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Sujet: La chaleur des corps, la froideur du silence Lun 19 Aoû 2019 - 15:49
Le fin bureau de bois blanc est glissé sous la fenêtre, à quelques mètres à peine d’un lit aux draps défaits. Anja n’a pas l’habitude de s’asseoir ici, elle doute même de l’avoir déjà fait. Comme si se mettre à un bureau, c’était un peu s’approprier l’endroit, la maison. Jusque là, Anja n’était pas vraiment chez elle. Et pourtant, aujourd’hui la plume démange. Elle n’a pas envie de s’enfermer dans l’obscurité du QG de Rosenrot. Elle désire presque cette vie, cette maison. Ce partage.
Liebe Elaïa,
Connais-tu l’amour ? Ou ne connais-tu que la passion, le désir ardent, la chair qui rêve de se dévorer ? Il est parfois délicat de distinguer l’un de l’autre, de ne pas se laisser aveugler par le besoin de sentir un corps contre le sien, d’accepter des sentiments qu’on a toujours appris à repousser. Je pense que c’était un des cauchemars de ma mère, une déception : que je tombe amoureuse. Moi, je ne sais pas quoi penser, je ne sais pas quoi te penser. Parce que ça fait mal, ça rend fou et ça change tout.
Ton père et moi ne nous parlions plus depuis des mois. La nuit, dans le noir, il arrivait encore que nos corps se frôlent et ils partaient dans une guerre sans mot, un amour muet. La passion des corps, mais la fuite des mots. Sans vraiment se voir, se refusant à pardonner tous les non-dits entre nous, nous nous laissions alors couler dans nos désirs, satisfaire les besoins qui trouaient nos entrailles. Puis nous nous rendormions, toujours dans le noir, toujours dans l’absence de mots. Ce manège a duré des mois. Des mois de mutisme, de douleur de voir notre couple s’étioler et pourtant, sans vraiment l’envie de me battre pour lui, de me retourner contre tout ça. Je m’étais presque résolue à accepter la situation, le mariage auquel Allen m’avait poussée, des fiançailles malsaines et tendues. Je ne portais plus la bague désormais, je ne pouvais plus, pas après tout ce qui c’était passé près de ton école, le jour où nous nous étions aperçu. Ton grand-père est trop fier, trop sûr de lui pour l’avoir remarqué, mais j’avais vu une fois le regard d’Aria Soul se dérouler sur mon doigt et voir l’absence de cette promesse insensée. Elle n’avait rien dû dire à son mari car, officiellement, rien n’était rompu. Officiellement, rien n’était vraiment conclus non plus, d’ailleurs. Trop de silence, toujours le silence. Et cette situation si lourde, cette impression de vie en rentrant à la maison, alors que le corps de ton père était pourtant présent, mais son esprit si absent. On vivait enfermé, chacun de notre côté. Lui dans ses rêves d’un avenir avec toi, moi dans la fuite d’une vie que je souhaitais t’épargner.
Et puis il y a eu Rhyan. Une gosse d’Orpheo dont l’existence ne rimait à rien, une pauvre amourette avec un de mes soldats. Pas la première et sans doute pas la dernière. Les jeunes cœurs aiment le risque, la peur de se faire attraper rend les ébats plus sauvages, plus intenses. Des histoires que je pouvais facilement régler, un claquement de doigt discret et une tête tombait. Le soldat ayant ainsi perdu son amant, digérait la nouvelle un moment, réalisait avec dégoût dans quel trou il avait glissé, puis revenait infailliblement dans le rang, plus droit que jamais. Rien de compliqué, donc. À première vue. Le problème était que cette Rhyan s’était entichée de ton oncle. Cyan Soul. J’aurais dû fermer les yeux, faire comme tous les autres et la balancer au vide ordure. L’histoire aurait été réglée et nous n’aurions plus jamais entendu parler de cette jeune idiote. Pourtant, j’ai glissé dans un sentimentalisme que je ne me connaissais pas. J’ai voulu la sauver ou, plus exactement, sauver Cyan. Lui laisser le temps de se rendre compte du dégoût qu’inspire la race humaine, prendre le temps de se vider avant de se reconcentrer sur Rosenrot. Et puis je me suis dit que ça serait un bon moyen d’obtenir des informations sur le camp ennemi. Alors j’ai rencontré cette fille. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Elle s’est enfuie, évaporée, m’a filé entre les doigts. J’ai voulu appeler Allen. C’est ce que j’aurais dû faire. Son cœur de pierre n’aurait pas hésité à tuer cette fille et à punir son fils. Il l’avait fait pour Green. Il l’avait fait pour Silver. Il le ferait pour Cyan. Mes doigts avaient ripé sur le téléphone et je m’étais tue. Gardant ce poids dans ma tête, reportant à plus tard cette discussion, laissant le loisir à cette humaine de respirer encore un peu.
Jusqu’à ce matin dans la cuisine. Un verre de jus d’orange dans les mains, un air sombre peint sur le visage, assise en équilibre sur le comptoir. Ton père était présent, mais nous ne disions rien, jamais rien. Comme d’habitude. Un silence auquel je m’étais faite et qui pourtant, ce matin précisément, me semblait intolérable, brutal, brûlant. J’avais envie de hurler pour le rompre, n’importe quoi, peut-être même arrêter ce massacre que nous étions en train de vivre, mettre un terme à tout ça, abandonner cette idée stupide que ton père et moi pouvions nous marier et vivre ensemble. Mes lèvres étaient pourtant incapables de s’ouvrir, cordes vocales bloquées au fond du cœur. Alors mon corps prit le relais.
Le verre que je tenais entre mes mains explosa, répandant le jus sur mes vêtements, ma peau. Les bouts de cristal entaillèrent profondément ma chair et le rouge lécha mes poignets, douleur sourde qui déjà commençait à pulser entre mes poings. J’eus envie de pleurer. Une envie intense de petite fille qui émergeait d’un lointain passé refoulé. Se laisser aller à une faiblesse idiote et dangereuse. Je contins cependant les sanglots, les cris, la rage. Je contins tout. Me contentant de garder mon regard vissé sur l’hémoglobine qui s’enfuyait.
[…]
Elle relève les yeux un instant et jette un regard à la chambre. Il n’y a rien ici. Que la blancheur, la froideur, l’absence de présence. Elle imagine un instant pouvoir afficher une photo d’Elaïa au-dessus du lit et pouvoir observer, chaque soir en s’endormant, le visage de sa fille. Pouvoir l’enfermer avec elle dans ses rêves. Et pourtant, elle sait que ce n’est pas possible. Pas de photo, pas de contact, pas de sourire.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Mer 21 Aoû 2019 - 8:33
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Mer 21 Aoû 2019 - 13:12
À quoi reconnaît-on un foyer ? À la chaleur d’un feu qui crépite, au sourire des êtres aimés lorsque l’on passe la porte, au jappement d’un chien heureux ou au ronronnement discret d’un gros chat dormant dans un fauteuil. L’endroit du cœur, où grandir, vivre, vibrer. Construire son avenir. Mais une maison n’est pas égale à un foyer. On a beau avoir les briques, le ciment, les meubles rangés et le ménage fait, sans vie dans la maison il n’y a pas de foyer. Et il n’y avait jamais eu de foyer pour Anja von Duisbourg.
