Moi, je crois que j’ai jamais aimé la mort. Elle m’a pris ma mère, et elle me prendra un jour. J’y crois pas, à tous ces trucs idiots qui disent qu’on va monter au ciel quand on sera mort. C’est juste pour pas faire pleurer les personnes comme moi, mais ça ne dure qu’un temps, jusqu’à ce qu’on voit passer la voiture dans laquelle on emmène maman. Si elle doit aller au ciel, pourquoi on la met dans un truc tout fermé, et on l’enterre profondément dans le sol? Dis, papa, pourquoi y’a des plaques sur le sol partout autour de maman? Et pourquoi tout le monde pleure s’il suffit d’un simple vol en avion pour revoir maman? C’est pour ça que je veux pas qu’on me mente. Qu’on me dise que je ne le reverrai plus, ma maman. Un point c’est tout. C’est dur à accepter, mais tout le monde y passera un jour, et c’est mieux de connaître la vérité quand on est jeune. Comme ça, on sourit pas quand on voit la même voiture passer pour un autre mort, en se disant qu’après tout, maman elle aura des copains avec elle.

Dis, papa, c’est quoi en fait la mort? Si on s’arrête de respirer, normalement on peut pas continuer à vivre. C’est ça la mort? C’est triste non? Mes larmes continuent à couler, alors que moi je dors profondément. C’est bête, moi j’aime pas pleurer. C’est triste de pleurer, et puis ça mouille, et après on a le visage qui colle aux cheveux. C’est pas agréable.

J’entends qu’on appelle mon nom. Mais ce doit être mon rêve. Parce que celui qui me touche les cheveux actuellement, c’es mon père. Il essaye de me faire oublier maman. Mais moi, tous les jours je pense à elle. Et je demande « quand est-ce qu’on va voir maman? Elle me manque moi. ». Au fur et à mesure que je dis ça. Au fur et à mesure que la réponse se solde par un échec. Au fur et à mesure que je comprends que je ne la reverrai plus jamais. C’est trop dur. Je n’arrive pas à stopper mes larmes. Et je sais que mon rêve se répercute sur mon vrai visage, celui qui dort. C’est trop dur à supporter. Toute cette ignorance passée, et cette chose qui me fait mal au cœur. Inlassablement. J’inspire, et j’ouvre enfin mes yeux. Ils sont tout mouillés, et tout rouges certainement. Je renifle avec envie. Et je vois que d’autres doigts sont posés sur mes cheveux. Fins et tout mous. Comme ceux des vieilles dames. C’est le cas. La directrice est penchée sur moi. Elle m’a vu pleurer. Rapidement, j’essuie toutes les traces du passage affolé de mes larmes, tâchant mon haut par la même occasion.

J’observe la vieille dame d’une regard plutôt méfiant. J’aime pas que les adultes cherchent à savoir ce que je pense, pourquoi je pleure. À quoi ça les avance, que je pleure plus? Je pleurerai bien des centaines de fois dans ma vie, même plus. Alors pour une fois, laissez-moi tranquille. Je veux pas qu’on me rassure. Je suis très bien toute seule. Je pose ma main près du livre, et remarque qu’il n’est plus là. Mes yeux s’ouvrent brutalement, et mon regard se dirige partout. Enfin, je le retrouve près du lit, et l’agrippe comme s’il s’agissait d’un trésor. Personne ne touche à mon livre. C’est le mien à moi. La directrice continue de me regarder. Alors, avec toute la bonne foi dont je suis capable, j’arrive à sortir une phrase, boudant légèrement :

-Qu’est-ce qu’il y a?

On a pas trop compris ma façon de baragouiner, mais c’est pas grave, je suis sûre qu’elle, elle a compris ce que je veux dire. C’est-ce qui compte, puisqu’on est que deux.

La vieille dame me fixe depuis un certain temps déjà. En fait, elle fixe plutôt mon bouquin. Mon livre. Celui que Ren m'a offert. Il est vrai que j'en ai parlé, mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle veuille le voir. Enfin... je crois... les grandes personnes sont étranges. Tant qu'elles ne parlent pas, on ne sait pas trop ce qu'elles veulent. En plus, Mrs Mystery, elle peut lire dans nos pensées alors on a même pas besoin de lui parler. Est-ce que si je parle par la pensée, là maintenant tout de suite, elle va entendre ? Ou bien est-ce qu'il faut que je lui demande de m'entendre par pensée ? Pourquoi je pense à ça même ? Parce qu'elle a fixé mon bouquin ? Elle veut le voir ? Moi aussi, je veux être une lectrice de pensée comme Mystery, comme ça, j'aurai plus besoin de regarder les expressions des gens pour savoir ce qu'ils veulent. Et puis, j'aime pas quand quelqu'un fixe quelque chose qui est à moi ou qui est moi. C'est gênant. J'aimerai bien serrer mon bouquin ou le faire tourner dans toute la pièce pour être sûr que c'est bien ce qu'elle veut, mais ça va paraître étrange. Et moi, je veux aps être étrange. Alors je me tais.

