression de voir l'image de Takeji d'une façon continue et trouble. Je me décide à le stopper en le prenant par les épaules. Bon, le truc c'est que j'ai pas retenu la leçon de prendre un téléporteur en train de se téléporter. Je me dépêche alors de lui lancer :

-Stop ! Tu veux me tuer ou quoi...? Apprends à marcher avec tes béquilles, sinon tes jambes tu les récupéreras pas dans trois semaines mais dans quatre mois...

Oui, me tuer, parce que je supporte déjà pas en temps normal la téléportation, mais si en plus il en fait des successives, je peux aller creuser ma tombe dès aujourd'hui, sans être sûr de pouvoir la terminer. J'inspire profondément. C'est pas possible ça. De toute façon, ce que j'ai dit ne sert strictement à rien puisque nous sommes déjà arrivés dans la ferme. Je le vois qui s'approche des poules tandis que j'observe ce nouvel environnement que je ne connais pas. Honte à moi. Je vois les vaches tout au fond là-bas, dans leur enclos. Je sais pas combien y'en a, mais faudra penser à s'en occuper rapidement, parce qu'elles ont pas l'air d'être trois vaches qui se battent en duel. J'inspire profondément et tourne mon regard vers Takeji au moment où une poule s'élève dans les airs. Mes yeux sortent de leur orbites. Je croyais que ces choses ne pouvaient pas voler. Et en plus, elle bat même pas des ailes. Je tourne mon regard vers Takeji. Ah oui. Lui il est concentré sur la poule. Et cette dernière se contrefiche de tout ça. J'ai dû mal à me faire à l'idée que Taki soit télékinésiste aussi. C'est marrant.

- Hey Ren, un poulet qui vole ! T'arrive à en faire autant ?

Techniquement, un poulet, c'est dans notre assiette. Et en plus, je considère ça comme de la triche, étant donné qu'elle ne secoue même pas ces petites ailes. J'ai l'impression qu'on est tous autant blasé... je lui souris pour toute marque de réponse et me dirige vers une poule. Je m'accroupis près d'elle et commence à percer sa faible muraille de pensée. Oh mais... c'est que c'est tout à fait aussi con que je le pensais. Je plains la personne qui peut se transformer en poule. Ça doit limiter au maximum les capacités mentales. En plus, ça s'exprime d'une drôle de manière. On dirait que ça a le hoquet constamment. Et c'est bien marqué. Tiens d'ailleurs.. une poule qui a le hoquet, ça fait quoi ?

-Take, une poule qui a le hoquet, ça fait quoi comme bruit ?

J'ai entendu dire que ça cot-cotait -on m'excusera pareil langage- quand une poule pondait. Si je lui demande de pondre et lui refile je ne sais comment le hoquet, peut-être que je trouverai ma réponse seul. Mais reste à demander de pondre un œuf. Et surtout de refiler le hoquet à une poule. C'est pareil quoi... ça s'étouffe jamais ? Un coq qui s'étouffe le matin, ça doit bien arriver. Hum, c'est bizarre ça. Avec tout ça, j'ai pas répondu à Takeji en fait. Et c'est pas mon sourire qui donnera la réponse. Je tourne ma tête vers lui et... plus de Takeji. Je tourne la tête derrière moi. Ah, on dirait qu'il s'entraîne. C'est pas sérieux de faire ça une fois sorti de l'hôpital... mais je vais répondre à son jeu. Je m'adresse alors à une autre poule, lui demandant de ne pas bouger. Je prends une poule d'une main, et une autre de l'autre. Je me lève et les tend au-dessus de ma tête. Heureusement qu'elles bougent pas, parce que je pense que je peux les lâcher à tout moment.

-Deux poules en l'air !

Et je lui ris à la figure. Je n'ai pas envie de me fatiguer. Et puis, ça fait toujours rire de tricher un peu. Je ne pense pas pouvoir soulever deux poules à la fois. C'est déjà trop de concentration pour une poule, alors deux... je n'en parle pas. Takeji repose la poule au sol et sort de l'enclos. Il me regarde fixement, avant de lancer, l'air de rien :

- Cap ou pas cap de s'y mettre à deux pour soulever une vache ?

Soulever une... une vache ? Mais ça pèse une tonne au sens propre. C'est hyper lourd ces choses-là. À deux... je sais même pas si ça peut le faire. J'inspire profondément et acquiesce à son défi. Un chat ne refuse jamais un défi. Surtout s'il lui vient de son meilleur ami. Et puis, faut se serrer les coudes si on veut parvenir à soulever pareille bête du sol. Je me demande même si elle va pouvoir quitter les quatre patte de la terre ferme. J'ai pas confiance en moi là. Bref. Je ne sais pas si ça peut aider, mais en tout cas, je pose un contact sur Takeji en lui posant ma main sur son épaule pour permettre à la télékinésie d'être plus forte. Je ne sais pas si ça marche, mais on peut toujours essayer. Nous avançons près du grand boxe et je tend mon index vers une vache couchée sur le sol. Elle m'a l'air la moins lourde. On va commencer tranquillement.

-Celle-là. À trois, on s'y met. Un, deux et... trois !

Je me concentre sur cette pauvre vache qui ne va rien comprendre à sa vie. Je ne me permets même pas de lui parler mentalement. Arg, j'ai l'impression d'avoir une enclume sur la tête tout en gardant le dos droit. C'est difficile, hyper difficile. Et pourtant j'ai l'impression que c'est al plus légère. Bon, en même temps, vu la taille du troupeau, j'y vais vraiment à vue. On ne va pas prendre un veau tout de même. Sinon la honte quoi. Mais on s'attaque peut-être vraiment à quelque chose de trop dur. Je ne peux pas le supporter. Cependant, puisque je sens que Take n'abandonne pas, je fais de même et reste concentré. Ah ! Ça bouge. La vache regarde autour d'elle, soudainement apeurée. Ah non, pas bouger la vache. J'aurai peut-être dû lui parler avant en fin de compte. Mais bon, au bout de quelques minutes, on arrive finalement à lui ôter les quatre pattes du sol. À quelques centimètres certes, mais ce n'est pas négligeable. Je relâche alors doucement la pression pour la faire redescendre et lâche le tout sans prévenir Takeji. De toute façon, maintenant elle est sur le sol. Je porte ma main à ma tête. J'ai un peu beaucoup le tournis.

-Allons nourrir les vaches au lieu de faire des bêtises. Mais bon, cap au final !

Je ris. Simplement. On a réussi à nous deux. C'est une grande prouesse pour deux personnes aux même dons seconds. Ça peut paraître dérisoire, mais c'est plutôt pas mal en fait. Nourrir les vaches... je sais même pas ce qu'on doit leur donner... peut-être s'y connaît-il mieux que moi ? Je me tourne vers lui un peu désorienté. Il aura très bien compris ce que je veux dire.

Des gros gamins dans une ferme,
et ça se dit prof?

Takeji, le jour où je-ne-sais-pas-pourquoi tu ne pourras plus utiliser ta téléportation, ne serait-ce que pour une journée, il va falloir que je vienne te voir pour être sûr que tu fasses pas n'importe quoi. Bon maintenant tu as des responsabilités, mais ça a l'air d'être tellement la bonne entente entre vous deux que j'en viens à me demander ce que tu pourrais faire sans... un jour, je te le demanderai.

- Les béquilles, c'est nul.

Ma foi, je ne suis que trop d'accord avec toi. Pour s'habituer à marcher avec, c'est déjà toute une galère. Tu ne peux plus courir. Enfin bon, pour Takeji, courir ça n'existe pas. Téléporter est sa raison de vivre. Je ne note pas sa phrase, encore sous le choc de la téléportation. Oui pour moi, c'est un choc. La télékinésie quand c'est trop lourd, ça te met une enclume sur la tête. Ben moi la téléportation ça me donne le mal de... des dimensions, voilà. J'y peux rien après tout, c'est ma fierté de métamorphose qui est en jeu. Takeji ne s'est jamais métamorphosé, et je suis même pas sûr qu'un jour ça puisse arriver. J'ai perdu tout espoir à vrai dire. Alors mon pouvoir est sérieusement entaché puisque j'ai osé boudé métamorphose pour faire ami-ami avec téléportation le temps d'un instant. Et ça je ne me le pardonne pas. Alors le léopard mon ami, à chaque fois que je me téléporte plus ou moins volontairement, se décide à me donner envie de vomir. Parce qu'il me rappelle la seule fois où je l'ai boudé. Léopard mon ami est très capricieux. Et je crois que je tiens beaucoup de lui. Sa fierté doit probablement me dépasser de bien loin. Bref. Je reprends peu à peu possession de mes moyens et nous nous dirigeons vers la basse-cour. Déjà... pourquoi ça s'appelle une basse-cour? Quand on me parle de cour, moi je pense d'abord aux cours. Mais sans « s », ça me fait penser à tout autre chose. C'est plutôt les nombreux prétendants autour d'un roi. Je veux bien croire qu'on parle de basse-cour, mais il y a quand même ce mot. Et personnellement, si je devais assimiler la cour du roi à un animal, je ne prendrais pas le coq et les poules. Quoique...