[…]
La tension sourde bourdonna à mes oreilles. Je la laissai s’éteindre, refoulant les émotions au plus profond de moi, enfouissant tout sous la même chape de plomb qui m’avait toujours accompagnée. Pas de sentiments, pas de pleurs, pas de faiblesse. Il me fallut donc quelques secondes à laisser couler le sang, incapable de me mouvoir ou d’affronter le regard de ton père. Puis, enfin, je parvins à me glisser le long du comptoir, lévitant légèrement au-dessus du sol pour ne pas me planter un bout de verre dans le pied. Le tout avec une lenteur mesurée, comme si j’avais peur de froisser l’air, de faire trop de bruit dans toute cette installation du silence. Mes pouvoirs me poussèrent jusqu’au lavabo, où l’eau clair vint asperger mes mains, se teintant rapidement sous l’écarlate de mon sang. Quelques éclats, autant de morceaux d’étoiles, fuirent également au fond de l’évier, allant voguer vers d’autres rives.
J’avais laissé derrière moi, sur le comptoir en marbre, le sol blanc, les traces de cristal, les traces de sang. Un autre que moi viendrait les nettoyer, présence discrète au sein de la maison de la reine, pas un esclave, non, c’était prendre trop de risque. Un soldat loyal qui s’occupait du ménage, de la lessive, des courses également, le tout dans la plus grande discrétion. Distinction ultime que d’être le larbin de la tête. Haine intense que d’être le fou de la reine. Je sentais la présence, vibrante, de Green derrière moi. Aucun mot n’échappait pourtant à ses lèvres, à mes lèvres, à nos lèvres. Nous nous étions murés dans un silence depuis trop longtemps et nous ne savions désormais plus communiquer. Cette maison était le refuge du silence, le règne du mutisme. Seuls les corps pouvaient parler et s’égarer dans le noir, se chercher pour se baiser, se faire mal, se torturer. Nous rappeler cette époque étrange où nous nous aimions.
Nous nous aimions ?
Je ne savais pas. Je ne savais plus ce que je ressentais pour cet homme qui partageait ma vie sans y entrer. Cet amant qui jouissait dans mon lit sans me regarder. Une fuite perpétuelle au sein même de notre relation. Nous tournions en rond. Manège fou et emballé qui ne désire plus s’arrêter. Je ne savais pas si, ce qu’il y avait eu un jour entre nous pouvait être appelé de l’amour ou si c’était juste une bague au doigt et des caresses un peu plus douces, un moins oppressantes. Mais désormais, il ne restait que nos corps, deux enveloppes vide d’esprit, qui se mordaient sous les draps, qui ne se battait plus pour s’entraîner, mais pour se faire mal, pour percer la chair et briser les os, la rage qui rugissait au fond des tripes, la haine des corps, mais l’ignorance des esprits. Mes pensées étaient toute entières à Rosenrot, vissées sur une guerre que j’étais en train de perdre, absorbée et noyée par mes ennemis, mes alliés qui allaient trahir. Et lui était ailleurs, peut-être en France, avec toi, peut-être dans la mort, avec Chloé, peut-être nulle part. Simplement disparu, absorbé par le trop plein.
Je regardai l’eau rouge tourbillonner sur l’inox, imaginant le sang qui bouillonnait dans mes veines. Mais déjà le flot se tarissait, l’eau s’éclaircissait, tout juste salie par de mince filet qui, parfois encore, s’échappaient entre mes doigts. J’éteignis donc ce long crachat et attrapa un linge blanc pour entourer mes paumes, là où la morsure du cristal s’était faite la plus sévère. Il faudrait encore faire appel à un guérisseur, soigner ça rapidement, pour pouvoir retourner se battre et s’entraîner, ne jamais le lâcher cet entraînement, surtout pas après Berlin, après cette ordure de mêlé qui m’avait mise à terre. Après que Green fût venu… Je serrai les poings un peu plus fort, le blanc se pigmentant sous le sang qui ressortait, ne cessait jamais de vouloir s’échapper. Green qui était venu à mon appel, qui m’avait sauvée d’Orpheo, d’un avenir fait de noir, de torture et, surtout, un avenir bien court. Mais si c’était ça, alors pourquoi je sentais encore la corde frotter autour de mon cou, perpétuellement ? Au bureau face à Allen, face à cette idiote de Rhyan et, plus terriblement encore, face à celui qui devait devenir mon époux. Le feu qui brûlait contre la gorge.
[…]
Pas de foyer pour la reine. Seulement des maisons vide de mots, de présence, d’amour.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Mer 21 Aoû 2019 - 13:44
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Mer 21 Aoû 2019 - 17:47
Anja observe la peau blanche qui écrit. Il n’y a pas la moindre trace, la moindre larme, la moindre cicatrice. L’épiderme est parfaitement lisse et bien loin de la défiguration qu’il aurait dû subir sous les coups, les combats, les horreurs. Pas de trace, pas d’histoire. Même en bas, là où elle a pourtant été déchirée pour offrir la vie, plus rien n’apparaît. Les guérisseurs sont passés par là et, sans un mot, ont tout refermé.
[…]
Je restai debout, dans le silence de cette cuisine, avec l’envie de fuir qui pourtant me dévorait l’estomac. Pourquoi restions-nous là, deux roseaux battus par le vent, incapables d’arracher leurs propres racines pour aller ailleurs ? Des roses perçaient le bandage de fortune autour de mes poings, fleurs sauvages qui naissaient dans la douleur physique, une douleur à laquelle je pouvais faire face, qu’il était facile de recoller, de contenir. Mais les roses trouaient également mon cœur et aucun guérisseur n’était assez fort pour les atteindre.
- C’est tout ce que j’ai.
Je levai la tête, bousculée au plus profond de moi par les mots de ton père, par le son de sa voix que j’avais oublié. L’espace d’un instant je songeai que le son de ta voix, je ne le connaissais même pas. Et puis je retombai dans le présent, la douleur de cet instant isolé, ce bruit si brutal qui tombait de la gorge de Green, de mon amant, de l’homme qui vivait si loin de moi. C’étaient des mots que je ne comprenais pas, qui m’étaient étrangers. Des sons qui volaient au-dessus de ma tête sans que je ne puisse les appréhender, les attraper. Les comprendre.
- Alors tais toi.
Froissement dans mon propre corps. Je jouais à la reine, celle au-dessus de tout qui dicte ses ordres mais n’écoute pas. Je refusais de l’entendre alors que je souffrais depuis des mois de cette absence de mot, de cette présence vide à côté de moi dans le lit. Avais-je vraiment envie que tout cela continue ainsi ? Bloqué à vie sur le même refrain : des corps qui s’épuisent et des mots qui se perdent ? Je serrai les poings un peu plus fort, dans l’espoir de voir les roses éclore plus sanguinaire, mortelle, m’arracher les mains et le cœur puisque, de toute façon, je ne contrôlais rien. L’envie insidieuse de me punir, de me fouetter, de me faire autant de mal que le mal que je lui infligeai. Déchirée pourtant par ma droiture, par cette image de cheffe que je renvoyais et qui n’acceptait aucune faille, par cette perfection que je feignais d’atteindre. Cette idée de perfection. Car dans la réalité, tout mourrait à mon contact. Je n’étais que puanteur et horreur, déchet incapable de gérer sa vie. Plus depuis que Green y était entré, plus depuis la tâche de sang dans ma culotte, les soupirs entre les draps, tes premiers cris à ta naissance. Tout avait été démoli, je ne pouvais plus être Anja von Duisbourg, cheffe de Rosenrot, parfaite, droite, belle, froide. Je n’étais qu’un pâle mensonge de cet idéal… Idéal, vraiment ? Je ne savais plus… C’était vraiment à ça que j’avais aspiré toute ma vie ? Oui. Bien sûr que oui. Diego m’avait dressée pour cela. Pas aimé, pas éduquée, pas élevée. Dressée. Comme on apprend à un chien à faire le beau et à donner la patte. J’étais sa chose, l’espoir de redorer le blason sale de la famille. Et ça avait marché. Pour un temps. Car maintenant je n’étais plus qu’un reflet hachuré de cette image dorée. Une fausse reine qui se morfondait du mutisme de son amant, qui vivait chaque jour avec les souvenirs de sa fille en plein cœur. Alors j’eus envie d’exploser ce fichu miroir qui me contrôlait, de démolir les mots de Diego qui résonnaient dans ma tête et m’empoisonnaient, descendant jusque dans mes veines pour me bouffer les tripes. De crier mon amour à ton père, mes excuses. De lui parler de toi, de l’amour entre Rhyan et Cyan. De sauver ce qu’il pouvait bien rester de nous.
