Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye

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 Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye

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MessageSujet: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyLun 15 Fév 2021 - 15:19

Il devait avoir… il était avec Chloé, alors… alors c’est vieux, ça appartient à ce passé flou qu’il ne se rappelle plus lui appartenir. À un autre.
L’anxiété plafonne, sa tachycardie le sonne un peu, balançant son coeur à 120 battements par minutes sans son avis, sans effort, sans rien. L’irréversibilité des choses lui colle un malaise qu’il avait foutu sous le tapis jusqu’à sa rupture avec Anja. Un instant oui, celui d’après non. Vivant ou mort. Avec ou sans.

De la bile sur la langue.

Il se rappelle donc ; deux filles qui discutaient avec un gars. Et l’une d’elle, assise à califourchons sur une chaise à l’envers, elle disait à l’autre « ouais mais, t’es magique non ? Sorcière ? » et la plus âgée hochait la tête. Le garçon ajoutait « et ouais, à part quand tu te fais passer pour une innocent… enfin j’en connais pas qui aient des relations saines qui tiennent ». Des histoires de solitudes et tromperies courraient dans tous les sens, il disait encore, des dépendances affectives, et puis il avait rajouté « y’en a tellement qui gardent la maison familiale parce qu’ils y sont tellement rarement que ça leur fait un pied à terre quand même. » et la fille riait « ouais, puis avant qu’ils y soient tous les deux en même temps… même de sorcier à sorcier, c’est difficile. Y’a que.. genre, les élus, qui réussissent un mariage. Les gosses, encore, ça tient les morceaux ensemble des fois ». La plus jeune éclate de rire « ouais, mon père nous appelait les glues ! »

Le souvenir se termine là, mais il est révélateur de ce qu’il s’apprête à faire : tirer sur des ficelles pour que Myaw arrive ici, avec lui. Peu importe ce qu’elle a prévu avant, après, des cours, un ciné, malade, heureuse, en voyage ou sous ses draps, rien à foutre. Je monde magique projette ses habitants aux extrêmes de la planète sans cesse, entraînés dans des rouages qu’ils ne maîtrisent pas. Même les petits bureaucrates se sont retrouvés sur le terrain, faute de monde.

Alors désolé, Myaw.

Il n’avait pas eu à tirer fort sur ses contacts pour avoir un téléporteur. Green Soul. Deux syllabes qui faisaient peur à suffisamment de gens pour que ça s’exécute. Comment ferait-il quand ça ne marcherait plus ?
Faisait-il plus peur que son père ?

Il caressa les boursouflures sur ses cuisses qu’avaient laissées les balles au sein du QG d’Orpheo. Une vraie boucherie, ça avait dû parler des frères Soul dans tous les couloirs, après ça. Les barbares. Sûrement qu’ils méritaient un tel sobriquet ; c’est juste que leur perspective était différente. Quand ils voulaient quelque chose, ils se donnaient les moyens de l’avoir sans restriction de valeur ou d’éthiques — que de jolis mots pour protéger les plus faibles, égaliser un monde absurdes qui reposait sur des humains absolument pas utiles pareil.
Il renifle.

Il se cache derrière les questions qu’il aimerait poser à sa filleule, mais à vrai dire, depuis qu’elle a été libérée du joug de Red, il meurt d’angoisse. Où est-elle ? A-t-elle seulement pu échapper indemne de son frère ?
Ce n’est pas un pervers sexuel dans ses souvenirs (Bianco aurait-il été pire ? — comme c’est facile d’accuser Bianco des pires vices) mais son obsession du sang, du morbide,… il s’ébroue, chassant les images qui se forment dans sa tête, sur la flaque qui lui habite la tête depuis des semaines, petite étendue d’eau sur laquelle se forme tout ce qu’il voudrait noircir et déchirer.

Il aurait pu faire venir Myaw dans ses rêves, certes. Mais non, pas vraiment, on prend l’apparence que l’on veut ou que l’on peut en rêves, elle aurait pu mentir, esquiver, cacher. Ou lui. Il aurait pu…
il aurait pu.
L’appartement dans lequel atterrit Myaw est londonien, un deux pièces avec des tréteaux, des restes de peinture sur les murs, un vieux chevalet, un canapé-lit qui a trop vécu, désormais trop mou, des paravents autour d’un lit pour faire la deuxième pièce, studio glacial en cette période de l’année mais pas humide, un studio à un peintre qui un jour était pas revenu, un brun aux yeux chauds et cheveux fous, et Green, qui lui louait, avait évité de se poser trop de questions quant à sa disparition.

Quand le téléporteur lâche Myaw au milieu de la pièce, il ne dit rien — il a peur des insultes, de mots froids, il a peur qu’elle fasse plus que de monter les dents ou pire, moins. Qu’elle ne dise rien, qu’elle soit égale à elle-même.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyLun 15 Fév 2021 - 19:03

Il a fallu réapprendre à vivre. Reprendre du poids, ne pas sursauter au moindre bruit, au moindre cri. Dormir dans un vrai lit. Parfois encore, il arrive que son corps roule jusqu’au sol pendant la nuit, trop marqué pour rester sur la douceur d’un matelas. Au début c’était presque tous les jours. Puis petit à petit elle avait enterré ces gestes et désormais c’était une fois par mois, pas plus.
Edwin l’avait beaucoup aidée, l’avait beaucoup soutenue. Myaw voyait en lui son inquiétude avec les enfants, mais c’était justement cela qui le rendait aussi attentif et prévenant. Vivre avec lui et Kurt pendant les quelques mois avant la reprise du Mystery Orphanage avait été salutaire. Ils l’avaient sortie de son cauchemar. Eux et la psychologue magique qu’elle voyait.

Lorsque l’orphelinat avait rouvert ses portes, son oncle de cœur lui avait proposé de rester plus longtemps si elle en avait envie et de ne pas précipiter les choses. Mais l’adolescente ne voulait pas s’imposer dans leur quotidien et, malgré les horreurs qu’elle avait vécu dans ces murs cauchemardesques, elle avait envie de retrouver Little Angleton. De montrer que sous le sang pouvaient pousser les fleurs. Retrouver les souvenirs de son enfance et non ceux de la guerre.
Alors elle était revenue. Certaines choses étaient les mêmes, beaucoup étaient différentes. Elles n’étaient pas la seule à avoir tremblé sous le joug des sorciers noirs de Croix et Rosenrot et la nuit les cris des cauchemars écartelaient son don. La peur dans les yeux de ceux qu’elle avait retrouvé. Et surtout, il y avait les absents. Ceux qui étaient partis, ceux qui étaient morts, ceux qui étaient trop vieux pour rester, ceux qu’on ne voulaient pas voir. Taki et Shybaï. Pandora. Ange. Tellement de noms qui tournaient dans sa tête.

Les aménagements intérieurs également n’étaient pas forcément des plus ravissants. Les sorciers noirs étaient peut-être doués pour la torture, nettement moins pour la décoration. Le plus gros du travail avait été fait pendant leur retour – les adultes ne voulaient certainement pas que les enfants sachent pour les chambres peintes avec leur sang de leur amis, même si tous étaient déjà au courant entre ceux qui avaient été esclave au Mystery et le fait que les rumeurs se répandent beaucoup trop vite -, mais il fallait encore terminé des petites choses pour retrouver leur foyer d’avant.
Si seulement c’était encore possible.

C’est justement la tâche à laquelle s’attelait Myaw. Planter des fleurs dans leur jardin, pour lui redonner des couleurs. Lui redonner la vie. Elle se dit en grattant la terre qu’elle aimerait bien pouvoir également en planter dans sa poitrine. Ça serait plus simple que d’attendre, mais ce n’est pas possible.
Alors elle attend.
Et elle plante des fleurs, concentrée sur la fragilité des êtres végétaux. Tellement, qu’elle ne remarque pas le téléporteur arriver dans son dos. Elle se croit en sécurité à l’orphelinat. Il faut dire qu’Orpheo a renforcé la garde autour du Mystery. Ils ont compris le point faible qu’était ce lieux et ils ne veulent pas revivre la guerre une deuxième fois à présent qu’elle est presque terminée.
Sauf qu’ils sont préparés à un assaut. Pas à l’enlèvement d’une gamine de 16 ans.

