C'est une heure pour rentrer ?

"Personne ne rendra les armes ce soir. Mais je ne céderai pas. Je sais ce que je veux. "

Je monte les escaliers rapidement. Je connais la route par coeur. Il est dix heures. Je doute franchement de réveiller Jace et Hanna. Ils dorment rarement jusqu'à très tard et en plus, ils font plus une sieste dans l'après-midi. Je rentre de chez Ichiru. Shy doit pas être super ravie mais c'est pas super grave parce qu'à la base ça partait d'un bon sentiment alors je vois vraiment pas pourquoi je me ferai engueuler. Bien que Shybaï soit sur les nerfs en ce moment, ce que je comprends aisément.
Pourtant je lui ai envoyé un SMS du genre ' Je dors chez Ichiru, pour pas réveiller Jace et Hanna et puis toi aussi, je sais que t'a besoin de sommeil en ce moment.. te fais pas de soucis, tout va bien. J'ai plus de batterie, je pourrai pas répondre à tes appels. "
Environ quatre minutes plus tard, mon portable s'éteignait. Plus de batterie. J'avais oublié de mentionner l'heure à laquelle je rentrai. Mais bon. Dix heures, c'est pas très tard si ? J'avais bien fait gaffe à pas sentir l'alcool. J'avais laver ma robe donc. Et deux fois, parce qu'on sait jamais. Une douche aussi ce matin, lavage de dent et deux bains de bouche. J'étais impeccable.

Je montais donc les marches. Sortant les clés de ma poche je me demandais si Taki allait mieux. Parce que le pauvre, fallait avouer qu'il avait vraiment prit cher. Et si le temps d'une soirée j'ai pu un peu oublier tout ça, cette histoire me pesait pas mal. Shybaï était à cran et Jace et Hanna pleurait plus que d'habitude. Ne pas avoir de père n'était pas une bonne chose. Et le pire, c'est que pendant que Shybaï était à l'hôpital, j'étais à la maison en train de les garder, en sachant que quelque chose n'allait pas, que ça concernait Takeji - rien qu'à voir la tête de Shy - que c'était grave - idem - mais c'est tout. L'attente était interminable, affreuse, oppressante. J'ouvrais la porte. Je me glissais d'abord dans ma chambre pour y lancer mon sac avant de passer la tête vers le salon. Pas de gamins. Ils devaient être dans leur chambre.

-" Shybaï ? Je suis rentrée ! "

J'espère qu'elle a reçut mon message, pas la peine de la faire s'inquiéter encore plus. Je continuais en rentrant dans la chambre des bébés.

-" Coucou vous deux ! "

Jace me fit un grand sourire en me voyant. Hanna dormait. J'embrassais le petit garçon et hésitait pour la petite fille avant de me dire que j'allais la réveiller. Et que c'était salaud. Mais elle se mit à s'étirer en ouvrant de grands yeux étonnés sur moi. Oooow, trop chou. Je lui fis un bisous avant de traverser le mur et rejoindre l'escalier pour redescendre. J'entendais les gamins rire. Comme toujours quand je traversais les murs. Je souris aussi. Ils étaient adorable. A-DO-RABLE.
Shybaï ? Je la vois alors.
Mmmmmmmmm ça, ça sent pas bon du tout du tout du tout du tout.

-" Ca va pas ?! C'est Takeji ?!"

C'est pas les enfants, quand j'y suis passé ils allaient encore parfaitement bien alors ça peut pas être ça. Je fronce les sourcils, hésite, recule un peu - disance de sécurité - avant d'enchaîner :

-" C'est moi c'est ça... ? "

Ba oui, parce qu'elle connaît Ichiru et que ça a pas du lui plaire. Mais je suis encore libre d'aimer qui je veux non ? C'est pas parce que c'est mon maître qu'elle influe là dedans je crois. J'en suis quasi sûre. Après, je comprend qu'elle se soit inquiété, c'est légitime. Et là, j'ai peur qu'elle garde le silence. Une saleté de silence éloquent.

" - Tu as toujours pris la fuite face au combat.
- C’est faux !
- Ce n’est pas faux !
- C’est faux !
- C’est vrai !
- C’est faux !
- C’est vrai !
- C’est faux !
- C’est vrai, et tu le sais très bien.
- C’est faux et c’est pure calomnie. Je n’ai fais que respecter la plus ancienne et la plus noble de nos traditions. Ma proposition est très simple, voilà ce qu’il faut que nous fassions tous : nous devons nous battre pour prendre la fuite. "

C'est fou comme un seul et tout petit détail peut faire changer votre vie. Peut tout détruire. Entraîner le reste vers la déchéance. Il y a certain matin où on se dit qu'on aurait mieux fait de rester au lit. Certaines personnes qu'on aurait mieux fait de retenir. Certaines choses qu'on aurait mieux fait de faire.
Si je pouvais revenir en arrière, si je pouvais changer le passé, je saurais exactement quoi faire. Je dirais à Taki de ne pas partir à Londres, de ne pas me laisser seule avec les jumeaux, que je ne me sens pas prête à ce qu'il parte si loin. Je lui montrerai le lit et lui ferait miroiter tout ce qu'on peut y faire ensemble si il ne part pas. Je me tairais enfin pour pouvoir mieux l'embrasser, glisser mes mains sur son torse, lui faire l'amour comme personne n'a jamais fait l'amour. Je lui offrirai dix milles raisons de rester et m'opposerais à toutes ses raisons de partir.
Mais c'est trop tard.
Je ne peux pas revenir en arrière, je ne peux pas remonter le temps. Sérieusement, à quoi cela sert-il d'avoir des pouvoirs si ça ne sert à rien d'autre qu'à devenir transparent ou créer quelques illusions ? Inutile. L'hôtel où était Taki a explosé et ma vie aussi. Tout a explosé. Et tout s'écroule...
Heureusement au milieu des décombres, mon fiancé a semblé refaire surface, quittant le coma pour retourner à la vie. Il ne m'a pas encore vraiment parlé, ces temps-ci il semble dans un autre monde. Je l'ai entendu marmonner sur des éléphants roses et des pots de Nutella et quelque part je me dis qu'il est sur bonne voie de guérison. J'espère. Je ne suis cependant pas médecin et je peux donc pas savoir, mais... j'ai confiance en Taki. C'est tout ce à quoi je peux me raccrocher. Tout ce qui ne me fait pas sombrer. L'espoir de l'entendre dire à nouveau "je t'aime". L'envie de le regarder prendre Hana et Jace dans ses bras. Le rêve de sentir à nouveau son corps contre le mien.
Juste le voir revivre.

Et c'est pour ça que je me rends chaque jours à l'hôpital. Rhyan a la gentillesse de garder les jumeaux et je sais que pour ça je ne pourrais jamais assez la remercier. Déjà quand je ne ressemblais à rien d'autre qu'un misérable déchet échouer près du corps à peine vivant de Taki, c'était Riri qui s'en occupait et elle continue à présent. Je sais que je n'ai pas le droit de lui demander de mettre sa vie entre parenthèse pour moi. Je le sais. Elle n'a que 18 ans et ne devrait pas avoir à penser à des problèmes plus grave que "dois-je mettre ma robe bleu ou rouge ?".
C'est pour ça que, hier soir, quand elle m'a demandé si elle pouvait sortir, j'ai dis oui. Pour la sortir de mes problèmes qui ne sont pas les siens. Rhyan a déjà connu la mort, comme beaucoup de gens ayant de pouvoir - il n'y a qu'à voir le nombre d'orphelins. Elle l'a connue une fois et c'était une fois de trop. On ne devrait pas voir la mort aussi jeune, ça devrait être interdit. Alors je refuse de la confronter de nouveau à ça, je refuse de l'empêcher de sortir, de vivre, tout ça parce que ma vie à moi est fichue. J'ai dis oui et je lui ai même donné un peu d'argent. "Pour un coca". Même si je me doute bien que la petite a déjà dû passer à des trucs plus forts. Mais je ferme les yeux, tant qu'elle ne rentre pas bourrée, tant qu'elle ne fait pas de coma éthylique. Elle est responsable et mature et je sais qu'elle ne fera pas de connerie.
Du moins, ça c'est ce que je me disais avant ce matin. Car voilà, au moment où je me suis levée pour aller donner leur biberons aux jumeaux, j'ai vu la porte de sa chambre ouverte et je n'ai pas pu m'empêcher de jeter un oeil. Vide. Le lit encore fait.
J'ai paniqué. Direct un nombre de scénarios atroces m'ont traversé l'esprit. Et si elle était tombée sur un fantôme ? Un sorcier noir ? Shootée par une voiture ? Enlevée à nouveau ? Toutes les hypothèses ont traversé mon esprit alors que mon sang se glaçait d'effroi. Une personne chère à mon coeur était déjà allongée dans un lit d'hôpital en ce moment ; je n'en voulais pas une deuxième au fond d'une boîte en bois.
Heureusement, j'ai eu la présence d'esprit de jeter un coup d'oeil à mon portable. Un sms. De Rhyan.

"Je dors chez Ichiru, pour pas réveiller Jace et Hanna et puis toi aussi, je sais que t'a besoin de sommeil en ce moment.. te fais pas de soucis, tout va bien. J'ai plus de batterie, je pourrai pas répondre à tes appels."

