Le loir devrait être
le meilleur ami de l'homme.

C'est le soir. Qui plus est ce soir. Vous ne comprenez pas la différence, n'est-ce pas? Pourtant, c'est ce qui fait toute la compréhension de la phrase. Ce « ce » abominable, qui décrit le moment abominable en question. Je crois que je vais faire une dépression post mission. Parce que c'est juste impossible de penser que je suis là, en ce moment, dans cette région paumé d'Écosse, à je ne sais combien d'heure de la capitale, en plein nord de ce pays froid. Et ce dernier mot est le plus important de la phrase. Oui, ici, il fait froid. Même en été, il fait froid. En tout cas, plus froid que dans cet endroit où je devrais me prélasser tranquillement. La Polynésie française. Vraiment, j'ai du mal à avouer que je suis ici, dans ma chambre, à attendre patiemment que le jour se lève, que mes pas me dirigent lentement vers l'orphelinat, qu'on me délivre l'endroit précis où je dois aller, et que je file à nouveau pour Londres. En voilà un inconvénient du métier d'exorciste. Même quand on se sent en vacances, il est là, et pour le coup, Mrs Mystery est là pour me rappeler à l'ordre, me dire de ramener mes fesses jusqu'à l'orphelinat en urgence, pour accomplir une mission de la même urgence. Qu'est-ce qui lui arrive, à cette vieille dame, de m'appeler alors que d'autres sont beaucoup plus libres? Je ne me sens pas plus habile, plus fort que les autres professeurs, et ce d'ailleurs certainement pas le cas pour elle. Alors, ma question est « pourquoi? »

Allongé sur mon lit, mon bras passé sur mes yeux, je ne peux m'empêcher d'y songer, presque mélancolique. En vérité, le début était différent. Si on observe bien ma chambre, on y découvrira un oreiller par terre, à ses pieds des dizaines de plumes. Et moi, soufflant d'un air énervé, comme le mugissement d'un taureau. À présent que je n'ai plus la force de m'énerver, autant par l'obscurité qui s'installe à l'extérieure par les quelques heures d'avion que je viens d'avoir, je suis couché et je n'ose pas même lever le petit doigt, de peur de perdre le peu de violence qu'il me reste. De peur de m'endormir, et de vivre sans doute le lendemain avec une haine non-dissimulé. Peut-être est-ce la meilleure chose à faire. Plus vite la mission arrive, plus vite je rentre, plus vite je m'envole pour les îles et plus vite je retrouve Miyu. Ah... Miyu, elle me manque déjà. Je veux al retrouver, lui parler. Sans m'en rendre réellement compte, je saisis mon portable et tend mes bras devant moi. Mon doigt s'arrête sur la touche du téléphone vert. Celui pour appeler. À l'écran, il y a son nom, sa photo et son numéro. Je me fiche pas mal de l'argent que je peux débourser pour l'appeler. Je me fiche de tout, sauf de sa voix. Je veux l'entendre pour qu'elle me donne du courage pour demain. Je me sens patraque. Terriblement patraque.

Je laisse retomber mon bras le long de mon corps. Impossible. Je suis épuisé. Ces fuseaux horaires m'ont totalement déstabilisés, je suis parti l'après-midi, que je viens de passer douze heures dans l'avion et que je reviens vers 21h. Il y a quelque chose qui cloche. Peut-être est-ce moi, après tout. J'ai envie de fumer une clope. Rapidement. Il doit en rester une dans ma table de chevet. Je tourne un peu sur le côté, et ouvre le tiroir. Gagné, en voilà une. Si c'est interdit de fumer dans les lieux publics, étant donné que je suis chez moi, j'ai tous les droits. J'inspire profondément et saisis la cigarette que je dépose sur mes lèvres. Maintenant, du feu. Je laisse la paquet de cigarette bien en évidence, le tiroir ouvert, et me lève avec nonchalance jusqu'à mon étagère de vêtements. Je fume tellement rarement que mon feu me sert souvent à autre chose qu'à allumer une cigarette. Il doit être dans une des poches de mon jean. Sûrement. Je lâche un râle lorsque je le trouve enfin, après avoir déballé une bonne dizaine de vêtements. Les voilà étalés sur le sol. Lentement, je les range et, lorsque tout est terminé, j'allume la cigarette. Je lâche un soupir à fendre l'âme pendant ma première expiration. Ça a beau être mauvais pour la santé, ça fait un bien immense quand on est stressé. J'inspire de nouveau, et relâche un nivellement de fumée important. J'entends qu'il y a du bruit au rez-de-chaussée. Qui s'amuse dans mon salon? J'ouvre la porte de ma chambre, la referme à moitié derrière moi et m'engage dans les escaliers. Il ne me faut pas dix secondes pour reconnaître la voix de Takeji, mon fidèle et grand ami.

- J'crois qu'il faut qu'on parle.

Parler? La clope me suffit amplement pour le moment, je n'ai pas besoin de me confier à qui que ce soit. Et comment il peut savoir que je ne vais pas très bien. Même pas du tout bien? Telle est la question. Peut-être que c'est lui après tout, qui va pas bien. Les grands amis, ça vit les choses en même temps. Peut-être que c'est vrai après tout. J'ai l'air d'aller mal? Je vais mal. Je ne fume pas tous les jours. S'il n'aime pas l'odeur, je vais devoir aérer. D'ailleurs, je vais pas tarder à ouvrir, pour sentir l'air bien frais dehors. Histoire de me dégouter un maximum et me donner envie de repartir en Polynésie le plus rapidement possible. Je me dirige donc vers la porte fenêtre. Porte fenêtre que j'ouvre. Qui libère un courant d'air frais pour une soirée d'été. Je suis dégouté. Tellement dégouté que j'en frissonne. Je me dirige vers Take, et lui lance, entre deux inspirations :

-Alors qu'est-ce qui t'amènes, mon vieux?

Mon vieux. Oui, j'ai pas oublié ta date d'anniversaire malgré tout. Si j'ai pas pu te le souhaiter, c'est que j'étais déjà parti. Mieux vaut tard que jamais, je lance :

-Bon anniversaire au fait. Je te sers quelque chose?

Parce que chez moi, il y a tout. Absolument tout. Du lait, de l'eau, du vin, du jus de fruit, du pastis, du rhum, et d'autres. Je dois avoir l'air de quelqu'un de très calme. De trop calme peut-être. Ce qui n'est pas vraiment dans ma nature. Voilà quelques minutes que j'aurai déjà dû aller trifouiller les cheveux de Take. Mais non, je n'en ai pas al force. Déprimé, voilà ce que je suis. J'avance d'un pas cependant vif même s'il reste lent vers la cuisine et m'accroupis pour voir ce que mes étagères me proposent. Beaucoup d'alcool, peu d'eau. Il y a toujours le robinet. Mais je me sens l'âme d'un buveur. Je sors deux verres et commence à faire l'étalage à haute voix de toutes les boisons que je possède. Sait-on jamais.

C'est pas en fumant et en buvant,
qu'on pourra rattraper le passé.

Concentré sur la nicotine que j'ingurgite à chaque inspiration, je ne peux m'empêcher de tousser à un moment. C'est fou ce que c'est mauvais pour la santé cette chose-là. Mais je m'en fiche, je vais faire une dépression, alors quitte à me bousiller la santé, je m'en fiche un peu. Et puis, c'est tellement rare pour moi de fumer que ça n'attaque pas trop mes poumons. Je sais qu'il suffit d'une fois pour tomber accro, mais pour l'instant j'arrive relativement bien à me maitriser. Peut-être que c'est ma forme féline et naturelle après tout qui m'empêche de tomber sous cette drogue. Je n'en sais rien. Et après tout, je m'en fiche pas mal. Du moment que la fumée qui s'échappe de ma bouche évacue aussi les pensées noires qui me torturent l'esprit depuis que je suis rentré, ça me va.

- Et toi, qu'est-ce qui t'arrive?