Et pourtant, comme toujours, je n’y arrivais pas. Bloquée par tout ça, dévorée par un dressage ancré de manière indélébile dans ma chair et ma tête.
[…]
Ne restent des hématomes que sur le cœur.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Mer 21 Aoû 2019 - 19:02
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Ven 23 Aoû 2019 - 21:58
Existe-t-il une formule magique du bonheur ? Si c’était le cas, elle ne semblait pas être du côté des sorciers noirs. Encore un secret bien gardé par ces égoïstes d’Orpheo... Même les orphelins ont des sourires cloués aux lèvres. On a beau les frapper, ils se redressent toujours, heureux et naïf comme jamais pendant que les sorciers noirs crèvent dans leur coin comme des cafards. Peut-être parce qu’ils n’avaient que trop conscience de vivre dans un monde qui n’était pas fait pour eux, remplis d’humains et de mêlés ? Ou alors tout simplement parce que le sang qui tachait leurs mains remontait le long de leurs veines pour contaminer leur cœur ?
[...]
J’avais presque envie qu’un combat éclate dans cette cuisine. De la vaisselle brisée, des cris de haine, du sang qui roule... mais autre chose que ce silence insensible que j’avais imposé. Quelque chose, n’importe quoi qui prouvait qu’il existait encore quelque chose entre nous, que tout n’était pas encore mort, qu’il y avait plus que des souvenirs crevés et une enfant que nous ne verrions peut-être jamais. Un soupçons de haine, juste pour prouver que l’amour pouvait encore exister. N’importe quoi qui puisse venir étouffer l’indifférence qui se tissait entre nos deux corps chavirés. N’importe quoi qui puisse casser le silence.
Green était immobile. Il ne pouvait pas parler et semblait incapable de partir, comme ancré au sol. À cause d’Allen ? De ce contrat de mariage débile et mensonger ? À cause des relents d’un passé qui envahissait, parfois encore mais de plus en plus rarement, nos esprits ? Ou par peur de moi, de ce que j’aurais pu faire, de mon absence ? Mon pouvoir ramassa les bouts du verre, rassemblant le cristal pour le déposer sur le comptoir, s’amusant avec le rouge de mon sang qui teintait les bouts tranchants, mortels. J’aurais pu, d’une simple pensée, leur ordonner de s’enfoncer profondément dans le corps, le cœur, le cou de ton père. J’aurais pu ordonner à ces objets un meurtre. Aurait-il seulement réagit ? Essayé de se défendre ? Je relâchai tout et le cristal retourna s’exploser contre le sol, million d’étoiles décédées.
- Ton frère fait n’importe quoi.
Les mots avaient piqué, traversé ma gorge pour sortir contre mes lèvres. Imprudents, haineux, accusateurs.
- Cyan.
Ils tombaient au compte-goutte, désireux de quitter mon être, mais peureux de faire face à la réalité. De refléter le dernier sentiment qui pouvait encore me tordre le ventre. Une forme de jalousie, de dégoût.
- Il joue avec une humaine. Comme Silver avant...
... et comme toi encore avant. Ma langue n’osa achever cette phrase meurtrière. Comme toi avant. Cette putain, cette salope, Chloé Nienta qui, des années encore hante encore parfois le regard, les gestes, le cœur de ton père. Une humaine, un déchet absurde dont il s’était pourtant entiché. Le pire étant peut-être qu’elle même n’en avait rien à faire de lui. Elle ne le voyait que comme un ami, le parrain de sa fille, la fille d’un autre. Chloé est mort et c’est peut-être ça, finalement, le plus grand des malheurs. Si cette garce était restée en vie, Green aurait fini par comprendre, par se lasser de cette femme incapable de lui renvoyer ses sentiments. Il serait retourner chez les sorciers noirs, dans l’armée de son père et aurait peu à peu oublié cette humaine agaçante. Noyée dans son adolescence et ses erreurs de jeunesse. Mais Allen Soul avait voulu accélérer le processus et avait fait assassiner l’amie de son fils, la rendant ainsi immortelle aux yeux de ton père. Chloé la parfaite, la plus belle, incapable de trahir ou de décevoir. Forcément. Il est si facile de toujours satisfaire lorsqu’on est mort. Si facile d’aimer quelqu’un qui ne pourra plus jamais faire d’erreur. Et Chloé hantait le cœur de mon amant aussi sûrement que je le désertais. Rempart fièrement dressé entre nous, mais au temps où nous osions encore prétendre à un amour houleux, mais présent. Désormais la houle avait fait marée basse et ne restait plus qu’un phare pulsant le nom de Chloé dans l’horizon.
[...]
Cœur sale, noir, putrifié dans la poitrine de la reine. Incapable d’aimer correctement, elle ne sait vraiment ressentir que les sentiments les plus sombres, les plus destructeurs : la haine, le dégoût et la jalousie.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Sam 24 Aoû 2019 - 17:24
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Sam 24 Aoû 2019 - 18:11
Elle n’avait pas choisi cette vie, personne ne choisissait vraiment de toute façon, l’idée de libre arbitre n’est qu’illusion. Elle avait voulu survivr, grandir, rendre fière sa mère depuis là-haut. Et puis un jour, un homme avait débarqué et avait tout basculé. Elle se rappelait encore de ses mots, de ses gestes, de son air décidé en la voyant. En quelques instant à pein Anja était devenue cheffe de Rosenrot, le poids entier de l’organisation pesant en équilibre instable sur ses épaules. Puis il y avait eu Green, elle n’avait pas su résister, et tout s’était écroulé.
[...]
Ton père ne m’épargna pas, lisant dans mes sentiments comme dans un livre ouvert.
- et moi.
Je déglutis, incapable de relever.
- Comme moi, avant.
Incapable de nier.
- Tu vas le forcer à lui tirer une balle entre les deux yeux ? La nuque, peut-être, si tu ne veux pas le hanter pour toujours ?
Ma mâchoire crispa, crachant un défi muet à la gorge de Green. Et pourquoi pas, hein ? Est-ce que Cyan le ferait, pour moi, pour Rosenrot, pour Allen ? Et ton père, serait-il capable de briser son frère d’un éclair argenté en plein cœur pour mes beaux yeux ? Appuyerait-il encore sur la gâchette si je le lui ordonnais ?
- Oh, j’ai hâte qu’Allen l’apprenne.
Alors que mon amant se rapprochait de moi, je regrettai de ne pas avoir envoyé ce message à Allen. D’avoir tu et piétiné les sentiments qui émergeaient de mon âme et d’avoir fait tuer cette humainer. Une simple touche effleurée équivalait à une lame plantée entre les côtes. Impossible pour elle de se relever. Et je n’aurais pas eu à trembler. Cyan serait rentrer dans le rang, Allen se serait tut et Green n’aurait jamais été au courant.
- Mais peut-être que Cyan Soul ne sera plus disponible pour quelques temps. On sait bien dans la famille que les châtiments corporels s’effacent trop bien. Si tu veux pouvoir rattacher la laisse, Allen devras être inventif.