Je ne vous raconte pas l'immense soulagement qui m'a envahis à ce moment là. Suivit directement par la plus grande colère de l'humanité. Ichiru. Comme ICHIRU KUROSAI ?! Je savais qu'ils étaient amis, mais là elle va DORMIR chez lui. Dormir chez une personne du sexe masculin. Ma Rhyan. Ma petite Rhyan. Chez ce coureur de jupon incapable de retenir ce qu'il a dans le caleçon.
En plus le message a été envoyé à plus de 3h00 du matin ? Qu'est-ce qu'elle a fait jusqu'à là, hein ?
ET QUE DIABLE A-T-ELLE FAIT AVEC ICIHIRU ?!

Maintenant, je suis assise sur mon lit, attendant que la petite découcheuse se décide à pointer le bout de son nez. Ce que je vais faire, ça je ne le sais pas encore. Je ne suis pas sa mère, je sais. Mais ce n'est pas une raison pour qu'elle ait le droit de faire ce qu'elle veut. Elle est mineure, sous ma responsabilité et je ne la laisserait pas s'auto-détruire.
Et puis Ichu, sincèrement... Je l'adore moi. Bien sûr que je l'adore, il est sympa, gentil, décontracté et buveur. Dragueur aussi. Et si, c'est marrant de le voir faire du charme à pratiquement tout ce qui bouge, ça l'est beaucoup moins quand cette chose qui bouge se trouve être mon apprentie. Parce que les dragueurs en plus d'avoir la capacité de ramener tout et n'importe qui dans leur lit, ont aussi un gène pour briser les coeurs.
Et moi, je ne veux pas que Rhyan ait le coeur brisé. Et puis elle a 18 ans à la fin ! C'est encore une enfant. Presque. Bon d'accord, j'exagère un peu. Je ne dirais pas ici l'âge auquel j'ai eu ma première relation qui allait plus loin qu'un simple câlin, mais tout de même. Riri elle a vécu longtemps enfermée, c'est comme si sa vie avait été mise sur stop. Donc c'est une enfant. Et Ichiru un pédophile. Et puis... je réalise maintenant que je n'ai même pas parlé avec elle des moyens de contraceptions... Oh la gourde !
Je refuse CATÉGORIQUEMENT d'avoir un troisième bébé à la maison.

-" Shybaï ? Je suis rentrée ! "

Le retour de Rhyan m'empêche de vous expliquer pourquoi je ne veux pas d'un troisième bébé. Même si en fait, je peux vous résumer ça en un mot. Fatigant. Et bref, je ne vais pas argumenter trois mille ans, de toute façon j'ai autre chose à faire. Je vous assure pourtant que je préférerais de loin discuter avec vous que d'avoir à gueuler sur Riri. Mais si je laisse passer ça, qui sait tout ce que je devrais laisser passer après, hein ?
Je me pose donc au salon, croise les bras et attends de la voir. Elle arrive avec le sourire insouciant d'une gamine de cet âge...
Ça me rappelle une fois de plus à quel point elle est jeune et à quel point je n'ai pas envie qu'elle se blesse par ses bêtises. Je ne décroise pas les bras et elle semble s'apercevoir que quelque chose ne va pas.

-" Ca va pas ?! C'est Takeji ?!"

Je ne réponds pas vraiment, niant juste d'un simple geste de la tête. Puis soudain je la vois reculer et quelque part ce pas en arrière me blesse. Pourquoi elle recule ? A-t-elle peur de moi ? Peur que je la frappe ? Comme si c'était mon genre...

-" C'est moi c'est ça... ? "

Je me mords la lèvre, ne sachant pas vraiment que répondre, ni par où commencer. Ce n'est pas souvent que je me retrouve dans ce genre de cas, même carrément jamais. Jamais, jamais. Mais il faut bien que j'y fasse face à présent. Qui sait ce qui pourrait se passer si je dis "non, tout va bien, tu veux une tartine au Nutella ?". Que je laissais tout passer. J'ai peur que Rhyan outrepasse ses limites et ne fasse pas les bons choix. Je n'ai pas envie qu'elle ait une adolescence comme la mienne, elle a déjà vécu assez d'épreuves dans la vie comme ça. Et pour ces raisons là, je dois sévir dès maintenant.

- Rhyan Lyvie James.

Son nom complet, pas juste son surnom comme j'ai l'habitude de l'appeler. Je sais pas pourquoi je préfère l'appeler comme ça dans ces moments. Peut-être parce que ça me permet de me détacher. De me dire que c'est Rhyan Lyvie James que je vais engueuler et pas Riri...

- Par où je commence ?! Le fait que tu m'aies mis devant le fait accompli via sms à 3h00 du matin ? Que tu aies dormi chez Ichiru ? Ou que tes habits sentent bien trop bon pour ne pas avoir été lavé ce matin afin de cacher une hypothétique odeur d'alcool, voir de fumée, VOIR DE DROGUE ?!

Si ma voix était relativement calme au début de ma phrase, je finis par crier. Paraît que c'est mieux quand on veut montrer sa colère. C'est souvent comme ça qu'on la joue au théâtre, parfois même au détriment de l'articulation. Mais présentement, je m'en fous l'articulation.
Rhyan a dépassé les bornes et va devoir en payer le prix.

A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder les gens tant qu'y en a
Te parler du bon temps qu'est mort ou qui r'viendra
En serrant dans ma main tes p'tits doigts
Pis donner à bouffer à des pigeons idiots
Leur filer des coups d' pieds pour de faux
Et entendre ton rire qui lézarde les murs
Qui sait surtout guérir mes blessures
Te raconter un peu comment j'étais mino
Les bonbecs fabuleux qu'on piquait chez l' marchand
Car-en-sac et Minto, caramel à un franc
Et les mistrals gagnants

Je sais que ça va chauffer. Le problème, c'est qu'un sac de paroles plus insolentes les unes que les autres déferlent en moi, essayant d'ouvrir ma bouche. Faut que ça sorte. Mais Shybaï n'a encore rien dit, il est inutile d'envenimer la situation. Surtout qu'avec Takeji, ça va déjà suffisamment mal. Le problème, c'est que des fois, on se dit qu'on aurait pas du du parler. Mais c'est déjà passé. Je sens que ça va arriver. Pourquoi hum ? Je n'ai pas envie de me prendre la tête avec elle, surtout pas maintenant. Je l'aime beaucoup trop. Mais son air est trop réprobateur. Autant vous dire que j'aimerai être à peu près partout sur cette terre sauf là. Et comme toujours quand je sais que ça ne va pas, je me mets à chanter. Je ne sais pas pourquoi, c'est sur le Mistral Gagnant que c'est tombé. Oh oui, ça aurait pu être n'importe quoi. Mais chanter c'est vital. Ca m'évite de me rouler en boule et me refermer sur moi même. Je regarde Shybaï.

- Rhyan Lyvie James.

Je ne tique pas. Mon nom complet, répété trop de fois, devant une caméra. Alors ça n'arrive pas à me faire peur. Je suis insensible. Papa, Maman, vous avez choisis que mon nom soit ça. Je n'aurai pas décidé ça, si j'aurai pu. J'aurai trouvé un autre nom. Tout l'inverse si possible, pour qu'il ne vous ressemble pas. Pour qu'il soit loin de vos idéaux.
Pourtant, pour une fois, votre idée n'était pas si pourrie. Alors je ne le change pas ce prénom. Je sais qu'au pire je pourrai je crois. Mais vous savez, l'inverse de l'amour ce n'est pas la haine.
C'est l'indifférence.
Je continue à chanter. Je fredonne dans ma tête cette vieille chanson de Renaud que je trouve toujours aussi jolie.

A r'marcher sous la pluie cinq minutes avec toi
Et regarder la vie tant qu'y en a
Te raconter la Terre en te bouffant des yeux
Te parler de ta mère un p'tit peu
Et sauter dans les flaques pour la faire râler
Bousiller nos godasses et s' marrer
Et entendre ton rire comme on entend la mer
S'arrêter, r'partir en arrière
Te raconter surtout les carambars d'antan et les cocos bohères
Et les vrais roudoudous qui nous coupaient les lèvres
Et nous niquaient les dents
Et les mistrals gagnants

- Par où je commence ?! Le fait que tu m'aies mis devant le fait accompli via sms à 3h00 du matin ? Que tu aies dormi chez Ichiru ? Ou que tes habits sentent bien trop bon pour ne pas avoir été lavé ce matin afin de cacher une hypothétique odeur d'alcool, voir de fumée, VOIR DE DROGUE ?!

Je souffle doucement pour essayer de camer mon coeur qui s'emballe totalement. Je pense que je vais hurler quelque chose d'hystérique, mais mes ongles qui s'enfoncent dans ma chair m'empêchent de faire tout ça. Je suis sûre que si je continue à serrer les poings comme ça, je vais me mettre à saigner. Je cligne deux ou trois fois des yeux. Je regarde celle qui est mon maître. Je mens bien. Très bien. Je la regarde droit dans les yeux. Et bizarrement, étrangement, improbablement ( je suis à court d'adjectifs ) c'est une voix calme, posée qui sort de ma bouche.