J'ai l'air d'aller mal? Ou tout du moins de ne pas aller bien. C'est vrai qu'il n'a pas l'habitude de me voir fumer. Personne n'a l'habitude de me voir fumer. Sauf moi, mais c'est on ne peut plus normal. Je ne suis même pas sûre que Miyu le sait. Il va falloir un jour le lui annoncer. Enfin, ce n'est tout de même pas la même chose que d'annoncer qu'on est enceinte. Ça aussi ça me fait flipper d'un côté. Je me suis rendu compte bien tard que sous le feu de l'action je n'ai pas pris le soin de nous protéger. Aucun de nous deux n'a le sida. J'espère. Là n'est pas la question. Un gosse ça arrive vite. Un gosse, ça crie, ça pleure, ça pisse tout le temps. Bref, en-dessous de 10 ans, ça me m'intéresse pas. Ça me dégoute presque en fait. Je crois qu'à ce moment, mon cerveau n'avait pas encore tilté que Miyu était une femme. Il faut dire qu'elle n'a rien fait pour me faciliter la tâche. Entre deux expirations, je lâche presque silencieusement ces mots :

-Cette fichue mission m'empêche de rejoindre les îles. Accessoirement, Miyu.

En vérité, je pensais davantage à Miyu qu'aux îles, mais je me gardais bien de le dire. Si je l'aime? Bien sûr que je l'aime. Je n'ose imaginer s'il lui arrivait quelque chose pendant mon absence. S'il m'arrivait quelque chose. Rien qu'à y penser, j'ai le cœur qui se serre. Comme si une machine à laver était passée par là, et qu'il y avait à présent une femme qui l'essorait en le pressant de tous côtés. Pour me faire passer l'image, je respire rapidement, et relâche un soupir qui dégage beaucoup de fumée. Est-ce qu'une cigarette suffira? Je me pose la question. Et le paquet qui est resté là-haut. J'ai la flemme de remonter.

-Merci. C'est bientôt ton tour aussi. J'veux bien. T'as quoi?

C'est vrai tiens. Le 13. J'espère que d'ici-là, je serai rentré pour fêter ça avec Miyu. Mais bon, c'est gentil d'y avoir pensé, petit frère. Ah, tu dois pas aller bien non plus, on est vraiment connecté. En fait, dans ma tête, ça aurait dû faire tilt depuis longtemps. Techniquement, se pointer chez moi le soir, ce n'est jamais normal. Se pourrait-il que je sois déjà schouté avec une cigarette? J'en doute. Simplement fatigué des évènements. Alors, je m'approche des bouteilles et cite de nombreuses marques. Martini, whisky, pastis, rhum et j'en passe. Je soupire.

- Avec la grossesse de Shybaï, on a déménagé pas très loin d'ici.

Je vois subitement mieux. Non, ce n'est pas une illumination. Ou tout du moins, elle n'a rien d'extraordinaire. Take vient d'allumer la lumière. Je n'avais même pas remarqué qu'il faisait noir. C'est jamais bon de ne pas observer son entourage. Surtout pour un truc aussi important que la lumière. Pour moi, je voyais très bien. D'ailleurs, sur le coup, j'ai été ébloui. Peut-être que j'ai utilisé sans m'en rendre compte mes sens félins. Tu es grave Ren, tu m'étonnes qu'après ça tu sois fatigué. À ne pas te rendre compte que tu te transformes à deux de tension, tu te fatigues encore plus. Quelle tête d'idiot. Je viens de tilter ce que Take m'a dit. Voilà bien longtemps que je n'ai pas parlé avec lui. Je souris légèrement, conscient du peu de temps que je lui ai accordé. Nous travaillons ensemble, et pourtant cela fait bien longtemps que je n'avais plus de nouvelles de lui. C'est décevant de ma part.

- Whisky, ça ira très bien. Mets la dose s'il te plait.

J'acquiesce, avant de sortir deux verres. Je dépose brutalement la bouteille de whisky, avant de remplir comme un idiot le verre à moitié. Je sais bien que c'est du whisky, et qu'à cette vitesse-là, il va finir bourré en moins de deux. Surtout que je ne sais pas s'il tient l'alcool. Même si j'ai l'impression que ce n'est pas le cas. Moi non plus, je suis loin d'être un alcoolique. Je tiens moyennement. Disons que je m'arrête avant de voir tout blanc. Avant de dégotter n'importe quoi. J'ai l'alcool joyeux. Je raconte trop vite ma vie. Et je ne sais pas ce que ça va donner avec la cigarette. Un mauvais goût, mais ensuite? Je garde ma cigarette en bouche, à moitié consumée. Allons bon. Ayant la flemme de sortir une autre bouteille, je me sers la même chose. Les deux verres en mains, je me dirige vers le canapé, et dépose le tout sur la table basse. Je fais de nouveau l'aller retour pour apporter la bouteille cette fois-ci. Sait-on jamais.

- Ren, Shybaï en attend deux.

À ce moment, en ami normalement constitué, je devrais tirer une tronche pas possible, l'observer avec de grands yeux, lui dire que je le plains, ou l'encourager à tenir bon. Mais là, je n'ai tellement pas la force de faire du théâtral que je respire une nouvelle fois, avant d'écraser la cigarette sur le cendrier que j'ai apporté avec la bouteille. Je ne dis rien, attendant qu'il lâche son deuxième sac. Celui-ci est arrivé trop vite, il s'est terminé trop vite, alors je suis sûr qu'il y a quelque chose derrière tout ça. Quelque chose qu'il ne va pas tarder à s'expliquer.

- Et j'flippe comme j'ai jamais flippé. Limite si je préfèrerais pas être à Londres, d'ailleurs c'est là que tu vas demain, non?

Je lâche un juron. Eh ouais demain, je suis à Londres. Mais parlons de toi. Tu ne te sens pas bien à cause des gosses? Je te comprends. Mais que tu souhaites risquer ta vie à Londres alors que tu as deux gosses qui t'attendent, ça non, je ne peux pas y penser.

-Je te comprends sans être père, tu sais. Déjà, je ne m'imagine pas père. Mais ne préfère pas Londres à ces gosses. À Tes futurs gosses. Que tu en ai un ou deux fait peu de différence. De toute façon, tu ne feras plus tes nuits comme avant.

Je me demande s'il y a un congé maternité et paternité une fois que les enfants naissent. Dans un métier normal, c'est la cas, mais en temps de guerre, est-ce vraiment le cas? En tout cas, je m'opposerai formellement à ce que Shy aille à Londres alors qu'elle enfante deux petits embryons. Voilà l'une des raisons pourquoi je ne souhaite pas d'enfants. Vous imaginez la peine -et à ce stade-là, ce n'est plus de la peine- de l'enfant s'il apprend que son père, sa mère est morte en mission? Moi, je ne veux pas l'imaginer. Je goûte légèrement le whisky, avant de reposer le verre dans un râle convaincant.

-Tu crois que tu vas toucher des congés paternité? Ce serai sympa.

Je tourne mon regard vers Takeji, et entreprend de parler de la seconde partie de sa question.

-Crois-moi que je ne vais pas à Londres par plaisir. Quel plaisir pourrais-t-on avoir à y aller, même? D'autant plus qu'on m'attend après ça. Et que, pour une fois, je ne me sens pas d'attaque à attaquer, justement.

En vérité, je la sens mal cette mission. Très mal.

Si c'est un pressentiment,
faites qu'il reste un pressentiment.