Un sourire défigura le visage de ton père qui semblait désireux à me narguer. Une bête hurla dans mes viscères, que j’eus de la peine à museler. J’avais envie de sortir les griffe, de frapper, de faire mal. Arrêter de réfléchir pour laisser mon corps s’exprimer et rugir. Revenir à cette situation de silence qui était si réconfortante, si confortable. Je contrôlai pourtant ma respiration, m’obligeant à retenir mon instinct. Fallait retenir tout ce flot, pour une fois qu’il y avait une ouverture entre nous, un chemin possible. Ou une impasse ?
- Il a bien réussi avec toi, pourquoi ça serait différent cette fois ?
Je m’approchai d’un pas également, les bras croisés et les poings toujours en sang. J’étais Anja et je ne me laisserai pas faire. Il le savait alors pourquoi essayait-il toujours, perpétuellement, de me chercher ? Toujours la même rengaine, hein Green ? Plus il griffait la reine, plus je mordais. C’était un cercle vicieux, peut-être autant que le creux de nos nuit lorsque nos corps se baisaient dans le noir. La violence partout, dans nos maux et dans nos mots. Qu’il expose Chloé sur la table, mes scalpels étaient déjà affutés, prêts à disséquer, peau après peau, os après os.
- Belle éducation en tout cas. Trois enfants sur sept. Qui sera le prochain ?
Peut-être ton père à nouveau ? Ou peut-être toi, Elaïa ? Toi qui grandit avec notre sang de sorcier, mais loin, si loin de nous. J’ai confiance en Mohamed, mais qu’en est-il de son épouse, sorcière peut-être, mais orpheline du Mystery Orphanage avant tout. Qu’en est-il de cette femme grinçante qui t’inculquerait peut-être l’amour des autres, même des sous-races. Et si toi aussi, tu tombais dans le piège de ces fichus humains ? Leurs minauderies et regards en coin. Comment je réagirais ? Et Green, lui ? Que serait-il prêt à donner pour sauver le cœur de son enfant ?
[...]
Toujours la même rengaine, la même vie qui défile. Les mêmes erreurs. Naissance, décès, Rosenrot puis Green. L’ascension puis la chute de la reine. Mais jusqu’où descendra-t-elle ?
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Sam 24 Aoû 2019 - 18:24
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Sam 24 Aoû 2019 - 19:02
Anja observe par la fenêtre. Dehors, des oiseaux dansent dans les nuages, attrapant de leur bec crochu les insectes ayant le malheur de se retrouver dans leur chemin. La vie de ses petites bête ne tient qu’à un fil. Tout comme les rapaces, qui peuvent être abattu d’un simple éclat argenté dans leur plumage écarlate. Pan. La vie ne tient qu’à un fil. Tout ne tient qu’à un fil.
[...]
Je le défiai et Green, comme toujours, répondait à l’appel. Longue lithanie toujours répétée. Les rouages étaient peut-être un peu rouillés, mais ils tournaient toujours. Ouvrir des plaies. Glisser ses doigts dedans. Tirer pour faire hurler la douleur.
- On part pour chercher ce qu’on ne peut pas trouver ici.
Je sentis mon corps entier se crisper et l’envie me démanger de briser un autre verre. Contre la tête de Green, puis enfoncer lentement et avec minutie chaque éclat dans sa tête. Créer des déchirures là où je les voyais. Faire mal puisque c’est tout ce dont on était capables.
- Que peut-on bien trouver dans les bras, dans les mots d’une humaine qu’on ne peut pas avoir ici ?
Plus encore que les mots, le présent erraflent. Ton père désirait gratter les blessures et il visait juste, retrouvant les cicatrices en un battement de cils. Des mois de silences pour se trouver face à face avec ces mots jetés à ma figure ? Les doigts de Green se baladèrent contre ma peau, geste familier et qui pourtant semblait oublié. Un frisson contre mon échine, un frisson dans ma gorge.
- Tu ne t’es jamais demandée de quoi Cyan manque tellement qu’il est obligé d’aller le trouver dans un cœur humain ? Qu’est-ce qui manquait à Silver, de quoi j’avais besoin, moi, si besoin que j’en suis parti ?
Oui peut-être. Peut-être qu’un jour, je m’étais vaguement imaginée fuir également. J’avais six ans et je ne comprenais pas pourquoi mes parents désertaient, pour mon grand-père souhaitait que je l’appelle par son père et que le vouvoie. Pourquoi personne n’était capable de me prendre dans ses bras. J’avoue sans peine avoir hésité à ce moment à faire mon baluchon et à partir vivre au bourd d’une rivière, dans des champs, m’imaginant déjà apprivoisé des animaux pour qu’ils me ramènent à manger. La tête remplie de contes stupides. D’histoires bidons. Mais j’ai grandi depuis et j’ai arrêté de croire au prince charmant. Je n’ai pas eu besoin de cette expérience pour saisir tout ça. Il m’a suffit d’observer, d’apprendre à écouter. Les histoires des autres, des histoires qui finissent toujours déchues, démolies. N’était-ce pas Amandine qui avait fait plonger Silver dans la drogue ? Chloé qui n’avait jamais su rendre son amour à Green ? Qu’en serait-il de Rhyan ? Un jour Orpheo saurait, un jour Orpheo forcerait la lame sur l’oreiller.
- L’expérience.
L’autre, les autres, aller voir ailleurs comment ça se passe. Mais ils étaient tous revenus, ils revenaient toujours. Rentrer dans le rang la tête basse et ne plus se plaindre, simplement suivre les rangs, se taire lorsque la reine le demande. Une expérience qui coulait dans les veines Soul et qui, pourtant, était toujours déçue. N’apprenaient-ils jamais des erreurs des autres ? Ne savaient-ils pas écouter ?
- Ou alors dis-moi toi. Qu’est-ce que tu allais chercher avec Chloé ? Qu’était-elle capable de te donner dont moi je ne suis pas capable ? Pas Myaw en tout cas.
Les noms étaient tombés. Deux flèches plantées en pleine cible, en pleine tête. Chloé cette humaine incapable de rendre ses sentiments à ton père. Et Myaw, la preuve même de l’unilatéralité des sentiments de Green, Myaw l’enfant d’un autre, le sourire d’un autre, l’amour d’un autre. Alors qu’est-ce que Chloé était bien capable de lui apporter, si ce n’est sa perfection entre quatre planches ?
[...]
Il suffisait de bien peut pour briser ses fils. Un bec crochu, une balle en plein vol, des mots qui brûlent tout.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Sam 24 Aoû 2019 - 19:22
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Sam 24 Aoû 2019 - 19:51
Les oiseaux sont descendus dans l’horizon, suivant les insectes qui rasent presque le sol, désireux de fuir la ciel en train de devenir orageux. Ils continuent leur ballet devant les fenêtres d’Anja, à quelques mètres à peine de la sorcière. Ronde orchestrée, poétique, mélancolique. Et surtout mortelle.
[...]
Mais ton père refusa de parler de Chloé fuyant cette conversation, refusant de s’abaisser à cette facilité de ma part. On ne peut jamais rivaliser avec les absents Elaïa, de toute façon. Ni Chloé, ni toi. Ton père vous mettrait toujours au-dessus du reste, prêtes à écraser ses principes, ses sentiments, ses peurs également.
- Tu ne m’as pas laissé être le père d’Elaïa non plus.
Evidemment. Nous en revenions toujours à là de toute façon. La haine de ton père à mon égard pour t’avoir cachée. Son incompréhension face à mon choix de t’éloigner de tout ce bourbier qu’était Rosenrot, les Soul, la guerre. Imaginait-il vraiment une vie où nous aurions été au cinéma main dans la main pendant que papy Allen te racontait des histoires ? Il ne l’avait pas fait pour ses enfants, il ne le ferait jamais pour sa petite-fille illégitime. Pathétique. Les mêmes arguments qui revenaient, toujours, en boucle.