-" Par où je finis ? Par le fait que je n'ai plus de batterie ? Que je dorme chez quelqu'un que tu connais, où que oui, j'ai pris le soin de les avoir lavés car ils sentaient l'alcool ? "

Je déglutis. Moi même je m'étonne. Je pourrai en tirer de la fierté d'avoir répondu comme ça, alors que j'ai toujours envie d'aller disparaître. Loin. Je n'en tire qu'une peur sourde. Je me demande si elle va me frapper. Me coller une droite, ou quelque chose du genre. Même pas ça ne me fait peur. J'ai le cerveau qui beug complètement. Mais ce n'est pas nouveau. J'ai toujours eut un défaut. Une béance, une faille qui refuse de se combler. Ce n'est pas ma faute, mais des fois ça se voit.
Je reprend, d'une voix plus petite. Plus basse, plus sûre d'elle aussi. Il n'y a pas de critique là dedans, je crois. Mais comme je n'en suis pas sûre, j'espère qu'elle ne le prendra pas mal.

-" Tu as le droit de refuser que je fasse des choses qui nuisent à mon entraînement. Le droit de refuser que je parte en vacances des mois, que je sorte la veille d'une sortie. Mais demain, ce n'est pas le cas. Je n'ai pas besoin d'une mère, seulement d'un maître. "

J'ai envie de tourner les talons mais je n'ai pas - et n'aurais jamais - un tel aplomb et autant de rancœur pour faire cela. Je sais que ça la blesserait. Je ne veux pas être méchante. Je ne sais pas l'être consciemment de toute façon je crois bien. Pourtant, des fois, ça sort tout seul. une parole, un mot, un acte et je vois la souffrance dans les yeux de l'autre. C'est un peu comme le syndrome d'Asperger. Je n'arrive pas toujours à savoir ce que vont en penser les autres, et ça me terrifie. Alors voilà. Je ne savais pas qu'elle allait le prendre aussi mal. Je ne savais pas qu'elle allait se mettre à crier. J'espère que Hana et Jace ne vont pas se réveiller. Ils sont bien plus adorables quand ils dorment que quand ils pleurent.

A m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi
Et regarder le soleil qui s'en va
Te parler du bon temps qu'est mort et je m'en fou
Te dire que les méchants c'est pas nous
Que si moi je suis barge, ce n'est que de tes yeux
Car ils ont l'avantage d'être deux
Et entendre ton rire s'envoler aussi haut
Que s'envolent les cris des oiseaux
Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie
Et l'aimer même si le temps est assassin
Et emporte avec lui les rires des enfants
Et les mistrals gagnants

Et la chanson s'arrête.
Boum.
Le problème, c'est que quand je ne chante pas, la faille à tendance à se voir. A se déchirer. Elle lutte pour se séparer, et si je fais ce que je peux, ça ne change rien. Elle ne veut pas. Ne veut plus. Je me tortille sur place. Pour tout vous dire je me sens mal, terriblement mal. Pourquoi toujours cette envie de me rouler en boule, cacher mon visage entre mes mains, ne pus bouger. Plus rien entendre, ne plus rien sentir, ne plus rien voir. Mais voilà, dans l'instant, je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas.
Je me répète ça le plus fort que je peux. Le plus souvent. Mais rien à faire. Alors à la place, je me recule. D'un petit pas. Puis d'un autre. Instinctivement, je me dis que je suis hors de portée de ses mains. Je réfléchis à toute allure. Peut être pas de son pied si elle a assez d'impulsion. Je crois que j'aurai le temps de me baisser.
Je secoue la tête. N'importe quoi. Complètement n'importe quoi. Depuis quand Shybaï me frapperait hein ? Je ne vois même pas pourquoi elle lèverait la main sur moi. Elle sait que je me défendrai. Et puis elle n'est pas comme ça hein ? Hein ? C'est un débat intérieur qui fait rage dans ma tête, et quoi que je me dise, je n'arrive pas à me raisonner, moi et mon envie de me bouler en boule, moi et mon envie de reculer, moi et mon coeur qui s'emballe.
Moi quoi.

...Et les mistrals gagnants.

z y x w v u t s r q p p o n m l k j i h g f e d c b a. Des fois me faire l'alphabet à l'envers dans ma tête, ça me calme. Des fois pas. Aujourd'hui pas. J'aime pas ce rôle que je dois jouer. La méchante flic c'est pas un truc qui me va. Le problème, c'est que je suis sûre que si Taki était là, il rigolerait tout seul dans son coin et se foutrait bien de moi en train de me mettre en colère et...
Taki n'est pas là.
Et moi je me prends la réalité en pleine tronche. Ça fait mal. Ça fait mal et quelque part ça me force à être encore plus dure avec Rhyan. J'ai déjà assez perdu ces derniers temps, je n'ai pas envie de perdre mon apprentie. Si elle savait tout ce que je me suis imaginée en ne la voyant pas dans son lit cette nuit. L'imagination peut être particulièrement tordue parfois, surtout après un traumatisme comme celui que nous a fait vivre Taki. J'ai tout imaginé. Tout. Puis j'ai vu son message. Ichiru. Ichiru ne pouvait pas lui faire de mal. Pas vraiment sur le plan physique. J'ai assez confiance en lui pour savoir qu'il ne la frappera pas, qu'il ne la torturera ni ne la tuera point. Mais après ? Il y a d'autres choses qui font mal. Les déboires amoureux, les infidélités, la pression que peuvent mettre certains sur leurs amies... J'apprécie énormément Ichiru, mais je ne suis pas assez stupide pour ne pas me rendre compte de ce qu'il est vraiment. Un coureur de jupon. Et, jusqu'à l'or, j'en avais rien à faire. Il peut bien faire ce qu'il veut de ce qu'il a entre ses jambes. Mais là... là c'est pas pareil. Là c'est Rhyan. Ma Rhyan. Ma petite Rhyan. Je sais que je ne suis pas sa mère, et alors ? Je n'ai pas le droit de m'inquiéter ?
Est-ce qu'ils ont couché ensemble ? Est-ce qu'ils se sont protégés ? Mais pourquoi diable n'ai-je pas abordé ces sujets là avec Riri plus tôt ? Pourquoi, hein ?! Bon, stop. Ichu n'est pas bête, il a dû y penser lui. Mais... est-ce qu'il l'a forcée ? Menacée ? Poussée ? Persuadée ? Je ne sais pas vraiment à partir de quel moment on peut considérer le viol, mais des fois on accepte parce qu'on se fait manipuler. Je me souviens d'une de mes amie qui était folle amoureuse d'un gars de trois fois son âge. Elle était du genre petite fille modèle qui ne fait pas un pas de travers. Le genre de personne qu'on imagine aisément ne pas coucher avant le mariage. Sauf qu'il lui a dit que si elle ne couchait pas avec lui, il la quittait. Elle a couché. Il l'a quand même quittée. Emportant avec lui la joie de mon amie, sa virginité et toute sa dignité. Je ne vous raconte pas son état après tout cela. Je me demande si Ichu a manipulé Rhyan. Je ne sais pas. Je ne sais même pas ce que Riri a déjà fait ou pas fait. Je me rends compte qu'au final je ne la connais pas vraiment. Je suppose que c'est comme ça avec tous les adolescents. Ils ont leur jardin secret. Et ça fait mal.

-" Par où je finis ? Par le fait que je n'ai plus de batterie ? Que je dorme chez quelqu'un que tu connais, où que oui, j'ai pris le soin de les avoir lavés car ils sentaient l'alcool ? "

Je la regarde. Surprise, blessée et surtout déçue de la voir me parler comme ça. Je n'aime pas le ton qu'elle prend, ni le contenu de ses phrases. Je crois que je vais pleurer. Je me retiens. J'aurais l'air ridicule à pleurer, plus du tout sérieuse. Je ne dois pas lui montrer que ça me blesse autant. Je dois garder le contrôle. L'engueuler. C'est pour son bien. Même si, sur le moment, ça fait mal.
C'est dur de se dire ça. Parce que là je ne vois que le mal que ça fait. À moi, à elle. Ça fait mal à tout le monde. Le bien est dans le futur. Je crois. Si elle daigne m'écouter et comprendre mes arguments. C'est un futur trouble qui n'est même pas sûr d'exister. Alors à quoi ça sert tout ce mal pour si peu des certitudes ?

- Écoute, ça tombe bien je connais aussi un certain nombre de sorciers noirs sanguinaires qui n'hésiteraient pas à torturer la première adolescente qui leur passerait sous la main. Mais si tu veux leur adresse pour aller pioncer chez eux, surtout hésite pas à me la demander !

Elle voulait jouer à qui de nous deux était la plus maligne ? Soit, mais elle allait perdre ! J'ai eu 18 ans avant Rhyan. J'ai eu 18 ans et j'ai salement foutu ma vie en l'air. Je crois que je peux clairement dire que je sais ce que c'est que les fêtes, l'alcool, la drogue, la fumée, les hommes... À l'âge de Riri je vivais dans la rue et c'est ce qui aurait pu lui arriver à présent si je ne l'avais pas prise sous mon aile. C'est peut-être un peu présomptueux de ma part de penser ça, mais c'est comme ça. Je sais que mon apprentie a connu des choses horribles dans sa vie. Atroces. Qui lui ont gâchées sont enfance. Elle a tant à rattraper... Le truc c'est qu'elle ne se rend pas bien compte de tous les dangers qui rôdent. C'est le rôle des parents de s'occuper de ça normalement, mais les siens étant absents, c'est un rôle que je crois bien devoir reprendre. Je me sens responsable d'elle et je m'en voudrais énormément s'il lui arrivait quelque chose. Je me sentirai coupable. Et ne plus de cela, je me sentirai triste. Parce qu'elle est réellement quelqu'un que j'apprécie.
Gentille Rhyan, naïve Rhyan, agressive Rhyan...