-Puis-je jeter un coup d'oeil ?

Ah ! Elle l'a dit ! Elle veut le voir. Sans en attendre plus, je lui donne en main propre le livre, en faisant attention en le manipulant. La dame, elle lit dans les pensées, non ? Alors si elle lit dans mes pensées, elle verra qu'il faut faire attention à ce livre. Qu'il compte beaucoup pour moi. Et même si elle ne lit pas dans mes pensées, à voir ma façon dont je manipule mes affaires, elle comprendra qu'il faut y faire très, très très attention. Et Mystery, elle est pas bête. Parce que de toute façon, moi je dirais jamais, jamais qu'il faut faire attention à mes affaires. Alors je le lui dit avec des gestes. Alors s'il te plaît Madame Mystery, fais-y attention.

-Dites, madame, quand vous lisez dans les pensées, vous entendez des phrases complètes ? C'est quoi la différence avec les... les em... emphates euh non... les gens là...

Et puis viens le moment où nous commençons à parler de mort, ou plutôt de la vie après la mort. Moi, je n'y crois pas vraiment, mais au moins ça fait moins peur de se dire qu'on va voir des anges et pouvoir voler plutôt que de sombrer dans quelque chose qu'on ne connaît pas. Qu'on ne... qu'est-ce qu'on va faire si on ne vit plus ? Qu'est-ce qu'il va se passer ? Tout ce qu'on fait, c'est pour un but. Mais... mais si c'est fini, c'est... c'est... maman j'ai peur. Maman je veux jamais mourir. Je veux jamais connaître ça. Je veux jamais en arriver là. Maman, j'ai vraiment peur de tout perdre, de mourir. Des larmes commencent de nouveau à perler à la surface de mes yeux, mais je me contente de les essuyer avec rage. C'est nul de penser à ça.

-Un corps, lorsqu'il est mort, retourne à la terre et se décompose pour nourrir cette même terre qui lui a permi de vivre. Une âme, en revanche...Elle peut errer, protéger, ou tout simplement partir. Où ? Nous ne savons pas. Nous espérons juste qu'elle est en paix. Et nous le croyons, nous, les exorcistes de tout notre coeur, car on retrouve rarement des âmes de personnes mortes sereinement sous forme de fantômes. Sur l'endroit dans lequel partent les âmes exorcisées ou morte sans jamais être passé par l'état de fantôme, chacun a son avis. Les chrétiens pensent au paradis, d'autres à rien, rien qu'un long repos inconscient...
-Mais moi, je veux pas qu'ils partent. Même vous madame, qu'est-ce qu'on fera sans vous ?

C'est ignoble. Ça me fait peur. Terriblement peur. Ça me ronge de l'intérieur, et ça contribue beaucoup à faire venir mes larmes au bord de mes yeux. On joue beaucoup dans l'orphelinat. Y'a de sjeux de guerre, où tu t'amuses à tuer le monde. Mais pourquoi les gens ils tuent ces autres gens qu'ils ne connaissent pas forcément, s'ils savent que c'est aussi triste que ça la mort ? Pourquoi les gens ils font la guerre, si c'est pour rendre de centaines de milliers de familles tristes. Moi je veux pas. Je veux pas que les gens soient tristes. Je veux vivre éternellement et ramener des gens à la vie.

-Est-ce qu'il y a des pouvoirs qui peuvent ramener des gens à la vie ?

Parce que si ça existe, je passerai toute ma vie à essayer de chercher comment l'obtenir.

