Quand les cerisiers seront en fleurs,
et que les oiseaux chanterons.

Le lundi je travaille. J'ai toujours travaillé. Et j'avoue que depuis que mon travail est de m'occuper d'orphelin, je l'aime beaucoup plus. Beaucoup plus que s'il s'agissait de s'occuper d'une usine. Les cours de métamorphose sont un soulagement, me montrant que je ne suis pas seul à être « différent », et que je me dois d'enseigner à ces enfants comment ils doivent se défendre avec ces dons. Une grande responsabilité qui engage à beaucoup de choses. Pourtant, je m'amuse à faire cours avec eux. Et cette fois-ci, je n'ai pas voulu faire de cours pratiques, à la grande désapprobation des élèves. Eh oui, la métamorphose, c'est un peu comme le sport ou l'art. Quand on fait de l'art plastiques, on veut utiliser ses mains pour faire des bonshommes en terre cuite, mais pas étudier l'histoire de l'art. En sport, on ne veut pas apprendre à faire des échauffements, on veut faire du badminton ou du volleyball. C'est pareil pour tout.

Pourtant, il faut savoir que dans la métamorphose, il n'y a pas que la pratique. Il y a aussi le théorique. Ça ne dure jamais longtemps, pas plus d'une petite heure tous les quinze jours, et encore. C'est comme l'informatique. Soixante dix heures dans l'année. Rien du tout. J'aime les programmes de l'éducation des sorciers, ou je ne sais pas trop comment ça s'appelle. Quoiqu'il en soit, c'est une drôle de matière que voilà. Me voilà donc en train d'étudier la théorie avec des ados turbulents qui s'amusent à tenter d'utiliser leurs dons animaux en cours, qui se soldent généralement par un échec, étant donné le peu de concentration qu'on a à cet âge-là. Et ce n'est d'ailleurs pas plus mal. Je suis un peu fatigué, mais je pense survivre. Après ce cours, je rentre chez moi et basta.

La cloche sonne brusquement. Quelques minutes après que j'ai enfin réussi à avoir du silence. Déprimant. Je soupire et rassemble mes affaires. Pour des ados, mes élèves sont très sages. Ils savent que tant que je n'ai pas autorisé à sortir, personne ne sort. Disons plutôt que j'ai su me montrer dès les premiers cours très persuasif. La première impression est la bonne. Tel est ma philosophie. En attendant, ça a l'air de marcher, et je donne mon accord sur la fin des cours peu de temps après ma réflexion. De grands bruits de chaises et de table qu'on racle sur le sol. Un bruit pas sympa pour les oreilles, mais révélateur et soulagement pour le cerveau. Je finis de ranger mes affaires dans le casier à mon nom situé dans ma salle et me gratte le crâne, au même moment où une voix murmurante me nomme :

-Eto.. M.Takahata, je vous dérange?

Japonaise? Il n'y a pas beaucoup ici. Et je n'ai pas de japonaise parmi mes élèves. Bref, je tourne la tête et remarque qu'en vérité, il ne s'agit pas d'une élève, mais d'un élève, qui se révèle en vérité ne pas en être un. Vous me suivez? Ah la la. Je me dirige vers la petite tête penchée sur la porte. Lentement, je relève son menton et offre une petite bise sur son front.

-Je t'ai déjà dit que tu pouvais me tutoyer, Miyaki.

À propos, il y a un truc qui va rapidement me déranger là. C'est son nom. Maintenant que je sais que c'est un homme, son nom sonne trop féminin à mon goût. En même temps, il s'habille en femme. Il faut donc trouver un nom mixte. Miyu? C'est mignon Miyu. Et tout sympathique. Mais bon, je viens de repérer son majordome, alors je vais éviter de commencer à lui trouver un surnom. Surtout qu'au Japon, dire le prénom à la place du nom de famille est perçu comme deux personnes très rapprochées. Alors, je n'ose imaginer le surnom. Je me tais et salue le majordome en question. Je sens que je vais rentrer plus tard finalement.