-" Tu as le droit de refuser que je fasse des choses qui nuisent à mon entraînement. Le droit de refuser que je parte en vacances des mois, que je sorte la veille d'une sortie. Mais demain, ce n'est pas le cas. Je n'ai pas besoin d'une mère, seulement d'un maître. "

J'ai l'impression qu'elle m'a donné un coup de poing dans le ventre alors qu'elle n'a pas esquissé un geste. C'est comme si j'avais la respiration coupée. Un maître. Alors c'est juste ça que je suis pour toi Rhyan ? Un maître ? Juste bon à te transmettre mon savoir pour à me casser. C'est ça que tu veux de moi ? Quelques entraînements, que je t'apprenne ce que tu as à apprendre, puis qu'on se quitte pour ne plus jamais se revoir ? Un simple maître...
Pourquoi ça fait aussi mal de l'entendre dire ça ? Je croyais que j'étais plus pour elle. C'est con, je sais, mais je me voyais un peu comme la grande soeur. On a passé des bonnes soirées ensemble devant un DVD, juste entre filles + le chat + Jack. On s'est tapé des fous rires, on a essayé de cuisiner des trucs qui ont brûlé, je l'ai prise dans mes bras à chaque fois qu'elle en avait besoin ou même, juste comme ça, parce qu'on avait envie d'un câlin. Et là j'ai l'impression que tout c'est un peu écroulé.

- Je n'ai jamais voulu prendre la place d'une mère Rhyan. Jamais. Mais de part mon rôle de maître, de part le fait que tu vives chez moi et surtout, surtout parce que je pensais être une amie pour toi, presque une grande soeur, de part tout ça, je me sentais responsable de toi. Mais tu sais quoi ? Tu dois avoir raison. T'as pas besoin de moi en dehors des entraînement. Je suis ton maître, rien de plus. J'ai dû me tromper sur le reste. Je suis juste une utopiste qui croit que tout le monde il est beau, tout le monde il s'aime. J'ai dû avoir tort. Vu que visiblement pour toi, le seul lien qui nous unit est professionnel.

Je me fais mal à moi même. Toutes ces paroles me brisent le coeur. Surtout que je suis à des années lumières de les penser. Le truc c'est que j'ai peur que Rhyan elle, pense comme cela. Je ne veux pas la perdre. Non, je ne veux pas. Et pourtant c'est exactement ce que je suis en train de faire. Je vais trop loin, beaucoup trop loin. Je devrais m'arrêter. M'excuser. Mais un jenesaisquoi de fierté que je n'ai pourtant jamais posséder m'en empêche. J'ai peur qu'elle me repousse. Et je suis déjà allée trop loin.
Ça fait tellement mal. S'en rend-t-elle seulement compte ?

J'ai envie de tourner les talons. Oh oui, parce que c'est bien plus dur d'affronter la vérité en face. Et ma vérité, c'est Shybaï à cet instant là. C'est elle avec son regard accusateur, blessé. Au fond je suis terrorisée. Comme une enfant qu'on a prit la main dans le sac, mais qui ment, droit dans les yeux, jurant qu'elle ne l'a pas fait. On s'enfonce, on se défend comme un peu. Je souffle. J'ai .. arg ! Limite Shy arriverait à me faire regretter la nuit passée avec Ichiru alors que pourtant ce n'est pas le cas. C'était cool. Chouette. Un peu alcoolisé, et en plus j'étais juste trop embrouillée. Et franchement, ce matin, elle ne m'aide pas. Pas beaucoup du tout. Je n'ai pas envie de l'entendre me sermonner. Pas envie de m'entendre répondre un truc méchant juste pour qu'on me foute la paix. Truc que je ne penserai pas, mais que je dirai quand même.
Parce que je suis injuste. L'homme est fait ainsi.

- Écoute, ça tombe bien je connais aussi un certain nombre de sorciers noirs sanguinaires qui n'hésiteraient pas à torturer la première adolescente qui leur passerait sous la main. Mais si tu veux leur adresse pour aller pioncer chez eux, surtout hésite pas à me la demander !

Je hausse un sourcil. Je déteste qu'on me prenne comme ça, à revers, qu'on joue sur les mots, mes mots. Je prend une inspiration un peu saccadée. J'ai du mal à respirer. Je suis sûre que ce soir, il pleuvra. La magie a profité de ma faiblesse pour s'exprimer. Je serai crevée toute la journée. Merde. J'ai pas envie. Je la regarde, comme un peu choquée.

"Tu compares Ichiru à un sorcier sanguinaire ? T'as pas confiance en lui ?"

Hallucinant. Je .. ah, trop injuste. J'ai pas envie d'en rester là mais je la ferme, pour une fois. Je vois très bien ou elle peut en venir. ' Rhyan, as-tu couché avec lui ? '. Elle ne le demandera jamais. Et elle ne devrait pas. La réplique acide qui l'attend ferait autant de peine à moi qu'à elle, et je sais que je ne pourrai pas la retenir. Je couche avec qui je veux de toute façon.
Je déglutis.
Ca commence à devenir un peu méchant. Un peu terrifiant aussi. Enfin. On est si bien lancée, pourquoi ne pas continuer à se faire du mal n'est-ce pas ! Je suis fatiguée, j'ai la gueule de bois, elle a mal dormit et c'est fait du soucis pour Taki (Super rime au passage). Alors on pourrait se dire qu'au bout d'un moment on se rendra compte que ça ne peut pas continuer mais merde, trop de fierté, trop de rage, trop de peine. Ca va casser, au bout d'un moment. Mais j'ai pas encore envie de pleurer. J'ai juste envie d'être ailleurs. Je me serais téléporté si j'avais pu... mais je ne peux pas. J'en. Ai. Marre.

- Je n'ai jamais voulu prendre la place d'une mère Rhyan. Jamais. Mais de part mon rôle de maître, de part le fait que tu vives chez moi et surtout, surtout parce que je pensais être une amie pour toi, presque une grande soeur, de part tout ça, je me sentais responsable de toi. Mais tu sais quoi ? Tu dois avoir raison. T'as pas besoin de moi en dehors des entraînement. Je suis ton maître, rien de plus. J'ai dû me tromper sur le reste. Je suis juste une utopiste qui croit que tout le monde il est beau, tout le monde il s'aime. J'ai dû avoir tort. Vu que visiblement pour toi, le seul lien qui nous unit est professionnel.

Mon visage se décompose. Lentement. Parce que ça mal vous voyez ? J'ai pas du tout envie de m'excuser parce que .. parce que .. trop de fierté ! J'ai envie de me mettre à hurler, n'importe quoi. Juste parce que j'ai envie, là. N'importe quoi, ce qui me passerait par la tête, que c'est injuste, trop injuste. Toujours injuste. Ma vie est injuste, ses paroles sont injustes. Tout est injuste et j'ai envie de hurler, mais rien de sort. Enfin si. Une espèce de goutte d'eau salée qui exprime très bien mon hurlement en jaillissant de mon oeil, roulant sur ma joue. C'est la première, alors elle prend son temps, elle cherche le chemin entre les micro poils de ma joue. Elle ne va pas en ligne droite jusqu'au bout, à la fin, elle se tortille avant de tomber sur mon épaule.
Elle explose. Paf. Se sépare en petite gouttes fines, invisibles. Et j'ai l'impression que c'est mon monde qui éclate. Séparée, la Rhyan de Shybaï, de Takeji, séparée d'Alfred - Ou Albert, ça dépend .. - et de Jack. Séparée de tous, de tout le monde. Et c'est encore une fois la chose la plus injuste du monde. Une fois, j'aimerai que le monde tourne dans le monde sens, en cercles parfait. Que les gens vivent, meurent, sans hasard. Que ce qu'elle dise soit moins blessant. Que je ne ressente plus rien.
Mais ce n'est pas possible n'est-ce pas ?
Je reste interdite encore quelques secondes. C'est un luxe je crois. Parce qu'elle attend ma réponse non ? Mais je n'ai plus rien à répondre. J'essaie pourtant. Je veux que ça sorte fort, droit, sans trembler. Alors je prend mon temps.

"T'a pas le droit de dire ça Shybaï. Tu sais que je le pensais pas. T'a pas le droit d'être aussi dure, j'ai juste passé la nuit chez un ami en qui je pensais que t'avais confiance. T'a pas le droit d'hurler dessus moi comme ça. T'es injuste. Terriblement injuste là. "

Je voulais pas dire ça. J'voulais qu'elle se prenne en pleine poire la même chose que moi ! Qu'elle se sente coupable de quelque chose sans importance à la base. J'veux qu'elle se dise qu'elle est allée trop loin, j'veux trop d'choses.
J'en ai pas assez.
Si j'claque la porte vous pensez qu'elle comprendra mieux ? Mais mieux quoi ? Mieux que ça fait mal quand vous gueulez toutes les deux ? Intelligent.
Je secoue la tête. Je ne sais pas pourquoi, mon coeur décide seul là. J'ai l'impression qu'il se refuse à comprendre la situation et je recule encore un peu, comme si on m'avait frappée à l'estomac.
Je déglutis.
Ca fait mal Shybaï. Tu sais, comme quand on te frappe, sauf que là, c'est pas ta peau qui reçoit, c'est pas tes muscles, tes os, tes nerfs. C'est ton coeur. Et moi, mon coeur, il est pas incassable. Puis c'est comme un objet. On a put un jour le réparer avec du schotch ou du fil. Puis vint un jour où l'objet est trop abîmé, mieux vaut le jeter.