Imaginer Takeji père ne peut m'empêcher de tirer un sourire. Il a l'air de prendre son rôle très au sérieux et c'est bien. S'il a peur, c'est parce qu'il veut le meilleur pour ses enfants. Avec une mentalité pareille, il n'y a pas à s'en faire. Tout le monde veut s'échapper de ce qui sors de l'ordinaire. Mais les enfants... pour beaucoup, c'est le meilleur moment de leur vie. Bien sûr, je ne partage pas cet avis, mais libre à chacun de penser ce qu'il veut pas, n'est-ce pas? Je relève une mèche de cheveux avant de parler de cette foutue mission. S'il se passe quelque chose, croyez bien que je m'en voudrais jusqu'au bout. D'avoir laissé Miyu sur l'île alors qu'elle voulait m'accompagner, d'avoir pourri toute ma vie et d'avoir tissé trop de liens pour faire regretter ceux que je laisse derrière moi. J'aimerai dire à Pandora que, malgré toute la sympathie et la loyauté que j'ai en elle, il y a des jours où il ne faut pas faire ce que l'on doit, pour protéger sa vie. J'en suis à ce point. Et si Titi a le même avis, alors c'est décidé, j'irai voir Mystery. Pour ma survie personnelle. Une sensation personnelle, passe encore, mais si plusieurs personnes doutent, c'est plus grave. Peut-être des échantillons de dons de voyance. À voir. Je parle de Miyu. Évidemment, j'ai tendu une perche bien longue, et tout les poissons s'y accrochent. Accessoirement Takeji.

- Hey... Tu l'aime hein? J'l'ai pas vue souvent, mais tu la retrouveras et elle t'attendra, t'inquiète pas.

Si je l'aime? Je crois que si quelque chose devait nous séparer, je ne le supporterai pas bien longtemps. J'aurai peur qu'il lui arrive quelque chose. J'aurai peur comme s'il s'agissait de ma propre personne, pour qui j'ai malheureusement beaucoup d'estime. Mais les paroles de mon petit frère me rassure. Mine de rien, c'est une boule dans la gorge qui se dénoue lentement. J'avale une gorgée de whisky. Ça ne veut pas passer. Même avec cet alcool fort et cette sensation de brûlure dans mon œsophage, la boule reste intact. C'en est à devenir fou. J'expire profondément en lâchant une fumée épaisse dans l'air. Ma cigarette touche bientôt à sa fin. Et je vais devoir ramasser les cendres par terre avant que l'un des trois animaux ne décident d'y gouter. Mais pour l'instant, je n'ai pas la foi pour faire le ménage. Je ne l'aurai certainement jamais aujourd'hui. En tout cas, dans cette soirée bien avancée. Alors, écrasant le reste de cigarette sur le cendrier, je réponds après avoir lâché un nouveau nuage de fumée :

-C'est exact. J'ignore si on en est au même point que vous deux sur le plan relationnel, mais c'est clair que Miyu est loin de me rendre indifférent.

Ou l'art de tourner autour du pot. Avant de me faire dire que Miyu est toute ma vie, il faudra quelques verres de scotch. J'aime étaler ma science pour faire apprendre, ce qui est un bon atout en tant que professeur, mais je reste relativement modeste sur le point amical. C'est une facette de ma personnalité comme une autre. D'autant plus que Takeji commence à avoir l'habitude avec moi. Si bien qu'il aura certainement compris ce que je veux dire. Et ça n'a rien à voir avec la télépathie humaine, pour une fois. C'est plutôt une connexion étrange. Ou simplement le fait de connaître l'autre pour savoir sa réponse avant même qu'il ne l'ai dit.

Revenons-en à Takeji père. Le pauvre a l'air d'avoir peur d'être père. Forcément. Tout le monde a peur d'être père. Mais ça n'y change rien, le futur rattrape le présent, et une fois le trouble passé, vous serez la meilleure famille au monde. Et si les autres ne partagent pas cet avis, du moment que dans vos têtes, il n'y a pas de problème, tout ira bien. J'en suis persuadé. Concernant cette demande de parrainage, ce qui induit des moments où j'aurai à m'occuper de mômes qui chiallent, qui pissent et qui bougent trop, c'est à revoir. Pour y revenir, il me faudra plus d'un verre pour accepter. Et ce ne sera pas de mon propre chef. J'aime beaucoup Takeji, mais de là à m'occuper d'enfants de bon cœur, c'est une autre histoire. Enfant de mon meilleur ami ou non. Si certains ont peur des araignées, moi j'ai beaucoup de mal avec les enfants. C'est ainsi.

- Tu réviseras ton avis sur être père ou non quand t'auras vu les miens. Je dois par contre te révéler que je risque de mordre si jamais tu tente de me les voler. Mais on peut s'arranger pour que tu les garde de temps en temps...

Il ajoute un sourire moqueur. Je ne risque pas de les lui voler. Et il le sait très bien. Alors, en réponse à sa phrase, je souris à mon tour. Quand j'aurai vu les siens, je serai parti depuis un bon bout de temps. Ce n'est pas une phobie, mais à l'âge de 0-2 ans, je ne supporte vraiment pas. Ça crie partout, ça parle pas, ça bouge pas, ça veut pas prendre le biberon, ça dort jamais, ça ouvre rarement les yeux, c'est flemmard, bref. C'est une créature bizarre. Et moi, j'aime pas les créatures bizarres. Donc je lâche un léger râle, comme pour lui signifier qu'il n'a pas à s'en faire pour ses enfants.

- Deux, c'est les ennuis multipliés par deux. Et c'est deux orphelins si un jour ça tourne mal. C'est aussi deux fois plus de chance de foirer un truc. Deux fois plus de pression. Deux fois plus de risques même pour Shy. J'ai peur pour l'accouchement aussi.

Mais mon vieux, c'est que tu vieilli plus rapidement que moi. No complex, mec. Voit la vie du bon côté. Les enfants, c'est la vie. Et si tu flippes autant, c'est parce que tu leur veux la meilleure possible. Alors tu n'as pas à t'en faire. J'ajoute :

-Mais c'est aussi deux petits êtres qui rentrent dans ta vie. Même si j'ai du mal avec les gosses, je peux au moins te dire qu'avec un père comme toi, tes enfants n'ont rien à craindre. Concernant l'accouchement, tu n'es pas à l'abri d'un problème, mais si tu savais le nombre de femmes qui sont passées avant Shy, tu n'aurai pas aussi peur.

J'ajoute un sourire encourageant. Il est trop mignon quand il stresse. On se croirait vraiment frère. L'un rassurant l'autre, et réciproquement. Sauf que nous avons aucun trait en commun. J'ai tellement l'habitude de voir Takeji joyeux que je ne peux m'empêcher d'avoir un pincement au cœur. De plus, je ne l'ai jamais vu boire. Alors, le cul-sec, ça ne le fait pas. Je secoue la tête. Nous sommes tous les deux pleins d'interrogation et de peur. C'est ce qui nous rapproche. Pour cette soirée au moins. J'interroge Takeji sur ses congés paternité. On ne sait jamais. Les fantômes n'attendent pas, mais c'est la moindre des choses pour laisser le couple tranquille un moment. Les exorcistes ne manquent pas. Bon, peut-être que si. Sinon, je ne serai pas obligé d'aller à Londres.

- T'inquiète, avec la téléportation, je serai toujours à la maison en moins de deux. Tu devrais t'y mettre.

Je ris. Je ris pour une chose. Parce qu'il n'est pas au courant que je l'ai déjà utilisé une fois. Pour la bonne cause, certes, mais je l'ai utilisé. Et j'ai beaucoup de mal. Ça m'a bouffé toute mon énergie. Alors, je ne recommencerai plus jamais. Moi aussi je rigolerai le jour où il se transformera en... chameau! Il me fait un clin d'œil. Si jamais je bois trop, Takeji finira par savoir que je me suis téléporté. Et je n'ai pas envie qu'il le sache. Mais je me sens trop fatigué pour résister à l'alcool. Et il finira forcément par le savoir. Et il me vannera jusqu'à la fin de ma vie. À voir. Londres. À chaque seconde, ce mot résonne dans ma tête. Et ce n'est pas par plaisir que je l'écoute.

- Au moins, se battre, je sais faire. Élever un gosse, non.

Ça s'apprend, mec. Tout s'apprend en ce bas monde. T'as appris ta langue, comment marcher, comment avaler, la musique, les études. C'est à ça que ça sert. À apprendre. Si tu n'as pas de nouveauté, tu finis par t'ennuyer. La majorité des personnes penseront ça. J'espère, sinon ce monde est vraiment pourri. Se plaire dans la bienséance et la quiétude. Quel ennui.