Je ne sais pas comment on en est arrivé là. Je parlais simplement. Je pensais à ma maman que je n'ai jamais vu. Je voulais savoir si elle avait une belle vie là où elle était. Si elle pensait à moi par moments. Si j'étais quelqu'un qu'elle aimais. Si elle m'aimait encore. L'esprit d'une jeune fille est parfois tellement tourmenté. Et quand une grande personne arrive alors... alors l'esprit s'ouvre. Même le plus dur des esprits finit par demander les questions qui le pousse à penser à la mort. C'est triste de penser à al mort. Alors pourquoi y pense-t-on ? J'en sais rien. Comment je pourrais répondre à cette question ? C'est tout simplement impossible. Peut-être que si je pose la question à la vieille dame, elle va me répondre ? Mais j'en ai marre de poser des questions. J'ai 12 ans. À douze ans, on doit être une grande fille. On doit arrêter de pleurer. On rentre en pré-adolescence non ? Je sais pas à quel âge ça commence. Je suppose que je suis dedans. Et puis... on dit qu'avec l'âge on y pense moins, à la mort. On en a moins peur ? Est-ce que Pandora elle y pense plus du tout dans ce cas ? Parce que Pandora elle est vieille. Mais elle est gentille et mignonne pour une vieille dame. Alors on peut penser qu'elle a l'esprit d'un adolescent. Mamie, elle est génial.

-Cela dépend. Tu sais parfois ce sont des images, des informations rapides, ou alors des phrases distinctes, effectivement. Cela dépend du mode de pensée de la personne. Toi par exemple, lorsque tu penses, tu constates que tu exprimes des choses très floues dans ta tête, mais parfois, elles sont très claires, comme lorsque tu te retiens très fort de dire quelque chose.

J'aimerai bien lui dire que sa magie est étrange, mais après tout laquelle ne l'est pas ? Moi-même, qui ai une magie assez rare et qu'on pourrait croire commune, je suis bizarre. Est-ce que la magie et le don vient en fonction de la mentalité de la personne ? Les invisibles ceux qui ne veulent pas se faire voir ? Ou bien, c'est aléatoire, en fonction des désirs de chaque personne ? Non, ce n'est pas ça. Je voudrais être télépathe avec les animaux, pourtant je ne peux pas. Je veux bien tenter quelque chose. Je fixe fortement Pandora, comme si je l'invitais à sonder mon regards et mes pensées et je me mets à parler distinctement dans ma tête « E-t l-à, v-o-u-s m'-e-n-t-e-n-d-e-z ? » en hachant les mots. En fait, sans être lecteur de pensée, on peut deviner à me tête ce que je veux dire. Je mets trop d'émotion. On s'adapte à tout, nous les enfants. On peut être triste puis amusé ensuite. Ma ribambelle de questions ne s'arrête pas là :

-Et comment on a des pouvoirs seconds ? Ren, il m'a dit que je pouvais devenir télépathe avec Idgy si je le pensais très très très très fort. Mais je suis sûr qu'il mentait pour me faire plaisir. Vous savez vous, si on peut avoir en voulant ?

Ma dernière phrase est étrange, mais je ne vois pas comment la formuler autrement. Et puis, de toute façon, on excusera les erreurs de langue d'une petite fille, hein ? Je crois qu'elle comprendra. De toute façon, mamie elle comprend absolument tout le monde. Ça doit être dur d'endosser une responsabilité pareille. Vraiment dur. Moi je sais pas si je pourrais faire ça un jour. Moi de toute façon, plus tard, je serai exorciste. Comme ça je rencontrerai pleins de gens. Comme ça... je lutterai contre le mal. Comme ça, y'aura moins de misère dans le monde, et moins de morts. Même si je suis pas sûre que ça change grand chose si une personne comme moi rentre dans Orphéo. Mais bon, au moins j'ai un objectif en tête. Et les adultes disent tout le temps que c'est bien d'avoir des choses et des envies pour plus tard. Ils disent que ça permet d'avancer. Et j'ai horreur de reculer.

-C'est triste à dire mais la mort fait partie de la vie. Bien sur, c'est plus facile de voir partir quelqu'un d'âgé que quelqu'un de jeune, subitement. Mais on ne peut s'enfermer dans la mort en attendant la sienne. Il faut vivre. Moi je sais que j'ai déjà écoulé une bonne partie de ma vie, qu'il me reste des choses à faire, mais tant que Nérys est là, je sais que ce que j'ai accompli sera sauvegardé. Alors je n'aurais pas peur de la mort. Bien sur il est normal d'être triste. Mais il y a un temps pour être triste, et un temps pour vivre pleinement.

Je m'approche de la dame et pose mes mains sur ses deux joues. Elles sont un peu molles et toutes ridées, mais réconfortantes. J'aurai bien aimé connaître ma mère. Connaître ses bras réconfortants. Je ne pleure plus. Non, je me mets même à sourire d'un seul coup.