Quoique, à y penser, c'est pas si idiot. On parle de basse, parce que c'est quand même pas du même niveau. Le jour où je parlerai à une poule aristocrate, je pourrais manger mes chaussettes et m'enterrer. Bref. Je disais. Y'a des poules autour d'un coq. D'accord? Le coq, il saute toutes les poules autour de lui, et les poules elles veulent se faire sauter. Si on repart à l'époque des monarchies... au final c'est pas si différent. Bon, après, à voir si la similitude se fait sur ce point-là ou un autre. Mais pour l'instant c'est le seul point qui me semble relativement semblable. Et puis, à quoi je pense moi d'ailleurs? Je vais pas demander à une poule pourquoi on appelle leur enclos une basse-cour, parce que la pauvre doit n'y être pour rien. Je sais même pas comment ils appellent ça. Et après coup, j'ai même pas envie de savoir. Je veux même pas essayer de penser comme une poule, ne serait-ce que par peur de perdre dans neurone dans le tas ou de voir ma capacité de réflexion curieusement baisser. C'est bien ce que je dis, je plains la personne qui a une forme de poule. Ou coq, parce que ça doit pas être bien futé non plus. Ça fait le beau et ça chante. Et la poule pond des œufs. Eh! Mais c'est grave ça. Imaginez vous pondez un œuf sous forme de poule et que vous avez rien à manger sous forme humaine. Ça fait quoi de manger son enfant? J'ai beau essayer d'y penser, je ne vois même pas comment la chose est possible. Nan, je vois vraiment pas. Bref.

- J'en sais rien, mais ça doit être très, très, très bizarre à entendre. Est-ce que ça peut avoir le hoquet en premier lieu ?

J'en sais rien. J'ai sorti ça tout à fait n'importe comment. Je sais même pas si ça peut avoir le hoquet. Mais c'est un animal comme un autre non? Un oiseau. Bon, c'est vrai que je n'ai jamais vu d'oiseaux avoir le hoquet. Ou peut-être chez les oiseaux migrateurs, quand on en voit un qui dans le tas n'arrête pas de dévier de sa trajectoire. Ben peut-être qu'il a le hoquet. Et qu'il arrive pas à battre des ailes en même temps. Notez que ça peut être vachement handicapant en fait. Mais si ça se trouve, on est les seuls êtres vivants, nous les humains, à pouvoir hoqueter. Et c'est vraiment pas un cadeau. Avez-vous déjà vu un guépard avoir le hoquet? Ou une salamandre? Rien, nada. Un vache, pareil. Imaginez le bruit que produirait une vache en ayant le hoquet. Nan... Je crois qu'on est vraiment les seuls à pouvoir avoir le hoquet.

-J'en sais rien. Faudra que je me renseigne sur l'apparition du hoquet.

Encore un truc idiot à chercher sur mon ordinateur. Je sais pas comment ça se fait que je pense à des choses pareilles avec Takeji, mais j'avoue qu'il n'y a qu'avec lui que j'arrive à sortir une philosophie sur le lait, et une psychologie sur le hoquet des poules. Mais bon, ça ne fait pas de mal. J'attrape mes deux petits poulets sagement immobiles. Tu vois, moi je soulève carrément deux poules. Mais j'ai encore mieux. Je peux faire sans les mains et je peux toujours avoir deux poules en l'air. Tu veux voir ce que ça fait? Je te jure que tu vas être bouche bée. Je pose une première poule sur ma tête -attention aux cheveux...- et la seconde sur mon pied en équilibre. Elle se tient pas mal pour éviter de tomber et moi je ris aux éclats. J'ai l'air de quoi avec une poule sur la tête et une autre sur le pied? À tout le monde sauf à un prof.

-Hey! J'te le fais même sans les mains, matte ça.
- Tricheur ! Elles sont bien sages ces poules, elles ne doivent pas savoir que t'es un matou en vrai.
-C'est justement parce qu'elles le savent qu'elles se tiennent aussi bien.

Nan, je mens. Et c'est pas bien de mentir, je sais. Je leur ai pas dit qu'en fait, en plus d'être télépathe, j'étais métamorphe, et qu'au moins trois de celle-ci étaient susceptible de les manger. La belette, le léopard et l'ocelot. Peut-être le busard, mais je pense pas que ça fasse parti de son régime alimentaire. Vous me direz que les poules sauvages dans les pays froids n'existent pas. Donc que le léopard n'a pas de raison de manger une poule. Les poules albinos, ça fait des poules blanches? Parce qu'on sait jamais, étant donné qu'il existe des renard polaire, y'a peut-être des poules polaires. Et elles sont blanches. Et elles volent, sinon elles sont cuites. Poulet grillé sur broche. Je soupire, parce que mes délires intérieurs vont trop loin. Pas que ça me gêne mais bon. Je décide de relâcher les deux poules, parce que mine de rien, une poule c'est lourd sur un pied en équilibre. En plus j'ai peur pour mes cheveux. J'ai intimé le fait qu'elle ne crotte pas sur ma chevelure, mais j'aime éviter des risques facilement évitables. Avec tout ça, je dois avoir des plumes dans les cheveux. Mon dieu. De toute façon, je vois même pas. Alors ce sera Taki qui me le dira. En attendant, je passe une main dedans et secoue le tout. C'est bien ce que je disais. Y'a une plume qui me nargue en passant devant moi. Elle me dit que ses copains sont encore là-haut. Les poules au final c'est comme les humains. Quand ça a peur, ça perd des cheveux. Ou ils deviennent blanc. Oh! Les plumes deviennent blanches? J'avais raison, les poules polaires, ça existe. Plus qu'à expérimenter le tout au pôle Nord.

Calme. On finit notre télékinésie. Et la vache nous fixe. Bon, moi je ne la regarde pas vraiment, parce que ma tête a tirée la sonnette d'alarme depuis pas mal de temps. Alors je me concentre plutôt sur elle. Mais au final, ce n'est que lorsque Taki hausse la voix que je me rends compte de cette fixation

- Boule de Poil parle lui, elle nous fixe, c'est pas normal. Ah et puis, je sais pas du tout ce que ça peut bien manger alors... Tu peux lui demander ? Comme ça si jamais elles s'intoxiquent, ça sera de leur faute.

Lui parler? J'ai jamais parlé à une vache. Enfin essayons. Je brise le mur de ses pensées. Et sort l'instant d'après sans avoir parlé une seule seconde. Pour toute guise de réponse, je me plie en deux et ris aux éclats. Ça peut paraître bizarre pour quelqu'un qui n'a pas suivi. Les vaches, c'est trop drôle. Et celle-là encore plus. C'est moins idiot qu'une poule, mais ça a pas grand chose quand même. Je ne peux même pas lui parler. Je crois que la vache a eu un blocus au niveau du cerveau. J'ai l'impression qu'elle m'envoie des interrogations basées sur le même mot depuis tout à l'heure. Quoi, quoi, quoi? C'est trop drôle. Excellent. Et puis, il y a une voix en fond. Un espèce de bruit de fond très grave. On y fait rapidement plus attention. Je ne sais pas trop à quoi ça sert mais en tout cas, chez les autres vaches, ça le fait pas. Je crois... que c'est comme les vieux tacot. Pour démarrer, ça fait du bruit. Ben les vaches, quand ça réfléchit, ça fait du bruit. Voilà mon interprétation. Je m'adresse à une autre vache pour lui demander ce qu'elle a l'habitude de manger. Tout ce que je sais, c'est qu'il faut pas être pressé de parler à une vache. Ça équivaut aux Hents dans le Seigneur des Anneaux. En moins long, mais c'est vraiment lent. Pas de doute, les vaches prennent le temps de vivre. Quand je parviens enfin à comprendre quelques petits trucs, Takeji m'appelle des vingt petits mètres qui nous séparent.

- Hey Ren, c'est ça que ça mange les vaches ?

Il me montre des sachets de granulés. Je tourne mon regard vers la vache avec laquelle je m'exprime. J'avais encore raison. Y'a le petit bruit de fond grave. Elle réfléchit et hoche la tête de haut en bas. Je prends ça pour un oui. Je regarde alors Takeji et acquiesce :

-Ouais c'est bien ça. Faut les servir dans les mangeoires autour de l'enclos.