-Il y a un début à chaque chose. J'ai confiance en toi.

Un silence s'ensuit. Bientôt suivit par les mots de Taki, et un soupir :

- Tu dois faire quoi, à Londres? J'ai entendu que c'était urgent. J'veux pas jouer les parano ni m'improviser des dons de voyance imaginaire mais... Ren, ta mission, je ne la sens pas. Du tout.

Je me sens tellement patraque que je vais reprendre une cigarette. Mais elles sont là-haut. Allez. Exercice de télékinésie. Je ferme les yeux, l'air concentré. Je visualise ma chambre, et les cigarettes. En quelques minutes, j'aperçois une cigarette qui vole vers moi. Je la saisis du bout des doigts, avant de pousser un soupir las. J'ai oublié le briquet. Mais cet exercice m'a vidé. Je me lève aussitôt, sans avoir répondu à sa question. Je monte à l'étage, mesurant chacun de mes pas. Puis, je cherche le briquet. Peu importe où je cherche, je ne le trouve pas. On dit que les bonnes cachettes sont souvent les plus idiotes.
…
J'aurai dû m'en douter. Il était dans ma poche. Je me suis déplacé pour rien. J'allume aussitôt la cigarette et redescend au rez-de-chaussée, ayant pris soin de prendre le paquet avec. J'espère que je ne vais pas finir tout le paquet. Ce serai dommage. M'affalant sur le canapé, j'avale d'une traite le whisky, avant de reposer la cigarette sur mes lèvres. Pour unique réponse, je dis :

-Mission de repérage. Mystery me donnera les détails demain.

Qu'est-ce que je peux bien dire? Que je ne veux pas y aller? J'accepterai n'importe quel autre boulot au monde pour ne pas partir là-bas alors qu'autant de monde pense que ce n'est pas le bon moment. Que va-t-il m'arriver? Tss.

-Je n'ai pas le choix.

Ajouté à cela, je prends la bouteille de whisky et remplit une nouvelle fois le verre. Je suis de mauvaise humeur maintenant. Je ne veux pas partir là-bas. Pour rien au monde.

L'alcool, c'est jamais bon,
c'est réconfortant.

Parler des enfants, de l'amour, des parents, des mariages et tout le tralala familial, ce n'est pas mon fort. Mais ça, c'est en temps normal. Là, je suis bien trop déprimé, dépité, renfrogné, saturé et énervé pour pouvoir penser à autre qu'à ça. Il faut s'occuper l'esprit, et moi, tout ce que je trouve comme sujet c'est ça. On y arrive lentement, mais la discussion porte bel et bien sur le plan relationnel. C'est fou ce que les hommes peuvent être sérieux par moment. Surtout nous deux, qui, par habitude, parviennent plus à créer des bêtises qu'à penser sérieusement. L'ivresse est un sacré facteur de pense, en vérité. Le subconscient se met en marche, ou bien la mémoire cellulaire. C'est tellement compliqué que je risque de me donner envie de vomir tout seul. Mauvaise idée. Ma cigarette se termine bientôt. Qu'est-ce que je vais faire si mon seul antidépresseur tombe en rade? Certes, il y a la bouteille de whisky sur le table, mais les effets indésirables sont plus violents. Je n'ai pas envie de débiter des choses infâmes sans m'en rendre compte.

- Elle te sera indispensable avant même que tu t'en rende compte le Chat. Je parle d'expérience.

C'est bien possible. À vrai dire, c'est peut-être même déjà sans doute le cas. Ce qui pourrait en partie prouver cette mauvaise foi pour aller bosser et ce satané pressentiment. Cependant, comme Take pense la même chose, je suis en droit de me poser quelques doutes. C'est pas le sujet, et j'ai pas envie d'y revenir. Laissez-moi me gâcher mon humeur d'une autre manière. Au moins, j'aurai le mérite d'avoir été déprimé par autre chose que le boulot. Reste à trouver quoi. Je lève les yeux. Hm... Un bon facteur pour déprimer. Si jamais je rentre après ma mission et que Miyaki m'en veut. C'est vrai que je l'ai laissé un peu toute seule. Beaucoup. La vérité, c'est que je me suis enfui comme un lâche. Les formes fusionnelles, c'est un peu... le mal. Pour ma part, je suis totalement libre avec ma forme aérienne. Il ne manquait plus que la forme aquatique et je pouvais traverser le monde entier. Mais j'aime pas trop l'eau. Ni la profondeur. Bof.
J'aurai pu trouver mieux.

- En fait, c'est peut être déjà le cas.

En plein dans le mile. Comblé d'une sale impression de l'avoir laissé sur des îles tropicales. Mon vieux Ren, il est temps d'apprendre la galanterie et l'art de l'amour, parce que t'as franchement des progrès à faire. Je suis égoïste et j'ai toujours vécu avec. Ça ne gênait pas avant, puisque j'étais seul. C'est plus le cas. Enfin, j'espère. Il va falloir que je m'améliore. Mais bon, ça passera avec le temps et surtout après le travail. En attendant, je réponds à sa demande non formulée.

-Je l'ignore.

C'était honnête et simple. Je ne veux pas m'encombrer de sentiments superflus, alors je préfère douter que de vivre pleinement ce que j'ai devant les yeux. Mauvaise habitude. Je change de sujet, car le téléporteur à mes côtés doute aussi de ses performances en tant que père. Et flippe aussi pour l'accouchement. J'avoue que moi aussi ça me rend patraque. Mais bon, si ça arrive qu'aux femmes, c'est qu'il y a bien une raison. Et puis, à notre époque, les décès ne sont plus rares, ils ont inexistants. Je ne parle des pays sous développés, mais en Écosse, on ne manque vraiment pas de main d'œuvre qualifiée. Alors voilà. Je lui fais part de mes opinions.

- C'est gentil Boule de Poil, mais rien ne dit que je serai un bon père... Ni un bon mari pour ce que j'en sais...

Je lui lance un sourire encourageant. Pour ce que j'en sais moi, un père et un mari qui se torture l'esprit comme ça, ce sera forcément un homme attentionné. Le doute n'est pas forcément péjoratif. Certes, il faut savoir le doser, ce dont je suis incapable. En tout cas, maintenant, tout ce que je peux lui dire c'est :

-Quoiqu'il en soit, c'est déjà en phase de préparation. Bientôt, tu n'auras plus de place pour te maltraiter l'esprit.

Il va falloir que tu t'occupes de tes enfants. Et ça, ça use l'énergie. Quand je vois la tête de ma mère à mes dix huit ans, j'ai l'impression de me trouver en face d'une femme qui porte le monde sur ses épaules. Bon, peut-être qu'il y a un peu d'usure due au travail, mais il est certain que je ne devais pas être un cadeau. Loin de là, même. Mais bon, concernant Takeji, je n'ai pas de doute sur ses compétences. Au contraire, je le verrais bien au four et au moulin, à tenter d'aider comme il peut. Ouais, il est ce genre de mec qui pourrait se plier en quatre pour ceux qu'il aime. C'est ce que je pense. En fait, c'est grâce à son expression que je me fais cette idée. Je lui tape légèrement dans le dos, histoire de lui remettre les idées en place, et ajoute :

-Enfin, c'est ce qu'en pense ton humble grand-frère.

Eh non, je ne suis pas encore bourré. Il me faudrait au moins quatre grands verres de whisky pour tomber dans le délire total. Même si je sens bien qu'avec les effets de la cigarette, le processus d'ivresse est plus rapide. Ça me fait comme l'effet d'une drogue. Pas sympa, mais agréable. Rien de tel pour oublier les problèmes.

- Un jour, t'auras peut être des enfants le Chat. Un ou plusieurs petits chatons.