-Mamie, moi je dis que vous vivrez encore cinquante ans !

Ce n'est pas seulement pour me rassurer. Je veux que la dame vive encore longtemps. Pour qu'elle puisse continuer à sourire parmi nous. Pour qu'elle puisse voir les enfants grandir et devenir les sauveurs et les protecteurs du pays. Pour qu'elle puisse voir combien le monde change et combien nous l'aiderons à devenir un grand monde. Je veux qu'elle me voie moi plus tard. Qu'elle me dise que c'est bien. Que je suis bien là où je suis. J'ai besoin d'un soutien, de plusieurs soutiens même. Si le monde pouvait me dire où aller pour m'aider j'aimerai beaucoup. Alors, à défaut d'avoir le monde à mes côtés, je la veux au moins elle qui est gentille. Alors on a parlé d'un magie qui ressuscite les morts. Et j'ai recommencé à pleurer un peu. J'ai alterné de nombreuses émotions en quelques minutes, dérivant sur des sujets plus ou moins escarpés.

-Oui mais...Ce genre de magie est très dangereuse et égoïste puisqu'elle nécessite la vie d'une personne pour en ressusciter une autre. Et dans tous les cas, ceux revenus d'entre les morts ne sont jamais les même. Ils sont presque dénués de sentiments, presque comme des zombies...

Un frisson me parcoure le dos. Ça fait peur. Moi je veux pas d'un pantin pour revoir ma maman. Sinon je demande à Ren de m'acheter une grande poupée. Non, je ne veux pas d'un truc pareil.

-Moi, je ne laisserai jamais qu'on me ressuscite une maman zombie.

Moi j'aime juste ma maman. Et puis mamie Pandora aussi.

J'ai jamais rien eu à dire contre Ren. Il a toujours été quelqu'un de gentil et d'attentionné. Mais des fois... des fois je croyais que c'était simplement pour me réconforter. Qu'il me mentait en vérité. Qu'il ne voulait tout simplement pas me voir pleurer. Pourquoi est-ce que les adultes ont toujours des attitudes étranges quand nous pleurons ? J'en sais rien. En tout cas, Ren, il avait beau être quelqu'un qui n'aimait pas les enfants, avec moi il a toujours su se montrer patient. En tout cas, quand je ne l'énervais pas, bien évidemment. Alors voilà, à me dire que je pourrais développer un don de télépathie, sur le coup j'ai trouvé ça trop gigantesque et superbe, puis ça m'a paru un peu gros... Je voulais savoir si mamie avait la même pensée. Elle était gentille Pandora, et très honnête. En fait, j'avoue que pendant plusieurs mois, elle m'a fait peur. J'avais peur qu'elle me gronde, c'est pour ça que je fuguait tout le temps. Je ne voulais pas la voir, et je m'enfermais dans mes préjugés sans lui avoir parlé.

Mais en fait, mamie était très proche de ses élèves. Parce qu'on avait pour la plupart perdu nos parents ? Les adultes sont parfois étranges. Ils sont gentils parce qu'ils ont pitié, mais mon père m'a déjà dit que la pitié, c'était un sentiment très, très mauvais. Est-ce que mamie Pandora, qui est très très gentille, en fait, elle a de la pitié pour nous ?

-Ren n'as pas dit ça au hasard, tu peux développer un don second en travaillant beaucoup. Une affinité avec le don en question aide également, mais je pense que ta relation avec Idgy pourrait t'aider. Vouloir est un atout pour avoir, certes. Tu pourrais demander à Mr. Takahata de t'aider.

Mes larmes commençaient à sécher. Et je fixai la dame comme si elle m'avait offert le plus beau des cadeaux. Alors, comme ça, c'était possible de parler avec Idgy ? Il n'était pas là pour le moment. Non, effectivement il n'est pas là. Peut-être est-il sorti dehors. Quoique, vu le temps... Il faut simplement que j'en parle avec Ren ? C'est un peu facile, non ? Par rapport aux humains normaux, je veux dire. Je sais que je vais devoir faire des efforts, m'entraîner pour parvenir à quelque chose de satisfaisant mais... mais ce n'est rien comparé à ce que les humains n'ont pas la possibilité de faire. C'est... de la triche.

-Mamie, vous trouvez pas qu'on est des tricheurs ?