Enfin, d'après la vache. Bon, je me déconnecte de son esprit, parce que c'est franchement chiant d'écouter ce bruit de fond grave. Ça me fait le même effet qu'un clignotant dans une voiture. Ça énerve. Je me demande comment une vache peut réfléchir avec ce bruit. Enfin, vous me direz, peut-être que c'est pour ça que ça évite de réfléchir. Je suis méchant? Nan, simplement réaliste. Si j'avais une petite voix qui me disait « hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé » pendant que je réfléchis, je prendrais le temps de penser à réfléchir avant d'y songer sérieusement. Bref. Takeji s'est perdu ou quoi? Le voilà qui ne revient pas. Ça va pas aller ça. Je délaisse la vache qui réfléchit probablement encore et me dirige vers la petite cabane à nourriture. Je regarde devant moi. Pas de Taki. Avec sa téléportation, il a pu aller n'importe où. Il a bien pu attendre que je rentre pour se téléporter derrière moi et me faire peur. Je m'apprête à parler lorsque de la poussière tombe devant moi. La voix de Takeji confirme mes soupçons.

- Le Chat, y'a plein de souris là haut.
-Mais qu'est-ce que tu fous? Take, t'es avec des béquilles je te rappelle. Descend de là avant de repartir à l'hôpital. Ça t'a pas suffit?

Tout ça prononcé sur une voix de blasé. Oui, je suis pas son père non plus. Simplement son ami. Alors, il peut faire ce qu'il veut de sa vie. Mais je m'inquiète quand même. Et c'est pas la peine d'être monté là-haut pour me dire qu'il y a des souris. Il y a des souris partout. Et pourtant, je me dirige pas vers eux dès que j'en vois une. Non, mais t'es incroyable comme garçon... tellement insouciant par moment. Mais je peux dire la même chose. On est censé garder la maison, et on a déjà joué avec des poules et soulevé une vache. Est-ce que des gens normaux sont censé devoir faire ça? Vous me direz, tant qu'il n'y a pas de morts, tout va bien. Par contre je m'inquiète sérieusement de la vache qu'on a soulevé. Elle réfléchit encore. J'espère que c'est pas devenu un légume encore plus légume qu'une vache. Sinon, ben j'appelle même plus ça un légume. Je baisse les yeux pour éviter de me prendre de la poussière et prend quelques sacs de nourriture. Je sais pas ce qu'on doit mettre. Mais comme les fermiers sont intelligents, y'a marqué sur le cabanon le nombre de doses à donner. Je me disais bien qu'il devait y avoir un petit mémo quelque part. Je pose mon index dessus. Ah ben voilà. Trois seaux. Lentement, je commence à remplir les seaux de granulés.

-Hey, descend j'te dis. Faut au moins que ta téléportation serve si tu peux pas porter. Amène-les tous près des mangeoires, je me charge du reste.

Sur ces mots, je sors du cabanon, les trois seaux juste devant, bouchant la sortie. Voilà, comme ça t'es obligé de passer devant. Sauf si tu triches avec ta téléportation. Et t'as pas le droit tricher, parce que tu veux m'aider, pas vrai mon gentil petit meilleur ami? Sur ces mots, je vais voir la vches qui continue à se poser des question. Elle... elle va pas bien. J'infiltre sans problème son esprit. Inspire profondément puis ferme les yeux. J'ai jamais tenté la persuasion avec mon don... je me demande ce que ça va donner. D'un seul coup, j'irradie toutes les parois des l'animal, tant mentales que physique, et lui ordonne avec fougue de stopper son blocage. Il y a un silence. Plus de bruit de fond. J'ai réussi? Pfou. Ça m'a vidé. C'était pas long, mais ça demande pas mal de concentration. Je reprend une respiration plus ordonnée et observe avec fierté la vache se lever de son endroit et s'approcher des mangeoires. Gagné. Victoire sur la vache amorphe.

-Rappelle-moi de plus jamais faire de télékinésie sur une vache.

Ouais, parce que j'ai réussi là, mais je suis pas sûr de pouvoir faire de même un autre jour. On joue avec les moutons?

Jouer dans une ferme
nuit à la santé.

J'observe Takeji avec une tête de merlan fris. Je ne comprendrais décidément jamais ce qui motive un téléporteur à faire abstraction du danger pour chercher toujours un endroit plus haut à atteindre. En plus, il a l'air idiot là-haut. Surtout pour me faire une remarque qu'il juge me concerner, mais dont je ne me sens pas du tout visé. Il y a de quoi soupirer. Mais à jouer l'équilibriste, il me fait plutôt peur. Alors je préfère jouer à papa Ren qui fait attention à ses enfants. Mais papa Ren, une fille, ça lui suffit, alors il veut pas s'occuper d'un grand enfant avec. D'ailleurs, je me demande s'il est au courant pour ma fille... j'en sais vraiment rien, car puisque Miyaki est en congé maladie et que j'esquive le sujet dès qu'il prétend atteindre mon oreille, il n'a forcément que très peu de chance de sortir du filet que j'ai tissé main.

Bon, sa téléportation ne me sert pas du tout là. Et c'est pas faisant des conneries que ça sera utile. Alors s'il ne peut pas bouger, au moins il peut déplacer. Ce sont deux choses très distinctes, bien que l'on ai tendance à les associer à tort. On peut rester assis sur une chaise et déplacer un livre. Voilà la différence notoire. Bref. Allons nourrir ces vaches avant qu'elles ne deviennent folles à voir la nourriture leur passer sous le museau sans pouvoir les atteindre. Quoique ces dernières n'ont pas l'air aussi pressées que les poules qui bougent dans tous les sens. Nan, celles-ci t'observent d'un air blasé, lassé, que la joie semble avoir délaissée pour faire place à l'habitude. Ce que la vie d'une vache doit être triste.

- Je ne peux pas tomber le Chat, et ça m'a plus qu'amplement suffit pour les 30 ans à venir au moins.

Bon, au moins je suis rassuré qu'il s'essaye aux métiers du cirque uniquement pour l'amusement plutôt que pour un simili de suicide. C'est bon, j'ai assez subi de peur pour trois ans, ou même toute ma vie... d'abord Take, ensuite ma mère et puis Miyaki. Cette dernière m'a, je pense, le plus rendu triste. Je crois que je n'ai jamais autant pleuré de ma vie. J'ai cru que j'allais vraiment la perdre cette fois-ci. Mais non, elle est revenue. Rien que pour Ayumi et moi. J'aime la vie de famille au moins pour cette raison. D'ailleurs, je me demande comment vont les gosses de Takeji. Et si Shy s'est bien remise de son accouchement et puis... s'ils sont heureux et puis... j'ai tellement de questions à te poser. Je ne veux pas qu'on se perde de vue bien que l'on travaille au même endroit. La vie d'un sorcier est longue, mais elle reste ridicule face à l'âge de la Terre. Bref, c'était la partie philosophie du jour, c'est pas le moment de débattre sur tel ou tel aspect de la mort. Je vais nourrir des vaches, pourquoi je pense à ça? Parce que ce mariole là-haut s'amuse à jouer avec mes nerfs et ma peur? Sympathique. Bon allez, le guignol, on descend de là tout de suite. Il me semble que ma télépathie qui ne marche pas sur les humains face subitement un effet, puisque mon ami se résigne à descendre. Bon, une peur en moins. C'est déjà une chose.

- Ren, t'as pas confiance en ton pouvoir ? Ton gros chat, t'as pas confiance en lui quand tu l'incarnes ? En ses sens, en ses perceptions, en son instinct, depuis le temps que tu pratiques. Bah moi j'ai confiance en ma téléportation. Si je devais tomber, elle me rattraperait sans soucis.

C'est une façon de voir les choses. Mais la métamorphose n'a pas que des qualités. Non, pas du tout même. C'est une partie de nous-même, elle fait face à nos sentiments. Et bine qu'elle puisse nous sortir d'affaire de nombreuses fois, elle n'en reste pas moins nous-même, et réagit donc à nos émotions. Voilà pourquoi ma demande en mariage s'est soldée par une métamorphose pure et simple. Mais au moins, plus on entretient une bonne « relation » avec notre forme fusionnelle, plus il nous est aisé de l'appeler comme de la ressentir. Enfin bon, c'était pour la minute professeur. C'est difficile à expliquer, mais c'est en tout cas de cette façon que j'essaye d'exprimer cette entente familière entre moi et « lui ». J'ignore s'il ressent la même chose. Peut-être qu'il n'y a pas quelqu'un d'autre avec lui, qu'il utilise sa téléportation comme si c'était son bras ou sa jambe. Certains métamorphes aussi peuvent penser ça comme un prolongement de leur corps. Mais pas moi. Je ris à moitié avant de m'expliquer à l'oral.