Et c’est avec une fleur dans les mains que Myaw se retrouve téléportée dans un appartement qu’elle ne connaît pas. Face à face avec un visage issu tout droit de ses cauchemars. Un cauchemar au goût acidulé des bonbons de son enfance.
Green Soul.
La dernière fois qu’elle l’avait vue, il lui avait dit qu’il était de son côté. C’était un espoir dans la terreur. Il avait dit qu’il trouverait une solution, qu’elle devait se battre pour ne pas mourir, ne pas se laisser aller. Elle ne l’avait jamais revue.
Alors pourquoi maintenant, maintenant que tout était terminé, qu’Ange l’avait retrouvée, libérée, qu’elle était enfin libre. Qu’est-ce qu’il pouvait bien lui vouloir ? Est-ce que Red était avec lui ? Est-ce qu’il lui avait menti ? Est-ce qu’il avait retourné sa veste.

Elle panique, avale de l’air trop vite et manque de s’étouffer. Dans son dos, le téléporteur est déjà reparti sans un mot, mais elle ne l’a pas remarqué. Elle attrape la première chose qui lui passe sous la main : un chevalet en bois qu’elle lance sur l’homme en face d’elle avant de se précipiter sur la première porte qu’elle trouve à la recherche d’un échappatoire, tout, n’importe quoi même le vide, tout plutôt que de redevenir esclave. Elle y trouve une salle de bain et se précipite sur le robinet de la baignoire qu’elle ouvre sans hésiter. Myaw n’était plus une petite fille. Cette fois elle ne se cacherait pas, elle ne laisserait pas les pas du grand méchant loup soulever le coin d’une nappe pour la retrouver. Elle se battrait même si elle sait qu’elle n’a aucune chance. L’eau explose dans la baignoire et aussitôt elle concentre son pouvoir pour la ramasser et la diriger dans la pièce d’à côté, sur Green, serpent translucide qui vient enlacer le visage du sorcier. Elle n’a pas envie de le noyer, mais elle a encore moins envie de retrouver sa condition d’esclave. Pas maintenant. Pas alors que le cauchemar est terminé.

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« Elles n'étaient pas filles des elfes mais bien enfants des hommes. »

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyLun 15 Fév 2021 - 19:41

Quand Myaw débarque sa fleur à la main, Green aurait pu se dire, ah, mais elle te reconnait pas espèce de psycopathe, toi tu la visites souvent dans ses rêves mais l’inverse n’est pas vrai, mais pas du tout. Hey, elle te manque à toi et tu y penses et peut-être n’est-ce vraiment pas sain.

Pendant une poignée de secondes de trop il voit Chloé, Chloé, Chloé, Chloé et il écarquille grand ses yeux en persiennes au passé. Suffisamment latté par le coup de poignard qui l’égorge, le faisait suffoquer pour se prendre à la gueule un chevalet. Le bois vient s’écraser contre son avant-bras ; toujours pas le bon moment pour se sentir idiot.

L’entraînement, ses gènes, ses peurs prennent le relais. Bon militaire qui sait sa place parce qu’on lui a collé dans l’ADN au marteau-piqueur. Il ne réfléchit pas quand il part à la suite de l’adolescente, ne réfléchit pas plus quand une lame vient dans sa main, courte mais large, comme une téléportation.

Sourire sale.

L’eau vient pour lui, vient à lui, vient contre lui, autour de sa face. Il sent des rouleaux de magie déferler dans ses muscles et il envoie violemment le corps de Myaw léviter contre le plafond.
Ce qui lui coûte le plus finalement, c’est son humanité : retenir son pouvoir pour ne pas briser tous les os contre les mauvaises briques qui les abrite. Ça lui coûte de brider, de ne pas tuer. Il aurait voulu une option « faire cesser une attaque » ou « neutraliser » qui n’implique pas éradiquer de la planète.

L’irréversibilité des choses, disions-nous ?
L’irréversibilité de la mort de Myaw, par exemple.
Comment survivre au fait que Red ne l’avait pas tué, mais lui, oui ?

Mais son cerveau n’est pas calibré pour penser ça ; on règle les problèmes d’abord, on en voit les conséquences après. Les émotions sont des conséquences qui n’en sont pas vraiment. Vous êtes entraînés à les maîtriser, comme vous arrachez les mauvaises herbes dans votre jardin, arrachez ce qui n’est pas utile. Il sait, il sait.

Oui, papa.

Mais son corps a bien compris le jeu auquel elle jouait la gamine : la survie. Et c’est un jeu auquel il excelle ; elle le saurait si elle avait été Soul, mais Chloé n’en avait pas voulu. Son discours à lui avait évolué, de petit con égocentrique : je devrais être à sa place à ; pourrais-je seulement être lui pour quelques heures ?

Alors elle avait tout balancé en bloc dans sa magie : lui restait-il de quoi encaisser le choc maintenant ? Réfléchir, contrecarrer le Soul ?
Que lui restait-il après Redwan, en puissance, en caractère, en survie, en rage, en colère, en trauma ?

Pourquoi ne sait-il pas parler le langage de l'amour et de la tendresse ? Il s'oublie dans ses moments sans mettre le doigt sur la vérité : ce Soul là, c'est juste celui qu'il a toujours dû être... celui qu'il a toujours été ?

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMar 16 Fév 2021 - 12:59

Elle n'a pas réfléchi, elle a agit. Elle a mis en pratique ce qu'elle a appris ces derniers mois à l'orphelinat. Là-bas, personne ne le dit, mais tout le monde le sait : on ne rigole plus pendant les cours de défense magique ou les combats. Plus de chuchotements effrénés, de mots glissés en douce. Tous ceux qui ont vécu la guerre ont compris l'importance de savoir se battre. C'est la fin de l'innocence. Seuls quelques rares orphelins, épargnés le jour du massacre, arrivent encore à prendre ça à la légère. Myaw les envie.



La magie a glissé le long de ses doigts pour s'entortiller avec l'eau. Elle n'a pas réfléchi, c'est son corps qui l'a fait à sa place. Pas pour attaquer, encore moins pour se venger. Mais pour se défendre. Il est hors de question de se laisser capturer à nouveau.

Si sa tête avait pu pensé, sans doute qu'elle n'aurait pas utilisé ses pouvoirs sur Green. Un sorcier noir appartenant à Rosenrot, entraîné comme l'élite de l'élite depuis son enfance. Elle ne fait pas le poids face à lui et elle le sait. Mais elle ne le réalise pas vraiment. Ou en tout cas pas jusqu'à ce sentir soulevée et projetée contre le plafond, son dos venant se cogner contre les briques qui, quelques secondes encore auparavant, étaient à plus d'un mètre au-dessus d'elle.

L'adolescente serre les dents. Elle ne s'est jamais vraiment battue. Elle a entendu les récits des exorcistes, elle a lu les histoires des chevaliers dans les livres, elle a vu des super-héros massacrer leurs ennemis au cinéma. Mais elle, elle ne s'est jamais vraiment battue, en dehors de la quiétude bien encadrée des cours du Mystery. La vraie vie ce n’est pas pareil et alors qu’elle flotte, incapable presque de bouger au-dessus du sol, elle comprend qu’elle n’a pas la hargne nécessaire dans les veines pour faire face à Green Soul.