Je m'étouffe dans ma fumée avant de griller le reste de clope sur le cendrier. Puis fixe d'une façon incrédule le blond à mes côtés. Il est sérieux? Il est sérieux. Ouuuaah. Non, pas de gamin. Pas. De. Gamins. Au pluriel ou au singulier, j'en veux pas. Point à la ligne. Nada. Nicht. Les enfants, c'est le mal. T'as plus de temps pour toi, tu t'en... Attends cinq secondes. Bobine arrière, je reviens sur les îles. Hm... J'ai un curieux mauvais pressentiment, en plus du boulot. Je vais partir la tête chargée, je le sens. Une minute. C'est bien d'être dans l'euphorie du moment, mais est-ce que j'ai pensé aux préservatifs? Une drôle de discussion s'engage dans ma tête, doublée d'un silence indubitablement long en extérieur. Je repousse ma tête en arrière et pose ma main sur mon front. Des gosses, hein? Ma réponse... dans ce cas d'extrême urgence où je ne sais même pas ce qu'il en est dans le corps de ma jeune petite amie, c'est...

HORS DE QUESTION.

Un point c'est tout. Si mes pensées sont justifiées, je la forcerai à avorter. Nan, j'ai dit que j'étais pas prêt. Peut-être que dans vingt ans oui, mais là, je suis jeune. Genre, trop jeune. Bon, c'est peut-être normalement à mon âge qu'on commence à y penser mais non, moi ça me répugne. Alors non, si Dieu peu m'entendre, ou n'importe qui d'autre qui sait parler à dame nature, empêchez cette chose de rentrer dans ma vie. Ren, rappelle-toi de ne plus JAMAIS te laisser dicter par ton instinct.

-J'espère franchement pas.

Ce qui sous entend que y'a une possibilité pour que la chose soit déjà en marche.

- A quand la téléportation alors? Oh allez, c'est tellement pratique. Et écolo en plus!

Bon allez, je lui dis, je lui dis pas. Hum, j'hésite. D'abord je vais chercher ma cigarette. J'aurai le temps d'y penser à tête semi reposée. Génial quoi. Je me rassis sur le canapé. Me ressert un fond whisky, en laissant cependant le verre à portée sans le boire. Puis je pousse un soupir. On va faire avancer les choses. Je suis pas vraiment bourré, mais c'est clair que je n'ai plus vraiment ma clairvoyance habituelle. Sans vergogne ni suspense, je lâche.

-C'est déjà fait. Mais ça ne se reproduira plus. J'attends ton tour avec la métamorphose maintenant.

Quoique, y'a moins de chance que ça se reproduise. Psychiquement, après la téléportation d'une demi seconde dans un endroit que je connaissais vaguement à quelques mètres de mon ancien point, j'ai ressenti un violent envie de vomir. Je supporte tout les moyens de transports, mais il faut croire que celui-là à le don de m'achever. Sans doute est-ce ma réticence à son égard. J'en sais rien. Et à vrai dire, ça me passe au-dessus de la tête. Parlons de cette mission maintenant. Avant ça, buvons encore un peu.

- Moi aussi j'ai confiance en toi, tu reviendras vite.

Décidément, en ce moment on se sert les coudes. Chacun raconte ses problèmes, et l'autre le rassure comme il peut. D'un point de vue extérieur, nous devons être... minable. Une scène qui se veut triste et émouvante. Plus que quelques verres et je pourrais officiellement pleurer sans m'en rendre compte, avant de m'écrouler sur le canapé, totalement inconscient. Hm... évitons que ça se produise.

-Merci.

Soudainement, Takeji sursauta et tomba du canapé. Ce qui me fit aussi tressaillir en me demandant ce qui lui arrivait. Et alors... la chose la plus improbable s'échappa de la bouche de Takeji.

- Ren! Ta bouteille de whisky est hantée!

Il y eut un grand silence. Un très, très gros silence. Qui dure et dure. Puis, moi, dans toute ma folie, j'éclate de rire. Comme jamais. Très rapidement, le degré lacrymal de mes yeux monte à 80%. Il m'a vraiment tué, sur le coup. C'est fou que lorsqu'on est à moitié bourré, on tombe rapidement dans le rire. Entre deux respirations entrecoupés par les rires, j'arrive à articuler ces mots :

-T'as découvert la télépathie avec les objets maintenant?
Y'a combien de degrés dans le mot idiot?

Je me tourne brutalement vers la bouteille de whisky qui n'a pas bougé d'un pouce. C'est pas possible que ce soit mes bestioles qui aient dits ça. Sinon, je l'ai auraient envoyés valser depuis longtemps. Alors non, il n'y a que la bouteille. Le raisonnement qui m'avait déclenché une crise il y a quelques secondes me semblait brutalement véridique. Mais, contrairement à Takeji, je ne me laissai pas intimider. Après tout, c'était chez moi ici. Et cette bouteille m'appartenait. Tout comme cette maison. Si elle n'étais pas contente, elle n'avait qu'à déguerpir d'ici. Alors, râlant plus que parlant, je répliquai :

-Certainement moins que toi, tête d'algue.

Je mesurais presque avec peine l'étendue des dégâts causés au cerveau pour s'adresser à une bouteille d'alcool. Mais c'était la mienne, alors n'y avait aucune raison de s'en faire. M'adressant à Takeji , qui fixait encore la bouteille, je lui dis, à moitié endormi :

-Je crois que le peu d'alcool ingurgité à fait détonner quelque chose dans nos cerveaux respectifs. Voilà qu'en début de nuit je me mets à parler avec une bouteille et que tu délires avec elle.

Irrécupérables.

On est pas sérieux,
quand on a la vingtaine ?...

On parlait des enfants là, non ? J'ai l'impression que mon esprit est ailleurs. Ou bien, je ne comprends plus rien. J'observe mon verre d'alcool. Allons bon. Il en reste. Et tant qu'il en reste, ça veut dire qu'on ne peut pas m'en remettre. Donc que je choisis si je bois ou non. Reste à savoir si j'ai la capacité de savoir si je bois ou non. Si ça se trouve, je suis déjà bourré et je bois en ce moment même, sans m'en rendre compte. C'est effrayant lorsqu'on y pense. Nous parlions donc des enfants. Je secoue la tête, blasé. C'est pas la fumée qui m'obstrue la réflexion, ni l'alcool, je ne sais plus de quoi je parle. Tout ce que je sais c'est qu'on parle vaguement des enfants. Stop ! D'accord, j'arrête de fumer. C'est ce que vous vouliez entendre, n'est-ce pas ? Je vais arrêter la cigarette promis. Surtout si ça amplifie le degré d'alcool quand on boit. Mais ça j'en suis vraiment pas sûr. Discussion interne...

- Pourquoi ?

Parce que je vais arrêter la cigarette. Y'a pas de pourquoi dedans. Woups. Je crois que nous dérivons chacun sur nos sujets internes. Dialogues de sourds qui restent pour l'instant relativement clair, j'attends de voir la fin. Va-t-on finir par parler d'éléphants roses ? Et pourquoi d'éléphants roses ? Pourquoi est-ce qu'on pense en premier aux éléphants roses ? Conditionnement de masse, je vous dis. Moi, quand on m'endors, je rêve de singes dans une jungle en bonbon. Ou bien de maths, même si j'aime pas ça. Mais j'ai jamais rêvé d'éléphants roses. Il y a forcément une cause à tout ça, vous ne croyez pas ? Takeji, tu m'emmènes loin là. Oui, parce que je suis certain que c'est par ta faute que je délire sur des trucs inutiles. Alors que je devrais plutôt flipper pour moi-même. Et pour Miyaki, par la même occasion. Mais ça revient à moi au final. Alors je devrais répondre au pourquoi, afin de me permettre de suivre une discussion normale. Pourquoi je n'aime pas les enfants ? J'en ai jamais parlé avec lui ? Ça m'étonne... et dans un sens pas vraiment. C'est vrai quoi, depuis le temps que j'annonce à tout bout de champ que je ne supporte pas les gosses. Mais non, je n'en ai jamais parlé.

-C'est chiant. Dis-je en lâchant une bouffée de fumée. Ça bouge trop, ou pas assez, ça parle pas, ça pisse et ça rote.