-C'est différent. Pour moi, il n'y a pas qu'une seule personne, il y a mon animal et moi. Deux entités dans une seule conscience. Deux choses qui comprennent en même temps mais qui pourtant ne réfléchissent pas à l'identique à tel ou telle situation. En ce sens j'ai confiance en elle. Et puis... -je secoue la tête- c'est pas le sujet! J'en ai rien à faire que tu ai confiance ou non en ton pouvoir! Tout ce que je sais, c'est que j'aime pas la téléportation et que tu me fais peur à jouer à l'équilibriste avec des béquille sur une surface bancal. Point à la ligne.

Je rougirai bien de mon manque de maîtrise. Dès qu'on me parle de métamorphose, de musique ou de japonais, je m'éclate tout seul. Je fais des monologue à n'en plus durer parce que j'en exerce la profession. Et donc bref, je m'écarte de cet endroit et file jusqu'aux mangeoires, attendant patiemment que Taki se décide enfin à venir me voir avec ses échasses et les seaux de granulés. J'en empoigne un, manque de tomber à la renverse lorsqu'enfin le seau se décide à me faire subir son poids réel. Je vénère les agriculteurs pour cette raison aussi. Ils ont une force de fou. Et moi, qui suis tout mignon, tout gentil et fort uniquement avec ma forme fusionnelle, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'au corps à corps, je n'ai aucune chance de gagner face à eux. Je termine peu après de donner la nourriture aux vaches. Cela doublé à un mal de dos insoutenable. C'est lourd. Et ces vaches n'ont même pas l'air de vouloir me remercier. Je vous l'ai dit, ce sont tous des blasés. Encore plus blasé que je ne l'étais par le passé. Rime! Bref, c'est vraiment la dèche des haricots. Et puis cette vache que j'ai réussi à débloquer et qui a depuis infesté mes parois neuronales. Depuis j'ai mal à la tête en complément du mal de dos. Je vous dis, je vais bien dormir ce soir. Et je vais demander à Miyaki de me masser accessoirement. Quoi, je profite? Pas du tout! C'est ma copine, je l'ai déjà massée, il n'y a pas de raison qu'elle ne fasse pas un petit effort pour moi. Surtout que je suis persuadé qu'elle acceptera quoiqu'il arrive. Mais je ne m'étendrais pas sur le sujet, voulez-vous?

- Ça fait quel bruit l'esprit d'une vache ? Elles t'ont menacé ? Te laisse pas faire hein !

Je ris en secouant négativement la tête. Non,elles ne m'ont pas menacées. Elles n'ont juste qu'un neurone unique qui gère trop de choses à la foi et qui fait donc un bruit de vieille voiture lorsqu'elle a à réfléchir. Nan, je suis vraiment trop méchant là. Si ça se trouve, c'est ce bruit qui les oblige à réfléchir, car il ne s'arrête pas tant qu'elle n'ont pas élaborées toutes les parties de leur raisonnement... j'en sais vraiment rien, à vrai dire. Alors, expliquer à l'oral des thèses que je suppose davantage que je n'expose, c'est peu envisageable. Mais je ne vais pas laisser Taki sur sa faim, car je suis persuadé qu'il meurt d'envie de connaître le fonctionnement animalier d'une vache. Et notamment de cette vache-là qui doit être la première a avoir été libéré de son poids face à la gravité pendant un certain moment. Et au lieu de se sentir heureuse, comme le premier homme qui a marché sur la Lune, ben elle se bloque. Elle ne voit pas ce qu'elle gagne à ça. Je ne vois pas non plus, mais il doit forcément y avoir un sens. Profondément caché, mais existant. Bref. Ces vaches. Elles vont me tuer un jour. Elles ne mesurent pas leur chance. Elles vivent blasé sauf pendant les quelques années qui suivent leur naissance. Ensuite, on les exploite pour leur lait. Pas bien passionnant. Au final, elles finissent à la boucherie.

-C'est dur à expliquer avec des mots mais... ça fait un bruit de vieux tacot quand ça réfléchit.

Ouais, je pense que je peux pas mieux résumer que ça. C'est tout à fait la chose que l'on peut le mieux exposer sans se tromper. Sauf si vous mélanger le bruit de vieux tacot à celui d'une mobylette des années cinquante. Dans ce cas-là, je peux rien pour vous, révisez vos bases en littérature. Ou bine achetez un vieux tacot et faites-le démarrer. Au moins vous aurez le bonus du « travaux pratiques ». TP, pour les étudiants. Vous savez, je pense que les écologistes et tous ceux qui œuvrent en faveur de dame Nature et de la compréhension des systèmes hiérarchiques des animaux devraient embaucher des télépathes avec les animaux. Je pense qu'on avancerait tellement plus vite. Bon , ça sous-entendrait bien évidemment que la magie fasse partie entière avec le monde. Ce qui n'est absolument pas le cas aujourd'hui. Ben oui, voyez plutôt. Comment expliquer à un zoologue que... qu'une vache fait un bruit de vieux tacot quand elle réfléchit? Vous allez pas lui sortir « parce que c'est ce que j'entends quand j'infiltre ses pensées! » Nan. Dans ce cas-là, soit il vous prendrait pour un rigolo, soit vous termineriez en asile. Soit encore il vous croirait et dans ce cas vous révèleriez le Secret. Dans tous les cas, ce n'est pas envisageable. Voilà pour la démo.

- Ren. Tu... Tu voudrais bien être mon témoin ? A mon mariage avec Shybaï je veux dire.

Bon on va commencer une nouvelle démo, rien que pour vos oreilles. Partons du principe qu'une certaine personne va se marier. Qu'à présent, vous-même qui, jusqu'à présent, y songiez en mal, vous mettiez subitement à remettre en questions vos précédentes accusations. Que cet homme qui vous fait songer aussi brutalement que fatalement à cette chose vous demande aussi d'être témoin à son mariage... que feriez-vous? Moi? Vous me demandez mon avis? Moi... je ne sais pas ce que je ferai, c'est pour ça que j'ai besoin de votre aide. Là maintenant tout de suite. La suite de la démo est à choix multiples. Soit je lui sors cash que j'accepte malgré mes réticences passées, et il remarque un changement personnel vis-à-vis du mariage. Ou sinon, je lui réponds par une autre question, à savoir le mariage. Soit... soit je fais les deux ou je nie les deux. Mais comme il s'agit de mon meilleur ami, je ne peux pas le laisser dans l'ignorance. Encore moins lui dire que je n'accepte pas de d'être son témoin. Ça ne me gêne pas. Ça me rend presque assez fier d'être aussi proche de lui pour qu'il m'accepte en tant que témoin. Je devrais songer à la même chose pour... enfin bon. Contentons nous de répondre à sa question. Je lui offre un grand sourire d'un air amusé. Je ne le juge pas, j'admire juste sa façon de faire sa demande. Et à moi, et à Shy. Il va falloir que... que je m'y mette aussi.

-Ne t'inquiète pas, je serai là. Je signerai en tant que témoin. Tu peux compter sur moi.

Maintenant, c'est à moi de proposer. Mais je n'ai pas autant de confiance en moi sur ce point de vue là. C'est difficile de se séparer de ses habitudes, et de ses peurs aussi. Ça me stresse beaucoup. Et comme je sais que si j'en parle à mes parents, ils prépareront tout sans me demander mon avis, je préfère le faire avec Taki. Lui au moins il saura me conseiller parce qu'il y sera passé quelques semaines avant moi. Il ne peut pas savoir à quel point j'ai peur. Je fixe encore un instant ces vaches qui n'accordent à la nourriture qu'une maigre place dans leur train train habituel. Lorsque je tourne la tête, je vois de nouveau Takeji clignoter en s'éloignant de moi. Naaan, mais si en plus je dois le chercher pour lui demander son avis, je suis pas sorti de l'auberge. Mais autant paraître le moins suspect possible. Alors je le suis, l'air soupirant, les mains dans les poches et la tête légèrement inclinée, un sourire sur les lèvres. Je relève la tête quelques minutes plus tard, pour tomber nez à nez face à un mouton. Mais c'est pas une ferme ça, c'est le centre d'agriculture international. Comment un couple peut s'occuper d'autant de bêtes et de parcelles ? C'est pas faisable. Enfin bon, maintenant qu'on a donné la nourriture aux vaches, on est tranquille, on peut s'amuser avec les moutons. Ah, les moutons... encore des bêtes pas très futées. Il suffit que l'une d'entre elles tombent dans une crevasse pour que tout le troupeau s'y dirige sans flairer un instant le danger. C'est pour ça qu'on utilise l'expression « suivre en mouton de panurges ». Bref. Voilà. Hey, j'avais dit que j'allais parler de mon jumeau. C'est l'occasion avant d'enchaîner sur quelque chose de plus... important.

-Take, au cas où, si jamais tu croises un jour ou tu as croisé un jour une personne qui me ressemble comme deux gouttes d'eau mais qui t'accostes pas comme moi, ne te sens pas frustré. J'ai appris que le nouveau professeur du Mystery était mon jumeau...

