Il y a quelque chose que je pressens depuis quelques temps, comme un fourmillement au milieu de mon coeur, une sorte de renouveau qui s'annonce. L'annonce d'un orage prochain. Mais pas n'importe quel orage. L'orage qui nous lavera de nos espoirs sans fin, qui lavera les ratés de notre vie. Cela fait maintenant quelques mois que je me suis incrustée chez John et je mène une vie tranquille. J'attends. Quesque j'attends ? Je ne sais pas, quelque chose. Sans doute ce même quelque chose qu'annonce ce fourmillement. Je me balade dans Londres, sans même plus la crainte qu'on me reconnaisse, sans même plus la crainte de tomber sur un exorciste. Je ne suis pas une sorcière noire. Je n'ai plus à me cacher. J'ai même fait quelques missions pour Orpheo, quelque chose de simple, payée comme une mercenaire. Pas vraiment d'Orpheo, pas vraiment solitaire. Mais j'attends. Je ne fais pas grand chose. Je l'attends. Je sais qu'il va venir. Il saura. J'ai envie de le voir, et en même temps j'en ai terriblement peur. Ca marquera un peu la fin. La fin de ma stupidité. Et la fin fait toujours peur. Je l'ai dit à John, il viendra. Bientôt.

Je l'attends tous les jours. J'aurais pu partir à sa recherche, partir le voir et nous nous serions retrouvés plus vite, mais quelque chose me dit que ça ne doit pas se faire comme cela. Peut être ais-je tort. J'ai souvent eus tort. Mais il n'y a pas que cela. J'ai peur aussi. Alors je préfère attendre. J'ai toujours été quelque peu passive diront nous. Je ne sors que quand j'en ai réellement envie. Et l'attente ne m'est pour le moment pas insupportable. Je me réveille ce matin dans le lit de John, à moitié nue, comme tout le temps. Les fenêtres sont ouvertes et le soleil perce dans la chambre. Ses beaux rayons éclatants m'ont réveillée depuis une éternité. J'ai sentis John sortir en silence, s'habiller en silence, et partir bosser non sans m'avoir embrasser tendrement le front. Je n'ai pas bouger. Je n'ai pas bouger parce que je sais maintenant. Je le sens. C'est aujourd'hui. Je le sais. La magie fait d'étrange chose, le lien entre Ange et moi n'a pas d'explication. Il est, tout simplement. Et c'est ce lien qui me fait dire cela. Je sais qu'il n'est pas loin. Et il n'y a aucune raison pour qu'aujourd'hui je ne le vois pas. Car lui n'a aucunes raisons d'attendre. Alors moi je reste dans les draps blancs, quelque chose comme un nœud au ventre. Un ventre léger se faufile et me caresse l'épaule sortie. Il m'invite à me lever. Je pousse doucement la couverture. Il est temps.

L'eau coule joyeusement contre ma peau. Moi je suis un peu mélancolique. Et je laisse cette douche glacée saisir le moindre de mes muscles encore endormis. J'ai la chair de poule et le froid s'insinue en moi. Pourtant je continue de baisser la température. Je me sens tellement vivante. Le froid réveille mon corps et met chacun de mes nerfs à vif. J'ai les muscles tendus, serrés, contractés. Frissonnante, je sors et une bouffée de chaleur m'envahis. Nous sommes en été. Je me demande quoi mettre. Une jupe ? Une robe ? Je n'aime pas trop en porter. Juste pour les soirées, les grands repas. Mais il faut que je sois moi même. A partir de maintenant. Je n'ai plus le droit de me cacher derrière quelqu'un d'autre. J'attrape alors un jean slim, un t-shirt vert pomme et un veston noir. Je me maquille sommairement et met des converses. Pas de froufrous, juste moi. Dois-je sortir ? Ici j'étouffe un peu. Pas de portable, pas d'armes, juste moi. Je m'évade, non pas ailleurs, loin de ce sentiments, au contraire, je recherche les chemins qui m'y emmène.

J'ai envie de courir.