Mais Myaw refuse de retourner vivre dans le grand manoir froid et sans vie de ses anciens maître. Hors de question d’être à nouveau la chienne de Red, de ramper à ses pieds, de finir le corps détruit – et jusqu’à quel point à présent que la puberté semble enfin avoir atteint ses formes ? L’aîné des Soul ne la tuera jamais. Il préférera venger l’affront qu’elle lui a fait en réussissant à s’enfuir avec l’aide d’Ange. Il détruira son corps sur la place publique pour mieux montre au chevalier pégase de son enfance à quel point il détient le pouvoir. Plutôt mourir que de revivre ça.



Plutôt mourir ?



Dans une idée désespérée, elle laisse le serpent d’eau qui étreint Green s’éloigner de lui pour remonter jusqu’à elle et se poser sur son visage comme un masque de gelée. Le liquide pénètre aussitôt son nez, sa bouche haletante, pour remonter dans sa gorge qui, déjà, suffoque, pour se frayer un passage jusqu’à ses poumons.

Elle pense à Ange. Elle pense à tous les mots qu’elle ne lui aura jamais dit, à la manière dont il lui a sauvé la vie, à sa présence tellement rassurante, à son sourire si nécessaire. Elle n’ignore pas que sa capture a été douloureuse à vivre pour lui et elle n’imagine pas une seule seconde lui faire revivre la même souffrance. Plutôt mourir. Elle pense à tout ça alors que son corps suffoque dans la noyade, elle pense à tout ça et se dit qu’il suffit peut-être de penser à l’amour au moment de la mort afin de mourir d’amour.
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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMar 16 Fév 2021 - 19:46

Il s’attend à pas mal de choses et son cerveau mouline des tas de possibilités qui n’arrivent jamais. L’adolescente, sous ses yeux, se suicide. Elle se noie.
Son choix c’est de se suicider après une demi-seconde de combat et le brun ouvre la bouche sans aspirer d’air, ça dure une pleine seconde. Jamais il n’a pu être autant ébahi de toute sa vie, c’est sûr et certain. Il rassemble toute sa magie — sa colère et sa peur, surtout — pour faire léviter tout liquide présent dans cette pièce et faire redescendre Myaw et hurlant,
en,
hur,
lant

— MAIS ÇA VA PAS ENFIN !

Il est lui-même surpris par le niveau sonore qu’il produit à cet instant, mais l’adrénaline lui coupe les jambes d’un coup.
Il s’approche d’elle sans et la soulève, la ceinture sous les aisselles en la sortant de cette foutue salle de bain. La fébrilité le rend étrangement bavard pour un Soul. Les mots s’agglutinent dans sa bouche.

— Non mais que tu m’agresses, je veux bien, j’avais pas prévu mais je veux bien mais pas que tu te crèves !

Il lui maintient d’une main le visage entre son pouce et ses doigts et de l’autre garde son corps contre lui. Il sait que ça fait sûrement mal, les muqueuses sur les joues, mais il n’en a vraiment rien à foutre, à deux doigts de la secouer, atterré par un tel comportement, mais enfin, bien sûr que non on ne fait pas ça dans la vie.
Il voudrait lâcher, hyper mal à l’aise par cette proximité mais il se dit, qui sait, peut-être va-t-elle se défenestrer ? Ugh ?!

— Je peux te lâcher ? demande-t-il, penaud, doucement. Je suis toujours de ton côté Myaw, je voulais de tes nouvelles, pas e-e-e…

Il ne termine pas mais lâche quand même sans réponse et se recule, trempé. Décontenancé, surtout ; ça ne lui arrive pas souvent de ressortir cette émotion fort en dehors de ses cordes. Son t-shirt flasque lui colle le corps. Il replace ses cheveux dégoulinants sur son crânes, des goutelettes glacées dans son dos. Subitement terriblement conscient de lui même, il se râcle la gorge mais laisse tout de même un filet de colère lui échapper.

— C’est ça qu’ils vous apprennent à Orpheo ? Se tuer dans les premières secondes genre, on sait jamais, vous craquez sous la question ? Vous êtes tellement nombreux qu'ils peuvent se permettre d-d-d-d-e vous voir mourir comme ça ?

Il est tellement énervé qu’il sent ses joues devenir écarlates. Le sang lui chauffe tout le visage en réaction à l’eau glacée qui l’enveloppait quelques secondes auparavant. Tant d’intensité pour une interaction qui se voulait totalement posée. Dire que pour une fois il était juste là pour discuter ! Pour dis-cu-ter ! Green Soul ! Que d’efforts pour se retrouver à presque tuer Myaw.
Quelle horreur.

— Survivre à Redwan Soul pour s’auto-noyer au cas où. Sérieusement. Putain !

Ça lui donne parfaitement confiance pour coller Elaïa au Mystery Orphanage, tiens. Il maudit Cyan de tout son être.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMar 16 Fév 2021 - 21:47

Elle a envie de tousser, mais l’eau collée à son visage l’en empêche. Elle l’ignorait. Que mourir pouvait faire aussi mal. Que la douleur pouvait être autant imprégnée à sa peau. Mais le déchirement de la mort sur quelques secondes – quelques minutes tout au plus –, qu’est-ce que ça peut bien représenter face aux maux que Redwan Soul est capable d’inventer pour la torturer ? L’adolescente sait qu’il est capable de glisser ses doigts dans les plaies pour les maintenir ouvertes sur la souffrance et elle est bien décidée à éviter ça.
C’est sans compter sur Green qui utilise à nouveau son pouvoir pour maintenir l’eau au plafond, mais la faire revenir sur un sol sur lequel, surprise et affaiblie, elle s’effondre.

– MAIS ÇA VA PAS ENFIN !

Il hurle, mais l’eau restée dans ses oreilles bouche un peu son ouïe et elle a l’impression d’être dans une sorte d’aquarium qui la sépare du reste du monde et de son agresseur qui se précipite vers elle pour la ceinturer et la tirer hors de la salle de bain. Elle essaie de se débattre, faiblement, mais toute force semble l’avoir quittée et ses poumons sont en feu. Ils explosent sous le traitement qu’elle leur a fait subir dans une quinte de toux qui déchire sa trachée alors que le sorcier continue son monologue.

– Non mais que tu m’agresses, je veux bien, j’avais pas prévu mais je veux bien mais pas que tu te crèves !

Elle aimerait bien lui demander alors ce qu’il peut bien attendre d’autre d’elle après l’avoir enlevée et projetée contre un plafond, mais les mots restent bloqués sous la toux et la main musclée de l’homme qui la maintient contre lui.

– Je peux te lâcher ? Je suis toujours de ton côté Myaw, je voulais de tes nouvelles, pas e-e-e…

Sa voix s’est soudain calmée, a perdu sa teinte d’énervement et de panique. L’adolescente est surprise et se demande un instant si finalement son plan n’a pas marché et qu’elle n’est pas morte, ou au moins en train d’halluciner tant la douceur de Green Soul semble déplacée dans cet appartement, dans cette situation. Et quand il finit par la lâcher et qu’elle tombe sur le parquet, incapable de porter le poids de son corps, elle s’étonne encore plus.
Et s’il n’était pas là pour Red ? Mais alors pourquoi l’enlever, pourquoi tout ce bordel plutôt que de simplement lui envoyer une lettre, l’appeler pour la prévenir, aller la croiser à Little Angleton ?

– C’est ça qu’ils vous apprennent à Orpheo ? Se tuer dans les premières secondes genre, on sait jamais, vous craquez sous la question ? Vous êtes tellement nombreux qu’ils peuvent se permettre d-d-d-d-e vous voir mourir comme ça ?

Elle porte les mains à son visage pour essuyer les joues, ne reconnaissant pas les larmes de l’eau.

– Survivre à Redwan Soul pour s’auto-noyer au cas où. Sérieusement. Putain !

Le nom, prononcé à voix haute, la terrorise.

– Je n’y retournerai pas !