Bon, j'arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, mais il fallait que j'en parle. Parce que bon, j'ai beaucoup changé de style vestimentaire depuis le temps. Et Katsu continue à s'habiller d'une manière encore plus féminine que moi. Je devrais peut-être penser à me teindre les cheveux en brun pour reprendre ma couleur naturelle et différencier nos deux natures. Bref. Parlons à ce mouton. Il me regarde et bêle. Oui, bonjour. Je m'accroupis devant lui et tend lentement la main. Il arrive lentement, suivit par deux autres moutons. C'est mignon. Y'a même des agneaux dans le lot. C'est chou. Et puis ça parle d'un air marrant. C'est léger, mais si je devais assimiler leur pensée à quelque chose, je dirai qu'elle ressemble à la mer. Y'a des vagues par moments, et sinon c'est calme. Y'a quelquefois des mouettes, mais ça ne la dérange pas. Et tous les poissons dans l'eau, ce sont les neurones du mouton. Ce que l'on voit, c'est ce qui est à l'extérieur et non toute al faune à l'intérieur. Les abysses, on ne les connaît pas. Le mouton c'est pareil. Il a la place de réfléchir, il pense, mais tout cela reste encré dans son cerveau, sans jamais passer la barrière de ses pensées. C'est dommage. Donc il suit.

- Et un mouton, ça pense comment ? Dis, tu crois qu'ils ont froid quand on leur enlève leur laine ?

Je secoue la tête d'un air amusé. Qu'est-ce que j'en sais ? Je vais pas leur demander ce qu'il se passe quand on leur enlève leur laine. Ils sont comme ça, un point c'est tout. La laine, c'est fait pour repousser. Les moutons sauvages, ils doivent bien perdre leur poils. Et puis... les agneaux ils sont plus petits, moins résistants, et ils ont pas froid pour autant. Alors je vois pas pourquoi les moutons auraient froid. Je pense plutôt qu'ils devraient se sentir vidé d'un poids qui leur incombe sur leur peau. Alors je pense même que ça leur fait du bien. C'est comme les vaches qui ont mal aux pis si on les trait pas tous les jours. Je caresse le sommet de la tête de l'animal et répond, pensif :

-C'est comme la mer. Imperturbable, mais avec des vagues par moments. Et elle suis ses mouvements, inlassablement. Comme pour les vaches, c'est difficile à exprimer avec des mots. Et pour... la laine, je pense plutôt que ça les débarrasse. Les agneaux, ils ont pas de laine et ils s'en sortent très bien.

Voilà pour la théorie. Passons maintenant à la pratique. J'entre dans le grand enclos et reste prostré devant la porte pour empêcher aux moutons de s'échapper. Je dirige un regard légèrement timide vers Takeji et poursuis :

-A mon tour pour les questions. Si un homme dénommé Ren devait faire une demande quelconque à une femme nommée Miyaki, ça en sortirai quelque chose de bien à ton avis ?

Je peux pas être plus précis, vu ma difficulté pour aborder ce sujet tabou. J'ouvre encore un peu plus la porte inconsciemment, mes pensées portées vers la réponse de Takeji. Un peu plus, encore davantage, la porte s'ouvre. Et mon ami ne semble pas le remarquer le moins du monde. Il doit être choqué. Choqué de me voir changer. Je suis choqué moi aussi. Par moi-même. C'est dur de comprendre ? Pas vraiment. Soudainement, ce n'est que lorsqu'une tête de mouton se décide à pointer le bout de son museau qu'une ribambelle d'autres moutons poussent brutalement la porte de l'enclos et me font chanceler en avant. Je tombe magnifiquement, me reçoit des coups de pattes jusqu'à ce que le dernier soit sorti. Je me relève en hâte et m'écrie dans ma langue maternelle toutes les insultes possibles et inimaginables. Purée, j'aurai pas dû jouer avec la porte. Ah ! Et maintenant ces moutons continuent à courir. J'ai vu des trucs sur les chiens de bergers. Ça me donne une idée. Aussitôt, je me métamorphose en belette puis en okapi. Je l'utilise rarement celle-là, mais comme c'est ma plus haute forme, c'est la meilleure pour rassembler un troupeau. En plus elle est relativement rapide. Take n'a certainement jamais dû me voir sous cette forme.

-Est-ce que ça te dit de jouer les bergers vingt minutes. Ça fait longtemps qu'on a pas fait de mission ensemble. On peut s'en fixer une. Ramener tous les moutons sans en perdre un seul. Pari ?

Et mine de rien, je n'attends pas la réponse, parce qu'il m'aura dépassé avec sa téléportation d'ici une seconde. Alors, je me mets à galoper pour m'amuser avec les moutons. Peu après, encore fatigué par ma télépathie influente, je finis par me rabattre sur le léopard. Et ça a plutôt une bonne influence, à rugir par moment pour faire peur aux bestioles. Je m'amuse bien là.

La vache ou les moutons,
Le mariage ou les gosses.

Taki, si tu ne descends pas de là tout de suite, je… je vais te faire descendre de là. Tu peux compter sur moi pour ça. Je le ferai. Peu importe comment, mais je le ferai. Je n’utiliserai pas la téléportation pour diverses raisons qui m’empêche de le faire. Premièrement parce que ça fera trop plaisir à Taki. Deuxièmement parce que ce n’est en aucun cas mon don second et que par mesure de précaution je préfère éviter toute tentative de fracture. Troisièmement parce que je ne supporte absolument pas ce truc. Appelez ça de l’allergie. Pas d’urticaire, mais des envies de vomissements. C’est psychologique et je fais tout pour l’entretenir. Je m’aime pour ça. Et donc les vaches finiront par dominer le monde. La raison et le rapport ? Aucun, mais fallait bien faire une transition.

J’étale donc ma science sur la métamorphose. Parce qu’en tant que professeur, je suis à même de pouvoir faire presque ressentir mes sensations à travers une personne qui n’a jamais essayé. Et puis ça me fascine d’être comme ça. Je suis mon propre objet d’expertise. Et donc j’aime la métamorphose, et toutes les louanges n’y suffiront pas pour décrire la foi que j’offre à ce pouvoir. Bref, je ne crois pas en Dieu. Parlons de ces vaches. Vaches qui fixent sans comprendre. Vaches qui semblent voir quelque chose que je ne vois pas. En fait je crois que j’ai découvert leur secret. Les vaches, ça ne doit pas seulement manger de l’herbe, ça doit aussi la fumer. Et si pour nous c’est une autre sorte d’herbe qu’on fume, ça doit avoir au final les mêmes effets. Bénéfiques ou maléfiques, ça c’est à voir en fonction des personnes. Mais je ne commencerai pas ici un débat intérieur sur la cigarette et les drogues, parce que ce n’est pas le sujet.

- Oui papa. Tu ferais un papa poule encore pire que moi, tu sais.

Je détourne brutalement les yeux. Est-ce qu’il sait ? Je veux dire, est-ce qu’il sait que je suis papa ? Que le gosse en question est née y’a pas si longtemps, que j’ai l’intention de demander Miyaki en mariage, que… ? Pour définir un peu mon état d’esprit, je dirai que je suis perdu. Totalement. Je flotte dans les mers de l’incompréhension, de… de tout ce qui se rapporte à mon état d’hébétude. Je veux dire, ça fait si longtemps que je suis basé sur des règles strictes me concernant. Non, tu n’auras pas de copine durable, non tu n’auras pas d’enfants au pluriel comme au singulier, tu ne te marieras pas, tu resteras égoïste et concentré sur ton nombril. Autant de défauts que j’ai toujours su garder en moi. Et là, pouf ! Envolé mystérieusement. Plus de trace de l’ancien Ren, de ses mauvaises habitudes, de sa flemmardise tant significatrice de son caractère. Papa Ren est là, papa Ren il fait tout pour faire plaisir à Ayumi, il court quand elle ne se sent pas bien. Il est aux petits soins sauf quand il n’est vraiment pas disponible. Tout ça pour dire, par ce magnifique paragraphe à la troisième personne du singulier, que je suis devenu presque un père exemplaire. Presque, parce que je n’avouerai jamais tout faire pour ma fille. Pour toute réponse, je râle bruyamment. Qu’il comprenne ou pas, je ne suis pas encore à même de pouvoir m’exprimer sur ce point. Sauf s’il aborde lui-même la discussion. Mais comme je n’ai pas envie d’avoir d’espoir, je préfère me taire. Enfin, cette phrase est ambiguë. Je ne veux juste pas avoir à aborder le sujet.