Je me tus un instant. Je veux mettre mes idées en place, construire ma pensée. Et pour cela, je dois me concentrer sur mes prochaines paroles. Mimant progressivement ce que je cherchais à dire, je finis par reprendre la parole après une petite minute de silence :

-Il y a des humains qui font tout pour connaître la poussière de fée de Peter Pan pour pouvoir voler. Et nous, c'est avec la volonté qu'on peut y arriver. C'est pas de la triche ? Moi, je trouverai ça déprimant. C'est méchant.

Je ne remettais pas en cause le fait de vouloir redevenir un humain normal. J'aimais bien cette vie. Elle était moins monotone. Mais pour les autres, c'était pas un peu méchant ? Il y a des chercheurs qui cherchent à faire voler les gens. Et moi, une petite fille de 12 ans à peine, je pourrais y arriver sans faire des formules. Peut-être qu'on est des méchants en fait. Et qu'on devrait nous tuer pour arrêter les guerres. C'est pas bien, la guerre. Y'a plein de monde qui meure. Y'a plein de familles qui pleurent, et pleins de morceaux de pierre par terre, où papa m'avait dit qu'on avait mit maman. Elle était pas morte à cause de la guerre. C'est moi qui lui avait fait la guerre. Je suis méchante. De nouveau, les larmes revenaient. Mais je ne voulais pas d'elle. Elles aussi, elles étaient méchantes. Elles montraient ce que je ne voulait pas montrer. Et Pandora aura pitié de moi.

-Bien sur Nephilim. Je sais. N'oublies pas que tu ressembles à ta Maman et que le mieux que tu puisses faire, c'est la faire vivre à travers toi.

On peut faire vivre quelqu'un en soi ? Dans le cœur ? Est-ce que ma maman me regarde tout là-haut ? Comment on fait vivre quelqu'un en soi ? On m'a dit que quand quelqu'un rentrait en soi, c'était mal. Et que les exorcistes, ils devaient enlever le fantôme dedans. Alors pourquoi mamie, elle me dit qu'il faut que la fasse vivre à travers moi ? Je ne comprends pas. Je pense que c'est à cause de l'âge. Peut-être... mais ça me turlupine.

-Comment je la fais vivre à travers moi ? Les exorcistes, ils vont venir exorciser maman, si elle vient vivre en moi, non ? Les professeurs, ils disent tous ça en cours.

Et moi, j'ai déjà fait du mal à maman, alors je veux pas qu'on lui fasse du mal alors qu'elle est déjà plus là. Ce serait méchant. Encore plus méchant que les guerres, les gens qui font pleurer, et moi.

Toutes ces questions sont bien trop difficiles à élucider pour un cerveau d'enfant. Je n'ai que 12 ans. Que douze malheureuses années passées en ce monde. C'est si peu comparé aux quelques centaines de la vieille dame face à moi. Est-ce que moi, un jour, je serai comme elle ? Elle a l'air si sage... si consciente du temps qui passe. En vérité, je devrais avoir 6 ans. Oui, parce que avant six ans, on n sait pas vraiment qui nous sommes. Pourtant, il paraît que les adultes se souviennent longtemps de ce qu'ils ont faits quelques années plus tôt. Moi... pas moi. Je ne me souviens pas qui je fréquentais avant mes six ans. C'est même pas flou, c'est inexistant. Pour moi, j'étais rien. Est-ce que Mamie, elle se souvient de toutes ses années ? Mes yeux azurs se posent sur ceux de la directrice, tandis que son main approche mon épaule. Cette histoire de tricheurs. On est des tricheurs. Tout est plus facile pour nous. On peut deviner les pensées des gens, on peut faire voler des objets, on peut voler nous-mêmes. Et il y a des i... des inégalités entre nous. Moi j'aimerais bien voler, mais je sais que je serai jamais métamorphe. C'est de la triche.

-Non, Nephilim, je ne le pense pas. Vois-tu, nous avons tous des capacités différentes. Ce qui compte, c'est comment nous les utilisons.

Et les humains ? Qu'est-ce qu'ils ont comme capacité qu'on a pas, nous ? Y'en a certains, il paraît qu'ils peuvent même apprendre super rapidement parce qu'ils ont ce don. Mais c'est un don. Donc ce ne sont pas vrais humains. Alors c'est encore de la triche. Les humains, au final, ils peuvent rien faire contre nous. Est-ce qu'on est pas un peu beaucoup plus fort qu'eux, en fin de compte ? Moi, je crois que si. Mais que Mystery elle veut pas me le dire, parce que c'est méchant de se sentir supérieur. Et puis mon père m'a dit que c'était pas bien, parce que ça pouvait porter préjudice pour plus tard. Je sais pas ce que ça veut dire, mais je suppose que c'est pas une bonne chose. Je hoche la tête. C'est vrai que y'a des méchants qui tuent des humains. Ça c'est pas bien. Ça a jamais été bien. Et si un jour ça le devient, alors le monde courra certainement à sa perte. On se tuera tous. Jusqu'au dernier. De toute façon, c'est bientôt la fin du monde.