- Tu lui as parlé à Cyan ?
Je me demande comme ton oncle aurait réagi si c’est lui que j’étais allée voir. Peut-être qu’il aurait nié, tremblé, supplié. Ou alors il serait resté froid, acceptant le destin implacable et acquiesçant d’un signe de tête, sa lame déjà prête à égorger sa romance éphémère. Pourquoi filer son cœur à un pion quand la reine nous surplombe ?
- Ou à l’humaine peut être ?
Je tiquai, imperceptiblement. J’avais été faible d’approcher cette gamine stupide et naïve. Une balle aurait été tellement plus impacable, direct, discrète. J’aurais facilement pu discréditer ce meurtre, mettre la faut sur le dos de Croix, une mission ayant mal tourné. Cyan aurait accepté le contre-coup, prenant conscience qu’il devait désormais retourner à la niche après s’être amusé dans le jardin des voisins. Retour au bercail. Mais j’avais fait l’erreur d’aller lui parler, parce que son regard dur me rappelais le mien, parce que son histoire rimait avec celle de Green, parce que je ne voulais pas d’un autre soldat détruit par le cœur. Parce qu’elle aurait pu être utile, également, et qu’elle ne pouvait pas refuser l’échange. Et pourtant elle l’avait fait. Et désormais Cyan devait être au courant que je savais tout. Si une balle brillait dans la nuque de l’humaine, il percerait direct la reine.
- Mais pas à Allen, encore, n’est-ce pas ?
Green était désormais si proche que je pouvais sentir son souffle contre ma gorge. Je déglutis avant de descendre les yeux vers mes mains blessées, les libérant de leur pansement de fortune, les plaies toujours saignantes s’étant cependant un peu atténuée. Regarder les blessures qui, lentement, mourrait sur ma chaire.
- Je lui ai proposé un accord qu’elle ne pouvait pas refuser.
La suite faisait mal. Elle faisait mal parce que c’était un cristal trouble lancé dans la mare de la reine. Un refus net auquel je n’étais pas préparée.
- Elle l’a refusé.
Ma mâchoire se crispa alors que je vis une goutte carmin rouler le long d’un doigt, vacillant un instant au-dessus du vide avant d’aller s’écraser sur le sol. Aussi fragile et lamentable que le corps dont elle venait de s’extraire. J’étais tombée si bas. Même plus capable de menacer la sous-race, de me débarrasser d’un cadavre, de dénoncer une liaison contre-nature au bourreau.
- Allen n’est pas au courant. Pas encore.
N’étais-je pas devenue, à force de faiblesse, aussi lâche que ces humains et mêlés contre lesquels je me vautrais désormais ?
[...]
La ronde continuait toujours dans le ciel, pourtant inébranlablement brisée en plein vol. Un oiseau, désormais, n’ouvrirai plus jamais le bec, le cou brisé par la rage d’une reine déchue. Ecrasé au sol, c’était son tour désormais de se faire manger par les insectes.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Dim 25 Aoû 2019 - 16:15
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Dim 25 Aoû 2019 - 19:14
D’un côté, c’était jamais assez. Elle ne se lassait pas de désirer une ville, un pays, le monde. Envahir la planète et, pourquoi pas, la galaxie. C’était jamais assez pour l’égo de la reine. Elle avait besoin de sortir du plateau en noir et blanc et de connaître la couleur, l’hémoglobine qui explose et arrose tout. Et pourtant, en même temps, c’était toujours trop.
[...]
Un sourire naquit sur les lèvres de ton père. Un sourire arrogant et contre lequel je ne pouvais cependant rien faire. Il me narguait du haut de mon échec. Comme s’il était fier de me voir échouer, écrasée par une morveuse impure et si inférieure. Heureux de voir le reste de mon humanité trembler dans mes prunelles.
- Tu ne la laisseras pas gagner, n’est-ce pas ?
Un soupir écorcha mes lèvres, se refusant à répondre. Que voulait-il que je dise de toute façon, sa question n’était que rhétorique. Mon silence répondait à ma place ; bien sûre que je n’allais pas la laisser gagner, qu’une balle la cueillerait au creux des reins, égorgeant ses rêves naissants dans une douleur signée Anja von Duisbourg. La laisser souffrir sur les berges de l’agonie pour lui faire regretter son geste à mon égard.
Les doigts de Green vinrent balayer une mèche de mon visage, geste léger qui n’effleura même pas ma peau. Geste simple et devenu inhabituel dans notre quotidien. À quoi pensait-il ? Que désirait-il de moi ? Que je la laisse vivre, que je les laisse vivre leur amour stupide ? Que je me taise ?
- Ne lui dis pas.
J’avalai une bouffée d’oxygène alors que la mâchoire de ton père se crispait. Décidémment, on en revenait toujours à Allen Soul, qui hantait le présent de ses enfants aussi sûrement qu’il avait traumatisé leur passé. Par les histoires de Green, ses hésitations dans le noir, la peur dans ses yeux, je me doutais des coups, des menaces, des punitions dans l’obscurité. Jusqu’où le partiarche de la famille Soul serait-il capable d’aller pour défendre l’honneur d’un nom et les principes de Rosenrot ? Avait-il également vécu tous ces dégâts dans son enfance ? Des coups donnés par son propre père pour le faire rentrer dans le droit chemin. Avait-il eu le sang qui bouillonnait, les tempes qui grinçait et l’envie de se rebeller ? Avait-il un jour songé à s’en aller, dans les bras d’une autre, d’une humaine capable de lui donner de l’amour ? Est-ce que c’était ça que cherchaient les fils Soul ? Un amour inexistant, complexe d’Œdipe perçant leurs artères.
- Et pourquoi ?
Ma main, désormais libre de ses bandages, monta jusqu’à la joue de Green, ma peau venant caresser la barbe naissante sur ses joues, mes blessures s’accrochant aux poils, délivrant une infime quantité de sang contre l’épiderme du sorcier. Trace écarlate sur sa blancheur.
- Pourquoi devrais-je accepter de perdre alors que je me fais déjà écraser par la guerre ? Pour que cette humaine puisse se vanter d’avoir soulever les faiblesses d’Anja von Rosenrot ? Pour qu’Orpheo s’engouffre dans cette faille et me plante un couteau entre les omoplates ?
Ma main retomba, bruit mat contre ma cuisse. Ton père est... ton père est qui il est. Fou de la reine, souvent déviant et pourtant tellement entier. Mais ton père ne connaît pas le jeu de la politique, il ne sait pas la pression d’Allen contre ma jugulaire ou les canines acérée de Dorian Cross ou Cormag Scrimgeour, prêts à vendre sa famille pour me voir pendre au bout d’une corde. À la recherche de la moindre défaillance pour s’engouffrer dedans et me faire payer au centuple mes crimes. La cruauté est partout ma fille. À Rosenrot, à Croix, mais aussi à Orpheo. C’est dans notre nature d’être ainsi et, la seule chose que nous puissions faire pour survivre, c’est d’être encore plus cruel que les autres.
[...]
Trop de sentiments, trop de peur face à son amant. La peur de faillir, de perdre, de laisser son cœur être brisé. Green avait trop de pouvoir sur ses sentiments. D’un geste de la main il pouvait balayer la reine du plateau. Et que resterait-il alors ? Pas la ville, pas le pays, pas le monde. Et encore moins la galaxie.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Lun 26 Aoû 2019 - 14:23
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Mar 27 Aoû 2019 - 16:30
You want a whore, buy her. You want a queen, earn her. Il fallait garder le menton droit, la mâchoire ferme et le regard de glace. Surtout, surtout ne pas trembler. La vie était un éternel combat dans lequel il fallait toujours être sur le qui-vive. Un pas de côté et la morsure d’une lame venait faucher. Une hésitation et le sang coulait. Ne laisser passer aucune faille, aucun trou. Surtout, surtout, ne pas laisser l’ouverture d’une occasion à ses ennemis. Pour ne pas tomber à genoux. Et rester reine.