Merci, Ren. C'est tellement classe dit comme ça. Franchement, tu gagnes à être connu. Vraiment. J'ai envie de rire. Brusquement. Parce que c'est tellement minable dit comme ça. Je fais face à des sorciers noirs au moins une fois toutes les deux semaines, et j'ai peur d'avoir un truc qui bouge pas. C'est bizarre. Mais c'est ainsi. Ma plus grande frayeur, ce serai un gamin sorcier noir encore immature. Ça fait des ravage , quand c'est pas mature. Ça ne se fit qu'à son instinct, et c'est là le danger, car il se fiche du reste. Dangereux. Vraiment dangereux. Tout comme cette gerbe d'alcool que vient de lâcher Take. Qui s'est retrouvé projeté jusqu'à la télévision. Balèze. Moi je dis, respect.

- Tu t'es téléporté et j'étais pas là pour voir ça ? Refais le !

Je le fixe bien scrupuleusement. Je comprends enfin ce que veut dire « mémoire sélective ». J'ai dit que je ne le referai pas. Alors, ce n'est pas par quelques phrases que tu vas réussir à me faire réessayer. Surtout que ça fait atrocement mal à la tête. Je suis sûr que les métamorphes sont pas fait pour être téléporteurs. C'est pour ça que ça marche pas. Il comprendra quand il aura essayé. En attendant, je m'empresse de me répéter :

-Sans façon, je ne me téléportes plus. Ça provoque un mal de tête incroyable. Tu sais quoi ? Je crois que les métamorphes sont pas faits pour être des téléporteurs. Deux trop gros pouvoirs. Et puis, c'était un cas d'extrême urgence et j'étais hyper fatigué.

Incroyable de penser que l'instinct de survie m'ait dit d'utiliser la téléportation à la place de la métamorphose. Il faut dire que j'avais Miyu avec moi et que ce n'aurai pas été facile de la transporter avec moi. J'ai fait ce que j'ai pu. J'ai détruit mes dernières essences de pouvoirs à ce moment, et il m'a fallu plusieurs semaines avant de pouvoir réutiliser un peu de métamorphose. Heureusement que je ne me transforme que rarement en cours sinon ils auraient tous découverts que j'étais exténué. Enfin bon, passons.

- Mais la métamorphose, je maîtrise déjà comme un pro. Regarde, je sais faire le chien : Ouaf ! Et même le chat, je suis comme toi: miaaou.

Si c'était aussi facile que ça, la métamorphose ne serai pas un pouvoir. Ni même un don. Ce serait... des onomatopées. Alors, je vais mettre ça sur le compte de l'alcool et du fait qu'il ne soit pas très clair dans sa tête. Sans doute suis-je aussi légèrement atteint pour ne pas noter ce qu'il dit. Au contraire, je me prends à son jeu, légèrement rieur :

-Et la baleine, tu la fait comment ? Si tu connais le langage des ultrasons, appelle-moi, parce que j'avoue que j'ai un peu de mal à discuter avec les chauves-souris.

Eh oui, métamorphes, c'est bien, mais télépathe c'est bien aussi. Don complémentaire au pouvoir, ça n'arrive pas tout le temps. Mais ce n'est pas rare pour autant. Je me suis rarement transformé en chauve-souris, mais j'ai vaguement compris leur système de communication. Ce sont des ondes très hautes, et pourtant j'ai l'impression de les entendre très bas. En tout cas, les chauves souris sont très intelligentes et c'est uniquement à cause de l'obscurité et de la myopie de ces bestioles que je ne me suis pas plu sous cette forme. C'est aussi pour ça qu'elle ne fait pas partie de mes formes. C'est difficile de parler avec elle, parce qu'en tant qu'humain, leurs voix sont justement trop cristallines. Ça finit par faire mal à la tête. Je veux voir si Take peut parler la baleine, puisqu'elles discutent elle aussi en ultrasons. Voyons comment il se débrouille.

- Et elle dit qu'elle ne veut pas être jetée dans la cuisine parce qu'elle n'aime pas la boîte de sardines au fond de ta poubelle, le chat.

La chauve-souris ? Non. La bouteille de whisky ? Non plus. Ah... si ? Je préférais parler de chauve souris, je paraissais beaucoup moins bête. Ou fou, à voir. Mais puisque nous n'avons pas le choix. Une bouteille de whisky qui parle. Je ne savais pas qu'en bourrant des sorciers, on pouvait leur faire développer des dons jusque là encore inconnus. Tout du moins, c'est ce que je pense. C'est flippant. Comment une bouteille peut-elle avoir une conscience ? Question existentielle, si on se pose la question : « Est-ce qu'on entend la bouteille ou bien son inconscient ? ». Boire est une façon de se rapprocher de son inconscient ? De cette façon, on ne parle pas avec la bouteille mais avec autre chose, son Moi intérieur. Mouais. Moi, j'ai un simple mot pour décrire ça. Et ça s'appelle la schizophrénie. C'est une maladie, et ça se soigne. Manque plus qu'à aller à l'hôpital, ou faire un bon direct à l'asile, ça ira plus vite. Ah, et une chose, boite de sardine ou pas, je vais pas faire une différence dans ma poubelle. Si on termine pas la bouteille aujourd'hui, y'a pas de raison qu'elle passe à la poubelle .

Le deuxième étage des alcools est inconfortable. Et puis, le pastis sent mauvais.

Y'a une date de péremption sur les alcools ? Je crois pas. Un microbe bizarre qui a infesté nos circuits nerveux ? Une nouvelle race d’extraterrestres qui prend place dans ton cerveau et te fourre des hallucinations jusqu'à ce que tu lâches prise ? J'en sais rien. Mais tout ce que je sais, c'est que la boite parle, qu'on peut pas entendre ce qu'elle dit à l'un et à l'autre et que c'est violemment énervant. En gros, parce qu'elle s'est décidée à parler, la bouteille souhaite que je la mette dans un duvet bien chaud, près de mon lit.

Dans le réfrigérateur.
- J'crois qu'elle ne nous aime pas.

Ouais, ouais. D'abord je réponds à la bouteille. Et même que je parle intérieurement parce que j'ai l'habitude de causer avec des animaux. Ça doit être la même chose à une queue de vache près non ? Je crois. Là n'est pas la question. Va pour le réfrigérateur, parce que de toute façon, elle me lâchera pas tant qu'on aura pas terminé de discuter avec elle. Quitte à passer une journée entière avec un truc qui parle, autant lui donner raison le plus rapidement possible. Dites, j'ai subitement plus envie de boire. Qui sait, ça se trouve, c'est dans l'alcool qu'il y a un problème. Si j'arrête de boire, ça doit s'arrêter normalement non ? Je sais pas, ça me paraît logique. En fait, c'est tellement pas logique de parler avec une bouteille, que même l'unique chose illogique me paraît alors subtilement logique. Amen. Je crois qu'elle ne nous aime vraiment pas, Take. Plus qu'une gorgée et je pourrais voir un œil naître à la place du bouchon.

- Ren, tu crois que ça mord ?

Je crois ce que je vois, et là accessoirement, je crois pas ce que je vois. Ça risque de poser problème dans la compréhension. Là, je vois rien d'autre qu'un bouteille immobile, mais je m'étonnerai même pas qu'elle se mette à bouger en dansant la java. Peut-être que je sursauterai un peu en fait. Mais pas beaucoup, promis.

-J'en sais rien, mais je sais que c'est pas gentil. Tu penses que ça peut s'apprivoiser ?

Je pose de ces questions moi alors. Manquerait plus que la boite de sardines dans la poubelle se mette elle aussi à parler. Ça serait un sérieux tintamarre. Je sens que je vais vider ma poubelle ce soir moi. Juste comme ça, par prévoyance. En tout cas, cette bouteille est effrayante. Je vois que Takeji porte encore une fois l'alcool à ses lèvres. De nouveau par prévoyance, je stoppe sa démarche.

-Mieux vaut arrêter de boire, non ?

Moi, je dis ça je dis rien.

C'est le foutoir dans ma tête,
et la bouteille nous fixe.