Alors je parle des injustices. Je sais que je suis pas très clair dans mon raisonnement, mais il faut dire que j'ai pas l'habitude de parler de ce genre de choses. C'est... lointain, et ça ne m'affecte pas directement. En plus j'ai l'impression de faire de la philosophie, comme ils disent. Mais Mystery ne se laisse pas démonter et poursuit. C'est ce que j'aime chez elle. Des fois elle me fait un peu peur, avec son air sévère, mais au fond, c'est une dame à qui on peut parler et échanger sans peine. En plus, elle est digne de confiance. Et elle m'apprend toujours pleins de choses.

Alors, elle me parle qu'elle, elle a jamais compris la physique cantique. Je hausse un sourcil. C'est quoi ? Certainement quelque chose de compliqué, pour qu'elle n'ai pas compris. Pandora, elle est douée partout, alors c'est la physique cantique qui doit être une bien étrange matière. De la physique... pour l'instant c'est facile... Et puis, elle explicite son idée par des exemples. C'est vrai qu'il y a les avions. Mais moi, ça me fait peur de rentrer dedans. Je me demande comment un engin pareil fait pour voler alors qu'en fait il faudrait plutôt être léger. Je comprendrais jamais je crois. Avoir ce qu'on n'a pas ? Moi, je voudrais ma maman. Et comme beaucoup d'autres orphelins je pense. Mais jamais elles reviendront. Et puis, je pense que ça me ferait peur. Il y a tellement d'histoires sur les morts-vivants... je veux pas avoir une maman comme ça. Je veux la garder dans mon cœur, comme la dame elle le dit. C'est peut-être la meilleure chose à faire... travailler, pour parvenir à réaliser nos rêves. Il y a beaucoup d'humains qui pensent la même chose. Pourtant, certains sortent avec pleins de diplômes et ils trouvent pas de travail. C'est une injustice ça encore ? C'est triste.

Tout comme ma maman. Et Mystery qui dit qu'il faut que je la fasse vivre à travers moi. Comment on fait ? Je lui pose la question assez rapidement, parce que je trouve ça étrange. Puis finalement, elle me dit des choses bizarres, qui ne m'ont pas vraiment aidées.

-Je veux dire, que les souvenirs que tu as de ta mère, que tu les aie accumulés de photos ou de moments réels, les traits qu'elle t'a transmit sont ce qu'il reste d'elle. Je sais que tu ne l'as pas connu longtemps, mais elle t'aimait déjà lorsqu'elle te portait dans son ventre, et c'est cet amour qui la fait vivre. 

Ma mère, je l'ai vue qu'en photo. Mais papa assure que c'était une très belle femme. Et très gentille aussi. Combien de fois il m'a dit que j'avais ses yeux. Qu'elle m'aimait. Mais comment la directrice, elle le sait ? Est-ce qu'elle lit dans mes pensées ? Elle sait faire ça. Alors, automatiquement, je pose mes mains des deux côtés de ma tête, comme si ça pouvait bloquer le pouvoir de la vieille dame. Je suis persuadée qu'elle a lu dans mes pensées. Alors je lui lance une mine sévère, les joues un peu bombées et affirme :

-Vous avez lu dans mes pensées.

L'instant d'après, j'entends qu'on gratte à la porte. Alors, je me lève d'un bond et court jusqu'à l'entrée. C'est Idgy ! J'ai l'impression que je ne l'ai pas vu depuis des lustres. Je le porte aussitôt, ignorant ses débattements. Et puis, je me rassois sur le lit, Idgy sur les genoux. Je sais pas si on a le droit aux animaux ici... Mais tant pis. Je caresse le sommet de la petite tête du fennec et sourit alors en le fixant, puis poursuit :

-J'ai du mal à comprendre, mais je pense que ce que vous voulez dire, c'est qu'il faut que je l'aime. Pas que je lui en veuille. Pas que je m'en veuille. C'est ça ?

Je suis pas encore très claire...