Je cours. Je vole. Mes jambes hurle. Mes cheveux virevoltent. Le lien est revenu. Il n'est pas loin. Vraiment pas loin. Mon coeur bat vite fort. Il le sent lui aussi. Je cours encore. J'ai... J'ai presque besoin de courir. Je veux le voir. Je me sens mal, comme si le voir serait une délivrance. Mon coeur se serre. J'ai peur. Mes dents grincent, je me rabroue, un peu de courage ! Je continue de courir. J'ai le souffle ravagé, le coeur à cent à l'heure. Mais il est hors de question que je pense ne serait-ce qu'à faire une petite pause. Alors je continue de courir. Ca me donne des ailes. J'ai terriblement chaud. Je dévale une longue rue. Il n'est plus qu'à... J'ai plus de souffle.... Pas loin, quelques mètres. J'arrive plus à respirer. J'arrive plus à prendre de l'air. Je trébuche, me casse la gueule, tombe comme une loque sur le sol sous le regard horrifié des passants. Il faut que je me calme, que j'inspire. Seulement que j'inspire.

Ange est là...

A peine avais-je eu le temps de reprendre une minuscule bouffée d'air qu'Ange m'attrapa violemment au col de ma veste et me plaqua avec brutalité contre le mur. Aussitôt furent totalement expulsé de mes poumons CO2 et O2 ainsi que la poignée d'autres gaz composant l'air. Le choc se répercuta dans ma colonne vertébrale et gagna mon crâne. Le manque d'oxygène me faisait atrocement tourner la tête et la nausée me prit. Pas le temps de prendre une gorgée d'air, et pas la possibilité, que le poing d'Ange frappa ma mâchoire sans craindre de me la briser. Heureusement pas de craquement sinistre mais mes dents déchirèrent l'intérieur de ma joue sous l'impact et un goût sucré et amer à la fois de sang envahis ma bouche, coula sur ma lèvre et perla sur mon menton. J'essayais de reprendre mon souffle, mais avec le sang et le choc, le peu d'air que je parvins à inspirer me fit cracher mes poumons et je remarquais à peine qu'Ange m'insultais. Je n'y aurais pas accordé beaucoup d'importance. Je ne pus chercher une nouvelle bouffée d'air et je commençais à me sentir vraiment mal.

J'inspirais lentement et mon coeur affolé y entendit enfin le son de la délivrance dans l'air qui pénétra dans ma trachée. Mes pensées commencèrent à devenir moins flou et ma vision devint plus nette. Ange me relâcha légèrement et cela tint du miracle que je ne m'écrase pas sur le sol comme une loque. Vacillante, je réussis à m'appuyer sur le mur, encore tremblante. Les larmes avaient envahis mes yeux dans la souffrance de l'asphyxie et je tentais de les essuyer maladroitement. Ma poitrine commençait à se soulever à rythme régulier et enfin mon souffle s'apaisait. Étrangement j'avais une conscience aiguë des gens qui nous regardais et beaucoup moins d'Ange. Je le regardais sans le voir. J'entendis cette sorte d'ordre qu'il m'adressa et j'eus tout de suite envie de lui balancer une réplique cinglante, de crier qu'il n'avait rien à exiger de moi avant de constater avec effroi que la violence était toujours ma première réponse. Cela ne devait plus être. Je réprimais cette envie aussi vite qu'elle était venu et pourtant...

-" Mouais."

Arrogance. Mépris. Refus. Violence. Je fermais les yeux, serrais les dents. Il était hors de question que j'ai fait tout ce chemin pour rien. Hors de question que je ne retienne rien de cette expérience. Je dois apprendre de mes erreurs, évoluer en bien. La violence bouillonne toujours dans mes veines et je comprend à quel point je l'avais oublié. Je comprend cette lassitude, cet effroi, ce sentiment étrange de vide, de manque qui me prenait souvent quand je restais doucement avec John. La violence était comme une drogue. La violence est une drogue. Je n'étais, non, je ne suis qu'une camée en manque. C'est pour ça finalement qu'au bout de si longtemps, alors que je n'en avais pas le désir, ce qui me vient en premier et à vrai dire la seule chose qui me vient, c'est la violence. Je tremble. Le manque ? Le fait de la retrouver ? Je dois me sevrer.

-" Je... Je suis désolée."