-Mais dis-moi... qu'est-ce qui t'as fait entreprendre ce chemin jusqu'à mon lieu de travail?

Oui, parce que mine de rien ça m'intrigue.

C'est un petit elfe,
avec un chapeau tout vert.

Le petit japonais déguisé en fille est devenu tout rouge. Pour une simple bise sur le front. Je trouve vraiment mignon, et ça me donne encore plus envie de l'embrasser. Oui, vous le savez je pense à présent, et depuis quelques temps déjà certes, mais je suis bisexuel. Mystère résolu. Après, il me reste simplement à savoir si ce n'est pas juste un coup de foudre que j'ai avec Miyaki. Plus sérieusement, si j'arriverai à supporter encore longtemps ce manque de confiance en soi qui émane continuellement de cette personne. Je suis tolérant, mais pas fou, et certainement pas suicidaire. J'aime la présence bienveillante, marrante, mais surtout pas chiante et plaintive. Voilà pourquoi je n'ai pas envie de me lancer maintenant dans une relation qui risquerai de tourner au vinaigre. Voilà pourquoi je ne tais pas mes sentiments, mais que j'ose tout de même ne pas aller trop loin.

Et puis, voilà que le petit titube légèrement, tombant dans les bras de son majordome qui ne cesse de me lancer ce regard noir plein de mépris. Non, mais je vous jure, pas foutu de sourire, ce mec. Même en coin. Je pense qu'il aurai une femme depuis longtemps, vu la proportionnalité parfaite de son visage. Ouais, c'est juste le sourire qui manque. Il devrait être vendeur dans les pompes funèbres lui, ou bien ramasseur de poubelles, mais certainement pas majordome. Soit, je me tais à présent.

- Arigatou Lestat..

Comme je l'ai dis, je me tais, et attend que le jeune homme daigne enfin répondre à ma question. Je soupire et fixe ses yeux d'un air têtu. Oui, je suis têtu. C'est la vie.

- Il lui est interdit de tutoyer une personne de votre famille.. Comprenez! Vous savez ce qu'il risque, si ses parents l'apprennent.. Vous devez le savoir après ce qui s'est passé à la forêt non?
- Lestat, c'est bon.. Je peux me débrouiller seul.. Mais s'il vous plait à présent que vous savez ce que je suis.. Appelez-moi Miyu !
- Miyaki, ce diminutif masculin ne peut être utilisé de la bouche d'un étranger!
- Lestat... Onegai!


Premièrement, toi le gosse, je t'ai pas sonné. Tu m'aimes pas? Soit, j'ai rien à redire, t'es libre de penser ce que tu veux de qui que ce soit. Seulement, tu gardes tes sentiments pour toi, et t'es gentil d'écouter ce que te dis ton maitre. S'il veut que je l'appelle par un surnom, je l'appelle par un surnom. Et toc. Mais bon, je suis bien trop ambitieux pour me limiter à un surnom. Si je l'appelle par son surnom, mais qu'il persiste à tout de même me vouvoyer, je vais finir par me sentir irrespectueux. Comprenez, ce n'est pas une relation prof élèves. Et même ce genre de relation n'implique pas un surnom pour les élèves. Voilà pourquoi je nage en plein désaccord. Soit, Miyu, j'y avais déjà pensé. Transmission? Je ne pense pas, maintenant je ne crois plus au hasard, je ne suis pas lecteur de pensée, lui non plus je pense. Donc c'est... le destin, voilà. Je n'y crois pas non plus, mais au moins j'ai une justification. Et toc bis.

Le majordome est énervé parce que son maitre a insisté. Ah ah, une bataille de gagnée. La chance est avec moi. Je suis libéré de ce pot de colle. Aussitôt, alors que Lestat disparaît de mon champ de vision, et que le petit bout d'homme travesti m'observe gentiment, presque honteusement, je pose mon index sur le bout de son nez pour le faire réagir, ajoutant un sourire radieux.