Sa voix est étranglée, presque noyée, si basse que sans le silence qui règne après la bataille, elle serait inaudible.
Elle se force encore à tousser, à recracher le liquide qui a envahi ses bronches.

– Je trouverai un moyen, j’arrêterai de manger, je le provoquerai pour qu’il aille trop loin, mais il est hors de question que je redevienne la chien de Redwann Soul.

Elle aimerait tellement que sa voix soit plus autoritaire afin de montrer à quel point elle pense ses mots, mais la seule chose dont elle est capable, échouée comme une méduse sur le sable, c’est de trembler. De trembler et de murmurer des mots

– Si tu es de mon côté, alors pourquoi tu sors un couteau contre moi ?

Un peu plus loin sur le parquet, elle aperçoit une fleur écrasée, tout autant échouée qu’elle au milieu du désert.



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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMar 16 Fév 2021 - 23:11

Elle pleure et Green se dit qu’heureusement, vraiment, heureusement qu’Elaïa est cet enfant hybride entre un chat qui juge et un vieux sage d’un million d’années qui ne se laisse que fort peut aller aux larmes. Ou alors seulement aux grosses larmes cauchemar, celles où son père la prend dans ses bras, longtemps, en espérant parfois que le temps se suspende là, maintenant, alors qu’il se sait en sécurité.

Soupir.

Incapable de réagir il se tend, comme si les émotions étaient quelque chose à combattre. Chez les Soul, quoi qu’il en soit, une réaction unique : taper taper taper.

— Je n’y retournera pas !

Il hallucine du temps qu’elle met à redescendre, à comprendre. Sans jugement (si, totalement) il se demande quelles séquelles a pu laisser Redwan — ou à quel point, jusque là, le Mystery Orphanage leur a appris à planter des tulipes.
Il se souvient de ce livre, très récemment lu, de cette fille abusée par son père qui la fait vivre comme une sauvageonne, à la fin, pour se reconstruire, essaie de faire un jardin. Mais il est innondé, alors elle le remonte. Mais il est bouffé par les cerfs alors elle le grillage. Alors un petit faon se retrouve piégé et meurt alors elle pète les plombs et arrache tout ; se reconstruire pour mieux se saboter.

La bile a un goût de sang.

– Je trouverai un moyen, j’arrêterai de manger, je le provoquerai pour qu’il aille trop loin, mais il est hors de question que je redevienne la chien de Redwann Soul.

Il attend toujours, tout petite adolescente de rien du tout voudrait casser les plafonds de verre de ses souvenirs, mais se débat seule.

– Si tu es de mon côté, alors pourquoi tu sors un couteau contre moi ?

Il range le couteau (il ne le pose pas au sol). (Entraînement).

— Parce que tu m’as balancé un chevalet à la gueule, répond-il platement. Après, t’as essayé de me noyer.

Il comprend qu’il sonne comme des reproches, mais il essaie pourtant juste de lui expliquer — c’est bien ce qu’elle demande non ?

— Enfin, pas que ça soit pas normal, je comprends. Je comprends.

Il se pince l’arrête du nez.

— Je peux pas mettre un pied à Little Angleton sans me faire arrêter et, très sûrement, exécuter. Londres est à peine safe pour moi, c’est pour ça que j’ai pas pu prendre le risque de communiquer. Je…

Il va pour dire qu’il a une fille et que maintenant il ne joue plus en solo, mais vu l’état mental très instable de Myaw et le manque de confiance absolu qu’elle place en lui, il se ravise. Tout ce qu’il avait prévu est désormais bien, bien plombé : il pourrait lui proposer d’aller ailleurs en téléportation, mais comment pourrait-elle le croire ?

— Je voulais savoir si ça allait. C’est tout. Savoir si t’avais besoin de quelque chose, si… si à l’orphelinat, ça allait.

Il se sent comme un gros con, et puis voilà.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 0:24

Myaw regarde Green ranger le couteau, comme un signe de paix même si elle reste toujours méfiante.

– Parce que tu m’as balancé un chevalet à la gueule. Après, t’as essayé de me noyer.

Elle a envie de lui répondre que c’est lui qui a commencé en la téléportant contre son gré dans un appartement glauque alors qu’elle était très bien au Mystery Orphanage. Et que son comportement prêtait clairement à confusion. Mais elle se tait, elle sait que ce petit jeu de « qui de l’œuf ou de la poule est arrivé en premier » est parfaitement ridicule et ne les mènera nul part.
Et sa gorge est toujours en feu.

– Enfin, pas que ce soit pas normal, je comprends. Je comprends.

Il comprenait et pourtant ça ne l’avait pas empêché de l’agresser avec son couteau. Le grand Green Soul, tellement plus fort et plus entraîné qu’une gamine comme lui. Que dirait sa famille s’ils savaient qu’il réagissaient ainsi face à un simple chevalet balancé sur lui et un peu d’eau sur son corps.
Les sorciers noirs n’aimaient donc pas être mouillés ?

– Je peux pas mettre un pied à Little Angleton sans me faire arrêter et, très sûrement, exécuter. Londres est à peine safe pour moi, c’est pour ça que j’ai pas pu prendre le risque de communiquer. Je…

La respiration de l’adolescente se calme doucement dans sa poitrine alors que les larmes se calment sur ses joues et qu’elle reprend doucement ses esprit. Assez pour se demander pourquoi il s’est coupé en pleine phrase, comme s’il n’assumait pas vraiment ses mots.

– Je voulais savoir si ça allait. C’est tout. Savoir si t’avais besoin de de quelque chose, si… si à l’orphelinat, ça allait.

Myaw ramène doucement ses jambes devant elle, se forçant à se redresser sur ses pieds alors que le poids de son corps lui paraît peser des tonnes. Elle se sent si faible face à l’homme, mais n’a pas envie de – trop – le laisser paraître. Elle n’est plus une enfant et n’a pas envie d’être traitée comme tel ou, pire, comme lorsque Red la méprisait de tout son être.

– Sérieusement ? Tu as jamais entendu parler de l’existence du téléphone ?

Elle soulève son tshirt, dévoilant son ventre et les marques blanches qu’aucun guérisseur n’a réussi à faire partir après ses années d’esclavages. Les mêmes marques qui se retrouvent un peu partout sur son corps et qui, elle le sait, ne disparaîtront jamais vraiment.

– Tu crois que je ne pense déjà pas assez à lui dans mes cauchemars. C’était obligé cette petite mise en scène pour me terroriser ?

Elle laisse retomber le tissu, a envie de hurler, mais se retient. C’est les enfants qui crient. La petite boule de nerf en elle la force à fermer les yeux et à compter jusqu’à dix pour se calmer un peu.

– Ce dont j’ai besoin c’est de me sentir en sécurité à l’orphelinat, mais c’est compliqué si n’importe qui peut m’enlever pour me ramener à Rosenrot.

Elle fait quelques pas encore hésitant vers la fleur et regrette de voir ainsi les pétales plein de couleur qui semble avoir déjà perdu de leur superbe dans cet appartement trop vide. Elle a envie de la ramasser, de lui sourire, d’apprendre à l’apprivoiser. Mais elle laisse ses rêve de petite fille élevée aux mots du Petit Prince s’échouer sur le parquet avec la plante et se tourne vers son parrain, avec plus de douceur cette fois.

– Mais ça va. C’est difficile, mais ça va. On reconstruit tout, gentiment. On essaie de retrouver nos souvenirs, nos amis, notre insouciance.

Même si tous les deux savent bien qu’une insouciance ainsi perdue, ça ne se retrouve plus.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 10:22

Il voit bien qu’elle est totalement ébranlée — pas lui, pas tant. Comment ça se passe du côté des humains ? Pas très bien, les robots s’en veulent un peu. Elle se relève, maigre et délicate, les cheveux longs. Dans ses rêves, elle se ressemblent finalement très peu, pense le Soul en regardant les larmes de l’adolescente couler. Sa faiblesse l’étonne encore, un cercle qui revient en boucle : c’est normal, c’est humain, mais quand même, mais quand même.