Je rouvre les yeux. Je n'ai pas dû faire sensation. Je me décolle du mur. Je me sens mieux. Je n'arrête pourtant pas de trembler, fébrile et encore un peu nauséeuse. Je me sens maladive en fait. J'ai envie de sourire mais j'ai l'impression que ce n'est qu'une grimace à moitié joyeuse qui prend place sur mon visage. J'ai perdu le sourire. Je l'ai perdu. Je ne sais pas quoi dire d'autre, pas quoi faire. Je me sens encore trop loin de lui pour oser le prendre dans mes bras. Je me sens maintenant trop proche pour lui hurler dessus. Je ne reconnais plus ma place.

Le refus de mon mépris ! A quoi je pouvais m'attendre ? Je sers les dents, je ne répond rien, je reste là, comme je l'ai toujours un peu fait, passive et froide. Être empathe pour moi ça n'a jamais voulu dire être capable de comprendre les sentiments des autres. Capable de les ressentir, ça oui, mais jamais ça n'allait réellement plus loin. Ange c'était celui qui comprenait toujours. Mépris. Je n'avais jamais vu ça comme du mépris et pourtant c'était bien le nom qu'on donnait à cette horreur que j'avais lâchée. Mépris. Le mot fait mal car il est négatif. Et puis dans la bouche de Ange, il fait encore plus mal. Je me mords les lèvres, je n'ai rien à répondre. C'est comme si j'avais vécu toute ma vie pour ce moment là et que j'étais à cours de mots. La frustration m'envahis. Voilà, je n'ai rien à dire, comme d'habitude. Je n'arrive même pas à briser le cercle de l'échec.

La voix de Ange revient hanter mes oreilles. Les passants n'ont plus de curiosité pour nous, seulement un peu de peur. Ange a une voix qui me semble glaciale, moi j'ai une tête qui montre la violence. Voilà, nous faisons peur. Je sens quelque chose qui palpite doucement en moi alors que ses derniers mots résonnent dans ma tête comme un ultimatum. Je sens notre lien. Je sens mon don qui le touche, qui l'explore, qui essaye de le soigner un peu. Ma main se lève comme si elle avait sur elle tous les mots du monde. Et cette lenteur qui a prit d'assaut le geste reflète la misère qu'elle essaie d'effacer. Notre lien... Mon coeur, je l'ai trop souvent fermé. Alors je décide qu'il est peut être temps. Je l'ouvre. Ange et moi, on a toujours développé cette chose étrange qui nous reliait l'un à l'autre. Rien à voir avec le lien de jumeaux car celui là, nous l'avions construit tous les deux.

Et mes doigts effleurent sa joue. Le contact de sa peau fait exploser mon coeur et c'est cette vague de sensation que je lui transmet en réhabilitant ce que j'avais partiellement détruit, effacé. Ce n'est pas seulement quelques bribes de sensations mais bien l'entièreté de mon coeur qui vient vers lui. C'est une chose que nous n'avons jamais faite et que la douleur a permis de révéler. Il n'est pas facile d'accepter qu'il faut souffrir parfois pour accéder à certaines vérités. Il faut croire que le monde est ainsi fait et que nous ne décidons pas de tout. J'aurais aimé choisir une voie plus facile mais il faut croire que même mon coeur n'avait pas cette volonté. Il m'a fallut souffrir et faire souffrir.

-" Non Ange on ne va pas à nouveau être jumeaux, parce qu'on a jamais réellement cessé de l'être, et parce qu'on est bien plus que ça."

Sans me rendre vraiment compte de ce que je fais, je tombe dans ses bras. Je tombe et j'éclate en sanglots comme je l'ai toujours fait, seulement devant lui. Je lui offre mes larmes comme on offre un baiser. Je lui donne ce que je lui ai toujours donné : la possibilité de me voir sans mon masque, la possibilité de voir mes faiblesses.