-Je m'avouerai vaincu si je t'appelais par ton surnom. Alors, on va faire un marché. Tu me tutoies, je t'appelle par ton surnom. Tu n'as pas à craindre tes parents, ils sont à des milliers de kilomètres d'ici. Et personnellement, ça me blesse davantage que tu me vouvoies après tout ce temps.

Tout ce temps... Façon de parler. On ne se connait pas depuis si longtemps. Je ne me souviens même plus de notre date de rencontre. Et je suis d'ailleurs incapable de situer notre temps passé ensemble. Moralité, ce n'est pas intéressant. Je pose la question fatidique à Miyaki, qui est le motif de sa venue ici. Il est encore habillé en fille, et j'avoue qu'après avoir découvert sa vraie nature, j'ai un peu plus de gêne avec lui. Ses parents sont loin d'ici, n'est-ce pas? J'ai toujours des affaires à moi ici, car la tâche de café sur la chemise toute blanche m'a laissé sur le cul. Donc j'ai toujours du rechange. Le seul problème, c'est qu'il est plus petit que moi. Je soupire. Tant pis, ce sera pour une autre fois. Je lève mon poignet et dégage la montre pour observer l'heure. 19H07. J'ai lâché les élèves un peu retard, ou bien 7 minutes sont déjà passées. À voir. Je laisse retomber mon bras le long de mon corps et attend patiemment que le jeune homme me donne sa réponse... qui tarde.

-Eto.. Je suis venu voir, si v-vous allez bien.. Vu qu'à mon réveil, je ne vous ai pas vue à v-votre chambre.. Je m-me suis inq-quiété !

Inquiété? Comme c'est chou. Mais pourquoi balbutie-t-il? Je vais pas le tuer. Loin de là. C'est mignon d'être venu jusqu'ici pour voir si j'allais bien. C'est même louche. Voir très louche. Je soupçonne une autre raison, mais reste à savoir laquelle. Le mieux est encore de poser la question. Alors, relevant un sourcil d'un air intrigué, j'insiste :

-Rien d'autre?

Les oiseaux du paradis,
ne descendront plus jamais.

Lorsque je n'étais encore qu'un adolescent vivant chez ma mère, tutoyer était une véritable étape à passer. Même lorsque je suis arrivé dans cet orphelinat, je restais très discret et lointain. Je crois que la personne qui a su me sortir de cet état de léthargie et de fixation sur mes principes est Takeji. C'est la seule personne avec laquelle je n'ai pas eu de mal à m'entendre. Il a su que j'étais quelqu'un de sympa, il m'a aussitôt abordé, et puis l'amitié est née. Aussitôt. Je n'avais pas eu le temps de dire oups. Et depuis, mes relations se sont améliorées, avec mes collègues, mes amis, mes connaissances, et mes élèves. Alors, une chose, merci, petit frère. Il faudra que je pense à le lui dire en lui faisant un gros câlin, un de ces jours. Il n'en reviendra pas et croira que je suis malade. Hum, je vais m'arranger pour faire semblant d'être malade dans ce cas-là. Bref.

Le japonais à l'air d'hésiter. Je le comprends. Mais pour moi, ce sera un vrai soulagement quand il aura compris qu'il ne faut pas être paranoïaque tous les jours. De temps en temps, je veux bien, mais bon. Le voilà qui recule, et se heurte à son majordome. Allons bon, le voilà revenu. Je ne fais pas mine de l'avoir remarqué, m'entêtant sur le regard de Miyaki... Miyu à présent.

- Miyaki, vous n'êtes pas obligé..
- Je sais..

Mais? Va-t-il le faire oui ou non? Je ne vais pas le tuer s'il ne le fait pas, mais j'avoue que ça me chagrine un peu d'y penser en mal. Enfin bref, mon regard rayonne subitement lorsque la réponse favorable sort des lèvres de Miyu.