Le seau Soul dans son cerveau le démange.

– Sérieusement ? Tu as jamais entendu parler de l’existence du téléphone ?

Il la regarde comme si elle était demeurée ; Redwan a vraiment été très con. Mais pire, elle soulève son t-shirt doucement (il recule tout à fait) qui dévoile des cicatrices. Ce qui le traverse en premier, de part en part, c’est que, Papa faisait ça mieux, Père aurait pas laissé de telles traces sur sa chair. Son charmant frère aurait-il des problèmes de propriété ?
Il songe un instant à s’excuser, mais ce n’est pas parce qu’il était lié à Chloé qu’elle s’est retrouvée là-bas, c’est à cause de ses attardés chez Orphéo, vraiment, vraiment très très cons.

Que ferait-il si Elaïa se pointait avec les mêmes marques ? Hausserait-il les épaules en disant fatalement, life ? Pourrait-il, de toute façon, la protéger de tout ?

– Tu crois que je ne pense déjà pas assez à lui dans mes cauchemars. C’était obligé cette petite mise en scène pour me terroriser ? Il se tord les phalanges, elle continue. Ce dont j’ai besoin c’est de me sentir en sécurité à l’orphelinat, mais c’est compliqué si n’importe qui peut m’enlever pour me ramener à Rosenrot.

Green continue à se taire (ce qu’il préfère faire dans la vie après attendre). Myaw offre un regard à la fleur, débordante d’émotions et de sentiments. Le brun s’assied sur le sol, tout à fait patient, obligé de lever les yeux sur sa protégée (qu’il protège si mal).

– Mais ça va. C’est difficile, mais ça va. On reconstruit tout, gentiment. On essaie de retrouver nos souvenirs, nos amis, notre insouciance.

Il hoche la tête, en tailleur sur le sol trempé.

— Retrouver votre insouciance…

Ses yeux bruns dérapent dans le vague avant qu’il se reprenne.

— Le but n’a jamais été de te terroriser, je pensais pouvoir te parler avant que ça dérape. Personne ne pourra te ramener à Rosenrot.

C’est une promesse doublé d’une menace, même si personne n’est là pour l’entendre. Il ne doute pas que ça pourrait se reproduire si Rosenrot avait été aux pleins pouvoirs : ce n’est pas le cas. Ni les Soul, ni Croix, ni Rosenrot peuvent prétendre à quoi que ce soit et puis, qu’elle se rassure, elle n’a pas tant de valeur.
Bien évidemment il ne dit rien de ça, il rajoute juste :

— Je suis désolé que tout ça te soit arrivé.

Il ne montre pas ses cicatrices : ce n’est pas parce que quelqu’un souffre que ça apaise les souffrances d’un autre. Il voudrait dire, t'es pas seule, j'espère que tu sais que t'es pas seule. Il ne le dit pas non plus.

— C’était juste pour dire que je peux, et que tu peux m’atteindre dans tes rêves. Si jamais t'as besoin de... enfin. J’ai pas pu être d’une grande utilité jusque-là, j’en ai bien conscience.

Faut dire que c’était pas mal la merde pour lui quand même, Myaw. Mais bien sûr qu’il ne le dit pas. Il ne dit pas non plus, mais putain, comment pourrais-je mettre ma fille dans un orphelinat si un téléporteur lamba prestataire peut enlever n’importe qui ? Il était runé mais tout de même.
Son coeur s’emballe.

— Pourquoi n’es-tu pas restée chez Kurt et Edwin ?

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 11:14

Elle laisse retomber le tissu sur les boursouflures, sur tous ces bouts de peau arrachés fièrement pas Redwan Soul afin de marquer le corps de celle qui lui a appartenue, comme lorsque l’on note son nom dans les premières pages d’un livre pour que personne ne puisse le piquer, tout juste l’emprunter. Son maître avait apposé sa signature à tout jamais sur son corps et il ne pourrait jamais reprendre cela, elle ne pourrait plus s’en débarrasser, c’était gravé pour toujours, malgré tous ses efforts pour passer à autre chose, pour laisser la vie recommencer à vivre, c’était là et ça ne partirait plus. Ça ne servait à rien de vouloir l’effacer de sa mémoire – on le lui avait proposé chez Orpheo, lui faire oublier les tortures, ou au moins les plus douloureuses –, c’était gravé ailleurs et il fallait juste apprendre à l’accepter, à faire de ces cicatrices les siennes et pas celles d’un malade mental qui pensait qu’elle était sa propriété.
Elle laisse retomber le tissu et de son côté Green s’assied, comme un peu abattu par les marques alors que son propre corps doit en être couvert. Est-ce qu’elles résultent des combats contre le camp adverse ? Est-ce que Red s’est entraîné sur son frère avant de passer aux esclaves ? Est-ce que – et elle se rend compte en le pensant que c’est sans doute de la psychologie de bas étage – toute la violence des enfants Soul vient de celle de leurs parents qui ont également posé leurs coups pour salir leur corps ?

– Retrouver votre insouciance…

Il a l’air vulnérable ainsi assis à même le sol – alors qu’il l’est probablement infiniment moins qu’elle – et ça l’adoucit un peu. Ce n’est pas une position de combattant, mais celle de celui qui est prêt à écouter, qui n’a pas envie d’agresser.

– Le but n’a jamais été de te terroriser, je pensais pouvoir te parler avant que ça dérape. Personne ne pourra te ramener à Rosenrot.

Myaw ramasse alors la fleur aux pétales explosé, l’arrache des petits bouts de terre qui ne l’accueilleront plus jamais et se rapproche de Green. Doucement, parce qu’elle n’a pas envie qu’il pense encore qu’elle va l’agresser, elle s’accroupit et glisse la tige du végétal derrière l’oreille de son parrain. Ce n’est pas parfait, mais ça lui va bien. Tous les deux un peu explosé par la vie, déracinés avant même d’avoir pu trouver leurs repères.

– Même pas ton frère ?

Elle a posé la question avec une naïveté sincère, comme si la réponse qu’il pouvait lui apporter la soulagerait vraiment d’un poids, la libérerait de la peur ancrée en elle de voir un jour revenir Redwan Soul dans sa réalité.

– Je suis désolé que tout ça te soit arrivé.

Elle hausse les épaules, puis s’assoit. Ce n’était pas la faute de Green tout ça. Même pas vraiment celle de Bleuann ou de Redwan, à bien y réfléchir. Ils faisaient tous partie du système et elle s’était retrouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. Une victime d’une guerre qu’aucun d’eux n’avaient déclenché.

– C’était juste pour dire que je peux, et que tu peux m’atteindre dans tes rêves. Si jamais t’as besoin de… enfin. J’ai pas pu être d’une grande utilité jusque-là, j’en ai bien conscience.

L’adolescente sourit, sait qu’elle ne le contactera sans doute jamais par ce moyen-là, pas parce qu’elle lui en veut, mais simplement parce qu’elle maîtrise déjà mal son pouvoir sur les personnes qu’elle connaît, et que c’est pire encore sur celles qu’elle ne le connaît. Parce que, si Green a l’impression de connaître Myaw, ce n’est pas réciproque. Pour elle, c’est une forme floue dans son enfance, un souvenir dans un souvenir. Ou alors c’est une absence, le frère de son tortionnaire. Rien de plus.
Mais elle sait que pour lui, elle est la fille de celle qu’il a un jour aimé. Elle le sait, il le sait, sa grand-mère le savait et les parents Soul également. Tout le monde était au courant, sauf peut-être Chloé, sa maman, un peu trop naïve pour croire à une telle amitié.
Mais Myaw n’est pas Chloé et Chloé n’est pas Myaw. Chloé c’est une ancre dans le passé, un sourire dans sa tête, un fantôme dans son cœur.