[…]
La flamme dans les yeux de ton père brûla. Sauvage, si fidèle à lui-même.
- Pourquoi briser Cyan et raviver la colère Soul sur ses enfants ? Pour une humaine ? Pour le pouvoir ? Par fierté ?
Il se rapprocha de moi, son visage fou, son corps fort, son esprit tordu. Je n’aurais eu qu’à m’avancer de quelques centimètres pour venir effleurer ses lèvres des miennes, se laisser tomber dans les méandres de nos désirs, laisser chavirer nos corps et ne plus écouter nos cœurs. Fuir, une fois de plus, nos responsabilités. Je ne tremblai pas.
- Penses-tu vraiment que l’humaine ira raconter à tout le monde sa défaite face à Anja von Duisbourg ? Qui la croirait ?
Je déglutis difficilement. Ce que je pensais n’avait plus aucune importance, cette humaine était imprévisible, volatile. Je pensais qu’elle accepterait mon marché, mais elle avait fui. Qu’est-ce qui me disait qu’elle ne se tournerait pas au premier moment venu vers ses supérieurs à Orpheo ? Par peur, envie qu’ils la protègent. Elle l’avait peut-être même déjà fait. Et qu’importe qu’elle se taise ou non. Ma fierté avait été écorché face à elle, balayée par son refus. Une fois de plus la reine avait été mise à genoux et ridiculisée. Après Ange Rejes, cette stupide et agaçante gamine m’avait humiliée. Comment laisser passer ça ? Comment contenir l’orgueil qui hurlait dans mes entrailles ?
- Laisse Cyan décider. Si elle lui en parle alors sûrement qu’il l’abattra. Il n’est pas…
Moment d’hésitation, comme si les mots refusaient de tomber.
- Il n’est pas de ceux qui s’en vont.
Vraiment ? C’était ça que pensait Green de son aîné ? Qu’il n’oserait pas fuir, rejoindre Orpheo, trahir Rosenrot et les siens. Alors qu’il avait fini dans le lit de cette humaine, qu’il avait sali son corps, son nom et son organisation pour tirer son coup dans le noir ? Si Cyan avait pris tous ces risques, s’il avait continué cette relation dans l’obscurité, ce n’était certainement pas juste pour une histoire de sexe. Il aurait pu se servir n’importe où ailleurs ; dans l’organisation, parmi les esclaves ou même des humains innocents. Mais il était tombé dans les yeux de merlan frit de cette idiote, tombé dans le piège le plus vieux de l’humanité. Tombé amoureux.
- Parce que toi tu es de ceux qui s’en vont ?
Quelle était la différence entre Cyan et Green ? Qu’est-ce qui pourrait retenir l’aîné qui n’avait pas suffi au cadet ? Olive ? J’étais prête à mettre ma main au feu que le jumeau n’était pas au courant de cette histoire. Cyan n’assumait pas, ce qui était bien la preuve que cette relation avait de l’importance pour lui. Ce n’était pas simplement deux corps qui se bousculaient dans la nuit. Ça allait plus loin. C’était viscéral et pathétique.
- Parce que tu penses être différent ?
Je ne bougeai toujours pas, fermement plantée sur mes appuis.
- Différent de Cyan ? Différent de… Silver ?
Parfois il faut aller chercher le mal à sa racine. Il y avait chez les Soul une âme noire, empoisonnée. Un venin lourd qui coulait dans leur généalogie depuis toujours et qui avait été révélé par l’éducation d’Allen Soul. C’était génétique chez eux. Ce besoin d’aimer, de fuir, de trahir.
[…]
Sans ses atours, la reine était réduite à une humanité qu’elle ne pouvait pas supporter, faite de poussière et de grains de sable.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Jeu 29 Aoû 2019 - 13:41
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Jeu 29 Aoû 2019 - 17:20
Le temps file à toute vitesse. Anja passe une main distraite sur son ventre, celui qui a porté sa fille pendant des mois alors qu’elle ignorait tous les signes. Celui qui a porté la vie, l’amour, un changement intrinsèque qui a traversé la reine de part en part. Tout serait différent si Elaïa n’était pas née. Mais comment regretter ? Comment ne pas trembler devant ces grands yeux si similaires à l’être aimé, ces mèches blondes, ce sourire aperçu de loin dans une cour de récré. Allen et Aria y arrivaient pourtant bien, eux. Mais Allen et Aria Soul étaient… C’était Allen et Aria.
[…]
Le regard de ton père se vissa sur le parquet. Comme incapable de soutenir mon regard, de laisser exploser les mots et les sentiments. Il enfouissait son ressenti, sagement, profondément, comme il l’avait toujours fait devant son père. Chien battu qui plie l’échine avec discrétion.
- Je ne sais pas.
On aurait dit un enfant. Une petit chose fragile incapable de révolte et qui se blottit sous la couette les soirs de cauchemar. Sans défense, sans barrière, minuscule être bordé dans son coin.
- N’en parle pas à Allen, Anja. S’il te plaît. Cyan ne trahira pas, et l’humaine ne peut décemment pas expliquer pourquoi Anja von Duisbourg s’est intéressée à elle.
Je haussai un sourcil. Ainsi ton père ne comprenait pas. Ce n’était pas une question de confiance ou de trahison, que pouvaient cette humaine contre moi, contre Rosenrot ? C’était plus difficile, plus douloureux que ça. C’était ma fierté qui était en jeu, ma place de cheffe. Un sentiment qui boursouflait en mon sein, bien plus délicat et complexe. Bien plus égocentrique.
- Si tu n’as pas confiance, va en parler à Cyan. Ou j’irai lui en parler. Si lui à confiance en l’humaine, alors peut-être qu’il y a une raison.
Je le vis se mordre la lèvre de manière formulaire, invitation violente au baiser, à baiser, au brasier qui dévorait mon antre. Mais je devais contenir ce désir, ne pas faiblir devant les mots.
- Honnêtement, tu vois Cyan - Cyan bon sang – risquer une relation, et pas seulement amicale, pour rien ? Tu le vois se mouiller pour quelque chose qui n’est pas sûr, stable, constant ? Tu le vois traîner avec une humaine faible, prête à céder à une offre ou à des menaces ?
Nerveusement, Green glissa une main dans ses cheveux désordonnés, laissant apparaître un instant la couleur de ses yeux si semblable à la tienne. Il défendait son frère et cette humaine avec une frénésie qui était rare chez lui. Presque attendrissante.
- L’humaine qu’a choisi Cyan ne pouvait décemment pas ployer ou plier face à quelque marché que ce soit. Sinon, elle ne serait pas la meuf de Cyan. Non ?
Je songeai à cette gosse, la naïveté dans ses yeux, le sang sale qui coulait dans ses veines. Et pourtant je m’étais sentie tellement bête en face de ses réponses, de l’amour qui suintait de tout son être. C’était tellement ridicule que c’était presque devenu beau. Mais tout basculait dans ce « presque ».
- Je ne fais confiance à personne.
Sauf à toi. Ma bouche ravala mes mots, incapable d’aller jusqu’au bout. Mais était-ce seulement la vérité ? Et surtout, se noyer dans la sincérité n’était-ce pas tromper ma propre fierté ? Encore elle, qui revenait se fondre dans ma carcasse. J’attrapai le bras de Green, fermement, retenant une grimace en sentant la brûlure de mes blessures se frotter à la peau du sorcier.