Rhyan, ma Rhyan... Parfois j'ai l'impression de me retrouver devant une toute petite fille à l'innocence et à la naïveté aussi grande que l'Univers. D'autres fois je vois ne elle une adulte responsable à qui on peut faire confiance. Et maintenant ? Maintenant j'ai juste l'impression de crier sur une ado en pleine crise d'adolescence. C'est pas terrible comme sentiment tout ça... Déjà parce que je ne suis pas quelqu'un qui s'amuse à gronder les gens par sadisme et ensuite parce que son comportement ne me plaît pas. Mais alors pas du tout. Se rend-elle seulement compte à quel point elle est insolente avec moi ?

"Tu compares Ichiru à un sorcier sanguinaire ? T'as pas confiance en lui ?"

Je lève les yeux au ciel en poussant un soupir de découragement. Je ne compare pas Ichiru à un "sorcier sanguinaire", je lui fais juste remarquer que le fait que je connaisse des gens n'en font pas forcément des personnes super fréquentable. Alors évidemment que je préfère mille fois savoir mon apprentie entre les mains d'Ichu qu'entre celles d'un sorcier noir. Bien sûr. Mais ce que je préférerai par dessus tout, c'est tout simplement la voir entre les bras de son lit. Il est pas bien son lit ou quoi ? S'il faut changer le matelas, on changera. Mais pitié, pitié que Riri ne nous fasse pas une crise de panique comme Taki à chaque fois qu'il voit le placard de la cuisine ouvert. Un à la maison ça suffit, j'ai pas envie de devoir en supporter un deuxième.
Bon, je blague, je blague - si vous riez pas c'est normal, mon humour actuel est proche du zéro absolu -, mais au fond de moi je suis dégoûtée. Contre moi, contre elle, contre le monde qui est injuste. Pourquoi j'ai à faire ça moi, hein ? Je me disais justement l'autre jour que j'avais de la chance d'être tombée sur une fille aussi super que Rhyan. Bien sûr que parfois il y a des petites bagarre parce qu'on est pas d'accord sur le programme télé ou le rangement de sa chambre, mais de manière générale, ça roule. Enfin jusqu'à aujourd'hui. Super.
Et qu'est-ce que je peux lui dire moi, hein ? "Va dans ta chambre maintenant, tu es punie ?". Elle a 18 ans. Elle est majeure et vaccinée, sensée être responsable. Vu la nuit qu'elle a passée, ça ne semble pas être le cas, mais je me vois mal la punir. Continuer à lui crier dessus alors ? C'est terriblement stupide et je le sais. Pourtant je continue.

- Pour être honnête, non. Non je n'ai pas confiance en Ichiru. Pas dans ce domaine là.

C'est incroyable comme les liens se tissent. Ça fait quelques mois que Rhyan vit chez nous et je me suis attachée à elle plus vite et plus fort que tout ce que j'aurais pu penser. Pour moi elle fait désormais parti de la famille, mais le fait qu'elle ne respecte pas cette famille... je ne suis pas d'accord. Pas d'accord du tout. Je crois que Taki et moi on ne l'a jamais vraiment embêté sur des règles trop compliquées à suivre, on peut honnêtement dire que chez nous c'est plutôt relax et que le seul truc que je demande, c'est de racheter du papier toilette quand on finit le dernier rouleau. Mais je crois que ce n'est pas trop sévère ni exigeant comme règle ça.
Alors bon oui, c'est vrai, j'aurais peut-être dû imposer des limites avant. Mais pour moi il me semblait naturel que mon apprentie ne découche pas comme ça, parce qu'elle en avait envie. Chez Ichiru en plus...
Non mais je l'adore. Vraiment. C'est un bon pote avec qui prendre une bonne vodka caramel de temps en temps me fait très plaisir. On se raconte nos vies et moi je ris de toutes ses conquêtes et des nombreuses histoires croustillantes qu'il peut me raconter sur elle. Parfois il m'arrive de culpabiliser pour ces filles qui doivent avoir le coeur brisé en se rendant compte que le bel asiatique et un véritable salaud quand il le veut. Puis je bois une gorgée et j'éclate de rire parce que j'imagine leurs têtes déconfites et que ça, c'est vraiment trop drôle.
Jusqu'au jour où c'est la tête de Rhyan que j'imagine déconfite, le coeur de Rhyan qui risque de se faire briser. J'ai pas envie de ça. Parce que la voir souffrir me fait mal. Mais ce que me fait encore plus mal c'est que, quand j'essaie de la prévenir, elle me repousse.

Je vois la larme glisser sur la joue de Riri et j'ai envie de pleurer à mon tour. J'ai envie de m'enfermer dans un coin avec un pot de Nutella et de laisser tout aller, tout couler. Mais n'ai-je déjà pas assez pleurer comme ça ces derniers temps ? Entre ma grossesse et ce qui arrive à Taki... J'ai l'impression que je vais exploser. J'ai mal de partout, j'en ai marre. Des fois j'ai juste envie de pouvoir m'arrêter pour souffler, tout oublier, m'enfermer dans le noir et faire comme... comme si j'étais quelqu'un d'autre.
Mais je ne peux pas.
Je ne peux pas parce que je suis Shybaï Artissa, que j'ai 23 ans et surtout parce que je suis responsable de deux bébés et une jeune femme en devenir. Je dois leur montrer l'exemple, je dois m'occuper d'eux, je dois les aider à avancer dans la vie. Mais comment aider quelqu'un s'il vous repousse ?
Avec la larme de Rhyan, j'ai l'impression que c'est tout mon monde qui coule.

"T'a pas le droit de dire ça Shybaï. Tu sais que je le pensais pas. T'a pas le droit d'être aussi dure, j'ai juste passé la nuit chez un ami en qui je pensais que t'avais confiance. T'a pas le droit d'hurler dessus moi comme ça. T'es injuste. Terriblement injuste là. "

Je serre les poings, baisse la tête et ferme les paupières. Les larmes me picorent les yeux, prête à tomber à la moindre inadvertance. Mais je dois rester forte, je dois montrer qu'ici elle ne peut pas faire comme elle le veut. Alors doucement je hoche la tête de droite à gauche, comme un "non" tout doux, que l'on n'oserait pas prononcer.

- Le monde entier est injuste. Il serait peut-être temps que tu le comprennes.

Je me souviens quand j'avais son âge. Je me croyais invincible, je pensais que j'allais pouvoir défier le monde entier et rire de sa naïveté. Je me voyais déjà à faire des pied-de-nez à la mort et à blaguer sur les différents présidents et rois du monde. La politique ne m'intéressait pas, pas plus que les lois de mon propre pays. J'avais inventé mon monde, un monde dans lequel on pouvait fumer, boire, baiser et se droguer sans rien risquer. Un monde dans lequel on était immortel. Pas un seul moment je n'ai pensé aux conséquences.
C'est comme ces reportages qu'on regarde à la télé. Ces gamines de 15 ans qui accouchent de leur premier enfant. Ces familles désespérée de la perte de leur plus jeune fils dans une overdose. Ces jeunes délinquants qui se font attraper par la police. On croit toujours que ça n'arrive qu'aux autres. Et bien c'est faux. Mais ça il faut qu'il nous arrive un truc grave avant qu'on puisse le comprendre. Et généralement ça nous fait souffrir. J'ai pas envie qu'il arrive quelque chose de grave à mon apprentie, même si je sais qu'elle en a besoin pour grandir. Mais si je pouvais repasser toutes les mauvaises expériences de la vie à sa place, juste pour la soulager un peu, je n'hésiterais pas une seule seconde.
Toujours est-il que... Même si je sais qu'il faut qu'elle passe par là et que je ne peux rien faire pour l'aider... Je ne sais pas, j'avais l'espoir qu'elle viendrait m'en parler avant, qu'elle me demanderait conseil ou... je ne pensais pas que ça se passerait comme ça. Ichiru... Elle ne m'en a jamais parlé ! Bien sûr, Taki et moi on avait bien vu que ces deux là étaient tout le temps fourrés ensemble, mais on pensait qu'ils étaient amis. Rien de plus. Enfin en tout cas moi c'est ce que je pensais... Mais c'est vrai qu'il m'arrive d'être naïve...
Ichiru... dans quelle histoires c'est-elle encore fourrée ?

Je prends une inspiration, oblige les larmes à rester à l'intérieur avant de relever la tête. Ficher mes yeux dans les siens. Je reste un instant comme ça à la regarder, observant ce petit bout d'adolescente en train de se transformer en femme. Je pensais pas que ça faisait aussi mal de voir les gens qu'on aime grandir.

- Je pensais que je pouvais te faire confiance Rhyan. Mais il faut croire que je m'étais trompée...

