Elle reste dehors et moi, dedans.
Elle est nue bien sûr, mais qu'elle est belle, Carla, ses fines cuisses galbées de faim et de bleus. Pourquoi la souffrance façonne-t-elle des corps d'une telle beauté ? Pas de ventre, pas vraiment de poitrine non plus, la sécheresse des courbes et la finesses de ses lèvres. J'aimerais l'avaler parfois.
J'aimerais l'abandonner parfois.
J'aimerais l'aimer parfois.
Je ne sais plus trop et son épaule reste contre la cloison. Elle ne peut plus rentrer maintenant qu'elle a marqué une pause, je la sentirais mentir je crois. Fake petite Carla tout contre moi ?
Je ne sais pas, ça, non plus. Elle me perd pendant que je reste ici, pingouin sur ma banquise moelleuse. Nu aussi, tout aussi vulnérable qu'elle, tatouage et cicatrices zébrant ma peau. J'attends quelques secondes pour voir si elle va parler mais puisque seul le silence fait écho à mes envies, je finis par me dérouiller. Je déplie mes articulations - genou d'abord, coudes ensuite - en essayant de conserver cette conscience aigue de mon corps pour ne pas trop penser.
- Okay.
Parce qu'eh bien oui, c'est d'accord. Alors d'accord, Carla. Alors, d'accord.
Tu ne viens pas, tu ne parles pas, tu regardes, plus grande que moi. Elle me surplombe de sa grandeur, immense alors que je suis compressé, aplati sur ce lit.
Alors d'accord, ça me va tout aussi bien. J'imagine avec envie le t-shirt qui glissera à nouveau sur mes épaules ; je pourrais disparaitre sous les formes amples des vêtements.
Je me lève, petit.
J'avance vers elle, petit.
Je la dépasse dans le couloir sans passer dos à elle, sans l'ignorer. Je passe, torse vers son visage, lèvres vers la sortie. Le sol chuinte sous la plante de mes pieds et je vais récupérer mes vêtements à moi. Me cacher. Partir. Que l'autre homme revienne, je ne fais passer que la vie dans la vie de Carla, petite béquille qui s'en va toute seule finalement.
Je souris. Je déglutis.
Je ne suis plus nu. Le temps de faire l'amour est passé, le temps de la connivence et de la passion. Je me sens misérable, mais ça, on l'a déjà acté avant, plus haut, beaucoup plus haut.
- Alors d'accord.
Voilà tout ce que je dis à voix haute, je l'embrasse au sommet du crâne. Pas d'animosité, pas de rancoeur, juste un état des faits qui me va tout aussi bien. Nous avons grandi, terminé la simplicité qu'on trainait un peu de partout. Si j'avais été en colère, j'aurais pu dire que c'était la drogue qui faussait tout mais ce n'est pas le cas, ç'aurait été mentir et je ne suis pas en colère j'ai simplement envie de fuir.
Alors je me faufile à l'extérieur de l'appartement pour claquer la porte au nez du Canada.