La discussion est amorcée depuis un certain temps. Oui, elle l'est. Vous savez, la logique d'une discussion se base sur la compréhension des termes employés par l'un et l'autre. Par exemple, pour un anglais et un français qui ne connaissent que leur langue maternelle et qui parlent ensemble, ce n'est pas une discussion, puisqu'il ne se comprenne pas. Par exemple, ne vous est-il jamais venu à l'esprit de vous demander comment les fins de réunions européennes se déroulaient entre les chefs d'états ? Ils discutent tous devant les caméras dans leur langue en opinant toujours de la tête. Et vous croyez vraiment qu'ils ont tous leur oreillettes avec le traducteur qui galère à traduire ce que la masse informe de différentes langues s'amusent à dire ? Non. Ou sinon, maintenant ils parlent en anglais. Bref. Je parlais de quoi déjà ? Ah oui, Taki et moi. Nous on discute, et même si nos pensées internes débouchent un peu sur une incompréhension passive du sujet, on s'en sort parce qu'on parle la même langue. Je deviendrais jamais chef d'état.

- Arrête de fumer, t'as déjà vu un chat avec une clope entre les moustaches toi ?

Non, mais ne m'assimile pas à un chat. Je suis un humain avant tout, Takeji. Un humain avec de forts penchants félins, mais un être humain quand même. Alors en attendant, je m'offre le plaisir d'une cigarette. Mais la question est intéressante. Personnellement, je pense que sous forme de léopard, je ne pourrais pas m'approcher à plus d'un mètre d'une cigarette. Question d'odorat. Les animaux n'aiment pas la pollution. Sauf les pigeons, amis eux c'est pour la bouffe qu'ils fonctionnent. Sinon je suis sûr qu'ils migreraient quelque part dans la sud. Vers le Portugal là-bas. De toute manière, les pigeons sont déjà implantés partout. On veut nous faire manger des insectes parce que c'est plus écolo, mais si on commençait par les pigeons se serait mieux. Vu comment ils sont engraissés, je suis persuadé qu'un pigeon à la broche ça doit rapporter plein de protéines.

-Non, mais pour le coup, je suis sous forme humaine, alors je me fais plaisir.

Dis-je en soufflant un nouvelle gerbe de fumée. Vous pouvez pas savoir à quel point ça fait du bien de fumer. C'est psychologique. Mais quand on a commencé c'est dur de s'arrêter. Je suis fumeur occasionnel, mais je ne refuse pas quand on m'en propose. Et pour le coup, je me suis proposé à moi-même de fumer. J'ai donc gentiment accepté. Et quoi ? Je n'ai pas précisé de qui il s'agissait, alors je bien me demander de fumer. Demander au léopard qui fume entre ses moustaches. Cette vision m'arrache un faible sourire tandis que mon esprit divague peu à peu.

- T'es au courant que ça grandit quand même ? Et Ren, comment tu ferais si...

Évidemment. Mais en général plus ça grandit moins tu les vois. Moi ce que je pense, c'est que faire un gosse c'est une perte de temps. La vie n'est déjà pas bien longue, mais si en plus tu y passes ton temps à éduquer un enfant avec qui tu risques de perdre contact dans le futur... Non, ça ne m'intéresse vraiment pas. C'est vraiment la dernière alternative que j'utiliserai dans ma vie. Devenir père. ah. Nan. Le supplice de tout une vie. La pire chose qui puisse m'arriver. Non. Il y a autre chose après ça. Et ça je ne veux vraiment pas m'y confronter un jour. Même en rêve, qui serait automatiquement considéré comme un cauchemar. Brr. J'en tremble d'avance. Je suis tellement concentré sur mes pensées que je ne percute même pas que Takeji n'a pas terminé sa phrase.

- Pourquoi y'a deux bouteilles !

Je regarde la bouteille d'un air patraque. J'ai beau l'observer sous tous les angles, je n'en vois qu'une. Par contre, mon verre se met à me faire de l’œil. Je lève la tête pour observer le plafond et ne pas me laisser tenter. Il est beau mon plafond. Il est... blanc quoi. Les plafonds, c'est la seule partie d'une maison qu'on s'amuse pas à décorer. Et pourtant, on se rendra compte qu'on la fixe plus qu'on ne le pense. Les styles d'époque étaient superbes. Les plafonds en feuille d'or. Magnifique. Mais cher. Et je ne dépenserai pas mes sous là-dedans. Le blanc c'est ni beau ni moche. Et d'ailleurs, la poussière arrive à se déposer là-dessus. Encore un mystère. Comment la poussière, soumise à la gravité atmosphérique arrive à se poser sur un plafond, naturellement disposé au-dessus de nos têtes en horizontal parfait ? Moi, je vous dis que ça cache des trucs. Enfin bref. J'ai bientôt terminé ma cigarette, mais j'ai al flemme d'en prendre une autre. Je crois que c'est al flemme qui me sauve d'être un fumeur hors pair. Elle est toujours là quand j'ai besoin d'elle. Je l'aime.

- Ta bouteille est ensorcelée. Et je disais, comment tu ferais si tes enfants te disaient qu'ils ne t'aiment pas ?

J'crois surtout que t'a trop bu. Et moi aussi accessoirement. Sauf qu'une chose majeure nous sépare. Moi j'ai arrêté depuis quelques minutes. Et c'est pas ton cas. Bon je fume entre temps... ça doit pas vraiment aider. Mais au moins j'arrête de boire. Même si mon verre me fait de l’œil. Même si la bouteille de whisky a l'air de vouloir me mordre si j'approche. Comment ça peut mordre cette chose ? Je me suis déjà pris un bout de verre dans la main. Si profondément qu'on a dû m'emmener à l'hôpital. C'était entré sous la peau. Bref. C'était si gore que j'ai même pas envie d'en parler. J'préfererai voir des éléphants roses. Et on en revient toujours aux éléphants roses. Quand est-ce que les éléphants roses vont-ils me lâcher ? Quand cette bouteille de whisky va-t-elle finir de m'observer. Elle a pas d'yeux ? Mais c'est tout le problème ! Elle ne peut pas cligner des yeux, et elle te fixe ! La pire peur qui puisse exister. Et donc revenons-en aux enfants. S'ils ne m'aimaient pas ? S'ils ne m'aimaient pas... j'écrase la cigarette et sort :

-La question ne se pose pas, je veux pas de gosses. Et s'ils ne m'aiment pas, ça veut dire que j'aurai bousillé ma vie pour rien. Que je les auraient mal éduqués.

Et après c'est culpabilité à gogo. C'est source de problème les gosses. Oh mon dieu oui, c'est que des problèmes. Ça grandit tellement vite que c'en est effrayant. Je me demande comme ma mère a pu m'élever. Je me demande comment je pourrais élever un gosse. Même avec Miyaki... pour ça faudrait qu'elle soit enceinte. Et ça... ben j'aimerai éviter que ça se produise. Un maximum. Si ça pouvait ne jamais arriver, ce serai bien. Elle est malade déjà, alors un gosse pourrait l'achever. Et comme je n'en ai pas envie... ben voilà, tout le monde est content. Qu'elle fasse d'abord son opération et après on discutera ! Bref. Je comprend pas pourquoi Taki s'est brutalement téléporté jusqu'à un mur pour se le prendre en pleine tête et revenir aussitôt sur le canapé. À vrai dire, je n'ai rien eu le temps de piger. Tout ce que je sais, c'est que la démonstration m'a bien faite rire. La téléportation c'est le mal et ça se rebelle contre son utilisateur quand il bourré. Avec la métamorphose, y'a pas de mauvaise surprise. Enfin presque. Oh et puis, tâchez de trouver quel don ou pouvoir est sans effet secondaires , hein !

- Ok d'accord t'as raison ça fait mal à la tête... Mais seulement quand tu te cogne en atterrissant ! Il te faut des cours de téléportation. T'as pas oublié quel métier j'exerce hein ?