" - Non, ce qui est injuste c'est que je ne puisse pas te sortir toutes les phrases bien acides que j'avais préparées. Je pars parce que tu m'as oublié, je boude, je rumine ma rancoeur et, quand tu arrives, je n'ai plus rien à dire. Tu es là et je suis heureux. C'est tout et c'est injuste. "

Ma respiration s'accélère. On se crie dessus, et je n'arrive même pas à savoir pourquoi. Ce que je sais par contre, c'est que je suis têtue, et qu'elle l'est aussi. Aucune de nous deux ne lâchera le morceau je crois. Hum... ca va durer alors. J'aurai aimé qu'il y ait Taki ici. Parce qu'il aurait fait l'arbitre en se foutant de nous. Shybaï se serait moins inquiétée, je le sais. Il l'aurait raisonné, elle aurait mieux dormi, serait moins en colère. Mais voilà, il n'est pas là, il n'y a que nous, seulement nous et notre rancoeur, notre douleur, notre colère. Ce qui fait beaucoup de chose. Trop, ou pas assez ?
Je n'ai rien à ajouter et trop de choses à la fois. J'aimerai, oh oui j'aimerai pouvoir être ailleurs ! Avoir une obligation à faire, quelque part, ailleurs. Pour pouvoir avoir une raison de m'éclipser. Mais le destin ne m'offrait pas cette chance. Je devrai affronter ça, et l'après. La tension qui pourrait régner, la fatigue et les oeillades. Je me demande si on pourrait se réconcilier facilement. Je me dis qu'il vaut mieux que ça hurle plutôt que ça soit ruminé. La rancoeur est mauvaise, on le sait bien. Comme toutes les choses retenues. Il faut laisser s'exprimer. C'est le seul moyen d'exister ici.

- Pour être honnête, non. Non je n'ai pas confiance en Ichiru. Pas dans ce domaine là.

Je soupire. J'aurai bien levé les yeux au ciel mais je me retiens. Je ne me laisserai pas aller aussi bas tout de même. J'aimerai être plus.. plus gentille. Avoir moins envie de sortir en claquant la porte, hurler ma age et les incohérences de ce qu'on se dit. Et cette envie me ronge, petit à petit, doucement mais sans perdre de temps. Elle ronge les barrière de mon esprit, et je me demande ce qui va sortir de ma bouche quand ces barrières auront cédées. Mais la réponse est évidentes. Des phrases plus acides et plus méchantes les unes que les autres.
Pas une n'aurait été pensée.
Et puis y'a celles qui devraient sortir.
J'ai besoin de toi Shy. J'ai besoin de toi plus de quiconque avec Taki, Jack et Alfred. J'en ai besoin parce que je t'aime trop, et je te respecte trop pour être là avec toi à hurler. Et pourtant j'y suis, mais c'est ma foutue fierté. J'aimerai te dire que je suis désolée mais ça refuse de sortir c'est... c'est plus fort que moi, je préfère trouver des réponses à tes paroles plutôt qu'essayer de trouver à redire sur les miennes. Tu es injustes mais je dois l'être encore plus que toi, je sais. Je suis désolée.
Mais je ne le dirai pas.
Foutue fierté.

"Pourtant tu devrai. Il est adorable. "

J'aimerai désamorcer la guerre qui se prépare. La tempête, l'ouragan, le tsunami. Mais je ne sais pas faire, je ne vois pas comment faire et ça continue. Avec le flot de douleurs.
Elle secoue la tête. Je .. Tu refuses quoi là ? Tu dis non à quoi ? Tu n'es pas injuste ? Oh si. Oh que si, Shy.
Je déglutis en attendant de voir la suite. Ce qui va se passer après. Je suis d'ailleurs étonnée que je ne sois pas en boule avec les souvenirs plus affreux les uns que les autres qui m'envahissent. Faut croire qu'on jour je serai forte. Pour de vrai.
Mais pas aujourd'hui.
Aujourd'hui je suis juste moi.

- Le monde entier est injuste. Il serait peut-être temps que tu le comprennes.

Un sourire amer, acide et blessé, terriblement blessé s'étend sur mon visage. Un visage affligé. C'est méchant là. C'est méchant et j'ai l'impression que mon coeur va exploser, que ma tête va exploser, que mon coeur entier est sur son point de rupture. Alors je serre les poings. Mes phalanges blanchissent et mes ongles me mordent la peau. Je m'en fou. Je ravale mes larmes et lui réplique, amère.

"Parce que tu crois que je ne sais pas que le monde entier est injuste ? C'est pas injuste de kidnapper une gamine de dix ans ? C'est pas injuste de la priver de son monde, de son avenir ?! "

Je me mord la joue pour me calmer mais je n'y arrive pas. Je veux bien que tu sois un peu injuste. Je veux bien que tu ais eu peur et que tu te sois fais un sang d'encre. Mais que tu penses que je n'ai pas compris que le monde était injuste, c'était méchant, blessant, humiliant. Mon passé fait parti de moi, et si tu ne l'acceptes pas c'est tant pis, je ... Je ne comprend pas pourquoi tu m'attaques là dessus ! Si y'a quelque chose que tu n'avais pas le droit de faire, c'était bien ça. Peut être ce n'était pas volontaire, et si c'était le cas ça n'en restait pas moins terriblement maladroit. Et toi Shybaï, je refuse que tu sois maladroite. Quand on est maître, on ne l'est pas ? Si, bien sûr que si. On fait tous des erreurs. Mais tu vois, quand tu dis ça, mon coeur il saigne.
Et à part tes bras, rien ne l'arrête.
Ca coule, et ça fait mal. Tu le vois que j'ai mal ?

- Je pensais que je pouvais te faire confiance Rhyan. Mais il faut croire que je m'étais trompée...

Je secoue la tête. Ses yeux dans les miens me vrillent la tête. Je serre les dents. C'est méchant de dire ça. Tu veux quoi ? Que je culpabilise ? Et bien, et bien c'est raté. Je ne culpabilise pas du tout. Je serre les dents. Je pense que ça se voit. Les muscles doivent être tendus. Mais je m'en fou, oh comme je m'en fou ! Je me mord la joue pour me ramener sur terre.
Ne fais pas ce que tu reproches aux autres Rhyan.
Ne sois pas injuste.
Ou blessante.
Sauf que c'est un peu trop tard.
Bien trop tard.
Juste trop tard.
Mes sourcils s'abaissent. Oh oui, j'ai mal.
Juste mal.
Je secoue la tête. Tu ne me fais plus confiance ? Ah ouai ?
Putain..
Tout s'enchaîne dans ma tête qui n'est devenu plus que le terrain de bataille de nos belles paroles. Champ de bataille dévasté avec des mots cadavériques qui jonchent le sol. D'autres sont insaisissables. Et je n'arrive pas à les attraper pour répondre une réponse juste, droite, adulte.
Non, ce qui sort est beaucoup plus gamin. Beaucoup plus affligeant faut avouer. Beaucoup plus moi finalement.

"J'dois être trop détraquée pour être digne de confiance alors. "

Le pire ? C'est que je le pense vraiment. Ce n'est pas nouveau, je le suis et je le sais. C'est pas ma faute c'est la leur, je n'ai rien demandé. Mais voilà. En moi, ça a craqué et la faille s'agrandit terriblement vite. A une vitesse trop rapide pour que je puisse un jour l'espérer guérir. Elle ne le sera jamais, je ne le sais que trop bien. Alors maintenant, je stagne. Elle ne guérit pas. N'empire pas. Sauf sous les mots de mon maître.
Crac.

" Sais-tu que l'on se construit plus par les drames auxquels on survit que par les bonheurs que l'on vit ? "

Peut-être qu'au fond j'ai tort. Que je devrais être plus coulante avec Rhyan. Je ne sais vraiment pas quoi faire, je ne me suis jamais retrouvée dans ce genre de situation ! Ni d'un côté, ni de l'autre. Quand j'étais ado, mon père se fichait bien de savoir ce qui se passait dans ma vie, du moment qu'il pouvait me taper dessus. Et mes enfants n'ont que quelques mois ; je n'ai donc pas le loisir de pouvoir leur crier dessus pour leur bêtise. Mais déjà, est-ce vraiment une bêtise ? Rhyan n'a brisé aucune règle... Ça m'énerver, je m'énerve.
Et j'en ai marre.
Je pourrais tout arrêter, lui demander pardon, lui faire un câlin, lui proposer d'aller faire des cookies de la paix. Je pourrais, mais je ne fais rien. Pourquoi ? Je n'ai aucune fierté à revendiquer. Je ne suis pas non plus le genre de personne à mettre trois plombs pour pardonner. Alors je pourrais...

"Pourtant tu devrais. Il est adorable. "

Et voilà pourquoi je n'en fais rien. Pour ces répliques acides qui me frappent en plein visage. Ce ton dégueulasse qui m'inonde de déception.
J'en peux plus, je suis au bout du rouleau.
Je sais que tout ça c'est aussi un peu dû à l'absence de Taki. Elle pèse lourd dans la balance, très lourd. Tout aurait été différent s'il avait été là pour me rassurer, pour me prendre dans ses bras et me murmurer que ce n'est pas grave, que rien n'est grave tant que Riri est là, en vie, devant nous. Il aurait lancé deux trois vannes, j'aurais fait semblant d'être fâchée encore quelques instants, puis, pour ne pas baisser la tête trop vite, je lui aurais donné une punition nulle telle que laver la litière du chat pendant trois semaines, tout en sachant très bien que je lui avais déjà tout pardonné. On aurait ensuite passé une journée ensemble, avec les petits, sans plus jamais parler de l'incident et, le soir même, tout aurait été oublié.
Sauf que Taki n'est pas là. Et que je dois me débrouiller seule.