- C'est d'accord.. Je v-vou..t-te tutoyerais dans ce cas!
-Merci.

Et je souris pour lui faire part de ma réelle joie. Il relève la tête et écoute ma question avec intention. Maintenant qu'il me tutoie, ça va être amusant de l'écouter. Je suis un peu sado, mais bon, j'y peux rien. Elle me répond, après de nombreuses secondes d'attentes.

- Eto.. J'aimerais savoir pourquoi v-vo. tu m'as sauvé alors que v..vo t-tu as que que j'étais un homme.. Normalement les gens en apprenant la vérité sur moi me rejettent et en profitent pour se moquer de moi.. Je ne comprends pas.. Et depuis, je n'ai..

Je soupire avec un peu de gêne. Ah mon tout de parler des choses qui fâchent. Je dois lui dire quoi? Pas de chance, t'es tombé sur un bi! Ou bien: Quand j'ai u que t'étais un mec, je t'ai trouvé deux fois plus attirant. Nan, là, ça fait limite pédophile. Je ne sais pas trop quoi dire, surtout devant cet idiot de majordome que je ne peux même plus voir en peinture à présent. Quoiqu'il en soit, je n'ai pas le temps de répondre, que le jeune homme tombe presque dans les pommes. C'est vrai qu'il n'a pas eu le temps de terminer sa phrase. Alors, intrigué, je me tais, afin d'écouter le motif de ce vertige.

- Je vais bien, Lestat ! Désolé..
- Ce n'est rien.. Mais vous aurez du dormir pendant le trajet..

Dormir? Il n'a pas dormir depuis le temps? Oh, si un peu tout de même. C'est impossible de survivre sans dormir. Il devrait aller se reposer en attendant. C'est un vrai problème. En plus de ça, si je ne réponds pas à sa question, il va certainement se fâcher. Alors autant faire comme si de rien n'était. Me grattant légèrement la tête, j'inspire puis me lance, fixant curieusement les yeux noisette du japonais.

-Eh bien, on va dire que je ne fais pas vraiment de différence entre les hommes et les femmes. Mais il n'y a pas de raison de s'en faire. Ce n'est pas vraiment le terme approprié, mais on peut dire que tu m'as tapé dans l'œil, et le fait que tu sois un homme n'as absolument rien changé à ma vie.

Que tu le veuilles ou non d'ailleurs. Une bonne manière de lui dire que je l'aime sans aller jusqu'à l'effrayer d'un tel sentiment. Mais cela doit être habituel pour lui, étant donné que pour m'aimer il doit avoir un minimum d'habitude bi. En même temps, en étant habillé en fille tous les jours, on finit par ne plus trop savoir qui l'on est. J'observe Miyaki, puis relève la tête vers le majordome qui ne cesse de me fixer à présent. Quoi? T'as un problème? Aïe, aïe, aïe, je sens que le courant ne passe pas entre nous. Pas du tout. Alors, je poursuis en soupirant légèrement, mon attitude blasée reprenant le dessus -qu'est-ce que je suis content de la revoir, après tout ce temps passé en sommeil- :

-Ça ne doit pas être facile tous les jours de s'occuper de toi, Miyu. Je te dois au moins ça, cher majordome. Tu as l'avantage de le connaître depuis plus longtemps que moi. -je dirige mon regard vers le travesti- Et toi, il faut franchement que tu dormes. C'est un orphelinat ici, il y a des chambres à pléthore.

C'est dans ces moments-là,
qu'on a une étrange sensation
au niveau du cœur.