- Si vraiment c’est ce que tu penses, que cette humaine a réussi à l’entraîner dans une telle relation, alors qu’est-ce qui prouve qu’il ne se retournera pas contre nous ? Qu’il ne te plantera pas un couteau dans le dos ?
Ou dans ton dos, Elaïa. Parce qu’un jour quelqu’un découvrirait. Et alors qui de mieux placer que le sang pour éradiquer le sang ? Qui serait le soldat assez fou pour t’égorger ? Allen Soul, Dorian Cross, Cyan Soul ? L’idée que ça puisse être Orpheo ne m’effleura même pas. Eux chercheraient à t’utiliser, à te retourner contre moi. Mais leur éthique stupide et pourtant parfois si pratique n’oserait pas les faire égorger un enfant. Ils ne voudraient pas te faire du mal, contrairement à ton grand-père ou à Croix. Du moins, officiellement. Parce que dans l’obscurité, caché sous leurs propres vices, ils sauraient trouver la lame juste pour percer ton ta vie. Un soldat de l’ombre sur lequel ils pourraient faire retomber toute la responsabilité. Ton propre oncle, par exemple.
[…]
Allen et Aria qui avaient donné naissance à sept enfants, un arc-en-ciel fous et dérangés. Capable de trahir ceux dont ils étaient le plus proches. Sept âme rongées par l’amertume et capables du pire.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Ven 30 Aoû 2019 - 16:14
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Dim 1 Sep 2019 - 0:56
Dehors, la forêt commence déjà à perdre son été. Un vert délavé se peint sur ses feuilles, tendant vers le gris sale qui laisserait plus tard sa place au orange, au froid, aux branches solitaires dans le grand froid. Les arbres se feraient alors peu à peu dévorer par la neige, dissimulant leur ampleur sous les lourds manteaux blanc. Seuls les cyprès restaient encore bien droit, leurs épines éternellement vertes ne tremblant pas face à la carrure du temps.
[...]
Je relâchai le bras de Green, dépliant délicatement mes doigts pour dévoiler la peau rougie, salie par mon propre sang. Cette étrange délicatesse me donna envie de poser ma langue contre le goût ferreux, de remonter jusqu’à l’épaule, dans le cou, jusqu’à ses lèvres. Ou alors de descendre, descendre pour ne plus jamais remonter. Etrange et dangereuse sensualité qui se dégageait de ce bras taché par l’hémoglobine. Dans mon ventre le capricieux désir ne cessait de vouloir jouer, caresser, toucher et, pourtant, je contenais cette langue qui aimait titiller pour la contraindre à la parole plutôt qu’au geste.
- Olive.
Il haussa les épaules, comme si ce nom était une évidence, l’assurance que Cyna ne saurait pas trahir, qu’il serait incapable de se retourner contre son propre sang. Que sa fratrie, si nécrosée fratrie, passait avant l’amour.
- Olive.
Le mot retomba, avec une force naïve et confiante. Le fou se raccrochait aux pions qui l’entouraient, incapable de voir ceux qui étaient déjà tombés ou les pions gris, si loin de leur reine qu’ils s’étaient laissé teintés par la blancheur adverse. Le fou qui marchait de travers sur cet énorme plateau de jeux qu’était la guerre, incapable de regarder en face, déjà dévoré par une pièce adverse. Et si tous devenait gris, qui serait encore capable de protéger la reine ?
- Ok.
Le mot s’arracha douloureusement à ma gorge. Il frotta longtemps contre mes dents, refusant de vraiment percé. Et pourtant, lorsque ces deux syllabes sortirent, elles étaient parfaitement nettes, tranchantes, adroites. J’avais appris depuis longtemps à ne pas trembler devant les décisions, les retranchements que je devais prendre face aux ultimatums ennemis. Le problème ici était que ton père n’était pas censé être de ceux-là. Ce n’était donc pas une concession de la cheffe de Rosenrot. C’était une déchirure du cœur, un mal nécessaire pour sauver une histoire dont il ne restait que des cendres.
- Ok, je ne dirai rien à Allen. J’irai plutôt voir Olive.
Ma mâchoire se serra face à mes propres mots. J’avais l’impression de trahir pour de faux motifs. Que ce serait-il passé si mon amant n’était pas intervenu, s’il ne m’avait pas demandé de me taire auprès du père, si tout le début de notre histoire dans ce bureau il y a des années n’avait jamais eu lieu ? Je l’ignorais, mais ça ne promettait rien de bon pour la petite effrontée qui partageait les nuits de Cyan. J’aurais peut-être appuyé moi-même sur la gâchette ? Ou tendu le flingue à Allen. Qui sait, j’aurais peut-être même poussé Green à le faire pour m’assurer que le soldat fou était toujours capable de soulever une arme, d’assassiner sans état d’âme. Aurait-il su faire exploser la cervelle au moment donné ? Mais l’avenir ne se construit pas sur des modifications utopiques du passé. Tous ces événements ont eu lieu et j’avais désormais renoncer à cette balle dans la tête de Rhyna, au trait argenté qui aurait écorché le cœur de Cyan. À la place j’avais tous remisé sur les épaules du jumeau, une confiance que je ne possédais pas et qui reposait sur Olive.
- Si Olive a assez confiance en son frère, alors il ne la tuera pas. Mais s’il peut imaginer, rien qu’un seul instant, que Cyan puisse trahir pour cette humaine, alors...
Je ne finis pas ma phrase, visualisant déjà le sang sur les mains de l’assassin. Et dans ma tête les visages des jumeaux se mélangeaient, riant et pleurant au-dessus d’un cadavre aux grands yeux bleus d’enfant et à la chevelure blonde.
[...]
Il fallait être forte comme un cyprès. Ne pas se laisser teinter par le temps qui écorchait tout sur son passage, volant les vies aussi sûrement que les cœurs.
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« Oiseau moribond, elle est plus proche de l'envol que je ne l'ai jamais été et j'ai mal. Déchirure. »
« Pis donner à bouffer à des pigeons idiots Leur filer des coups d’ pieds pour de faux Et entendre ton rire qui lézarde les murs Qui sait surtout guérir mes blessures »
- Do you know how to fight ? - And you, do you know how to die ?
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Dim 1 Sep 2019 - 10:33
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Dernière édition par Green Soul le Dim 1 Sep 2019 - 14:19, édité 1 fois
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Dim 1 Sep 2019 - 12:57
La lumière tombe doucement dans l’horizon, obligeant Anja à allumer la petite lampe de bureau pour continuer à écrire. Une étrange clarté se dégage alors de la chambre, courant jusque dans les champs, léchant presque la forêt qui dessine les contours du monde. Dans la vitre devant elle, Anja aperçoit son reflet, la glace sur la glace, des grands yeux bleus qui n’épargnent personne. Elle aimerait pouvoir y trouver du réconfort, s’observer dans le miroir et découvrir une pulsion de chaleur, rassurante, maternelle presque. Mais il n’y a rien que le vide qui la dévisage dans cette fenêtre.
[...]
Ça ne pouvait jamais être simple avec ton père. Il fallait toujours qu’il rue sur les mots, les gestes, sur tout ce que je pouvais dire ou faire. Trop fougueux, nerveux, crachoir à mots.
- Et tu penses qu’Olive le vivra comment, si il n’est pas au courant ? Tu penses qu’il ne se sentira pas trahi, qu’il n’aura pas mal, tu penses qu’il ne tuera pas l’humaine par petit égoïsme d’avoir causé à sa moitié mensonges et cachoteries ?
Ses narines de dilatèrent, naseaux torturés par le souffle chaud, énervé.
- Et une fois Olive au courant, tu penses que Cyan, pris par défaut dans des mensonges par omission, concé et pris en faute, tu penses qu’il se sentira comment vis à vis de son organisation ?