Ouais, ben c’est totalement foiré. Voilà que l’on se met à parler de mariage. Et ce n’est pas moi qui ai voulu en parler le premier. Takeji lit dans mes pensées ? J’ai pas de souvenirs de le savoir lecteur. Peut-être est-ce un hasard, ou M. Hasard qui s’amuse avec nous deux. Avec moi surtout. Et Take qui me demande si je veux être son témoin. Son témoin ? Le truc où on doit signer à la mairie ? Où on doit optionnellement signer à la messe ? Je ne crois pas qu’il soit catholique ni shintoïste ou autre. C’est une grande responsabilité qu’il me donne là. D’un côté, ça me rend heureux de savoir qu’il me veut en tant que témoin. Ça montre notre attachement réciproque. Et j’aime beaucoup ça. Alors je lui réponds d’un sourire et d’une affirmation.

- Merci Ren.

P’t’être que si un jour je me marie aussi, je lui demanderais d’être mon témoin. Mais pour l’instant, j’avoue éviter de vouloir y penser. Peut-être, peut-être pas, ça dépendra de mon état d’humeur. En attendant, je lui offre un sourire charmant. Il est mignon Takeji. Sa femme a de la chance d’avoir un aussi gentil mari avec elle. Et cette pensée me donne encore plus envie de sourire. Cette pensée me donne même envie de rire, alors c’est ce que je fais. Je n’en suis pas à m’en tordre l’estomac, mais c’est déjà suffisant pour réussir à faire couler quelques larmes. On a du mal à comprendre mon humour, surtout qu’il ne s’agit pas vraiment d’humour au sens propre. Bref. Je décide de changer de sujet. Parlons de mon jumeau. Ouais, mon jumeau, le nouveau prof de l’orphelinat. Quand je l’ai su, ben j’ai eu du mal à y croire. Et je me suis pas mal embrouillé avec ma mère par la suite. Elle a beau être une femme faible en ce moment, son caractère reste le même, et je pense savoir de qui j’ai hérité mon égoïsme si peu appréciable et ma fierté. Avec une hésitation non dissimulée, je commence à aborder le sujet. Ce à quoi répond lentement Taki. Je pense bien que c’est pas forcément facile à croire. C’est même carrément impossible en temps normal. Il pourrait aller partout, mais non c’est là qu’on se voie. En plein endroit paumé. A Little Angleton.

- T'es sûr que vous étiez que deux hein ?

Je l’observe étrangement. Ben évidemment que oui. Je ne vois pas où il veut en venir. En même temps, vu la tête qu’il me tire, je finis par comprendre qu’il n’arrive pas vraiment à y croire. Alors je soupire doucement. Oui, on est que jumeaux. Pas de triplés. Ni plus que ça. Et ne me demandez pas comment on appelle quatre jumeaux. Un quatuor ? Comme à la musique. C’est poétique. Je chercherai ça plus tard. Et donc oui nous ne sommes que deux. J’hoche faiblement la tête d’un air dépité. Je suis heureux d’avoir retrouvé mon jumeau, mais comme je l’ai ignoré jusqu’à présent, je ne peux pas m’empêcher de m’en vouloir. C’est comme avoir ignoré sa moitié pendant trop de temps.

- Il s'appelle comment ? Je ne suis pas encore retourné à l'orphelinat depuis... Bah depuis l'accident en fait.

Ouais. D’ailleurs, tu devrais te reposer chez toi non ? Je n’aurai peut-être pas dû l’emmener avec moi, mais bon après tout c’est lui qui est venu vers moi. Mais qui sait… qui sait peut-être qu’il veut justement se détendre un peu. En tout cas, je suis content de le voir aussi heureux. Plus jamais, non, plus jamais je ne veux le revoir dans le coma. C’était trop dur à supporter. Et Miyu qui me l’a fait juste après, pour une durée moins longue heureusement. N’empêche que j’ai déjà donné. Bref, c’est vraiment pas le sujet. Répondons.

-Katsuyoko Kiyo. Il a pas le même nom de famille que moi. Je lui ai pas demandé ce qu’il enseignait.
- Tu as réussi à digérer la nouvelle ? C'est gros. Encore une embrouille familiale hein...

Digérer ? Encore aujourd’hui, j’ai parfois du mal à réaliser. Mais quand je croise son visage, je n’ai pas même le droit de me poser de questions. Il me ressemble en tout point. J’ai toujours l’impression d’être en face d’un miroir. C’est déstabilisant. J’espère juste que ça ne va pas devenir embêtant. On croit avoir affaire à untel et puis finalement on se trompe. Et ça j’aime pas vraiment, même si j’ai pas vraiment eu l’occasion d’être face à ce genre de situation. Mais j’ai vu des jumeaux finir par entretenir de mauvais rapports à force de ne pas pouvoir les différencier. Et j’aimerai éviter d’avoir à haïr un jumeau que je viens de retrouver, si on peut appeler ça comme ça. Je parle davantage de découverte.

-Disons… que c’est venu sur moi d’un seul coup. Je me suis baladé dans la forêt et paf, je suis tombé sur lui sous forme fusionnelle. Ouais, trait pour trait, il me ressemble. Le don et la magie sont les mêmes aussi.

Oui, va falloir faire attention Takeji. Spécialement toi avec qui je traîne le plus souvent. Il faut dire que niveau caractère on ne vit vraiment pas dans le même monde, Katsu et moi. Mais on se ressemble tout de même. Nous n’avons pas non plus la même voix. La sienne est plus aiguë. Légèrement. C’est choquant pour moi, mais peut-être pas pour quelqu’un d’autre. Bref, venons-en ensuite à cette fameuse découverte qui n’aurait pas dû être considérée comme telle. Mince quoi, tu vis 25 ans comme si tu te croyais enfant unique et paf ! Quelqu’un débarque et chamboule absolument tous tes principes. Je trouve ça étrange. Si ça se trouve on m’a cloné. Ça se trouve c’est vraiment ça. Mais ça fait potentiellement entrer le fait que ma mère soit elle aussi dans le coup. Et je la vois mal vouloir me cloner.

-Et puis…ouais. Tu aurais très bien pu ne jamais me rencontrer jusqu’à ce jour. C’est juste parce que je suis né quelques minutes plus tôt que j’ai hérité du nom de famille. Ça explique l’ignorance totale de mon jumeau.

C’est tellement dur la vie de riche parfois. Ça se tire dans les pattes, ça élabore des plans dans l’ombre, ça n’hésite pas à faire des coups foireux pour une chose infime. Ça désire tout et c’est prêt à tout pour l’obtenir. Bon, c’est pas non plus la mafia, mais ça peut dangereusement s’en approcher si on n’y fait pas gaffe. Et je ne veux pas rentrer dans cette sphère sans échappatoire. Et donc voilà la vie de Ren Takahata. Le mec qui a retrouvé son jumeau alors qu’il devenait papa. C’est à ce moment-là qu’on se pose la question « mais jusqu’où vont les nerfs de ce jeune homme ? » Honnêtement, moi-même qui suis derrière cet écran à débiter toutes sortes d’âneries, je me pose la question sans parvenir à trouver une réponse. Je lui fais subir tellement de choses qu’il pourrait très bien être mort depuis quelques années sans que rien ne change. Alors voilà, moi ta créatrice, je te le dis : pardon Ren.

S’ensuit l’histoire des moutons et de leur magnifique pensée intérieure. Prononcé d’une façon vraiment poétique pour ces bêtes vraiment bêtes. Alors comme nous sommes sur les questions bêtes, profitons-en pour faire passer une sensation un peu moins bête, afin que l’on pense qu’elle soit aussi bête que les autres.

- Voyons... En supposant que ces illustres homonymes vous ressemblent, à toi et Miyaki, et que cette demande ressemble à une demande en mariage, ça irait tout à fait, elle dirait oui les yeux fermés. Bien entendu, je prends les exemples qui me tombent sous la main, y'a rien de fait exprès.

Serait-il possible que ma sublime diversion ai fait fausse route ? Me suis-je fait démasquer aussi vite que ça ? T’aurais pu marquer un temps de suspense là. Ne serait-ce que par respect pour ma santé mentale. Maintenant, c’est malin. Vraiment malin. Comment veux-tu m’empêcher de rougir après un tel aveu ? J’ai tout fait passer sans rougir et paf, tu déballes tout en bloc. Nan mais vraiment, un peu de tendresse, que diable. Je finis par l’observer d’un regard méfiant. Et qu’est-ce que je dois dire maintenant ? D’abord, je dois me calmer. Stopper l’afflux sanguin. Faire tout stopper. Voilà, c’est terminé. Et maintenant ? J’essaye de renvoyer la balle du mieux que je peux, malgré mon peu de connaissance sur ce domaine.

-Mais quelle idée ! Voyons, je t’ai déjà dit que je n’avais pas l’intention de me marier. Mais merci pour l’exemple, je saurai en faire usage… plus tard.