Miyu semble choqué par ma remarque. Il me plaît, je n'y peux rien. C'est naturel, peut-être hormonal, j'en sais rien, en tout cas, ça vient des tripes et c'est dur à cacher. C'est comme résister à un aimant alors qu'on est un objet en fer. C'est impossible, à moins de s'en éloigner pendant un bon bout de temps, histoire que l'aimant use inutilement de son effet et ne meurtrit quelques années plus tard. Pour le coup, j'ai très peu envie d'en terminer, et encore moins de m'en éloigner. Parce que je sais que l'aimant ne me rejettera pas quand je m'en serai approché. Et ça n'arrive pas à tout le monde. En général, l'aimant se retourne et te repousse brutalement. Belle preuve d'amour.

Quoiqu'il en soit, Lestat et Miyu engagent une drôle de discussion que je n'arrive pas à suivre. Voilà que le majordome donne un grand coup dans le mur. Eh! L'orphelinat ne t'a rien fait. Si tu as un problème à régler, c'est avec moi. Laisse l'orphelinat en dehors de ça. C'est vrai quoi, les murs ne demandent rien, et pourtant on pleurent dessus, on les regardent quand on a fait une bêtise en classe, on les tapent. Décidément, plus tard, je ne veux pas être un mur. Ça doit avoir une âme ces choses-là, pour que tout le monde s'y intéresse autant. Bref, Lestat donne un grand coup de poing sur le mur, et Miyu s'empresse de m'expliquer la situation.

- Excuse-le.. Lestat est amoureux de moi depuis toujours.. Et savoir que quelqu'un d'autre peut prendre sa place dans mon coeur, le détruit et le rend colérique..

Eh ba alors, Miyu a pas intérêt à dire ça si on est ensemble et qu'elle rencontre quelqu'un d'autre par hasard. Parce que moi, je ne le prendrai pas aussi bien que ce majordome. Je sais pas, ça se fait pas de dire les sentiments d'un autre comme la jalousie, qui est un des plus grands défauts de l'homme. Ça a beau être un mec, je l'ai connu avec plus de tact. C'est donc à moi de féliciter le bonhomme en question qui s'occupe gentiment de Miyu sans jamais répliquer. C'est alors que cette même personne me sort un pavé de discours.

Je crois que c'est de famille, mais cette famille m'a l'air bizarre. Je veux dire bizarre pas au sens qu'on l'entend -et il y a d'ailleurs tellement de signification à ce mot qu'on pourrait en faire un abécédaire en B-, mais plutôt qu'ils sont étranges. Ah, je sais je m'embrouille. Voilà que je lui propose de dormir ici. Proposition qu'il refuse catégoriquement, complètement.

- Reposez-vous, Hime-sama !
- Pas ici, Lestat.. Je ne veux pas me confronter à ses gens qui me jugent, qui me dévisagent et qui me font peur..

C'est certain que s'il n'est pratiquement pas sorti dehors, il soit effrayé de tout ce monde. En plus, il a un avantage, c'est que les élèves d'ici ont été habitués à certains de mes costumes que je portaient à mes heures perdues. C'est sans aucun doute qu'ils sont donc moins « choqués » par son habit que des passants dans la rue de ce village. Moralité, un jour je vais l'habiller en mec, mais uniquement quand son toutou va le lâcher. Ah! Ça m'énerve, les gens qui collent aux basques. Pas moyen de s'en débarrasser, c'est comme le chewing-gum, une fois que ça s'éloigne, ça te retrouve et ça te courre dessus, au point de te faire tomber. Je sais que je parle comme si nous étions déjà ensemble, mais oui ou non, pour moi la réponse est déjà positive. Reste plus qu'à le lui demander directement. Et tant pis pour son majordome pot-de-colle, c'est maintenant ou jamais.

Je m'apprête à ouvrir la bouche, quand une chose me saute dessus par l'arrière. J'ai pas besoin de me retourner pour savoir qui c'est. Takeji Kido. Il a cassé toute l'ambiance. Alors que je m'apprêtai à sortir la phrase que je m'arrange pour ne pas sortir. Bon, c'est pas pour aujourd'hui. Et ce n'est malheureusement pas fini. Je vais de blagues en blagues.