"Parce que tu crois que je ne sais pas que le monde entier est injuste ? C'est pas injuste de kidnapper une gamine de dix ans ? C'est pas injuste de la priver de son monde, de son avenir ?! "

Je me rends compte d'un coup que j'ai touché une corde sensible. Que j'ai touché la corde sensible. Celle que je n'aurais même pas dû effleurer. C'est déjà assez dur de vivre avec pareil traumatisme, mais si en plus les gens lui rappellent perpétuellement qu'elle a été enlevée... Je ne peux même pas imaginer sa douleur.
D'un autre côté, a-t-elle vraiment le droit d'utiliser ce genre d'argument contre moi ? Ce n'est pas moi qui l'est enlevée. Et je suis incapable de remonter dans le passé pour la sauver. Si je le pouvais, bien sûr je le ferai. Mais est-ce que c'est vraiment ce qu'elle voudrait ? Parfois le malheur conduit au plus grand des bonheur. Toute ma jeunesse, j'ai haït ce que me faisait subir mon père. Mais je me rends compte à présent que sans lui, sans ses coups, sans ses marques sur mon dos, jamais je ne me serai retrouvée à Little Angleton. Jamais je n'aurais rencontré Taki. Jamais je n'aurais pu m'émerveiller devant les frimousses si mignonnes de mes enfants. Alors pour rien au monde je ne changerai le passé. Jamais.
Après Rhyan c'est autre chose. Je sais qu'elle a beaucoup souffert de cet enlèvement. Elle ne m'a pas tout raconté et je le comprends, moi non plus je n'aime pas parlé du passé, comme s'il pouvait resurgir là, devant nous, prêt à nous avaler. Mais même si je n'ai pas eu les détails, ce que je sais me suffit pour comprendre toutes les difficultés qu'elle éprouve parfois à sourire. Riri a raté des années de sa vie et peut-être que je devrais la laisser un peu plus libre, peut-être que je devrais la laisser courir après tout ce temps qu'elle a perdu...
Le truc c'est que j'ai parfois l'impression que l'enfermement de Rhyan l'a empêchée de grandir. Comme si elle avait encore dix ans. Et je ne peux pas laisser une enfant de dix ans faire tout ce qu'elle veut, si ?
J'ai envie de la prendre dans mes bras...

J'dois être trop détraquée pour être digne de confiance alors. "

Je lève les yeux aux ciel ; cette fois s'en est trop je n'en peux plus. J'ai vraiment l'impression d'être face à une gamine irrespectueuse. Elle se considère comme mature ? Alors pourquoi n'agit-elle pas comme tel ?! Ce n'est pas comme ça qu'elle devrait me répondre, ce n'est pas comme ça...
J'en ai marre. J'en ai marre et je crois bien qu'il n'y a plus rien à dire. Alors je m'approche d'elle, avec un regard presque déçu. Je m'approche, la regarde un instant, puis la contourne pour sortir du salon et rejoindre la chambre de mes enfants. Ils sont agités et je vois bien qu'ils ont compris que quelque chose ne va pas. Sans dire un mot, je les habille et les prépare à sortir. Puis je retourne au salon, mes bébés serrés contre moi pour jeter à Riri :

- Fais comme tu veux, je m'en fiche.

Ce n'est pas beaucoup plus mature que son comportement, mais au moins c'est de son niveau. Elle devrait pouvoir comprendre.
Je laisse la porte d'entrée claquer derrière moi.

« T’es désolé ? À ouais, ça change tout ! »

J'ai marché jusqu'à l'orphelinat avec mes enfants contre moi, ruminant un peu plus ma colère. Une fois arrivée là-bas, je les ai confié à Pandora qui ne m'a posé aucune question. Elle sait que ces temps je suis plutôt instable et elle a dû deviné ma mauvaise humeur, car je pense que si elle m'avait demandé pourquoi ce n'était pas Rhyan qui les gardait, je lui aurait hurlé dessus.
Puis Jon m'a téléporté à l'hôpital, sans poser de question non plus. Je leur en suis reconnaissant, parce que j'avais moi-même bien assez de question dans ma tête pour réfléchir à celles des autres. Des question et surtout beaucoup de culpabilité...
Heureusement voir Taki m'a un peu remonté le moral. Même si, au moment où je suis sortie de ce grand hôpital, sans lui, je me suis sentie définitivement seule. Taki sur son lit d'hôpital, Riri que me fait la gueule, alors que je n'étais même pas sûre qu'elle était à la maison... Oh non mon Dieu ! J'espère qu'elle n'est pas partie ! Qu'elle n'a pas fugué ! Rien que cette pensée m'a presque faite m'étouffer et j'en ai suffoqué sur le trottoir. Il fallait que je rentre, vite ! Première étape : chercher Hana et Jace et deuxième étape, m'excuser auprès de Rhyan.

« - Lola il faut qu’on parle !
- Plus jamais vas te faire foutre ! »

Quand j'ai glissé ma clé dans la serrure, j'ai été prise d'une immense peur que Rhyan ne soit pas là. Et, comme si ça ne suffisait pas, Hana a commencé à pleurer, très vite rejointe par son frère. Concert de hurlement de bébés plus culpabilisation, je vous laisse deviné comme mon état ne s'était pas amélioré.
Super.
Bon, ne pas désespérer. D'abord calmer les bébés, puis aller voir Riri. J'espère qu'elle est encore là, j'espère qu'elle est encore là...
Calmer les jumeaux m'a pris plus de temps que prévu, mais j'ai finalement pu les déposer dans leur berceau pour une petite sieste. Promis, je reviens vous faire un câlin après mes enfants. D'abord maman doit s'excuser auprès de quelqu'un.

Et c'est avec la gorge serrée que je m'approche de la chambre de Riri. Sera-t-elle là, ne sera-t-elle pas ? Doucement, je pousse la porte, priant les Dieux auxquels je n'ai jamais cru pour qu'elle soit là.
C'est fou comme d'un coup je deviens croyante quand j'ai besoin d'Eux.
Mais Ils ont du croire bon de m'écouter car j'aperçois une silhouette sur le lit. Rhyan. Rhyan, Rhyan, Rhyan... ma petite Riri. Alors je ne réfléchis plus et j'ouvre la porte en grand pour me précipiter vers elle et la serrer dans mes bras, les larmes débordant déjà de mes yeux.

- Riri, oh Riri, je t'en prie, excuse moi. Je n'aurais jamais dû te dire tout ça, je m'en veux tellement...

Oh oui, je m'en veux tellement...

C'est une heure pour rentrer ? F4e02020070504100901843

Si tu n'as jamais cherché à défier l'autorité, c'est que tu n'as jamais été ado. Si tu n'as jamais attendu un sms d'un certain garçon qui tardait à venir, c'est que jamais tu n'as jamais été ado. Si tu n'as jamais laissé ton portable auprès de ton oreiller au cas où, ce même garçon te répondrait. Si tu n'as jamais été déçue face à cet appareil quand aucun sms n'arrive. Si tu n'as pas affiché un simple sourire sur ton visage alors qu'on fond tu crèves de jalousie, si tu n'as jamais souhaité une mort lente et douloureuse à quelqu'un, si tu n'as jamais assuré que tu ne voulais pas sortir avec alors que c'était faux, si tu n'as jamais dit à quelqu'un que tu ne l'aimais pas alors que ça aussi, c'était faux, si tu ne t'es jamais dis 'plus jamais' après une grosse fête mais que tu y retournes quand même, si tu ne t'es jamais dis 'merde, j'aurai du.. ' ou 'merde, si .. ' ... Si tu n'as pas fait au moins quelques une de ces actions, c'est que tu n'as jamais été ado, ou alors que t'a jamais été juste.. bizarre. Je ne me demande si ce n'est pas typiquement féminin de galérer autant. On se pose des tas de questions, on imagine, on espère, mais je suis sûre que les gars, ils ne s'en posent pas autant. J'aimerai vivre comme il faut sans regrets, sans remords doutes ou hésitations, mais ça n'a pas l'air possible visiblement.
Visiblement..

- Fais comme tu veux, je m'en fiche.