Ha. Hahaha. Tu me fais bien rire là. Suivre des cours, pour un prof ? En téléportation qui plus est ? Nan. Je ris à m'en étouffer. T'es drôle comme garçon. Je pose ma main sur sa tête et farfouille un peu dans ses cheveux. Il me remonte instantanément le moral cet homme. Bientôt papa ? Ses enfants n'ont à rien à craindre avec une personne comme ça à leurs côtés. Je pense qu'il sera fantastique. Par contre, j'ai quelques doutes sur la santé morale des enfants. Heureusement que Shy est avec lui. Ça me fait rire.

-J'y penserai à l'avenir. Mais je risque de sécher beaucoup de tes cours. Je viendrais peut-être à un de tes cours chaque année.

Et je le fixe avec intensité. Peut-être que je viendrai. Juste pour voir si ça me fout toujours la nausée. Je crois que si physiquement j'en suis capable, psychiquement c'est impossible. C'est sans doute pour ça que je n'arrive pas à me sentir bien après ma téléportation. Enfin, ça ne s'est produit qu'une seule fois. La dernière fois, c'était à l'hôpital. Et c'est Taki qui m'a transmuté. Et j'ai pas apprécié même si je le lui ai demandé. Toujours cette envie de vomir... et un tournis incroyable. Je suis sûr que mon inconscient s'amuse sur moi dans ces moments-là. Si je me persuade que c'est dangereux d'utiliser la métamorphose, peut-être que je ne pourrais plus l'utiliser ? Faudra vraiment avoir un argument en béton parce que là... je vois pas comment je peux même songer à m'arrêter de me métamorphoser. Enfin...

- Ok mais c'est pas très malin le chat. Comme c'est des ultrasons, tu peux pas les entendre. Alors écoute bien, je vais imiter la baleine.

Je me tais. Il me fixe. Et moi j'entends rien. J'ai compris. Je baisse la tête au moment où il s'exclame.

- T'as vu ? Imitation parfaite de la baleine !
-La prochaine fois que je pars en croisière, je t'emmène toi et ta petite famille. Tu retenteras ton cri une fois à bord, histoire de vérifier si la télépathie marche bien.

Je lui souris narquoisement. Bref bref, changeons de sujet. Concentrons-nous sur cette bouteille. Elle va finir à la poubelle. C'est pas pour rien que ça rime. C'est le destin qui veut que les bouteilles, ça finisse à la poubelle. Et vu la vitesse à laquelle le liquide descend, elle risque de s'y retrouver plus vite qu'elle ne le pense. Enfin.... si ça se trouve, c'est un garçon. Elil quoi. On dira que ça se rapporte au « it » anglais. Et comme je parle anglais ça devrait être un réflexe d'utiliser ce terme. Mais elil ça sonne plus classe quand même. Donc elil la bouteille de whisky qui veut pas être mise dans la poubelle à cause du macro qui doit y pourrir depuis un certain temps me regarde. Nous regarde. Sans doute qu'elle a plusieurs yeux. Sans doute... j'ai envie de lui coller des yeux à la bouteille. Juste pour voir ce que ça donnera. Ça me fera faire des cauchemars à coup sûr. Enfin bon.

- Peut être qu'en lui passant un collier autour du cou... On peut lui apprendre des tours ?

Et lui coller des yeux. Il faut absolument qu'on lui colle des yeux à cette chose. Histoire de voir si elil se fiche de nous ou s'il nous observe. Venant de la part d'une bouteille, je pense même qu'il puisse faire les deux en même temps. Ça m'tracasse tout ça.

- Assis !

Ça c'est intelligent. Elil est déjà assis. Par contre, tu évites de lui demander de se coucher avant que j'ai rebouché le goulot. Histoire de pas avoir à nettoyer le parquet. Simple question d'esthétisme. Je fixe la bouteille qui ne bouge pas d'un centimètre cube. À vrai dire, je préfère la voir ainsi. Sage. Elil peut nous fixer longtemps. Mais s'il ne bouge pas, il ne pourra pas mordre. Et ça c'est un avantage. Un très gros avantage. J'approche ma main de la bouteille et la rebouche avant qu'elle n'ai réussi à escompter le moindre mouvement. C'est idiot puisqu'elle ne bouge déjà pas.

Merci de mieux remettre mon chapeau.

Chapeau ? Je vois pas de chapeau dans le coin. À moins que. À moins qu'il ne s'agisse du bouchon ? Ça ne m'étonnerai pas. Je pouffe. Au moins, avec une bouteille fermée, y'a plus de raison qu'elle soit dangereuse. Peut-être que, cependant, par mesure de précaution je ne décide d'accrocher un mini cadenas au bouchon pour éviter qu'il ne s'enfuit. C'est à voir. Mais puisqu'il n'y a pas de bulle dans le whisky, il n'y a pas de gaz. Donc pas de raison que ça explose. Et puis la bouteille a l'air d'apprécier son chapeau.

- Peut être qu'elle ne parle pas anglais ?
-Sans doute le bouteillin. Tu connais pas ? Rooh, Take. Tu comprendras quand t'auras investit dans la télépathie.

Le bouteillin ? Connaît pas. J'viens de sortir ce mot à l'instant faute de réponse plus appropriée. Mais bon, s'il y a un langage pour chaque animal, il n'y a pas de raison qu'il n'y en ai pas avec les objets. Les bouteilles parlent toutes la même langue, mais l'accent change en fonction du liquide à l'intérieur. Pareil pour la table. La porte. Les objets du quotidien quoi. Quelle plaie. J'aimerai vraiment pas savoir ce que pense mon paillasson de moi. Ni mon porte manteau que je malmène sans cesse. Bref, c'est pas demain la veille que je me mettrai au bouteillin. Parce que ça a l'air, mais alors, vachement galère quoi... Arrêtons de boire... il glousse lorsque je le lui propose. Je pense que j'ai peur pour demain. C'est ce qui m'empêche d'être totalement bourré. De toute façon, je tiens bien l'alcool. Je sais pas si c'est naturel ou si enfant ma mère me bourrait tout le temps pour arriver à me faire tenir dans un buffet. J'en sais rien et vraiment... je m'en fous.

- De toute façon ça y'est, je suis déjà torché. Pour quoi j'étais venu déjà ?

Je ris. Aussi simplement que possible. Pourquoi t'es venu ? Je sais plus non plus. Mais devait y avoir une raison, sinon t'aurai pas fait les quelques kilomètres de ma maison jusqu'à l'orphelinat. Mais j'suis con, t'es téléporteur. Ben p't'être que t'avais juste envie de me voir ? J'ai pas le droit de rêver ? Le destin sans doute alors. Ou parce qu'autre chose dont je ne me souviens plus.

-Qu'est-ce que j'en sais ? J'suis presque autant bourré que toi. Par contre, je te laisserai pas partir ce soir. La téléportation t'a appris qu'il était inutile de l'utiliser.

Ouais, je veux pas que mon frère se casse la figure ou se retrouve je ne sais où et qu'il se fasse bouffer par je ne sais quoi. Faut qu'il fasse attention. Surtout maintenant qu'il va avoir à charge des enfants. Je lui souhaite bonne chance. Soupirant brutalement, j'ajoute :

-J'ai une chambre d'ami à l'étage avec quelques affaires, tu peux les prendre si tu veux dormir ici. En fait, tu dors ici, y'a pas à tergiverser. Tu repartiras demain matin.

N'empêche que je commence à être sérieusement claqué moi. Et en plus je pars demain. Le destin s'acharne contre moi. Je repose ma main sur la tête de Takeji. Je sais pas pourquoi, mais ça me détend. C'est sympa. Tu me fais penser à un chiot des fois Taki. Si je suis ta boule de poil, y'a pas de raison que je ne te retourne pas la pareille. Je la sens pas cette mission, et tu la sens pas non plus. Mais j'y suis obligé. J'penserai à toi si je me fais prendre. J'y penserai et je me dirai que la prochaine fois que tu sens pas un truc, ben je refuserai ce qu'on me propose. Tu devrais voir c'est quoi ton don second. Sait-on jamais.