- Boule de Poil! Tu m'as manqué! La forme?
-Petit frère! Toujours aussi câliniste et préventif!

Ce petit ne manque pas une seconde pour me sauter dessus, à ce que je vois. Mais ça me fait plaisir de le voir en forme. Un petit sourire nait aux coins de mes lèvres. Même lorsque je suis énervé, je n'arrive pas à lui en faire voir des vertes et des pas mûres. Et puis, blague à part, ce mec va finir par me tuer, à force d'apparaître et de disparaître d'un claquement de doigts. Bon. Bon. Y'a deux problèmes apparents là, n'empêche. Un: Présentation Miyu/Take. Deux: Miyu sait des trucs compromettants sur moi, à savoir cette fameuse téléportation. Plus qu'à éviter le sujet. Pas trop dur. En plus, c'est pas pour dire, mais avec les cours, les missions et ma visite discrète chez Miyu, je n'ai pas vu Take depuis un bon bout de temps. Alors mine de rien, ça me met de bonne humeur. J'lui offrirai limite un p'tit câlin. Mais pas maintenant hein. On verra plus tard. Mais il l'aura, promis.

- Dis en fait... Le rôle de parrain, ça te tente?

En fin de compte, on va remettre ça. J'ai donné ma parole? On m'a pris au dépourvu sur ma joie apparente. J'appelle ça de la corruption. Rien d'autre. Je retire donc ce que j'ai dit. Nous disions? Parrain? PARRAIN? Ouah, ouah. Nouvelle méthode pour me faire mourir sous le choc? Me sauter dessus par derrière sans prévenir, il trouve que ça fait plus d'effet? Ça marche bien, niveau nouvelle méthode, je trouve. Bref. Je prends ça au premier degré ou bien il a trouvé un sous-entendu foireux? Je sais pas, avec lui, je m'attends à tout. Hum. Bon, on va imaginer que c'est du premier degré. Je réponds :

-T'as encore fait des conneries avec ta petite amie toi...

J'ajoute un haussement de sourcil interrogatif. Bon, en gros il m'annonce plus ou moins directement que sa petite amie est enceinte. Ma phrase était donc totalement fataliste. Il est pas possible. Tu vois Take, moi, je veux pas de gosses. Moralité, je suis bi, je sors avec des mecs, comme ça pas de femme enceinte, pas d'adoption, je suis tranquille. C'est la belle vie. En fait, Miyu c'est juste ce qu'il me faut. On croit que c'est une femme -je me suis fait avoir jusqu'au bout-, mais c'est un mec. Enfin, personnellement, je n'ai pas « vérifié » mais je vais le croire sur parole. Après, plus tard, rien ne m'empêche de vraiment vérifier ses dires. Bref! Je disais avant de délirer?

- Oups, j'interromps quelque chose?

Ouais, mes pensées intérieures. Mais bon, c'est pas si grave après tout. Autre chose? Euh, je m'apprêtais simplement à demander à Miyaki si il voulait sortir avec moi. Après, je vois pas autre chose. Peut-être de son côté? Moi, c'est tout.
…
Bon, okey, là niveau tact, t'as tout foiré. J't'en veux pas pour autant, parce que je suis incapable de t'en vouloir. Et de toute façon, tu lis pas dans mes pensées donc voilà. Et puisque j'ai pas non plus envie de te mettre dans cette histoire, je hoche la tête négativement, avant d'ajouter :

-Non, non, je parlais avec Miyu... euh Miyaki.

Quand le petit-frère est là,
et que le petit ami attend.

Mon petit frère nous a rejoint dans notre joyeuse discussion. Et c'est à ce moment-là que je réfléchis à ce que j'ai dis. Préventif? Lui? Laissez-moi rire. Je sais que ma phrase était ironique, mais c'est presque l'insulter de l'assimiler à quelqu'un de préventif. C'est vrai quoi, Take préventif, c'est plus Take ; c'est un mec qui a trop grandi. J'espère qu'il ne sera finalement jamais préventif, je le préfère bien mieux comme ça, à me faire des farces dans mon dos, et à surprendre au point de faire faire une crise cardiaque à sa boule de poil favorite.