La vieille dame, elle sait lire dans les pensées. En fait il y a beaucoup de monde qui sait lire les pensées. Je me demande ce que ça fait. Ça doit être vachement embêtant des fois quand même. Et puis, quand elle était petite, Mystery elle a pas eu des difficultés à arrêter son pouvoir ? J'ai entendu dire que ça pouvait se manifester de plusieurs manières. Soit il se manifeste trop et ça doit certainement faire très très mal à la tête, ou soit il vient doucement, comme la majorité des pouvoirs. Mais bon, après je suis encore petite, alors c'est possible qu'on dise ça juste comme ça, sans vraiment savoir que moi, je vais le retenir dans mon petit cerveau. Alors, réponse vraie ou non, je ne suis pas prêt d'oublier. Qu'importe.

-Pas du tout, simplement je sais que la plupart des mamans aiment leurs enfants.

Je lui lance un regard sceptique et fronce un peu le nez. Moi, je suis têtue ? Pas du tout. Mais j'ai du mal à croire ce qu'on me dit. Même si j'écoute attentivement ce qu'on me raconte. Oui, je suis naïve. Mais à mon âge, en même temps comment ne le serait-on pas ? Après tout, moi je n'ai rien vécu, et Pandora elle, elle connaît ce que la vie réserve. Après tout, elle est très très vieille. Mais aussi accessible. J'aime beaucoup ça. Sans insister, je finis par pousser un léger soupir, qui se traduit plutôt par une simple expiration.
Idgy demande à rentrer. Alors, moi, je me précipite vers mon fennec. Je ne sais même pas quel âge il a. Je ne peux même pas discuter avec lui. Est-ce qu'elle peut comprendre, Mamy, ce qu'il dit Idgy ? Je pense pas, sinon ça servirait à rien d'être télépathe avec les animaux. Mais elle peut pas comprendre un peu un peu ? Moi j'aimerai bien fêter l'anniversaire de mon fennec. Ça me permettrait de le sentir grandir avec moi. Je jette un coup d’œil à la directrice, et voit qu'elle n'a pas l'air contre le fait que j'héberge un animal. Tant mieux.

-Dites. Est-ce qu'on pourra fêter l'anniversaire d'Idgy en même temps que le mien maintenant ?

Question d'enfant. Question qui n'a pas vraiment lieu d'être. Qui n'a aucun rapport avec les précédents agissements. Mais c'est de cette façon que je fonctionne. Et puis, ça me permet de changer de sujet. C'est pas que je n'aime pas qu'on parle de ma maman. Non. D'un côté, ça me fait plaisir. Vraiment plaisir. Mais en même temps, ça me fait quelques chose, dans le cœur. Comme un pincement, tout petit. C'est pas très violent, mais ça fait facilement couler mes larmes. Et j'en ai marre de pleurer. Il faut que je sois forte. Ren me l'a dit. Il me l'a même souvent dit.

-Ce que tu as dit en vrai, mais également, je pense que chaque enfant est un peu de ses parents. Tu es un peu de ta maman Nephilim.

Un peu de ma maman ? Et l'autre moitié, c'est mon papa ? Mais moi je veux pas être comme mon papa. Mon papa, il a trahit maman. Lui, il s'est remarié. Je suis sûre qu'il l'a oublié. J'ai même un demi-frère. C'est nul. Je veux pas être mon papa. Et si je me regarde devant un miroir, alors, je pourrais parler avec ma mère ? Parce qu'elle est un peu de moi ? Moi, j'aimerais bien la voir. Mais elle est trop loin maintenant. Le point au cœur revient, et je plonge ma tête dans le poil fin du fennec. Voilà, j'ai envie de pleurer. Le petit Idgy touche de son museau froid ma joue. Et moi je me relève. Je fonce vers la directrice tête basse et vient presque la percuter pour l'entourer de mes bras. Si ma voix se fait chevrotante, en tout cas je ne pleure pas. Pas encore.

-Je veux revoir maman.

Je plonge ma main dans la petite fourrure de l'animal. On parle beaucoup de ma maman, et ça me rend un peu triste sur les bords. Mais en parlant avec la directrice, ça me rassure un peu. Elle est si gentille avec moi, alors que je ne l'ai pas vraiment mérité. Je pense qu'elle aurait pu être ma maman à moi. Parce qu'elle est vraiment gentille. En fait, Mystery c'est un peu la grande maman de tous les orphelins. Ça doit pas être facile de gérer tout ça, et pourtant elle a toujours ce sourire au bord de ses lèvres. Je sais pas comment elle fait, mais elle doit être tellement, tellement forte pour ça. Pas comme moi.