Je haussai les épaules. Quelle importance ? Quelle raison avais-je de chercher à épargner les sentiments des jumeaux ? Était-ce ma faute si Cyan était incapable de parler à celui qui se considérait comme sa moitié ? C’était bien la preuve que cette humaine avait foutu le bordel dans la tête de mon soldat. Si quelqu’un méritait d’être au courant de l’existence de Rhyan, il me semblait que c’était Olive. Peut-être qu’il l’était déjà, d’ailleurs. Que son frère lui racontait les murmures, les frissons, les corps nus qui se découvrent. Mais soyons honnête ; ni moi ni Green ne semblait croire qu’Olive puisse être au courant. La preuve de la dangerosité de cette relation.
- Tu te mets au milieu de cette histoire par ego, Anja. Par ego et par pouvoir. Tu te mets au milieu parce que tu le peux, pas parce que c’est important ou nécessaire.
Ce fut à mon tour de souffler, mes lèvres me démangeant encore de m’accrocher à lui, mais pour le mordre cette fois, jusqu’à faire exploser le goût de son sang dans ma bouche.
- Si tu ne fais confiance à personne, Anja, alors pas étonnant que nous soyons en train de perdre cette guerre.
Mon prénom roulait encore dans l’air alors qu’il tournait déjà les talons, m’abandonnant dans cette cuisine, trouée par les mots de mon amant. Contenant à grande peine les sentiments qui me traversaient, je me forçai à calmer mon ardeur, le temps de me baisser pour ramasser les morceaux de verre jonchant le sol. Un par un, petits éclats d’étoiles venant rougir un peu plus mes paumes. Je devais me contrôler pour ne pas utiliser mes pouvoirs, balancer tout ça contre le mur, le sang, le verre, le jus, toile représentative de mes sentiments à la Pollock.
Je glissai les bouts de verre dans la poubelle puis me rendis à la salle de bain, nettoyant encore mes plaies, ignorant les picotements de douleur dans mes doigts. Puis je pansai mes blessures, entourant des bandages autour de mes plaies. Mes mains ressemblaient désormais à celles d’une boxeuse, prête à monter sur le ring pour briser des os.
Où pouvait-il être ? Il n’y avait qu’une seule et évidence réponse à cette question, qu’un seul endroit où ton père aimait se réfugier lorsque le monde battait un peu trop fort contre ses tempes. Je descendis dans la salle d’entraînement, caressant avec patience la rage ronronnante en mon sein. À chaque marche elle enflait un peu plus, impatiente de gronder dans l’air, de faire vibrer les murs et les doutes. À chaque marche je devais la rattraper pour ne pas qu’elle explose. Jusqu’à ce qu’on arrive à la porte, petit bout de bois blanc derrière lequel je savais que ton père se trouvait. Avec délicatesse je fis glisser la poignée, pénétrai dans la pièce, puis laissai exploser ma télékinésie. Les poids par terre, les armes dans le mur, l’éclatante légerté de ma puissance.
[...]
Elle fuit le regard accusateur en face d’elle, qui ne cesse de la juger depuis qu’elle est enfant.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Dim 1 Sep 2019 - 14:18
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence Mer 18 Sep 2019 - 19:43
Éternel recommencement. Toujours les mêmes altércations, les mêmes coups frappés contre la peau, la même fureur dans le bas ventre. Green savait,mieux que quiconque, faire fondre la glace dans le corps de sa reine, mais le feu qui y bouillonnait désormais n’était sans doute pas mieux que l’ignorance profonde de sa froideur. Que préférer entre les coups et l’absence de mots ?
[...]
Des flash du passé remontent à la surface comme autant d’ainguilles dans le corps malmené d’une poupée vaudou. Je nous revois, ton père et moi, après des années de silence, dans une forêt à faire éclater, déraciner des arbres. Laisser exploser le feu intérieur. Et voilà que désormais je le laissais entrer chez moi, entre mes murs. La fureur n’avait qu’une seule volonté, celle de blesser, de faire mal, de torturer l’homme avec qui je partageais ma vie, le père de ma fille. La cheffe froide de Rosenrot, peut-être vue comme un mosntre par ses ennemis, se muait en véritable monstre, identité longtemps refoulée qui la noyait désormais. Je devenais celle qui frappe, la tornade noire qui fout des bleus à ceux qu’elle aime, les poings en sang. Celle qu’on aimerait savoir fuir à la première gifle mais face à laquelle on a trop peur. Telle Allen Soul, je me réfugiais dans la violence pour calmer mes pulsions.
Ton père disparut d’un coup, utilisant sa magie pour se téléporter loin de ma furie, des éclats que j’envoyais valser dans la pièce. À mes mains les bandages se tordirent sous la tension avant de se distordre puis de s’arracher violemment des mes mains. Aussitôt je vis le sang qui lui aussi pulsait dans mes paumes, souhaitant s’extraire de ma peau, se tirer de mes veines, me vidant immensément. Mais soudain mon pouvoir est contré et les objets sont comme ligaturés au plafond, soutenu par la lévitation de Green. Douche froide, glacée, qui me donne d’autant plus envie de résister que je sais que mon amant ne pourra pas tenir aussi longtemps que ma propre télékinésie. Et pourtant, quelque chose coule en moi, se calme, alors qu’une voix jaillit dans mon dos.
- Et maintenant quoi Anja ?
Maintenant il me regardait, maintenant il m’écoutait alors qu’il maintenait les objets au plafond, la gravité presque à l’envers. Je me retournai et réalisai alors que ma lévitation s’était mêlée au jeu et m’avait faite décoller de quelques centimètre, juste assez pour être plus haute que lui, pour le dominer. Le surplombant ainsi, je forçai le sang à sortir de ma main gauche, agrandissant encore plus mes plaies dans une douleur qui me tira une grimace. Une bulle écarlate se forma dans ma paume et grossit jusqu’à avoir la taille de mon poing. Je sentai l’essouflement parcourir mon cœur alors que je tirai mon propre sang, me vidant de ma force vitale. Puis, alors que le sang tournoyait toujours, que je sentais l’essence de mes pouvoirs vouloir me quitter également, je portai ma main à mon visage, laissant le sang échapper sur ma peau, tachant mes cheveux et glissant le long de mon corps, encore chaud. Sale, sale, sale. Les plaies sur ma main gauche s’étaient distordues, formant des rictus moqueur dans le creux de mon poing. Faille béante le sang ne voulait désormais plus cesser alors que mes pieds retrouvaient le sol. Du sang partout sur moi. Mon visage, dans ma bouche, mes paupières alourdies par le fard carmin, mes cheveux collant sous le rouge.
- Maintenant je suis à l’extérieur le monstre que je suis à l’intérieur.
J’ai un flash du Joker, l’ennemi de Batman, figure emblématique du méchant et de la cruauté. Pauvre clown, surtout, qui voulait juste faire rire, mais dont tout le monde se moquait. Jusqu’à ce qu’il se dévoile, qu’il entaille ses joues et qu’il commence à tuer. Rira bien qui rira le dernier.
- Pourquoi tu m’as sauvée dans cette ruelle ? Pourquoi tu n’as pas laissé cet exorciste me ramener à Orpheo ?
Mes jambes tremblaient sous la fatigue alors que le goût métallique du sang sur ma langue se trouvait mélanger avec le besoin de vomir. Je n’étais que faiblesse. Monstrueuse et faible.
[...]
Le reflet du miroir renvoie pourtant l’image d’une femme belle. Le genre de personne dont on se plaît à fantasmer, qu’on n’ose pas désirer, même dans ses rêves les plus fous. Et pourtant, sous le masque... Sous le masque la chair et le sang éclatent.
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Sujet: Re: La chaleur des corps, la froideur du silence