- Apprends la téléportation, et je te préviendrai avant de débarquer.

Ah, ah. Ah. Prions pour que Miyaki ne raconte pas n'importe quoi. C'est vrai quoi, j'imagine pas ce que le bonhomme va penser en écoutant une phrase du genre « je me suis téléporté ». Au choix, soit c'est moi qui réussirai enfin à provoquer un arrêt cardiaque chez lui -il comprendra une seconde ce que je subis tous les jours comme ça- ou bien il va éclater de rire sans y croire. Attendez, je guette aussi le moment où il se métamorphosera en... vache! Ou en pingouin! Je suis gentil, je lui laisse choisir. N'empêche que c'était une question de vie ou de mort. Et l'enjeu est la possible mort d'une personne que j'aime de la part de quelqu'un que je déteste. Pas forcément logique, on peut aimer les deux personnes. Pour le coup, je hais le père de Miyu. Point. Moralité, tu peux toujours rêver pour que :
1) Je t'avoue que je me suis téléporté.
2) Je recommence.
Point bis.

- Comment ça "encore"? Oui elle est enceinte, oui c'est de ma faute, oui j'ai écouté en cours et mes parents quand on nous disait de se protéger et d'ailleurs on l'a appliqué à la lettre. Ça n'a pas marché, c'était que des menteurs, voilà.

Take, soit tu caches vraiment mal ton jeu pervers, soit tu ne sais pas t'exprimer pour parler de ça. C'est très étrange. Bon, je ne noterai rien de plus. Et « encore », parce que « encore », c'est comme ça. La première fois c'était avec Blow et Blanche-Neige, ensuite, vous avez semé même chez les animaux la petite graine de l'amour, la preuve, elle m'a même atteinte alors que j'étais déjà amoureux. Je vous jure. Ces choses-là, c'est trop compliqué. Beaucoup trop compliqué. On croit que ça y est, c'est la bonne personne, mais finalement, non, c'est pas le bon. Et donc, le truc c'est qu'elle est enceinte, qu'elle veut garder le gosse et que toi tu vas galérer avec une bouche de plus à nourrir et que tu n'auras sans doute pas le temps. Si je suis ton raisonnement illogique, oui illogique parce que je n'aime PAS les enfants. Et qu'il a l'air persuadé que je VEUX devenir parrain. Bon, blague à part, les parrains, c'est pas les p'tits messieurs qu'on désigne au moment de baptiser l'enfant? Bon, je sais même pas si tu es catholique, je pars du principe que non, et puis parrain c'est utilisé partout maintenant. Donc voilà, réflexion étymologique terminée, on peut reprendre doucement. DONC tu veux que je sois parrain? Un genre de tuteur quand les parent sont pas là? J'ai beau être grand frère de cœur, quand on dit « enfant » je frissonne. Un peu moins maintenant, mais tout de même. En fait, si vous le saviez pas, je suis ici en cure de désintoxication. Mystère résolu, on peut passer à la case supérieure.

-T'es irrattrapable. -Je passe ma main sur mon cou d'un air gêné avant de bâiller- Tu sais très bien que les enfants et moi, ça fait dix, t'as quand même confiance?

Je me gratte près des cheveux avant de laisser retomber ma main. Geste que je fais lorsque je ne veux pas refuser quelque chose, mais que ça me gêne pas mal d'un côté. Petit tic que je n'ai pas fait depuis longtemps. Je dirige mon regard vers Miyaki, au même moment où Lestat ouvre subitement sa grande bouche, sans vouloir paraître vulgaire. Je crois que ce mec a tellement mal commencé avec moi, qu'à présent, je ne peux même plus le voir en peinture. Abusé à quel point la première impression est décisive. Y'a qu'à voir avec Take. Qui ne veut pas être son ami? Bref.