Ouais, ben la prochaine fois, tu prendras des cours de mensonge, hein. Parce que j’avoue que c’est vraiment pas crédible. D’un, parce que le ton de la vois ne s’accorde pas avec l’apparente désinvolte. De deux, parce que parler me fait redevenir rouge pivoine. De trois, parce que je me cache le visage avec mes cheveux. Et puis, je ne le regarde pas. Et ça c’est pas dans mes habitudes. Ouais bon d’accord, je suis cramé, j’ai compris. Mais c’est pas une raison. Laissez-moi ruminer dans mon coin jusqu’à ce que le moment soit venu. C’est qu’une question de principe. D’habitude aussi. Je veux pas me marier. Et pourtant, j’y pense un jour un peu plus. Et puis Takeji m’y encourage à sa façon. J’apprécie, mais je doute encore plus.

- T'as changé. Et pas en mal.

Je râle quelques paroles inaudibles. C’est ma façon à moi d’apprécier ses paroles sans l’avouer. Une sorte de moquerie envers moi-même et une reconnaissance envers Takeji. Il est vraiment gentil. Je ne pense pas que je pourrais trouver quelqu’un d’aussi sympa dans ma vie. J’ai l’impression d’avoir passé toute ma jeunesse avec lui. C’est étrange. J’arrive pas à lui cacher quelque chose, sauf quand ça m’amuse. Or, là, j’ai besoin de son avis. Et lui semble aussi bien plus curieux que je ne le pensais. Oh oui, bien plus.

- Pourquoi ce changement d'avis sur le mariage ? Si tu m'annonces que t'as aussi un gosse -dont t'auras d'ailleurs réussi à me cacher la grossesse, c'est vrai que je n'ai pas vu Miyaki depuis un moment-, je te refais un croche-béquille.

Est-ce que je dois m’écarter ? Nan mais on sait jamais. J’veux pas finir par terre moi. Je tiens à mes vêtements. Mais peut-être que je me trahis déjà suffisamment. Et puis, mes habits ont l’air de vouloir goûter au sol. Parce que même les moutons s’y mettent. Alors je ne râle plus, j’hurle au scandale. Oui, c’est un scandale, parce que j’ai même pas pu tenter une échappatoire. Et ça j’aime pas. Alors je me métamorphose pratiquement aussitôt. C’est marrant de courir après des moutons. J’ai jamais essayé, mais je sens que ça va être marrant. Je vais faire comme les chiens. En plus, y’a pas de loups. Mais bon là, ils vont finir par nous échapper. Alors je lance aussitôt une mission au jeune malade. C’est peut-être pas bon pour sa santé. Alors, dès lors qu’il termine sa phrase je lui lance :

-Et surtout fais attention à ta santé ! Sinon je te ramène à l’hôpital !

A cela s’ajoute un clin d’œil félin. Voyons voir, Takeji se téléporte déjà. Il a l’air de bien s’amuser d’aussi loin qu’il soit. Je fais de même. M’élançant dans la foulée de moutons, je rabats une bonne dizaine de moutons vers la ferme. Mais puisque d’autres continuent de s’enfuir, je décide alors de former une mini équipe, comme on le faisait si bien avant. Aussitôt, je garde le troupeau rabattu et m’adresse en criant à Takeji qui doit être quelque part :

-Take ! Rapproche les plus loin de la ferme, je m’occupe de conduire le reste du troupeau dans l’enceinte.

Ouais, parce que les moutons ont pas l’air de vouloir faire ami-ami avec moi. J’dirai même qu’ils ont peur que je les mange. Mais j’avoue que le mouton avec sa laine ne me donne pas la bave aux lèvres. Bon, certes, je n’irai pas jusqu’à dire qu’ils ne me font aucun effet, mais j’ai déjà mangé donc ma forme fusionnelle ne peut rien vouloir de plus. Bref, on peut parler d’autre chose ? Je soupire brutalement mais m’occupe de faire rentrer les bêtes dans leur enclot. Mine de rien, ce petit truc nous prend quand même une bonne dizaine de minutes, voire plus. C’est amusant et terriblement fatiguant. En fait, c’est juste génial. De mon point de vue en tout cas. Je reprends mes habits que j’ai laissés au sol et me rhabille tant bien que mal. Purée, ils sont tout sales. Mais au moins les bestioles sont rentrées. Et donc, pour en revenir à ce fameux mariage :

-Et donc oui. Je suis père depuis quelques semaines.

Ceci dit d’un air totalement détaché, les mains sur les genoux en respirant fortement pour reprendre mon souffle. C’est lui qui devrait l’avoir coupé dans pas longtemps.

Place au réconfort,
après le sport?

C'est pas si facile de parler d'un jumeau en fait. Je sais pas, comment vous le vivrez si un jour on vous annonce cash que vous avez un frère jumeau ? Je vais décomposer le tout pour vous aider, en me basant sur mon propre exemple. D'abord, il y a le silence. Ensuite, l'information monte au cerveau. Il y a l'analyse. Savoir dans quel branche classer cette information. Et en général ça peut prendre un certain temps. D'où le silence. Pour ma part, je réagis assez rapidement. Mais il y a des fois... des fois comme celle-ci -que j'espère de tout mon cœur ne pas se reproduire plus d'une fois dans ma vie-. Bref, viens ensuite le moment où on parle. Et sans balbutier s'il vous plaît. Voilà pour la courte description. Le problème de tout ça c'est qu'on nous le dit en face. Là, j'ai dû deviner. J'ai dû extraire les vers du nez à ma mère. Et j'ai dû penser par moi-même que cette personne en face de moi était potentiellement mon frère jumeau que je n'ai jamais connu pour histoire familiale. Ma mère est vraiment une étrange personne sans cœur. Et je sais que malheureusement je tiens parfois d'elle. Parce qu'elle m'a en partie habitué à être ainsi. Mais voilà, mère, j'ai grandi. J'ai appris à me séparer de toi et de toutes tes supercheries. Et maintenant, je suis une homme responsable, tout du moins j'espère, qui est père depuis quelques semaines et qui s'apprête à faire sa demande en mariage. Dites docteur, est-ce que c'est normal ? Conclusion : Ne dis plus jamais « jamais ».

- C'est pas trop le bazard avec les gens de l'orphelinat pour vous différencier ?

Le bazar ? J'en sais rien. En fait, j'avais jamais vu Katsu à l'orphelinat avant. Il est apparu en pleine forêt sans crier gare et voilà. Depuis... ben je pense que ça doit aller mieux. Mystery a dû avoir un sacré choc en le voyant débarquer. Sauf si elle le savait. Et puis non, je ne pense pas, étant donné qu'elle m'aurait probablement prévenu avant. Je sais pas moi, quand y'a deux gosses qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau, tu cherches à parler de sosie, tu penses d'abord à des jumeaux. Ben là c'est pareil, même si on n'a pas été élevé dans le même type d'habitat, que nos idées sont donc probablement foncièrement opposés sur certains sujets. Mais bon, j'espère que ce n'est pas trop le bazar. J'ai vu que nous avions peu d'heures où il était possible de nous voir. Mais c'est clair que j'ai déjà vu des gosses arriver d'un seul coup vers moi pour me demander les cours de Coréen. J'ai pris un certain temps avant de comprendre de quoi il s'agissait. Mais je crois que je m'y suis habitué. Il faut croire que ma patience s'est améliorée depuis que Katsu est à l'orphelinat. Je me demande s'il vit le même genre de choses. Mais je m'égare. Contentons-nous d'abord de répondre à sa question. Je hausse les épaules avant d'ajouter :

-J'ai eu un peu de difficulté à comprendre au début. Pourquoi de nombreuses personnes venaient me demander quelque chose que je n'étais pas même de pouvoir résoudre ? Mais ça va mieux maintenant. Je me suis habitué. C'est clair que c'est un peu déstabilisant.

La discussion poursuit son petit bout de chemin jusqu'à ce qu'on en vienne au mariage. Il faut dire que je ne suis pas très discret. Et puis de toute façon, dans la tête de Takeji, peu importe de la façon dont je l'aurai dit, il aurait deviné. Car non, je ne suis pas le genre de personne à parler de mariage tous les jours, et Taki le sait probablement mieux que moi. Alors autant sortir cash tout en s'empêchant de rougir que Ren a l'intention la plus pure de demander Miyaki en mariage. C'est pas mignon tout ça ? Je me le demande bien. Pour moi, ça n'a rien, mais alors absolument rien de mignon. Déjà, il faut que j'arrive à trouver quelque chose de mignon. Y'a bien un truc qui me vient en tête là maintenant tout de suite, mais si je le dis, ma fierté renesque va en prendre un coup et être remise en cause par papa Ren qui aime son enfant chéri.

- Plus tard bientôt ?