– Pourquoi tu n’es pas restée chez Kurt et Edwin ?

Edwin finalement c’est son présent, bien plus que sa maman. Kurt aussi. C’est sa famille, son échappatoire loin de l’orphelinat, deux personnes vers qui elle peut se tourner si besoin. Mais le Mystery Orphanage aussi c’était sa famille. Sa maison.

– Edwin n’est pas très doué avec les enfants. Ou les adolescents d’ailleurs. Je les aime beaucoup, mais.… ce n’était pas pareil chez eux.

Mais ça ne serait plus jamais pareil nulle part. L’orphelinat avait été noyé sous la guerre et la reconstruction prendrait du temps, pour ne jamais être aussi belle que les souvenirs d’antan.

– Bien sûr que j’ai peur à Little Angleton. Peur que les sorciers noirs reviennent et que les cauchemars se matérialisent. On a tous peur, et pourtant on est presque tous revenus. Parce que le Mystery, c’est la maison.

C’était là où elle avait rencontré Ange, là où elle avait vu les jumeaux Kido faire leurs premiers pas, là où elle avait appris à grandir, vivre, pleurer. Et elle savait, que toute l’horreur que Redwan lui avait fait subir ne pourrait guérir nulle part ailleurs que chez elle.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 12:16

L’adolescente s’avance de lui qui lui coule un regard pas vraiment rassuré. Il sait la douceur de Myaw mais il sait l’instabilité de Red et ses conséquences. Il en vient à porter la fleur en parure. Il ne dit rien, se demande à quoi il ressemble -- que dirait Anja. Son estomac se serre fort, miettes de solitude, de manque, d'affliction, de détresse. Il se lèche les lèvres : il voudrait panser ses blessures comme les loups le font, saliver sur les chairs à vif. Bien dommage que ses béances ne soient accessibles à plus personne.

– Même pas ton frère ?
— Jamais, répond-il posément.

Un mot, tout simple : jamais. Jamais plus. Il est empli d'une certitude qui vaut pour absolu. Pour toujours. Pour les deux cent prochaines années. Son complexe, complexe frère, psycopathe, vivant.
Humain.
Frère.
Mais il le sait. Ça n’est plus écrit dans le futur et, si Green le pouvait, il effacerait les lignes du passé qui l’y ont mises. Mais à quel prix aurait-il pu empêcher ça ?
Trop cher.

Elle se pose au sol avec lui. Il a l’impression que ça fait bien longtemps qu’il ne s’est pas retrouvé là, parfaitement neutre, avec quelqu’un. Sans enjeu de pouvoir, de famille, de vie ou de mort. Il la détaille des yeux sans trop se gêner, photographiant ce qu’elle est vraiment là, maintenant, à l’instant. Tout de suite. Tout ce qui constitue Myaw : les restes de larmes, ses cicatrices, sa silhouette, sa douceur.

– Edwin n’est pas très doué avec les enfants. Ou les adolescents d’ailleurs. Je les aime beaucoup, mais.… ce n’était pas pareil chez eux.

Il l’écoute posément — sans insulter personne. Ils ont fait l’effort, à la vérité, de bousculer leur quotidien, leurs horaires, leurs dépenses, leur maison pour accorder une place dans ce monde à Myaw et, songe-t-il amèrement, c’est la chose la plus précieuse qu’ils auraient pu faire. Qu’elle ait fait le choix, mieux, qu’elle ait eu la possibilité de faire ce choix vaut bien plus que tout le reste.
Sans insulter personne, donc.

– Bien sûr que j’ai peur à Little Angleton. Peur que les sorciers noirs reviennent et que les cauchemars se matérialisent. On a tous peur, et pourtant on est presque tous revenus. Parce que le Mystery, c’est la maison.

Green dessine des traits et des cercles sans but sur le sol, focalisé sur son doigt contre le parquet. La peau sur le bois. La maison.

— Je ne dis pas que…

Il rattrape ses mots, en dit d’autres.

— C’est terminé.

Puis d’autres, qui l’arrachent. Le coupent en deux, scindent en deux parties le monde, les gentils, les méchants, ceux qui torturent et violent, ceux qui torturent et ne violent pas. Ceux qui ont éventré le Mystery, ceux qui ont repeint les murs avec le sang des enfants. Auquel Green a participé. Il a tout fait, lui aussi. Pourtant sa culpabilité n'est pas aussi lourde que cela pourrait, et il dit :

— Vous avez gagné.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 13:20

Il ne repousse pas la fleur sur son oreille ou les questions de Myaw.

– Jamais.

Une affirmation calme et posée, qui contraste complètement avec la rage et la puissance des moments où son poignard glisse dans sa main. Est-ce que c’était cet homme-là, cet homme calme et à la voix pleine de promesses, que connaissait sa maman ? Sans doute pas. Les choses avaient changé depuis et Green, comme Myaw, avaient grandi, vieilli. Fais leur vie un peu sans elle. Ça faisait plus d’une décennie que leur amour était enfoui sous une tombe au nom de Chloé Nienta.
Les mains du sorcier dessinent des formes brouillonnes sur le sol, comme complétement décrochée du moment présent. Il semble tellement concentré sur la chaleur du bois contre le bout de ses doigts que l’orpheline se dit qu’il serait presque facile de le bloquer comme elle l’a appris en cours et de l’étrangler. Peut-être même qu’il se laisserait faire, qu’il la laisserait gagner.
Mais elle n’a jamais vraiment envisager de faire du mal à Green, ni à quiconque d’ailleurs.

– Je ne dis pas que…

Des cercles sur le sol, l’eau qui goutte péniblement depuis ses cheveux et sa voix qui se bloque.

– C’est terminé.

Myaw comprend qu’elle n’est encore qu’une enfant en entendant les mots de green sonner comme des mots d’adulte. C’était les grands qui disaient que tout était désormais terminé. Les enfants, eux, vivaient encore trop fort à travers leurs cauchemars.

– Vous avez gagné.

De quelle victoire pouvait-il bien parler ?

– Ça ne se gagne pas, une guerre.

Des territoires ou du pouvoir, peut-être. Sans doute. Mais pas une guerre, surtout une guerre aussi longue et meurtrière qui avait opposée Orpheo aux sorciers noirs.

– Orpheo a juste un peu moins perdu.

Elle dit Orpheo pour ne pas dire « nous ». Parce que dire « nous avons juste un peu moins perdu » serait bizarre et « j’ai un peu moins perdu » serait mentir. Victime collatérale. Elle n’avait pas demandé à faire partie de cette guerre, elle n’avait pas signé de traité, cherché des armes, agressé quelqu’un. L’orpheline avait juste vu sa maison se faire assiéger et avait plié l’échine face aux soldats ennemis. Elle avait perdu son foyer, sa famille, ses amis, son enfance, son corps, sa vie entière. Que lui restait-il ? Sa pureté ? Mais c’était idiot de se résumer à ça.
Elle se rappelle encore du sourire triomphant de la guérisseuse quand elle lui avait appris qu’elle n’avait pas été violée, que sa virginité elle, était encore intacte. Comme si c’était une victoire en soi, comme s’il fallait s’y raccrocher. Mais à quoi bon, elle avait déjà tout perdu. L’adolescente avait remercié la femme alors qu’à l’intérieur d’elle ça tempêtait d’envie de lui hurler qu’elle aurait sans doute préféré qu’on lui arrache tout en une seule fois plutôt que de se sentir obligée de célébrer ce qui avait été épargné.

– Ça va aller, toi ?