- Veuillez m'excusez.. Nous nous sommes pas présenté.. Je suis Lestat, le majordome de Melle Yuuji.. La femme qui se trouve à mes cotés est la Princesse Miyaki Yuuji, héritière d'un magasin de jouet et d'une grande fortune... Aristocrate d'une haute lignée! A présent, veuillez nous excusez Hime-sama a besoin de se reposer..
- Tu n'étais pas obligé Lestat..

Et blablabla. Ah, ça me rappelle tellement de choses ces longs discours qui ne servent à rien. On dirait un perroquet qui fait l'éloge d'une personne. En fait, cette chose, c'est une unité de mesure. Plus tu parles, plus la personne en face de toi se courbe bien bas. Il faudrait faire un concours un de ces jours. J'ai l'air totalement à côté de la plaque. Mais franchement ces choses-là, je les ignorent depuis bien longtemps. Qu'est-ce qu'on en a affaire qu'elle soit aristocrate? D'autant plus qu'aujourd'hui, ce terme est un peu démodé. Non, on préfère garder les bonnes vieilles habitudes. Je commence à comprendre pourquoi j'ai déserté ma mère. L'ambiance y est trop malsaine. Une personne est une personne, on ne la mesure pas à ses origines, mais à ce qu'elle a fait dans sa vie. À choisir, j'admire davantage un vieux SDF qui galère dans la rue sans argent à un PDG friqué à en crever. Parce que je sais que le PDG, je peux lui faire face et le dépasser. Alors que le SDF, je ne voudrais jamais être à sa place. Et pourtant, il s'accroche sans demander son reste. Et PDG friqué en demande toujours plus. C'est comme ça, dès qu'on a de l'argent, on veut des choses superficielles comme la décoration. Mais à quoi ça sert? Rien. Le SDF lui, ne demande que de la nourriture. Ça m'horripile. Voilà pourquoi je ne note absolument rien.

- Eh bien... Enchanté alors! Je m'appelle Takeji, j'enseigne ici, comme Ren.

Voilà ce que je préfère. Dire ce que l'on est, la tête haute et le regard honnête. Pas d'ego, pas de fierté démesurée. Rien qu'un bout d'être humain qui sait qu'il est un sur six milliards. Qui sait qu'il vivra autant de temps qu'il le faut et qu'il vivra comme bon lui semble. On décide de son destin si on s'accroche. Quelles idées saugrenues j'ai, d'un seul coup. Ce doit être cette présentation, j'en sais rien. Eh bien, bonjour Takeji. Hrm.

- Je pense que je repasserai plus tard Boule de Poil.

Là, léopard des neiges intervient. Ça s'allume rouge dans mon cerveau. Hop là, Takeji qui s'en va, ça veut dire qu'il va revenir, qu'il va me mitrailler de questions, que je vais être seul avec lui. Moralité, on va pas le laisser partir. Parce que voilà, après tout, il me rassure quand il est là. Miyaki s'approche et me prend le bras. Je me tourne vers lui et, sans un mot, observe les marques sur ses bras. Oh God, mais c'est qu'il se mutile, ou bien que son père le fait. Il n'attend pas plus de temps, et vient se replacer près de son majordome. Allons bon, c'était juste pour me faire voir ça qu'il s'est approché? Mais il y a plus urgent, Take va partir. Je m'approche de Take et pose ma main sur son épaule, pour le stopper.

-Attends, reste ici. Ça fait longtemps qu'on s'est pas vus. Et puis, je t'ai pas dit oui, alors t'avoue pas vainqueur. -Je me tourne vers Miyu- Tu ferais bien d'aller dormir, je ne veux pas que tu fasses un malaise dans quelques minutes. Si tu n'es pas à l'aise ici, tu n'as qu'à venir chez moi te reposer. C'est plus calme.