C'est pas bientôt fini ? Non mais je t'en pose des questions moi ? Oui, probablement. Mais... mais voilà. Si j'étais en train de boire un jus d'orange là maintenant tout de suite, je serai mort. Parce que je me serai étouffé et que l'orange aurai cramé mes poumons. Oui, le jus d'orange avalé de travers, ça fait très très mal. Ne reproduisez pas ça chez vous si vous ne voulez pas connaître pareil souffrance. Et si malgré tout vous persistez suivez bien mes instructions. Ne bougez plus, essayez de vous retenir de tousser même si ça fait mal. Et puis prenez une grande inspiration et éjectez le tout. Après, mangez un truc, parce que ça risque de piquer. Bon. Je fixe Taki d'un regard détaché. D'un regard renesque. Un mélange de blasé et de flemme. Je pense qu'il devinera à travers ce regard que je ne tiens pas à lui faire part de la journée exacte. Que je n'en ai probablement aucune idée et que ça se passera certainement d'un coup comme ça, parce que j'aurai pas réussi à dormir. Et je lui ferait ma demande en mariage le matin quand elle sort du lit. Même que je me transformerai après ça parce que je serai timide. Je ronronnerai aussi. Je n'ai pas des dons, c'est simplement ce qu'il passera si nous nous projetons quelques jours plus tard.

Quoiqu'il en soit, aujourd'hui, on n'en est pas au mariage, on en est à saute-mouton. Non, plutôt Exorciste Qui S'improvise Berger. Ça devrait être un jeu. Je suis sûr qu'il pourrait avoir beaucoup de succès en fait. Par contre, c'est réservé qu'à une certaine catégorie de la population. Bon ben laissez tomber. N'empêche que c'est marrant à plusieurs. Vous voyez, avec mes bêtises, je viens d'inventer un nouveau jeu. Deux professeur qui jouent. Si un élève passe, nous sommes morts. Tous les deux. Bien que je pense être le pire à blâmer. Take, tu déteins sur moi, c'est pas bon. Je demande à ce dernier d'approcher les bestioles pour que je les rentre toutes. C'est pas bien pratique, et puis on s'entend qu'à moitié parmi tout le troupeau de beuglants. C'est chiant. Certains se prennent des rugissements en pleine face, d'autres des mâchoires qui claquent et pour le reste ce n'est qu'une tentative d'intimidation. Bref, les voilà tous rentrés en une bonne dizaine de minutes. Je suis épuisé. Mais je me suis bien amusé.

Mais bon, j'en ai pas fini. Si je suis épuisé physiquement, psychiquement je suis pas encore à bout. Alors je lui annonce cash que je suis père. Ça t'en bouche un coin ? Avoue que tu t'en doutais pas ? J'ai réussi à te le cacher longtemps. Tout comme à la majorité des gens de l'orphelinat. Sauf si Mystery a vendu la mèche à tout le monde. En tout cas, je n'ai eu aucun retour. Tant mieux. Et Take ne semble lui-même pas au courant. C'est qu'il n'y a vraiment que Mystery. Ça me fait doucement rire. Il n'a pas l'air d'en revenir. Et moi, tout ce que je veux, c'est rire.

- Et tu comptais le cacher encore longtemps ? Méchant.

Pour toute réponse, je lui lance un sourire radieux. Non, je t'en parle maintenant. En fait, je pensais que tu étais au courant. Et puis même si je mens un peu sur ça, je t'en aurai parlé un jour ou l'autre. En tout cas, je t'aurai empêché de le savoir par toi-même, ou par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre. Parce que là, ça m'aurait pas plu. Alors estime-toi heureux de le savoir deux semaines après la naissance du gosse. N'empêche que son coup m'a fait tombé par terre. En tout cas, je pense que je l'ai mérité. C'est pur ça que je ne prends pas la mouche. Il est prévenu bien tard. Je m'excuserai bien, mais je jouis trop de ma bêtise et de sa tête. Je suis pas malin et un peu trop direct.

- Et alors ? Fille, garçon, tu le vis bien ou faut appeler S.O.S suicide ?

Eh bien :

-Fille ! Elle s'appelle Ayumi. Je suis mort sur le coup, mais j'ai ressuscité.

Ironique. Mais enfin bon. Je réponds à ce qu'il me dit. Avec le même ton. Voilà tout. Dis :

-Je suis claqué, Take. Ça te dirait qu'on se pose ? J'ai l'impression d'avoir couru un marathon.

Et d'un certain point de vue c'est un peu le cas. Mais c'était amusant. Très amusant. Maintenant repoooos.

Moutons, moutons,
comptez-vous tous seuls.

Il y a des trucs qui peuvent paraître bizarre. Pour le reste, il y a la magie. C'est étrange quand on y pense. D'où ça vient exactement ? Personne ne le sait. Ni depuis combien de temps ça dure. Si ça se trouve Elizabeth II avait des pouvoirs pour défaire l'armada espagnole. Déchaînement des éléments. Peut-être était-elle élémentaliste. On en sait rien, et on ne le saura jamais, sauf si on appelle une personne qui sait parler aux morts. Reste à savoir si sa seigneurie voudra bien faire le déplacement jusqu'au monde des vivants. Je sais bien qu'il n'y a pas de vie après la mort, mais c'est tellement plus facile de se figurer une vie éternelle après ça. Personne n'en est revenu et c'est beau de penser ça. Bref. Pourquoi je pense à ça ? Parce que vous trouvez vraiment normal de voir apparaître un mouton en plein milieu d'un troupeau de mouton ? Je savais pas que la téléportation était transmissible. Si tel est le cas, j'ai peur pour les moutons autour de lui. Qu'est-ce qu'il a encore fait ? Je ne vois pas Taki aux abords... Non je ne le vois pas. À moins qu'il ne se soit télétransporté devant moi après avoir lâché le mouton pour repartir l'instant d'après, ne me laissant qu'un maigre instant pour cligner des yeux... alors là je conçois que la téléportation soit transmissible. Bref, ce n'était qu'un agneau après tout.

- T'as vu ça Ren !

Oui j'ai vu. J'ai tellement bien vu que je soupçonne un truc louche de ta part. J'ai pas pu faire ça, et Take n'est pas illusionniste alors je ne vois que ça... Il l'a téléporté sans avoir à le toucher. Ça c'est fort. Mais comme je suis fatigué, je n'ai pas la motivation pour lui parler. Alors je lève juste la main avec le pouce vers le haut. Félicitations Taki, j'irai pas plus loin que ça pour moi. Je suis claqué à un point encore inimaginable. Bref, parlons d'Ayumi. Ah, petite Ayumi. Elle a une super voix. Mais je crois que j'en ai déjà parlé. Brave petite. Même si j'en parle tard à mon ami, il a l'air de plutôt bien s'en remettre. Même mieux que moi quand je l'ai su il y a quelques mois.

- Tel Jésus... Ayumi c'est mignon. Félicitations.

À l'origine, c'est pas vraiment moi qui ai choisi. J'étais pas en position de pouvoir chipoter. C'était soit rien, soit trop cet enfant. Alors c'est Miyu qui a choisi. Mais je ne m'en plains pas, comme dit Taki, c'est mignon comme nom. Mais bon, mieux vaut éviter de lui en parler... En plus, je suis trop fatigué. Et quand je suis fatigué je me répète. Parce que dans ma tête il n'y a plus rien à dire que cette unique phrase. Elle tourne en rond, elle infiltre mes parois, et elle finit par atterrir au niveau du cœur que se fatigue lui aussi. Je ne meurs pas mais je veux juste dormir. La sonnette d'alarme se déclenche. Super. Taki se téléporte. J'arrive à le suivre du regard quand il réapparaît quelques mètres plus loin. Il a l'air aussi claqué que moi. Peut-être un peu plus. Et il plonge dans le tas de foin. Plonger oui. Ça doit gratter. Mais ça me tente aussi. Je cherche mes vêtements d'un coup d’œil et me dirige droit dessus en reprenant ma forme humaine. Hop, enfilage de vêtements. Et partons rejoindre mon cher ami.

- Dire qu'on a juste couru après des laineux...

J'acquiesce tandis que le foin me chatouille le dos et qu'une brindille s'amuse à bouger sous mon nez. C'est dingue ce qu'on peut s'endormir vite quand on ferme les yeux. Hop, transporté dans une autre dimension.

- Tu crois qu'on peut...

Quoi ?

- Qu'on peut jouer à... Saute Mouton... Avec des vrais moutons ?

Qu'est-ce que j'en sais moi ?... Tu veux... que je leur... demande ?... Hey, moutons... moutons ? J'ai l'impression qu'ils volent autour de moi. Comme des petits oiseaux... Mais je peux pas les toucher... et ils arrêtent pas de bouger... Dans un soupir, je finis par lâcher.

-J'en sais rien... mais j'aurai pas besoin de les compter pour... m'endormir.

Certainement pas...