Elle aimerait pouvoir faire quelque chose pour lui, l’aider. Lui trouver un endroit où il serait à l’abris ou alors le blanchir auprès d’Orpheo. Il pourrait être un bon prof. Il est fort, doué, terriblement entraîné. Il faudrait juste lui apprendre à être pédagogue.
Mais elle sait que Berlin ne voudra jamais et qu’ils préfèrent accrocher la tête de Green Soul au-dessus de leur bureau plutôt que d’écouter les propositions de paix d’une adolescente qui n’a même pas envie de devenir exorciste.

Myaw se demande également s’il y a quelqu’un qui l’attend, quelque part. Est-ce qu’il a aimé une autre depuis la mort de Chloé ? Un amour réciproque cette fois, pas une simple amitié terriblement ambiguë et égoïste. Est-ce que d’autres bras le réconfortent, le soir, quand il n’a plus son armure de sorcier noir ? Est-ce que seulement ça lui arrive de pleurer parfois, de laisser vivre ses émotions ?
Est-ce qu’il existe quelqu’un d’assez patient – ou d’assez fou souffle une voix qu’elle choisit d’ignorer – pour aimer Green Soul ?

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 13:56

Elle n’est toujours pas partie et c’est tout ce qu’il a toujours voulu. Du temps qui s’étire, qui se laisse dompter, qui coule doucement exactement comme on le voudrait. Il a dû quitter sa famille, son organisation, sa femme pour avoir ce trésor, maintenant qu’il peut y investir si peu de chose, d’amour.

Il pense fugacement à Cyan, sans faire exprès, juste exprès avoir formé dans ses pensées « amour ». Double sourire avant qu’elle ne réponde :

– Ça ne se gagne pas, une guerre.

Il incline la tête : mais quelle est belle ! Il voit subitement ce qu’elle est en devenir, un fantôme sous des formes multiples, façonné par les choix à prendre.

– Orpheo a juste un peu moins perdu.

Il hoche la tête à nouveau, ça fait partie de ses gestes défense qu’il a mis en place sans s’en rendre compte. Si on lui faisait remarquer, il nierait sûrement et pourtant. Orpheo a moins perdu mais Orpheo existe encore et Rosenrot, plus vraiment. Mais ce sont des détails risibles face à Myaw.

— Et toi, un peu plus ?

Comment mesure-t-on la perte ? En repères, en cauchemars, en rêves qu’on a laissé dans la fange et les amis qu’on laisse dans leurs cercueils. À ceux qu’on dit : tu as fait partie de ma vie mais je te laisse dans mon passé. Est-ce que Redwan parfois s’infiltrera dans tes curiosités, tes désirs pénibles ? Voudras-tu le revoir pour te venger ? Pourras-tu lui pardonner ? Chercheras-tu ça ?
Il inspire doucement pour essayer de faire circuler de l’air, dans lui, dans elle, au milieu de noeuds qui ne manquent pas de la serrer à la gorge. Myaw lui semble pleine d’un futur en devenir (que lui n’a plus, que lui n’a plus, que lui n’a plus).

– Ça va aller, toi ?

Que lui n’a plus car il a choisit sa famille, parce que c’est le seul choix possible, la seule issue précieuse, la seule vérité. Elaïa et puis c’est tout. Elaïa plutôt que le reste, plutôt qu’Anja. Une torpille vrille son ventre à l’évocation de ce nom — encore — mais il sait qu’il n’y retournera pas. Qu’il n’y en aura sûrement pas d’autre, que les draps resteront vides, déserts d’une odeur autre que celle des Soul.
C’est okay, pense-t-il mollement.
Que faudrait-il pour l’aimer maintenant ?
C’est un peu tard, de toute façon, pour l’aimer maintenant.

— Bien sûr.

Il tripote du bout des doigts les pétales à son oreille. Bien sûr que lui ça va, et il est sincère. Il n’est que solutions, force de survie, homme qui se sort d’une avalanche qui n’en finit pas de le recouvrir. Il avait croisé un gars, un jour, qui lui avait parlé de tendre le bras, comme les extrémistes de droite chez les humains qui sont récupérés, détatoués, version d’American History X pour les vilains sorciers.
Mais c’est différent.

— Merci.

Parce qu’elle pourrait lui en vouloir, mais Myaw, Myaw, Myaw. Si spéciale, Myaw. Incroyable, Myaw. Sauvée, Myaw.

— Hannelore Ange Reyes, alors, sourit-il pour la taquiner.

Juste une petite place dans sa vie.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 15:11

La guerre c’était un tribut trop lourd à porter. Peut-être qu’elle était trop jeune pour comprendre, trop pleine d’idéaux, ou simplement pas faite pour ce monde-là. D’autres y arrivaient très bien, mais Myaw ne se voyait pas devenir exorciste. Elle ne s’étonnait pas du besoin d’Ange, de Luka ou même de Ian de vouloir se battre pour protéger ce qui leur tenait à cœur, mais c’était trop difficile pour elle. Encore enfant, parfois, elle préférait les fleurs aux fusils, la parole aux coups.

– Et toi, un peu plus ?

Et elle un peu trop.

C’était toujours trop. C’était le problème de la guerre et de la douleur, un engrenage qui volait les vies pour les recracher plus détruite, mâchée sur fond de puissance et de pouvoir, pour des causes tellement futiles – ou en tout cas qui lui paraissait tellement futiles – que ça en devenait ridicule.
Elle se demande si Green a vraiment cru un jour aux histoires des sorciers noirs, à leur idéal de pureté sur les humains qui paraît tout de même très stupide. Mais il y a eu Chloé dans la vie de son parrain et elle sait que l’humanité de sa mère a forcément dû entacher le cœur du sorcier et que c’est d’autres raisons qui l’ont poussé à rester dans cette guerre. C’est une victime, comme elle, et lui aussi a perdu un peu trop.

Elle lui demande si ça va et ça l’inquiète vraiment, sincèrement, parce que malgré la haine que Redwan a insufflée en elle, elle n’a pas vraiment changé. Mais l’enfance s’est tout de même un peu effacée, assez pour savoir que les adultes ne sont pas toujours inébranlables et aussi, que parfois ils mentent.

– Bien sûr.

L’adulte en elle n’est pas sûre de le croire, mais elle choisit l’enfant qui se laisse rêver au Père Noël, parce qu’elle a envie que Green aille bien, qu’il soit heureux, si seulement c’est encore possible.
Il tripote les pétales à son oreille, les abîmant un peu plus, et elle trouve que ça reste tristement beau, une fleur déchirée.

– Merci.

Myaw pose alors sa tête contre son épaule, sur le muscle entraîné du sorcier noir. Un muscle qui s’est battu, qui a tué, étranglé, massacré jusqu’à ceux avec qui elle a grandi, des amis à elle peut-être. Un muscle qui pourtant reste doux à ce contact, parce que sous l’armure le sorcier aussi est humain et que c’est un peu bête de prétendre le contraire, même s’il faut toujours un peu de bêtise pour justifier le besoin des guerres de l’humanité.

– Hannelore Ange Reyes, alors.

Le rouge lui pique les joues parce que c’est ridicule d’être tombée amoureuse d’un homme qui a le double de son âge, de sa vie et de ses expériences – sans doute plus encore pour ses dernières, vu qu’elle ça se résume au néant. Dire à Ange qu’elle l’aime, c’était beau quand elle avait six ans, mais dix ans plus tard ça n’avait plus aucun sens et c’était juste un peu bizarre. Il serait sans doute gêné et lui dirait qu’elle doit tomber amoureuse d’un autre, de quelqu’un de son âge.
Mais depuis qu’il l’avait libérée, et même si elle ne l’avait pas revu entre temps, il trottait dans sa tête et elle comparait tous les autres garçons au prince de son enfance. Les autres filles aussi, parce qu’après tout, peut-être que c’était pour ça qu’il ne sortait pas de ses rêves. Mais non, son imagination restait toujours vide des autres et son cœur battait un peu trop vite lorsque quelqu’un évoquait son nom.