Les émotions offertes se mêlèrent à un flux entrant et revinrent avec celles d'Ange. Doucement je laissais entrer en moi toute sa peur et sa rancoeur, toute la rage qui l'avait animée pendant ces derniers jours, qui l'avait poussé plus loin, encore et encore. J'accueilli tous ces sentiments douloureux que vinrent soulager la joie de nos retrouvailles et l'espoir sans fin qui nous animait, son espoir, le mien, le notre. Ce n'était plus l'obscurité qui m'entourait et que je fouillais en aveugle, essayant d'attraper cette aiguille dans la botte de foin, la conscience d'Ange, retrouver le lien perdu, le lien brisé, par ma faute. Ce maelstrom de sensation me fit monter les larmes aux yeux et je les laissais s'échapper sur sa poitrine, humidifiant ses habits sans le moindre remord, comme avant, comme toujours. Nous n'étions que des enfants, et je refuse à quiconque le droit de dire le contraire. Les adultes, ils n'ont rien compris. Cela me rappelle la phrase de John Lenon : Quand je suis allé à l'école, on m'a demandé ce que je voulais être plus tard et j'ai répondu heureux. Ils m'ont dit que je n'avais pas compris la question, j'ai répondu qu'ils n'avaient pas compris la vie.

Cette phrase est si insignifiante car elle n'est composée que de quelques mots mais il y a toute une vérité derrière. Ce qui est important, c'est d'être heureux. C'était une chose que j'avais déjà assimilée, mais pour autant je n'avais pas trouvé la route du bonheur. Penser à maman faisait battre mon coeur d'une certaine joie et j'avais alors pensé que la retrouver, vivre avec elle était peut être ce bonheur que j'attendais. Ce n'était qu'en le quittant que j'avais réalisé que je l'avais déjà trouvé. Le bonheur se trouve partout, dans ce que l'on fait, ce que l'on nous fait, les gens que l'on aime, les événements imprévus, les tâches passes partout, les sourires en coin, les blagues nulles, le verre au bar partagé avec un ami, un film comique en solitaire, sous sa couette, un soir de tranquillité, un film d'horreur une nuit sombre avec une amie... Le bonheur est partout et on ne s'en rend pas compte, il suffit de le cueillir.

Et à ce moment là je le cueillais. Sentir son souffle contre ma nuque m'apaisais. Son coeur battait lentement contre ma poitrine et le sel de mes larmes se déposait sur mes lèvres. Le monde me paraissait silencieux alors qu'il continuait d'avancer. Nous n'étions que deux fourmis au milieu de la masse, deux gouttes d'eau dans l'océan, juste un peu différentes, mais pour autant les autres ne nous prêtaient plus vraiment attention. Ils avaient abandonnés, ils avaient préféré continuer leur route au lieu de nous regarder, comme nous allions continuer la notre, oubliant un peu les autres. Il faut à des moment savoir regarder, se contenter d'observer, et à d'autre oublier qu'il y a un autre monde dehors, et se laisser tomber dans un seul point de vue, une seule vie, un seul moment, une seconde suspendue sur le fil du rasoir. La phrase de Ange s'envola dans les airs et je laissai échapper un rire naïf.

- Pour toujours, et à jamais !

Je le relâchai. Je le regardai. Je le contemplai. Mon Ange. Mon Ange à moi. Je déposai doucement un baiser sur sa joue, comme si j'étais encore une enfant de six ans, comme l'enfant que j'étais encore. Je murmurai dans son oreille :

- For the man who waited.

Amelia Pond, the girl who waited, doctor who... Elle attendit le docteur, toujours. Ange m'a toujours attendu, et jamais laissé tombé. Même si le docteur n'avait pas réelle intention de le faire et moi non plus nous les avons laissé tomber, nous sommes partis pendant un temps...

Petites gouttes d'eau nous sommes. Petites, mais peut être aujourd'hui les plus importantes gouttes d'eau de tout l'océan. Il n'y a rien de plus beau que le pardon, la réconciliation, le retour à l'amour. Nous sommes l'exemple d'un monde qui doit apprendre à pardonner. Nous devons arrêter de nous entretuer, de ne penser qu'à gagner, à écraser l'autre car quand il sera enfin réduit à néant, quand il n'y aura plus de menace, nous nous retournerons pour compter nos morts et pour pleurer amèrement. Le prix de ces horreurs est bien trop élever. Les sorciers noirs ne nous laissent pas vraiment le choix mais il faut avoir en tête que chaque combat amène des victimes, que chaque victime amène des larmes. Celles-ci creusent des sillons de fatigues sur nos joues autrefois rebondies ; nous vieillissons trop vite des horreurs que nous voyons. Être des enfants dans ce monde magique n'a plus vraiment de sens. Être un enfant n'est plus permis s'il l'on veut survivre. Et Ange me répond doucement. Sa voix semble telle une douce mélodie, grave et entêtante, une mélodie que je n'avais entendu depuis longtemps et que je désirais ardemment.