Je regarde mon fennec. Lui aussi, il est fort. Je sais qu'il n'habite pas ici. Si ça se trouve, il avait une famille avant moi. oui, en fait c'est même certain. Mais il était tellement petit quand mon père me l'a offert que je ne sais même pas s'il s'en souvient. Mais Idgy il est fort. Parce qu'il ne m'a jamais, jamais quitté. Et ça fait tellement du bien de savoir qu'il y a au moins quelqu'un dans ce monde qui sera là peu importe ce qu'il arrive. Mon Idgy, c'est un peu mon grand meilleur ami. Je sais que si demain je m'en vais, il me suivra. Je sais que si demain tout le monde me tourne le dos, il viendra me réconforter. Et puis, je lève la tête vers la vieille dame. Et je lui demande si c'est possible de fêter son anniversaire en même temps que le mien. Comme ça, on sera vraiment les plus grands amis de la planète.

-Bien sur, si tu veux. Qu'est-ce qui lui ferait plaisir tu crois ? Au fait, comment as-tu réussir à obtenir et à apprivoiser cet animal ? Ils sont sauvages normalement, non ?

Je fais mine de réfléchir à la première interrogation. Ce qui lui ferait plaisir ? Ah, c'est vrai, le cadeau ! Je l'ai presque oublié ! Je regarde mon animal. Voyons, un cadeau. Il m'observe de ses grandes pupilles sombres et incline la tête de côté avant de me lécher le visage. Je ris un peu. Je ne sais pas ce qu'il veut. Mais un jour, je pourrais le lui demander. Si je le veux tout au fond de moi, un jour, je pourrais lui parler.

Et puis, je remarque que la directrice n'a pas fini de parler. Comment j'ai fait pour avoir Idgy ? Oh, ça date ça. Je me souviens que c'est mon père, revenu d'un de ses voyages qui me l'avait montré. Qui me l'avait donné en me disant qu'il avait été sauvé de la mort. Au début, je me souviens, il n'arrêtait pas de me mordre et de se blottir dans un coin à nous épier toute la journée. Mais moi j'étais tellement jeune à cette époque que je cherchais constamment à jouer avec lui. Alors, j'ai commencé à lui envoyer des petits morceaux de papiers pour qu'il les attrape. Et puis, un jour il a fini par sortir de son coin et est venu e réfugier dans mes pattes, les oreilles basses et à plat ventre. Dès lors, on ne s'est jamais plus quitté.

-C'est mon papa qui me l'a offert il y a longtemps. Et je crois qu'Idgy et moi, on est devenu amis à force de se voir. Il était tout peureux au début et puis après on arrêtait pas de jouer ensemble.

La vérité derrière tout ça, c'est que malgré ce que l'on puisse en penser, le fennec était un canidé. Et tout comme les loups ou les chiens, leur fidélité était sans égal par rapport aux autres animaux. Ne restait-il qu'à gagner leur confiance. C'est ce que j'ai fait. Je n'ai pas répondu à la question précédente, parce que je n'en ai aucune idée, mais peut-être qu'un jour, je pourrais le lui dire. Ce qui ferait plaisir à Idgy, je me demande bien !

Malgré tout, la discussion revient bien vite sur ma maman. Et moi, tout ce que je trouve à faire, c'est d'aller me réfugier dans les bras de la vieille dame. Elle m'enlace à son tour et j'oublie alors un peu tout. Elle est vraiment gentille la directrice, mais parfois un peu trop directe aussi. Elle m'explique pleins de trucs sur les mamans. Que je finirais par oublier ce malaise qui me fait mal au coeur. Que je penserai à ma maman en souriant. Qu'il faut que je passe par-dessus et que je ne pense plus à ça. Elle a raison, je ne reverrai pas maman, parce que c'est la vie, et que la vie avance sans s'arrêter un instant. C'est pourtant si dur. Mais je veux lui montrer que je suis forte. Que moi aussi, je peux penser à ma maman sans pleurer. Alors, je me dégage lentement de Mystery et lui sourit, des larmes perlant sur le bord de mes yeux. J'acquiesce juste avant de prononcer ces mots :

-Oui, tu vois mamie, maintenant je souris en pensant à elle.

Même si j'ai envie de pleurer, je sais que quelque part ça fait du bien d'avoir l'air heureuse et de se sentir bien.

[FIN]