– Comment tu sais ?

Est-elle si transparente que cela ? Ange aussi a-t-il remarqué le trouble de ses yeux quand il croise son regard ? Elle n’ose pas en parler avec ses amis à l’orphelinat, parce qu’elle sait que si elle met des mots dessus, on risque de lui voler son sentiment, de lui montrer à quel point c’est idiot d’aimer un homme qui ne l’aimera jamais en retour.

– Tu trouves ça bête ?

Bête d’encore croire à l’existence d’un château après tout ce chaos.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 16:23

Elle se cale contre lui, la tête sur son épaule et il laisse faire avant d’ouvrir le bras, la serrer contre lui. Il ne peut que constater à quel point son corps d’adulte est délaissé et solitaire mais il sait que ça ne changera pas. Il se force à s’ancrer dans le présent, dans ce qui se passe et ce qui est, maintenant : Myaw, avec lui, en sécurité. Myaw, qui existe encore et surtout qui aime encore. Il la voit rougir du coin de l’oeil quand il évoque cette amour qui ne lui semble pas si puéril que ça.

Ange, partout, partout dans ses rêves. Syndrome du chevalier blanc et de la princesse en détresse ? Pas très inclusifs, les Disneys, avec des princesses identiques. Où les grosses cicatrices, les impacts de balles, lacérations profondes, les gens à qui il manque un rein, un oeil, une femme, une fille, un frère ?

— Comment tu sais ?

Il la serre contre elle parce que c’est la seule chose qu’il puisse faire maintenant. Face à Red, il mentirait s’il disait qu’il choisirait l’adolescente sans hésiter. Il hésiterait pour sa propre survie, et si Allen commandait à Red de le buter, lui ou Elaïa, est-ce qu’il le ferait ? Est-ce qu’il le défendrait ? Ça le ronge qu’il l’aime mais il ne peut pas exactement le nier.

Il mentirait et il a déjà beaucoup, beaucoup menti. Ça ne lui a pas apporté grand choses. Deux doigts dans une plaie.

– Tu trouves ça bête ?

Il secoue la tête : qui serait-il pour dire qui aimer ? Le fou tombant éperdu de la reine, le loup de l’humaine. Chloé ou Anja, que des choix mauvais, toxiques et destructeurs qu’il n’a pourtant jamais regretté.
Jamais.
Il songe qu’il devra le dire à Elaïa, un jour, qu’il n’a aucun de regrets.

— Il est à la lisière de tes rêves, souvent, explique-t-il.

Le corps chaud de sa filleule dénoue dans son passé des noeuds qu’il ne savait pas encore exister. Quelqu’un qui n’attend pas grand chose de lui si ce n’est rien ; sacré changement comparé à Anja qui voulait toujours de lui. Qui voulait tellement. Comme tous les autres. Personne s’est jamais assis à côté de lui sans but autre qu’être là.

— Si ça a du sens pour toi, alors non, c’est important. Que les autres comprennent ou pas… ça ne change rien. C’est là, c’est tout.

Il n’est pas allé fouiller dans les rêves d’Ange, pas encore. Il ne se sentait pas le droit de connaître ses motivations d’abord et puis il n’a pas réussi à l’atteindre ensuite. Trop faible, distant — si peu entraîné pour ce don qui aurait pu être exploité pour chercher les secrets de l’ennemi.

Il jette un coup d’oeil à sa montre : le temps de sécurité est écoulé. Au-delà, ils sont repérables, de plus en plus, les chances qu’ils soient coincés augmentent. Il soupire.

— On doit y aller, Myaw, je suis désolé. Tu peux rentrer comme tu le souhaites : téléporteur ou transport. Si je reste ici je nous mets en danger.

Il sort son porte-feuille en cuir noir, sort quatre-cent balles en liquide.

— Mais si tu fais le choix de rentrer en un saut, tu pourras claquer le reste pour aller voir qui tu veux. Plus de téléportation sauvage à l’avenir. Promis.

Il ne sait pas dire au revoir. Il claque la porte juste pour faire du bruit, sans sortir de la pièce. Deux téléporteurs arrivent dans la pièce, il attrape l’épaule du premier et disparaît.

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MessageSujet: Re: Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye   Au sourire qu'on arrache | Au silence que l'on paye EmptyMer 17 Fév 2021 - 23:01

L’étreinte de son parrain réchauffe quelque chose en elle. Ce n’est bizarrement pas étrange, ni maladroit, mais naturel et elle retrouve en eux quelque chose d’ancrer il y a longtemps, quand elle n’était pas encore orpheline et que Green accompagnait Chloé presque partout, comme une petite famille de trois avec elle.
Puis le temps avait passé et elle avait dû recréer sa propre famille à l’orphelinat. Ce n’était pas plus mal, peut-être, lorsqu’elle voyait le chaos dans les foyers de certaines personnes. Au moins Hayley, Luka, Ian, Pandora, Nérys, Takeji, Ren, tous les autres... Et puis Edwin, qui avait lui-même été la famille de corps de son propre grand-père. On choisissait tous les personnes qui nous entouraient au final. C’était éminemment humain de chercher à reconstruire une structure autour de soi.
Et Green était la famille que sa mère lui avait choisie en le nommant parrain.

– Il est à la lisière de tes rêves, souvent.

Ange. À la lisière de ses rêves, mais aussi de son cœur. Parviendrait-elle un jour à se détacher de cet amour d’enfance ? Apprendrait-elle un jour à grandir et à confier son amour à quelqu’un d’autre ? Elle n’était pas pressée en tout cas, elle était déjà passé à côté de suffisamment de moment dans sa vie, elle avait tout son temps pour vivre une grande histoire d’amour.

– Si ça a du sens pour toi, alors non, c’est important. Que les autres comprennent ou pas… ça ne change rien. C’est là, c’est tout.

Elle sourit, réalise qu’en fait c’est agréable de pouvoir parler de ses sentiments avec quelqu’un qui l’écoute et qui la comprend. D’où vient toute cette sagesse dans la voix de Green ? Quelles épreuves a-t-il bien pu vivre dans sa vie amoureuse après Chloé ? Elle aimerait bien pouvoir prendre le temps, passer quelque jour avec lui et apprendre à le découvrir du point de vue de l’adolescente qu’elle est et non le souvenir vague d’une enfant de quatre ans.
Mais déjà le temps suspendu se décroche et Green regarde sa montre.

– On doit y aller, Myaw, je suis désolé. Tu peux rentrer comme tu le souhaites : téléporteur ou transport. Si je reste ici je nous mets en danger.

Elle mord l’intérieur de sa joue pour ne pas lui dire qu’il va lui manquer et qu’elle regrette d’avoir bêtement perdu du temps en cherchant à se suicider.
Le sorcier lui tend quelques gros billets et elle se demande vers quelle partie du globe il a bien pu l’envoyer pour que le voyage jusqu’au Little Angleton coûte aussi cher que cela.

– Mais si tu fais le choix de rentrer en un saut, tu pourras claquer le reste pour aller voir qui tu veux. Plus de téléportation sauvage à l’avenir. Promis.

Elle a envie de dire quelque chose, mais panique en voyant les secondes s’écouler dans le regard de son parrain et déjà il claque une porte – pourquoi ? – et déjà deux sorciers arrivent dans la pièce. Myaw aimerait dire au revoir, mais c’est trop tard et Green s’est envolé.
Elle n’hésite pas quand elle tend sa main à l’homme resté dans la pièce, parce qu’elle a désormais assez confiance en lui.
Et dans sa main, les billets qu’elle serre un peu trop fort, parce qu’elle ne sait pas bien comment les utiliser. Vers quelle destination demander un billet de train quand celui qu’elle avait envie d’aller voir venait de partir sans laisser d’adresse ?

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