- Take my hand...

Et sans attendre qu'il esquisse le moindre geste, j'attrape sa main et je me mets à marcher. Je ne sais pas vraiment où je vais. Londres est à nous aujourd'hui, nous allons vivre, revivre ensemble. Le vent nous pousse doucement, il nous murmure d'avancer encore et toujours. Nous n'auront de cesse de l'écouter jusqu'à ce que nous rendions notre dernier souffle, jusqu'à ce qu'avec lui, nous expirions en faveur d'une autre jeunesse. Sous nos yeux défilent la cité qui autrefois fut le théâtre de la rage de ma mère. Quelques endroits restent encore en reconstruction, mais relevé de ses cendres, Londres semble encore plus majestueuse. Et nous la parcourons comme des enfants, curieux de tout, ravis d'un rien. Alors que les mètres s'étalent derrière nous, bientôt nous marchons sur Oxford Street. Nous prenons un frozen yoghurt vite avalé à Picadilly Circus. Nos pas nous mènent ensuite à Trafalgar Square et finalement nous atterrissons prêt de Westminster dans un petit pub où se côtoient les hommes du monde, où costard cravate et tailleurs voisinent les pulls confortables. Nous sirotons une demi pinte de cidre à côté de coupure de journaux, noyé dans le brouhaha. La nuit tombe doucement et nous nous enfuyons dans l'obscurité. Nous sommes affamés, affamés de vivre, et le monde s'offre à nous... Courons ! Courons jusqu'à la fin des temps !

Chiswik défile pendant que je pense à la probabilité d'un afternoon tea. Je me souviens de Pandora et des siens, ceux qu'elle faisait de temps en temps, pour lesquels elle conviait tout le monde. Il y avait tant de petits sandwichs, de scones, de mini pâtisseries, que personne n'avait vraiment envie de manger le soir venu. Ils remplaçaient nos dîner une fois de temps en temps et laissait un arrière goût joyeux à cette joyeuse troupe que nous étions. Que nous sommes. Je souris doucement à Ange. Oui, nous ferons un afternoon tea, ici, à Londres. Le jeune homme parle de Hayley et mes souvenirs s'en vont vers notre dernière rencontre. Je dois dire que je ne suis pas particulièrement fière de ce que j'ai fait à ce moment là. Elle est la première personne que j'ai osé blesser physiquement. Elle est celle qui a vu mon côté sombre. It's a big bad world. Je serre les dents, ma mâchoire se crispe. La nuit est tombée et a recouvert les maisons. Je ne reconnais pas Chiswik.

- Oui, nous les inviterons, tous.

Ses cheveux chatouillent ma nuque et mon épaule. Je rigole doucement et m'appuie sur sa tête à mon tour. Ange est le premier à oser dire que nous sommes perdus. Je soupire, amusée. Nous sommes toujours perdus, dans le brouillard, tâtonnant pour trouver le chemin, comme des aveugles, démunis et heureux. Nous sommes deux errants qui s'aident, qui marchent sur le même chemin et qui consultent la carte, pas toujours d'accord sur la destination. Mais nous faisons de notre mieux et puis nous nous retrouvons toujours. Toujours.

- C'est pas grave, on a toute la vie devant nous. On peut toujours faire demi tour.

Et puis nous restons parce que la nuit est tombée, parce qu'il nous semble qu'il fait un peu froid dehors, parce que nous sommes tout les deux et que le reste n'a pas d'importance de toutes façons. Nous descendons au terminus pour reprendre le même bus, faire le chemin inverse. On ne dit plus un mot, la fatigue nous a emporté. Il n'y a pas besoin de mots. Il n'y a plus besoin de mots. Nous n'avons que des regards, des sourires plus ou moins niais, des câlins d'enfants, de frère et de soeur, d'orphelins qui s'accrochent. Nous sommes sur la route de nos rêves brisés. Nous sommes sur la route des rêves à reconstruire.