Ah ouai tu t'en fiches Shy ? Alors pourquoi tu te mets dans cet état ? Elle doit pourtant savoir que ça n'a aucun sens. Et qu'il y a des tas de choses qu'on fait par rapport aux autres. Des fois je me dis qu'en me tirant une balle, j'aurai plus, ou moins de soucis. Mais je ferais trop de dégâts de crois, dans la famille souée de Taki, Shy, Hana, Jace. Alors je le fais pas.
Mais si elle s'en fiche Shy, ça change la donne. Complètement. J'pourrai m'barrer. Aller vivre ailleurs. Puisqu'elle s'en fou, puisque visiblement, elle ne tient pas tant que ça à moi, puisqu'elle se barre. Elle me laisse, comme ça, en plan. Je serre les dents, et rentre dans ma chambre en traversant le mur, m'affalant sur mon lit. Je prend mon portable. Je tremble un peu. De rage je crois, d'être finalement si peu importante dans son coeur. J'ai envie de pleurer, mais je me raisonne. J'ai passé l'âge de pleurer. Elle rentrera, et je refoulerai tout ça. Vous savez, quand je serai plus grande je me dirai sans doute 'T'étais bien conne et immature Rhyan. ' Mais je ne suis pas plus grande. Et j'ai mal. J'ai l'impression que mes sentiments, que mes émotions sont toutes démultipliées. Des fois, je crie victoire parce que quelqu'un m'a envoyé un message. Comme s'il pensait à moi autant que je pensais à lui. Alors que c'est faux.
On s'imagine toujours des choses.
Je soupire et fais défiler les photos. J'avais pris en photo des tas de trucs. Y'a même un dossier ' Shy & Moi (Et Alfred) '. Alors je les fais défiler et je me dis que j'aimerai être celle qui rigole, du chocolat pleins les doigts et le visage. Celle qui fait le concours de celle qui lèche le plus vite sont plat et celle qui regarde le sourire qui éclaire le visage de Shybaï, qui a gagné. Mais c'est plus le cas. En plus, elle a emmené les jumeaux. Je me fais craquer les phalanges un peu nerveusement et fixe le plafond. Alfred vient dans un miaulement sur mon lit et élit domicile sur mon ventre. Je reste quelques minutes comme ça, écoutant son doux ronronnement contre moi. Je le caressais distraitement quand je me levais, attrapant un marqueur noir. Debout sur le lit, je ne touche pas encore le plafond alors j'ajoute un petit pouf et marque sur le plafond.
People are strange.
Parce que je le pense terriblement fort. Nous sommes tous super bizarre parfois. Je me réallonge sur mon lit sous le regard blasé de Monsieur le Chat... qui vient aussi sec se reposer sur mon bid. Le temps semble passer tout doucement. J'aimerai bien que Takeji soit là. Mais ce n'est pas le cas. Je me sens encore plus seule. Définitivement seule, même.
Je déglutis. Attendant. Attendant quoi au juste ?
Biiiiiiiiiiiiiiidibip.
Je saute sur mon portable. C'est qui, c'est quuuuuuui, QUUUIIII ?
Sarah. Je balance le portable sur le lit. Je m'en fou de Sarah, je l'aime pas en plus. J'voudrai que ça soit Shy. Et pas pour acheter du pain, merci. Alors je reste à regarder mon plafond. A me demander comment je vais survivre. Enfin, c'est un bien grand mot t je me doute que c'est exagéré, mais j'me sens vide. Juste vide. Mais j'ai la boule au ventre en même temps ce qui est .. dérangeant. Chiant, j'suis mal à l'aise.
Je m'enfonce les écouteurs dans les oreilles et met le plus fort que je peux. C'est super bizarre au début puis j'oublie, et je me laisse entraîner. Je sens vaguement la maison bouger mais je ne réagis pas. Sans savoir pourquoi. Les yeux mi-clos j'écoute juste le son se dérouler dans mes oreilles.
Je regarde mon IPod. Me demandant la musique qui passe.

We can fight our desires
But when we start making fires
We get ever so hot
Whether we like it or not
They say we can love who we trust
But what is love without lust?
Two hearts with accurate devotions
And what are feelings without emotions?

I'm going in for the kill
I'm doing it for a thrill
Oh I'm hoping you'll understand
And not let go of my hand

La porte s'ouvre. Je me lève subitement, vraiment surprise. SHYBAI ?! Elle saute sur moi en me faisant un gros câlin, gros, gros câlin. Je la serre le pus fort que je peux dans mes bras avant d'arracher les écouteurs de mes oreilles, poser.. bon, ok, jeter l'appareil sur la table de nuit.

- Riri, oh Riri, je t'en prie, excuse moi. Je n'aurais jamais dû te dire tout ça, je m'en veux tellement...

Oooooh...

" Je t'aime Shy. "

Parce que c'est vrai, parce que j'aurais du la prévenir, parce que je suis un boulet et que je suis ado.
Surtout parce que je suis un boulet, parce que les ado, ça excuse pas tout, mais une partie n'est-ce pas ? Je souris dans ses bras avant de lui souffler, les yeux emplit de bonheur.

" Coockies de la paix ? "

Je dois vous avouer un truc.
Un truc capital.
J'ai faaaaaim.

J’avais peur que Riri, ma Riri, me repousse, m’envoie balader. Après tout, avec les adolescents on ne peut jamais savoir. C’est pas moi qui vais vous dire le contraire. Déjà parce que j’ai moi même été une sale gosse n’écoutant rien d’autre que mon cœur – ou plutôt mes hormones – sous le charme de très mauvais garçon, mais aussi parce que depuis j’ai subi certains cas à l’orphelinat. Ces gosses ont beau avoir des pouvoirs, ça n’empêche pas certains de faire des crises d’adolescence carabinées. Avec eux on ne peut jamais savoir. Un jour ils sont les plus gentils du monde et le lendemain ils envoient tout balader. Il n’y a pas à dire, l’adolescence rend terriblement lunatique.
Alors j’espérais que Riri ne me repousserait pas. Le tourbillon d’émotion que je traversais depuis le matin même était déjà assez difficile à gérer pour que je me sente encore une fois rejettée.
Heureusement elle semblait regretter autant que moi puisque je l’ai senti me serrer tout aussi fort dans ses bras.

- Je t’aime Shy.

Oh et voilà que... oh nooooon. Voilà que je me suis mise à pleurer. Encore. Parce que je pleure beaucoup en ce moment. Comme si les hormones de grossesse avaient décidé de rester dans mon sang APRÈS la naissance de Hana et Jace. Bon, soyons honnêtes, c’est aussi sans doutes tous les événements vécus ces derniers temps qui ont dû pas mal fragiliser mon petit cœur.
Et voir que je n’ai pas perdu Riri a ouvert des vannes et je me retrouve comme une débile en train de chialer dans les bras de mon apprentie. Enfin... apprentie... Je considère Riri comme bien plus que simplement mon apprentie. Pour moi elle fait partie de la famille. Une famille un peu bizarre avec des phobiques des vaches et des escargots, un chat qui déteste le cactus de compagnie – qui se retrouve bizarrement DIX FOIS PAR SEMAINE dans le frigo je ne sais comment – et des bébés qui ont les mêmes pouvoirs que leur parent ce qui va sans doute poser de sacré problème dès qu’ils seront en âge de faire des bêtises – dans pas longtemps donc.
Bon après, pour le mystère du cactus dans le frigo, je vous avoue que j’ai une petite idée. Au début je pensais que c’était Alfred qui le prenait dans sa gueule sans se blesser – j’ignore comment – et le foutait dans le frigo – j’ignore aussi comment il l’ouvrait -, mais tout bien réfléchi ça peut pas être ça. Vu sa tête de chat-qui-vient-de-voir-une-souris à chaque fois qu’il regarde Jack, j’ai plutôt l’impression que le cactus fini dans le frigo de sa propre volonté pour éviter de se faire dépoter par Alfred. Ce qui m’amène à me dire que Jack a des pouvoirs. Et qu’il peut se téléporter. Bah oui, après tout, si les humains ont bien des pouvoirs, pourquoi pas les plantes ? C’est une étude à creuser moi je dis.
En attendant ça fait beaucoup trop de téléporteurs dans cette maison.

Je me retrouve donc bêtement à renifler à côté de Riri en me demandant si, en allant à la cuisine, je vais encore retrouver mon cactus dans le frigo – quoique Alfred se trouve lui aussi dans la chambre de Riri donc peut être que Jack profite de cette accalmie pour se réchauffer au salon. Je sors un mouchoir, essuie mes yeux puis regarde ma Riri dans un petit sourire d’excuse.
Pardon de t’avoir gueulé dessus, pardon d’avoir dit de la merde, pardon de pleurer comme un caca maintenant.

- Cookie de la paix ?

Je hoche automatiquement la tête. Riri et moi on ADORE les cookies. C’est notre petit rituel. Au moins une fois par semaine on fait des cookies et on se brûle les doigts et la langue en les mangeant parce qu’on a la flemme d’attendre qu’ils refroidissent en sortant du four. Du coup on a toujours de quoi faire des cookies dans la cuisine.

- Et ce soir ça te dit on se fait une soirée fille-cactus-chat-bébés devant un bon film avec des pizzas ?

Ça aussi c’est un rituel. On fout Taki à la porte, on choisi un film bien niais avec un acteur avec beaucoup trop de tablette de chocolat pour être honnête et on commande des pizzas. On accepte les cactus, les chats et les bébés parce qu’on est sympa et qu’aucun d’entre eux ne mange nos pizzas (sauf Alfred qui aime bien grignoter un bout, mais comme c’est un chat on lui pardonne).
Quand les jumeaux seront plus grands, on mettra Jace à la porte avec son papa. Ils auront qu’à se faire leur soirée entre hommes. Et Hana et moi on invitera Rhyan – qui du coup n’habitera sans doute plus à la maison CE QUI EST TRISTE OUI ON EST BIEN D’ACCORD – et on continuera ce rituel. Ma fille a intérêt à aimer les cookies, les pizzas et les films. Sinon elle va jamais survivre dans cette famille.

Sur ces mots, je me relève et me dirige vers la cuisine afin de sortir tous les ingrédients pour nos cookies. Je connais la formule par cœur maintenant.
Je suis tellement soulagée de m’être réconciliée que j’ai envie de chanter la Reine des neiges. Je le fais d’ailleurs.
Ah. Et en ouvrant le frigo pour prendre le beurre, j’y croise Jack.